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Des Illusions de Physalis



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» Auteur : Physalis - Voir le profil
» Créé le 23/09/2015 à 17:26
» Dernière mise à jour le 30/09/2015 à 17:41

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Chap.2 : Le passé revient toujours
Magda posa sans aucune douceur un sac de provisions sur le sol et se précipita vers le réfrigérateur pour en sortir une bouteille. Elle but au goulet à pleines gorgées avant de consulter un carnet collé sur la porte de l'appareil. Bon sang. Elle se traita mentalement de tous les noms. Voilà ce que c'est de ne pas prendre la liste des courses ! Elle en avait oublié la moitié. Des choses importantes en plus. Elle allait devoir y retourner alors qu'elle mourrait de chaud, qu'elle en avait marre et qu'il était déjà vingt heures. Désormais avachie sur son canapé-lit, elle rassembla ce qui lui restait de courage, se leva pour récupérer le précieux papier et lança un retentissant "Je reviens tout à l'heure !" avant de claquer la porte de son studio. Il n'y avait que Nako pour l'entendre, mais elle avait pris l'habitude de parler à haute voix pour occuper le silence.

Le studio appartenait aux Nartal, un couple adorable qui avait vu Magda haute comme trois pommes. Lorsqu'elle leur avait expliqué la situation, ceux qui comptaient parmi les derniers habitants du "village" avaient insisté pour lui venir en aide, et elle ne s'était pas faite priée. Le fils du couple avait habité Volucité pendant ses études et, maintenant parti à l'étranger, le logement pouvait resservir. Les Nartal avaient payé les frais d'inscription de l'école et aidaient régulièrement la jeune femme. Ils vivaient simplement et selon eux "Cet argent devait bien servir à quelque chose". Cependant, pour ne pas se sentir totalement dépendante, Magda se dénichait des jobs d'étudiant le soir ou, en cette période, le week-end.



La chaleur l'assaillit et lui arracha un soupir. Depuis trois jours la région subissait de fortes chaleurs inattendues et le seuil caniculaire n'était vraiment pas loin d'être atteint. Les hauts bâtiments de la capitale projetaient leurs ombres paresseuses sur les rues et les boulevards, mais entre les murs, c'était une véritable étuve. La ville semblait figée, comme si les va-et-vient quotidiens la fatiguaient autant qu'un simple humain. Les habitants se calfeutraient chez eux tous volets fermés, conformément aux instructions diffusées par la radio et la télévision (et aussi par leur bon sens). La fontaine de la place publique était prise d'assaut pour sa fraîcheur par les rares familles de sortie. Magda se fit violence pour ne pas s'y arrêter et fonça au supermarché qui occupait le rez-de-chaussée d'un immeuble design blanc et gris. Les reflets sur sa façade donnaient l'impression qu'il suintant et souffrait lui aussi de la lourdeur du temps.

Un orage allait éclater, et si tout le monde s'en réjouissait, Magda priait pour qu'il attende encore un peu, histoire d'être à l'abri pendant le déluge. Elle se pressait le plus possible et ne réagit pas la première fois qu'elle crut entendre son prénom. Elle devait probablement rêver.



"EH MAGDA ! Magda, t'es sourde ou quoi ?!"

Se retournant, elle se trouva face à celle qui l'invectivait. Elle aurait pu la reconnaître bien avant de la voir tant son ton direct mais enjoué était caractéristique. Il appartenait à une jeune femme blonde (la coupe au carré) au beau visage ovale hyper-expressif. Chaleur oblige, elle s'était pour une fois départie de son habituel manteau long dont les plans qu'elle laissait libres flottaient au vent et lui faisaient comme des ailes. Elle portait simplement un débardeur et un short.

"Magda ! s'exclama-t-elle (encore), le sourire aux lèvres. Ça fait plaisir de te revoir ! Tu sais que t'as changé ? C'est dingue.

-Salut Ava. J'espère bien que j'ai changé, ça fait deux ans qu'on s'est pas vu ! Contente de te revoir aussi. Je me disais souvent qu'on n'aurait pas dû perdre contact. Tu fais quoi depuis ?

-J'me débrouille, fit-elle avec cette fois un sourire énigmatique. Mais toi ?

-On me prête un appart' et je me rattrape niveau étude. J'ai perdu un an, du coup je ne me suis pas encore spécialisée, dit-elle, anticipant une question.

