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Minuit, l'heure du cringe
de Nicéphore

                   



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[Texte] Belle est l'aide
Je suis ce genre de personne qui se sent mal de poster des articles de blog quand elle n'a pas commenté ceux postés avant, d'autant plus quand il y a des textes dans le lot. Pour le coup, c'est du manque de temps, je pars demain matin pour quatre jours sans réseau.

C'est un personnage inspiré d'une personne croisée il y a cinq ans et pendant cinq minutes. C'est fou qu'il y ait des gens comme ça auxquels je pense encore, et c'est fou d'en faire une personne nommée selon un site de prénoms anciens (PS pour les auteurs, cherchez dans les prénoms anciens pour vos personnages, c'est une véritable mine d'or).



« Je peux vous aider ? »

    C'est une rue tranquille, assombrie et relativement étroite. Les façades, jaunes, s’alignent en longue parade au gris sale de l’église qui les écrase depuis le trottoir opposé. Les quelques voitures se sont garées à cheval sur la chaussée, faute de place. Une petite table ronde de jardin, en métal rose, se perd entre ces mastodontes : un îlot de terrasse naufragé, à l’extrême bord de la langue de goudron de la rue.

    Un vieux grand-père en chemise bleue chargé de sacs de courses, deux dans chaque main, s’escrime seul contre une porte en bois lourd, rehaussée d’une marche carrée trop haute pour ses sandales. Il lance un œil reconnaissant à la dame à la montre, par-dessus son épaule. Celle-ci s’est déjà élancée dans un froissement de voiles pour maintenir le battant sombre vers l’entrée convoitée. Ouf, fait le vieux, et il la remercie.


    « Je peux vous aider ? »

    C'est un terrain dégagé par le bâti, mais rafraîchi d’arbres, quatre pelouses coupées par un chemin en croisement bétonné ; le tout dans une pente douce en pleine ville. Les bancs réguliers s’affaissent sous les lecteurs silencieux ou les buveurs bruyants, et les brins d’herbe proches, sous les mégots de cigarette. Le vent souffle.

    Le petit garçon relève les yeux vers elle en sursautant doucement. Son regard s’attarde sur la montre à gousset qui pend à son long cou, par-dessus plusieurs épaisseurs d’écharpes et de foulards, de vestes et de robes. Elle connaît bien ce regard. Cela ne veut pas dire qu’elle connaît ce gamin, mais cette œillade curieuse et discrète qu’elle sent passer sur elle, avec un sourire, à chaque fois qu’elle traverse la rue.

    Le petit accompagne une petite, elle aussi chargée d’un petit cartable, lourd, mais que secouent de petits sanglots étouffés. Ses genoux potelés s’agitent de tremblements, et là où le garçon porte un regard inquiet vers les trois grands huskies qui courent sur l’espace vert, elle regarde le vide. Elle a très peur des chiens, et craint autant de traverser leur terrain de jeu que de le contourner par l’un des chemins transversaux. La grande femme se baisse vers elle, lui parle un peu, se relève et lui prend la main, pour avancer avec elle, à petits pas, vers le bout du chemin. Les chiens sont loin, vers le haut de la butte. Le petit gars soucieux marche proche de son amie en jetant à la dame de muets témoignages d’admiration.

    Elle les quitte quelques mètres plus loin, pour recevoir deux « merci », l’un éperdu, l’autre rougi et trempé de larmes.


    « Vous avez besoin d’aide ? »

    Deux yeux en amandes jaunes se haussent vers la drôle d’humaine colorée accroupie de l’autre côté du grillage. L’objet qui se balance autour de son cou vient taper contre les mailles de fer, sur un ton sec ; le chat, de l’autre côté, retire prestement sa patte du petit trou sous le rideau de ferraille, surpris, laissant sa proie poursuivre sa route le long des herbes du trottoir. La femme dresse ses ongles peints en remparts au scarabée noir, maladroit, qui pratique un détour de quarante-cinq degrés dans la direction inverse de la grille.

    Le chat, gris et blanc par ailleurs, et passablement sale, observe ce manège les pupilles dilatées. Le jeu d’aiguillages se poursuit encore quelques instants, jusqu’à ce que la bestiole à six pattes ne s’enfuie inconsidérément vers une fin plus cruelle — par le petit trou à fleur de béton. Le matou ne se préoccupe plus alors de sa grande bienfaitrice, tout occupé qu’il est à faire rouler la carapace brillante entre les feuilles mortes de son territoire


    « Je peux vous aider ? »

    Cette fois, l’écho des mots résonne à travers une grande pièce de velours rouge, bordée de deux tableaux, un guéridon vieilli, des guirlandes, quelques dessins d’enfants absents, un tortueux lampadaire d’intérieur en bois poli. Au-dessus de la belle cheminée, elle aussi décorée, s’étend un grand miroir ébréché et taché dans les coins.

    C’est à ce miroir que s’est adressée Hermeline. Il reflète une femme grande, au visage saillant et la peau veloutée, que l’éclairage habille de teintes brunes. Ses yeux n’ont pas besoin de telle parure : le maquillage s’y concentre déjà pour, d’une ombre de longs cils et d’un trait souligné, élargir habilement le regard — et habilement dissimuler les cernes. Le nez est droit, les lèvres fines et ternes, les cheveux, noirs, rêches et bouclés, cascadent sur des épaules à l’accès barré par les couches de tissus.

    Même pas un instant, le bleu des yeux, l’espiègle du visage se voile d’un nuage triste, aussitôt dissipé par l’éclat du soleil. Les lèvres de la quadragénaire se haussent d’un sourire amusé — elle, de l’aide ! — puis, d’une volte-face, s’effacent du miroir. Sa montre cliquetant, elle retourne déambuler, sans but, sans compagnie, dans son grand appartement vide, clos, ostentatoire pour des yeux qui n’existent pas, décoré pour son propre goût, sans plus d’une seule place usitée à la grande table du salon, sans plus d’une place au lit défait. Un petit air faux s’éloigne dans les couloirs.
Article ajouté le Lundi 11 Mars 2019 à 23h03 | |

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