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Minuit, l'heure du cringe
de Nicéphore

                   



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[Texte] Ça roule
Écrit un peu à l'arrache en deux soirs d'après-cours, empiétant à l'outrance sur mon temps de sommeil. Histoire que la simple pause ne se mue pas en blocage de la plume (et c'était bien parti), exploitation d'une vieille idée d'après une anecdote qu'on m'avait racontée ! Par un petit manque de satisfaction après relecture, je serais tentée de me justifier d'avance, d'expliquer ce que j'ai voulu faire et pourquoi je ne trouve pas avoir bien réussi, mais tout compte fait, c'est plus intéressant d'attendre les commentaires (ou leur absence)...

Et puis, il est tard et il y a école demain. Bonne lecture !




Campagne rase bleuie par un vif ciel d’hiver… Ça fait deux heures et demie qu’il n’y a rien à voir, par-dehors. Et ça ne s’arrange pas alors que les rails s’espacent, que les brins d’herbe au bord se font plus discernables, et que le train s’arrête. Le vrombissement du voyage est alors remplacé par quatre notes caractéristiques. Des regards s’étonnent, et, sans savoir où chercher, s’attachent comme des mouches au plafond : puisque le son vient de là, des enceintes intégrées. On guette la voix du train en réponse aux questions.

« Mesdames, messieurs, veuillez nous excuser cet arrêt impromptu. Si un conducteur de train se trouve à bord, il est prié de rejoindre la voiture 1, à l’avant. »

Ah ?

Quand ils ont un regard connu à croiser, les voyageurs se font les gros yeux entre eux. Sinon, ils les font aux hauts-parleurs — qui n’y sont pour rien, pourtant. Des discussions basses s’élèvent, quelqu’un proteste avec éclat.

Un contrôleur fait irruption, dans le sens inverse de la rame. Excusez-moi monsieur, que se passe-t-il ? Apparemment rien, d’après la réponse. Rien de grave, on sera bientôt repartis. Les murmures reprennent de plus belle, l’apostropheur reprend sa place, le contrôleur son pas.

Une grosse étudiante blonde, avec un visage délicat sous des cheveux lustrés, a détourné les yeux de sa vitre pour fixer l’allée vide et sa moquette à motifs. Plus de conducteur, d’un coup ? Elle s’imagine qu’il s’est évaporé en fumée blanche pour flotter sous le plafond et regarder si les gens sont toujours là. Ou alors, il en a eu assez, de ce train, de ses trajets dans les deux sens, toujours, avec la campagne bleuie par un vif ciel d’hiver, les brins d’herbe appris par cœur, les rails rouillés, alors il a ouvert la portière et il est parti. Les explorer de plus près, à l’échelle d’homme, pas de machine serpentaire infernale. Ou alors il a voulu s’en éloigner et il s’en va chercher une autre rame, à pied. S’ensuit une réflexion sur le métier de conducteur : est-ce qu’ils guident toujours le même train…?

Un peu derrière, un petit homme en costume gris s’est tourné vers le plafond, là où les plateformes à bagages transparentes reflètent les hauts des crânes des autres passagers. Pour voir quelles sont leurs réactions, et parce que c’est marrant de voir sans être vu — il aurait pu faire ça juste en tournant la tête à droite. Lui, un sourire goguenard pendu au coin de la lèvre, il se dit : c’est un test. Super intéressant. On pourrait vouloir observer les attitudes des gens dans telle situation. En tous cas, si c’est pas ça, lui l’aura fait. Et aura trouvé ça super intéressant. Pour mieux entendre, il retire ses deux écouteurs.

« Mamaaan, on va être en retard pour papa.
— Oui, tant pis. Le train doit avoir un souci.
— Il est fatigué moi je pense, parce que c’est looooon-
— Peut-être oui. Ou il a mal aux roues…
— Hmmouiii. »

D’une certaine façon oui, la mère pense à un problème technique, rien de plus. Une fausse manip, pour ça qu’ils ont besoin de l’expérience d’un autre conducteur pour arranger l’affaire. Tant que ce n’est pas dangereux… Elle se frotte un coin de cerne, de l’index, elle est crevée (ses pneus sont fatigués, on peut dire, comme pour le train). Adam, en face d’elle, est tourné de profil vers le décor figé et le ciel uniforme, menton sur le poignet. La position fait ressortir le gros bouton d’acné dans l’axe de son front.