-Et à propos de cette année... tu penses toujours...

-Ahah ! J'ai quitté le cauchemar mais j'ai gardé mes rêves, la coupa poétiquement Magda.

-Je m'en doutais. Tu me passes ton numéro vokit ? "



Cauchemar...

Tandis que l'opération se faisait, les yeux de la blonde se voilèrent : pendant quelques instants, elle se revit, deux ans auparavant, vêtue de l'uniforme de la team plasma. Pour la dernière fois. Avant qu'on lui dise que tout était fini. Cela l'avait mise dans une telle colère... Le messager ne devait son intégrité physique qu'à l'intervention in extremis de deux membres qui avaient retenu la jeune femme en furie. Celle-ci se débattait, dans un état proche de la démence.



N avait perdu un combat.

Et alors ? Qu'est-ce que ça changeait ?

Il était parti.

Quoi ? Ils ne pouvaient pas faire sans lui ou bien ? Ils étaient des centaines, tous le même but, le même rêve. Et parce que Monsieur le Seigneur prenait la tangente, on arrêtait tout ? Non mais c'est quoi ce délire !?



L'idée d'un Seigneur ne l'avait jamais vraiment emballée mais elle s'en était accommodée, montrant le respect qui lui était dû, essayant (sans grand succès) de ne pas se prendre la tête avec les fanatiques.

L'absurdité de ce titre venait de lui sauter à la figure.

Elle hurlait des insultes au milieu de larmes de rages. Et devant les airs choqués, elle répliquait que ça n'avait plus d'importance. Si la team était dissoute, si ce Seigneur de pacotille les avait abandonné, alors plus aucun membre ne lui devait allégeance. Pourquoi cela les choquait ? Personne, titre de noblesse ou pas, n'avait le droit de faire ça, de détruire un rêve. Son rêve. Sa vie.



Une fille livrée à elle-même. Voilà ce qu'elle était quand elle était rentrée dans la team.

Elle parlait peu de son passé. Peut-être est-ce pour cela que les autres ne comprenaient pas.

On venait de la chasser de sa famille. Encore.



***

"J'ai un projet. Si ce que tu m'as dit il y a deux ans tient toujours, je crois qu'il pourrait t'intéresser.

-AVA !"

C'était une voix masculine qui venait de retentir. Son propriétaire, qui s'était jusque-là tenu en retrait et avait attendu patiemment que les filles cessent leur discussion, s'avança et plaqua une main sur l'épaule de la blonde pour la faire se tourner vers lui. Aussi grand qu'elle, il présentait des traits beaucoup plus jeunes, renforcés par une face relativement ronde et une mèche de cheveux typique. Ce qui frappa Magda, outre que son physique tranchait avec sa voix assurée, c'était ses yeux d'une couleur grise, peu courante, le genre de détail qu'elle ne remarquait jamais. On peut supposer que son attention avait été attirée par sa paupière droite qui papillonnait, très rapide et irrégulière, de manière pas très naturelle, semblant tressauter indépendamment de la volonté du garçon. Celui-ci diffusait une sorte d'aura grise, impression renforcée par sa tenue vestimentaire assortie.



"Ava, tu es impossible ! Combien de fois faut-il te le dire ? Arrête de crier partout sur les toits. Tu connais le mot "discrétion", oui ou non ?

-Rohh, mais t'inquiète pas ! C'est une ancienne de la team plasma et tu peux avoir confiance en elle."

Si le dernier point lui faisait plaisir, Magda saisit instantanément les propos du garçon. Ava n'avait pas l'air de se rendre compte que gueuler en plein milieu d'un magasin qu'elle avait fait partie de la team était une mauvaise idée !

Les gens n'avaient retenu que le mauvais côté, même le refuge de Port-Yoneuve était craint de certains. Toutes les allusions à la team étaient très mal vues, et Magda pria pour que, parmi les clients qui s'étaient retournés et dont les regards probablement accusateurs la mettaient mal à l'aise, personne ne la reconnaisse. Elle ne voulait surtout pas que cela s'ébruite, surtout pas dans son établissement. Elle avait déjà eu assez de mal pour s'inscrire. Suite à l'incident de Méanville, son identité avait été placée sur la liste des victimes. Imaginez le malaise de la secrétaire... Le nombre de démarches qu'elle avait dû faire pour prouver qu'elle était bien vivante était abracadabrant, et la situation particulièrement absurde. Quant à expliquer pourquoi elle avait attendu un an pour cela...



Elle passait en général pour un cas à part. Elle avait peu d'amis : les étudiants ne la fuyaient pas mais ne recherchaient pas non plus sa compagnie. Son mutisme et la manière dont elle défendait ses idées quand elle en sortait ne plaidaient pas vraiment en sa faveur. Elle en était consciente mais n'avait pas l'intention de faire quoi que ce soit pour changer. Pas envie de se forcer.

Ses idées et son aspiration à une autre société, c'était à peu près tout ce dont elle se sentait pleinement propriétaire. Si elle ne les montrait pas ostensiblement (et si elle cachait son ancienne filiation avec la team), elle ne voulait pas les renier. Au moins, si quelqu'un l'appréciait, ce serait pour une bonne raison.

Personne ne faisait mine de la remarquer. Comme si ils savaient.



Lors d'un débat animé (ne portant pas du tout sur les Pokémon), des garçons qui ne partageaient pas ses idées avaient cru malin de la comparer à un sbire plasma. Ils s'étaient fait réprimander ("Un débat c'est fait pour échanger, pas pour s'insulter" et autres leçons de professeurs) mais ils étaient plutôt fiers d'avoir fait fermer son clapet à Magda.

Bien sûr qu'ils ignoraient qu'elle avait un jour porté capuche et gants bleus, aujourd'hui réduits en cendres. N'empêche ça l'avait frappée. Elle voulait oublier cette période, non pas totalement, mais juste la laisser derrière elle et se reprendre. Ava venait de lui rappeler son passé à haute voix. Certes, elle était en elle-même un souvenir de la team (c'est là que les deux filles s'étaient rencontrées) mais Magda ne voulait garder que l'amitié qui les avait liées. Deux ans que la team n'existait plus, deux ans qu'elle avait appris pour ses parents, deux ans qu'elle était quasi seule, qu'elle n'attendait que ça : revoir une ancienne connaissance, aussi délurée soit-elle. Elle éprouvait une grande bouffé de reconnaissance pour Ava, malgré son indiscrétion, car elle s'était persuadée presque aussitôt après l'avoir vu que leur rencontre allait mettre fin à sa solitude.

Magda avait fait des erreurs et la vie n'était pas tendre avec elle, cependant, elle voulait croire en son avenir, croire qu'elle pouvait tirer son épingle du jeu et s'en sortir, tout simplement. Sa mère n'avait pas non plus eu une enfance facile.

***

"Merci Ava mais... je crois qu'il n'a pas tout à fait tort, murmura Magda pour l'inciter à, sinon se taire, faire au moins de même.

-Lui c'est Jorian, fit la jeune femme, légèrement penchée en avant, chuchotant de façon exagérée et peu discrète au grand dam du garçon. Il participera à mon projet, on en discutait lorsqu'il s'est mis à pleuvoir et qu'on est rentré ici pour s'abriter. Je suis sûr que tu vas adorer, que tu ne rêves que de ça depuis deux ans... Je suis en contact avec le Manoir de Port-Yoneuve.

Elle avait (enfin !) baissé la voix lors de sa dernière phrase. Puis elle s'était redressée fièrement et, avec une moue de mépris feinte, avait lancé au garçon :

-Alors, c'est assez discret ?

-Non."

Magda devait se forcer pour ne pas éclater de rire. Ava n'avait pas changé sur le plan moral, toujours aussi directe et de bonne humeur, pas la langue dans sa poche, donnant son avis sur tout, un peu susceptible sur les bords et parfois carrément enfantine. Ça lui avait valu de se faire souvent vanner, que ce soit sur son supposé manque de maturité ou plus bassement sur la couleur de ses cheveux. Et si cette exubérance était désarmante, elle n'en restait pas moins agréable lorsqu'on ne s'en formalisait pas, bien plus en tout cas que ses périodes d'humeur massacrante qui se traduisaient par un repli sur soi ou des manières agressives. Parfois, on l'appelait "la bipolaire" et s'était le surnom qu'Ava supportait le moins. D'abord parce que ces périodes restaient rares et puis elles étaient pénibles pour tous ceux qui la subissaient, y compris elle-même. Ensuite parce qu'elle faisait tant d'effort pour sourire continuellement, pour faire rire les autres, pour prendre les choses en main quand il le fallait... bref, pour faire oublier ces quelques moments, que ça ne lui plaisait pas que les gens se focalisent sur eux. Et enfin parce qu'on ne rigole pas avec la maladie, elle était loin d'être bipolaire. Lunatique serait plus approprié.