L’adolescent se dit que sa frangine est bien naïve et que le conducteur est mort assassiné. Peut-être par un contrôleur traître, genre le roux qui est passé à l’instant. Il allait dans l’autre sens pour faire genre c’était pas lui, mais dans cinq minutes, il reviendra avec des collègues qui se douteront de rien, et genre il leur montrera le corps, tout le monde sera horrifié mais personne pensera que c’est lui, le contrôleur roux. Sauf Adam, qui devra avoir le courage de le dénoncer quitte à subir des représailles et mettre en péril son honneur. Mais il sera un héros parce qu’il aura tout compris. Haha non n’importe quoi. Mais ce serait cool quand même.

Le contrôleur roux, lui, ne pense pas grand-chose et est loin de se douter des soupçons qui l’accablent. Il n’est pas au courant, et il a adopté une démarche d’homme affairé qui fait claquer ses talons dans la moquette pour prendre la situation en main, alors qu’il va plutôt prendre contact avec un membre de l’équipage pour voir ce qu’il se trame. Ce qu’il se train. Enfin euh, il ne se souvient pas qu’une telle annonce a déjà été faite de son service… Étrange !

Et une conseillère d’orientation aux cheveux gris le regarde passer discrètement. Elle est vivement curieuse, mais n’osera pas lui demander des renseignements (pourvu que quelqu’un du wagon le fasse). Elle se dit juste depuis deux minutes que ce serait drôle (vraiment drôle) que le train ait un problème d’aiguillage, parce qu’elle pourrait le conseiller en orientation... Ses traits se reportent vers son livre, mais restent tendus du côté de l’allée, comme pour mieux capter les sons (les éventuels), les possibles informations. Mais personne ne demande rien au contrôleur, et ses bruits de semelles faiblissent vers le compartiment suivant.

La porte n’a pas le temps de se refermer que quelqu’un d’autre l’emprunte, dans le sens inverse. Les yeux de la conseillère se tournent de son côté alors qu’il franchit le wagon à grands pas. Immense, d’une silhouette rocailleuse et d’un visage qui va avec (le regard droit devant), il se dirige de tout son corps vers l’avant en ébranlant presque le train (une mallette en cuir noire à la main). Il porte une veste imposante où l’on imaginerait s’aligner des décorations militaires.

Parce qu’elle est curieuse, parce qu’il pourrait être le conducteur demandé, ou parce qu’il en impose justement trop pour ça, elle se lève spontanément, embarque son sac à main et lui emboîte le pas (en plus petit). Elle aura l’air maligne s’il va juste aux toilettes.

Une porte, et wagon suivant.

Évidemment, tous les regards se tournent, plus ou moins discrètement, vers le drôle de couple dans l’encadrement. Un grand type, peut-être le fameux conducteur, peut-être leur sauveur, et une femme peu assurée qui, finalement, n’a pas l’air d’être avec lui. Mais lui est intéressant. La mère reporte donc ses cernes gris vers son fils, hésite un instant, puis, trop intriguée par le passage et par l’allure du personnage :

« Adam, mission secrète pour toi ! »

L’ado n’a pas manqué de remarquer l’irruption, il regarde l’homme par son reflet dans la vitre. Il calcule mentalement sa crédibilité à prétendre aller aux toilettes pour le suivre et voir si le vrai conducteur a vraiment été tué.

« Tu peux aller voir vers l’avant ce qu’il se passe, s’il te plaît ? Je reste surveiller les valises… »

Il ne se le fait pas dire deux fois, et saute hors de son siège avec un « Ouais » étouffé au dernier moment pour le respect du silence de rigueur. Et suit.

Et manque rentrer dans quelqu’un d’autre.

« Mes excuses, sourit un adulte avec une pointe de moquerie dans la voix. Tu suis le cortège ? »

Le petit jeune hésite, pris au dépourvu et déséquilibré. L’homme en profite salement pour se lever, sortir, en lui passant devant ; il commence à marcher en lui faisant signe de le suivre. Un peu piteux, Adam reprend un « Oui » avec un court retard, et s’élance à sa suite. Il retrouve un bout de confiance en constatant que le railleur n’est pas beaucoup plus grand que lui. Mais son costume gris l’intimide, sa démarche d’homme sûr et le sourire en coin qu’il a entraperçu.

L’étudiante blonde, elle, a surtout remarqué la dame qui suit le chef de file. Elle se doute qu’elle le suit, mais on dirait qu’elle fait semblant de le cacher. La dame est assez grande mais éclipsée sur ce plan par l’immense homme devant, elle balance un sac à main rose et elle a de jolies chaussures. Et de jolis traits, qui se veulent impassibles sous les feux des regards. Elle la dépasse, et d’autres arrivent dans le couloir ; intriguée par le mouvement de file, par cette femme, et toujours par ses théories quant au sort du conducteur, la blondinette se lève et s’insère en plein milieu du groupe — s’excusant au passage.