Magda avait dit regretter leur perte de vue mutuelle après la dissolution de la team, mais elle ignorait l'état dans laquelle celle-ci avait plongée Ava. Elle ignorait que, tout comme elle, la jeune femme d'à l'époque 19 ans avait préféré ne pas imaginer son futur et s'était retrouvée, du jour au lendemain, en pleurs et sans aucune solution. Elle n'aurait pas été seule si elle l'avait voulu. Étant plutôt respectée au sein de l'organisation, de nombreuses personnes auraient pu l'aider si elle n'avait pas pris la pire décision possible.

Partir. Le plus loin possible. Sans se soucier de rien. Foncer tête baissée. Elle ne voulait pas voir les centaines de difficultés et se heurtait violemment à chacune d'entre elles, même les plus élémentaires. Elle avait eu faim, soif, froid, avait dormi à même le sol. Parfois elle léchait ses propres larmes et se recroquevillait dans son chagrin. Comme une liqueur, elle se noyait dedans et le faisait croître jusqu'à ce qu'il fasse entièrement parti d'elle. Elle se sentait obligée de faire cela. Le destin avait commencé à s'acharner, il avait choisi sa victime, alors il se devait de finir sa triste besogne, dût-elle l'y aider.

Ça pouvait toujours être pire. Ava avait fait inconsciemment tout pour se le prouver. C'était la même histoire que ceux qui scient la branche sur laquelle ils sont assis, ceux qui creusent alors qu'ils sont au fond du trou, ceux qui attendent de dormir pour pouvoir rêver à nouveau.

On la chassait totalement arbitrairement de ce qu'elle considérait comme chez elle. Très bien. Si c'est ce qu'ils voulaient, alors elle prendrai la tangente, elle aussi.




"J'ai comme l'impression que c'était une question rhétorique" hasarda Magda, ne résistant pas au plaisir de la plaisanterie mais craignant de vexer sa cible.

Heureusement pour elle, celle-ci ne l'entendit pas. Des exclamations de surprise ou d'excitation fusaient, perçant le ronronnement monotone des glacières et des néons et celui sourd de la pluie qui battait les carreaux, les trottoirs, la toile de quelques parapluies et rafraîchissait l'atmosphère. Curieux, le petit groupe suivit le mouvement et se mit à fixer un point de la rue que l'on apercevait entre les affiches collées sur la façade vitrée du magasin.

La présence d'un Champion échevelé et dégoulinant d'eau n'était sûrement pas étrangère à cette agitation soudaine.



Artie avait visiblement été surpris par la pluie et ne semblait étonnamment pas s'en préoccuper. Il courait en plein milieu de la rue, talonné de près par une jeune fille que la totalité du magasin identifia comme Iris. A la vue d'un Champion et du Maître, représentants par excellence de la dictature des combats, Ava poussa un soupir désabusé et d'une pression sur les bras de ses compagnons les invita à passer à autre chose, si possible se rapprocher de la sortie.



***

"Désolé petit, mais le champion n'est pas là.

-Mais...

-Oui, je sais, on est en plein milieu des horaires d'ouverture et tu as un badge à gagner. Mais certaines choses n'attendent pas. Ah ! si je savais quoi... eh bien je ne te le dirais pas, ajouta le garde avec amusement.

-Je peux toujours défier les dresseurs intermédiaires ?

-Non, désolé.

-Mais ! Dans les autres arènes j'ai...

-Je sais, mais le Champion a donné des ordres. Il n'y aura probablement plus aucune session aujourd'hui.

-Pfff..."

Le jeune dresseur s'appuya contre le mur coloré du bâtiment, jambes et bras croisés, affichant clairement son indignation. Puis son mécontentement laissa place à l'ennui. Il s'accroupit et sortit d'une Pokéball un Lianaja plutôt joueur. Il s'amusa avec lui, montrant à l'adulte qu'il ne souhaitait pas céder et partir si vite.

Celui-ci sourit distraitement. Il lui faisait penser à son fils quelques années auparavant, impatient de traverser Unys et défier tous les Champions. Non, c'était bien plus que ça, le gamin devant lui en était une copie conforme : survêtements aux goûts douteux, accessoires commercialisés par la Ligue (dont un sac motif Pokéball qui avait dû coûter une fortune), coiffure en pétard complètement assumée et, évidemment, Pokéball à la ceinture. Depuis, il avait bien changé. Les enfants grandissent toujours trop vite.

"On va fermer dans pas longtemps. Tu devrais rentrer.

-J'attends juste que la pluie se calme.

-Pourquoi tu n'es pas venu plus tôt ? Tu n'aurais de toute manière pas eu le temps d'arriver jusqu'à Artie en arrivant à cette heure.

-J'ai pas pu.

L'adolescent se releva et fixa l'homme en costard avec un visage radieux.

-J'ai dégagé la team plasma des égouts !"

***





Dix minutes plus tard Magda réglait ses achats avec un regard soucieux sur la solde et rejoignait Jorian et Ava, l'un adossé nonchalamment à une photocopieuse libre-service en panne, l'autre à la vitre froide contre laquelle s'éclataient invariablement de minuscules bombes d'eau par milliers. Ils patientèrent en parlant de choses et d'autres et Magda, notant que la paupière folle du garçon s'était calmée, remarqua ses nombreux coups d'œil au dehors. Elle lui en demanda le motif.

"Je guette l'Oiseau. D'habitude il ne reste pas longtemps dehors par ce temps.

-L'oiseau ?

-C'est un Pokémon de ma région natale et... disons qu'on s'entend bien. Il n'aime pas vraiment la pluie.

-L'Oiseau... c'est étrange comme surnom. Il l'apprécie ? laissa-t-elle bêtement échapper.

-Bah, tu lui demanderas" se moqua Jorian avec un haussement d'épaule.

Il sortit d'une de ses poches un épais morceau de cuir qu'il déplia puis enfila. Le gant recouvrait son avant-bras ainsi que de nombreux bleus, coupures et éraflures en tout genre qui s'y trouvaient. Il sortit, tendit le bras et, dans une belle synchronisation, un oiseau s'y posa.

Il aurait pu paraître majestueux si la pluie n'avait pas collé et détrempé son plumage, ternissant l'orange éclatant de sa tête et son dos, assombrissant le gris moucheté de son ventre. Seules les parties noires (le dessus de ses ailes qu'il avait repliées contre son corps et sa queue) se trouvaient encore admirables, certes salies par la poussière qu'avait charrié la pluie mais parcourues par de fins reflets de lumière.

De son autre main et avec des gestes vigoureux, Jorian débarrassa les ailes de l'Oiseau de leur excédent d'eau. Il était évident que le Pokémon entretenait une certaine affinité avec ce que les dresseurs qualifient de "type feu". Il n'y avait qu'à voir les motifs de flamme que formait la disposition de ses plumes, les taches orange qui parsemaient le plumage gris, telles des braises sur un lit de cendre et l'état déplorable dans lequel l'avait laissé l'intempérie.

Cependant, il gardait une certaine tenue et un mince bandeau de couleur noir autour de ses yeux renforçait l'impression qu'il vous toisait de haut. En effet, même si elle respectait ce choix, Magda trouvait son surnom peu flatteur : le nom oiseau lui évoquait plus un simple Poichigeon qu'un rapace fier.



La pluie ne s'était pas arrêtée mais faiblissait et l'on décida de profiter de l'accalmie pour se dire au revoir. Le groupe allait se séparer lorsqu'un bruit aigu et crispant le surprit. Toutes les personnes présentes dans la rue à ce moment-là purent voir avec stupéfaction une fenêtre voler en éclats. Puis une autre. Les segments de verre dévalèrent les étages sans pour autant rivaliser avec la vitesse des gouttes, même si ils partageaient leur destin : s'écraser au sol. La porte du bâtiment endommagé s'ouvrit brusquement et une masse de fumée s'en échappa, occultant momentanément toute vision : l'on devinait plus que l'on voyait les personnes qui sortaient de l'immeuble, masse de silhouettes imprécises qui s'agitaient en tous sens puis disparaissaient dans les ruelles adjacentes. Pendant ce temps, des bruits de luttes et de saccage leur parvenaient de par les ouvertures béantes des vitres.

Ava courut s'approcher au plus près des événements et fut suivie par Jorian et Magda qui eux gardèrent prudemment leurs distances.