Drôle d’équipage ! Le petit homme en gris sourit : on aurait vraiment dit un de ces feuilletons avec une caméra cachée, un événement bizarre et tout une assemblée qui tombe dans un panneau. Il aimerait juste voir la gueule du panneau — et celle du conducteur, si elle existe.

Une foule de pieds frappe la moquette et l’on ne se gêne plus pour les couvrir des yeux : les passagers se cachent pour observer une personne isolée, mais avec un tel événement, cinq personnes dans le même sens, en même temps, il y a matière à justifier des regards appuyés. Ceux-ci sont vécus au sein du groupe avec de la gêne un peu, indifférence beaucoup, et une poussée d’héroïsme pour le petit Adam qui se sent aller à la rencontre de la solution à l’énigme. À ce train-là, les portes automatiques sont ressenties comme s’ouvrant devant lui — devant son groupe de combattants, pour les laisser passer, accéder à la dernière salle.

L’imposante blondinette ne met pas bien longtemps à rompre le silence, mais en chuchotant. À la femme devant elle :

« Vous savez où il va ? »

La conseillère sursaute un peu (elle pensait à son livre oublié à sa place), se tourne tout en marchant et balbutie un « Non » avant de reprendre clairement :

« Je me demande si ce n’est pas un chauffeur, donc pour voir… (la blonde hoche la tête)… haha, j’aurais l’air bête si ce n’est pas le cas.
— On aura tous l’air, rigole l’étudiante un peu trop fort.
Et elle reprend à voix basse :
« Pour ça que vous cachiez que vous le suiviez ? »

Elle y va fort.

— ...Peut-être, jeune fille…
— On verra bien » fait celle-ci avec une sorte de sourire encourageant (alors qu’il n’y a pas forcément besoin d’encouragement).

Elle a même le culot de se retourner vers le type qui la suit. La conseillère regrette d’être en si bonne place dans la file, elle n’aime pas trop être suivie et encore moins tenir une conversation dans son dos. Elle se concentre quand même pour saisir celle qui ne va pas manquer, derrière, tout en fixant, devant, la largeur du meneur de troupe.

« Qu’est-ce que vous en pensez, de tout ça ? demande effectivement la blonde par-dessus son épaule.
— Pas grand-chose, je suis curieux, lui répond une voix d’homme chaleureuse avec comme une pointe d’ironie, un ton trop naturel.
— Je vais juste voir (lui est un gamin, ceux dont la conseillère a l’habitude au collège).
— Enfin, vous avez bien imaginé des trucs, je sais pas, pourquoi on a fait cette annonce ! Si vous êtes là..!
— Je penche pour une intervention extraterrestre avec un rayon dématérialisant kidnappeur… »

Le désinvolte de l’homme en gris fait éclater la blonde de rire. Doucement tout de même, pour ne pas trop attirer l’attention ; puis, elle se re-concentre sur le chemin et l’ardeur de se faufiler entre les sièges serrés. Au moins elle n’est pas la seule à avoir de l’imagination ici, tant mieux, ou ce serait décevant. Les gens ne savent plus faire ça… elle si, heureusement ! Elle pourrait en faire un scénario de roman, de tout ça ; elle se trouve douée pour les histoires un peu genre racontage de vie des gens.

Ils sont au bout du train, ça y est. Les personnes les plus proches se sont levées et massées vers la porte de la cabine du conducteur, et ici, les discussions prennent plus d’espace sonore. Le type de tout devant s’arrête, la conseillère le rejoint en appréhendant un peu qu’il se retourne et se constate suivi. Elle n’est souvent à l’aise qu’avec les enfants ou les gens qu’elle connaît un peu ; l’idée que ce rocher en veste puisse lui demander des comptes l’intimide.

« Qu’est-ce qu’il se passe ? »

Non, ça va, il s’est adressé à la cantonade. Tout le groupe est surpris par sa voix, moins pierreuse qu’on s’y attendait, mais ferme. Instinctivement, les gens devant la porte s’écartent, devant cette forme d’autorité. Ceux derrière, eux, se massent les uns à côté des autres, pour mieux voir, mais qu’y a-t-il à voir ?

L’homme déverrouille la cabine d’une clé sortie de sa poche, et entre. La porte claque, et à la minute suivante, après un silence d’égarés, le train reprend sa route comme si de rien n’était.
Article ajouté le Jeudi 11 Octobre 2018 à 01h08 | |

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