La fumée se dissipait lentement, accompagnée d'une odeur âcre de plastique. Des dossiers et des classeurs remplis de papiers jaillissaient par les fenêtres brisées des premiers étages, comme propulsés par une main furieuse. D'autres débris les suivaient mais la poésie dégagée par l'image de feuilles voletant et planant avant de se coller doucement à la chaussé les éclipsait presque.



Dès les premiers bruits suspects, il avait bondit.

"Eh non ! petit, ça peut être...

Le garçon à la veste bleu ne l'écoutait pas, ou du moins n'en donnait pas l'impression. Il avait déjà parcouru une dizaine de mètres lorsqu'il s'était arrêté pour attendre Lianaja qui ne suivait pas la cadence. Et quand il s'était retourné pour l'attraper prestement et le porter dans ses bras, il avait lancé au garde :

-Je suis aussi grand que vous M'sieur !"



Jorian, tout en faisant preuve de la plus grande prudence, attrapait tout ce qui lui tombait dans les mains (ou plutôt dans sa main encore libre) et compulsait à vitesse grand V les documents encore lisibles qui n'avaient été ni déchirés ni détrempés. Ses mèches noires lui collaient au front et gouttaient sur les précieux papiers mais il finit vite par apprendre ce qu'il voulait. Sa découverte accrut sa tension et, couplé à l'agression des froides gouttes d'eau, déclencha une nouvelle crise. Les muscles de la partie droite son visage s'affolaient sans raisons apparentes, avec pour résultat de déroutants mouvements de paupières. Il plaqua sa paume dessus et sentait chaque soubresauts, chaque palpitations se répercuter, s'amplifier jusqu'à en faire trembler son bras. Ce n'était pas douloureux, de toutes façons Jorian aurait été bien en peine de le dire si ça l'avait été. Il ressentait des vibrations, comme si un petit moteur tournait juste sous sa peau, mais ses terminaisons nerveuses captaient plus le toucher rêche de ses lèvres abîmées que le ronronnement presque habituel pour lui.



"Poussez-vous !"

La foule de curieux commençait à pas mal s'étoffer, d'où le cri. Celui-ci avait une tonalité étrange, entre le hurlement survolté d'un gamin et l'ordre impérieux, incontournable, d'un dirigeant.

Seuls les individus les plus observateurs avaient remarqué les masses d'acier hérissées de pointes vertes du Noacier responsable du chaos. Le jeune dresseur en faisait partie. Il fendit le semblant de cercle formé spontanément par les badauds pour finir sur un dérapage contrôlé. Il jeta presque son sac à terre pour en sortir des Pokéball.... qu'il se mit à lancer en direction de l'immeuble tumultueux. La première s'écrasa sur la façade, la deuxième aussi bien qu'un peu plus haut et la troisième enfin passa la fenêtre de justesse. Quelqu'un comprit enfin le but du garçon et s'en approcha pour l'aider. Deux autres Pokéball fusèrent, accompagnées de cris d'encouragement.

"Yaaaahaaaaa !"

Puis, alors que les dernières factures, relevés et autres notes se posèrent, le vacarme cessa brusquement.

Quelques minutes plus tard, l'adolescent ressortait du bâtiment, tenant précieusement entre ses mains une Pokéball qu'il regardait d'un air inquiet. Plusieurs employés suivirent, tous portant le même tee-shirt orné du logo de leur société et le même visage choqué.

Un Artie dévasté débarqua sur les lieux, les yeux oscillant frénétiquement entre la rue et son vokit, suivit d'une Iris qui tentait de refréner une quinte de toux.

Les voitures de police et ambulances arrivèrent sous une pluie soutenue accompagnée d'éclairs.



***

"...de Volucité, le siège de l'entreprise Supervision Construction Inc, première entreprise à n'employer que des Pokémon pour le travail de terrain sous surveillance humaine, a été mis à sac au moyen d'un Noacier contrôlé par un groupe d'activistes se réclamant pour la libération des Pokémon. Il est fort probable que cette attaque ait un lien avec l'apparition d'une nouvelle team plasma. De nombreuses rumeurs laissent penser que leur leader ne serait autre que Ghetis, fondateur de la team plasma, qui échappe aux forces de la police internationale depuis deux ans. Si certains voient là une occasion pour pouvoir l'arrêter et le soumettre à la justice, d'autres comme l'ex-Maître Goyah ou le jeune Champion Tcheren s'inquiètent surtout des conséquences de son éventuelle réapparition et rappellent son rôle au sein de l'ancienne organisation. Un plan de sécurité renforcée va être mis en place dans les prochains jours selon l'annonce du Haut-Commissariat Régional de la police. Nous ne pouvons que vous conseiller de faire preuve de la plus grande prudence possible et vous rappeler de ne pas accepter un combat dans des endroits déserts ou si votre adversaire vous paraît suspect. Tout de suite, écoutez la réaction du Champion au micro de Ra..."

"CLAC"



Les plombs venaient de sauter, coupant le claquet à la voix éraillée que crachait un poste de radio démodé depuis plusieurs années. Les lumières s'éteignirent de concert et le silence se fit plus profond, débarrassé de la rumeur d'un vieux frigo. Celle de la pluie s'intensifia et s'accompagna d'un autre coup de tonnerre.

Magda posa ses notes à côté d'elle, et resta étendue sur le lit, écoutant l'orage avec attention.

Étrange comme le hasard fait bien les choses.

Elle n'aurait de toutes manières pas eu envie de l'écouter. Et le reste, elle l'avait vu.

Elle n'éprouvait ni haine ni ressentiment pour les Champions, contrairement à bien d'autres. Ils n'étaient que des victimes parmi d'autres du système. Simplement elle était lasse.

Lasse que l'on donne la parole à ces gens-là.

Lasse que tout la rappelle au passé.

Lasse d'entendre la pluie et ses voisins du dessus.

Lasse de penser aux examens de spécialisation.

Lasse de penser qu'elle ne pouvait pas changer le monde. Même juste un peu.

Lasse d'être perdue dans une société qui ne lui ressemblait pas.

Lasse de cet accablant pressentiment. Tu vas le regretter. Et de pourtant le faire.



Dans l'obscurité orageuse conséquente à la coupure de courant, la seule lumière émanait de l'écran du vokit -lueur bleuâtre et bien faible- que Magda tournait et retournait dans ses mains. Elle s'assit en tailleur et le posa à plat devant elle.

Pourquoi tu fais ça ? Tu le sais en plus. C'est pas une bonne idée.



Elle sélectionna le numéro nouvellement enregistré. On décrocha aussitôt.



"Je savais que tu appellerais !"

Une voix claire et sans la moindre trace de fatigue.

Ava.



***



"Ava... Pourquoi tu fais ça ? Est-ce que tu y crois ne serait-ce qu'une seule seconde ?

Magda fixait l'appareil, bien que l'ancien modèle de vokit ne diffusât aucune image. La nuit commençait tout juste à prendre possession de la ville malgré l'heure tardive. Entre Mastouffe et Grahyèna. Son heure préféré. L'ambiance était relativement calme et l'odeur de la pluie agréablement piquante. Quelques éclats de voix, sûrement des jeunes en train de fumer, lui parvenaient mais ne couvraient pas celle de sa correspondante. Elle avait très bien compris ce que lui proposait Ava. À vrai dire, elle le savait depuis que celle-ci avait évoqué "son projet" au magasin. Si elle avait mentionné le Manoir, ce n'était sûrement pas avec un autre objectif que poursuive l'œuvre de la team plasma. Elle avait vaguement espéré que son intuition était fausse mais on venait de la détromper avec un enthousiasme sidérant.

-Oui. Oui c'est évident. Toi-même tu y as cru il y a quelques années, rappelle-toi.

-Ce n'est pas pareil. Et ne me rétorque pas que si ! Depuis...

-Quoi ? Qu'est-ce qui as changé ? Des idiots ont tout gâché. C'est à nous de reconstruire. Je crois savoir de quoi tu as peur. Moi aussi je veux éviter une hiérarchie préhistorique, et les vols, et tout ça. Mais il faut continuer à en parler, dire qu'on peut faire sans Pokéball...

-Pourquoi personne ne l'a fait depuis deux ans à ton avis ? On n'a plus aucun crédit. Peu importe tes bonnes intentions, ils se foutront tous de toi. Ça risque même d'être contre-productif avec ce qui s'est passé aujourd'hui.

-Justement ! Il faut montrer aux gens que ceux qui veulent le meilleur pour les Pokémon ne sont pas que des tarés qui font tous sauter ! Qu'est-ce qui se passe Magda ? Je pensais que tu serais contente.

-J'ai l'impression qu'au fond de moi... je n'y crois plus. T'as regardé autour de toi ? T'as vu notre société ? Les combats et tout ce qui tourne autour, c'est la vie de milliers de personnes. Les Pokéball sont partout. Les infrastructures, les centres, les arènes... y'en a partout ! Tout ça depuis combien de temps ? Plusieurs centaines d'années peut-être. Partout depuis des siècles ! Oh...

Magda s'affaissa et prit sa figure dans ses mains. Exprimer son ressenti à voix haute lui faisait prendre conscience de l'absurdité de ses espoirs de jeunesse.

-Changer le monde ! On n'était qu'une bande de fous pour croire que c'était possible ! Et dire que j'ai été assez faible pour croire que commettre un vol pouvait y contribuer !

-Tu ne l'as fait qu'une fois, tu ne pouvais pas savoir qu'ils profitaient de ton envie de bien faire, essaya de tempérer Ava, relativement désorientée par la tournure que prenait la conversation.

-Si ! Si, je me suis fait avoir comme nous tous ! Tu sais quoi Ava ? Je ne veux plus jamais entendre parler de la team plasma.

-Magda ! Tu connais la région d'Almia ? Là-bas, quand tu leur dis "Pokéball", ils réfléchissent puis finissent par dire que "mouis, ça leur dit vaguement quelque chose, dans d'autres régions peut-être". Et pourtant, les Pokémons sont à peu près aussi importants que chez nous ! Donc oui, c'est possible ! C'est ça que je veux montrer. C'est pour ça que je me suis engagé, et pour ça que je veux continuer !

-Je connais Almia de réputation. Mais tout à l'heure, j'étais sérieuse. Je veux continuer à te voir car tu es une amie. Mais. Tu m'entends ? Plus jamais. PLUS. JAMAIS. DE. TEAM."

Elle n'allait pas pouvoir se retenir alors elle raccrocha et éclata en sanglots.

Saleté de fierté. Ava va m'en vouloir.

Elle faisait décidément n'importe quoi avec ses ami(e)s. C'était sûrement elle le problème. Oui, c'était ça. Elle n'était pas une bonne personne. Comment peut-on être une bonne personne lorsqu'on ne réfléchit pas assez, lorsqu'on n'a pas de passion, lorsqu'on n'assume ni son passé ni ses erreurs, lorsqu'on abandonne un rêve pour lequel on a laissé des personnes pour qui on comptait ?



Magda roula sur le côté, les jambes pliées, sa tête reposant sur un mince coussin de cheveux. Elle joua distraitement avec.

Qu'est-ce qui lui prenait de penser cela tout d'un coup ? Pourquoi est-ce qu'elle s'infligeait un jugement si dégoulinant de bons sentiments ? Idiots de préjugés, trop romantiques pour avoir une seule parcelle de vérité.

Elle bondit de son lit pour rétablir le courant. La radio diffusait une chanson débile. La jeune femme l'éteignit ainsi que tous les autres appareils inutiles puis alla fermer les volets. L'air était si frai... Il ne pleuvait plus dehors alors elle pleurait dedans.

C'était un soir où sa rage se concentrait en un point pour mieux exploser. Elle détestait le monde entier.



Il fallait qu'elle dorme. Pour s'apaiser.



Lâche.

"ARRÊTE !"

Pas foutue d'affronter tes propres sentiments.

"ARRÊTE DE TE JUGER !"

Aucun bon sens. Tu t'es fait complètement avoir.

"C'EST AUX AUTRES DE ME JUGER !"

Ils ne doivent pas avoir une très haute opinion de toi alors.

"ARRÊTE DE TE FAIRE DU MAL."

Tout n'était qu'illusions. Tu as cru pouvoir servir à quelque chose alors que...

"STOP !"



Elle aurait tant voulu crier. Mais les mots qu'elle levait comme barrière face à sa propre malveillance n'étaient que des murmures, des borborygmes à peine compréhensibles.



"Arrête...par pitié"





Ava ne comprenait pas. Magda avait tant changé. Elle n'aimait pas que les gens changent. C'était trop... effrayant. Quand ceux qu'elle croyait connaître lui révélait un aspect inconnu de leur personnalité, elle éprouvait un certain malaise, presque un sentiment de trahison.

Parmi ses phobies, celle de ne pas comprendre les autres figurait en tête de liste. Et elle avait une bonne raison pour craindre l'inconnu.





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3ème Chap. en cours d'écriture. Je l'ai déjà dit mais ça risque de prendre du temps. A vos commentaires pour me motiver ! :)