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Destins liés ~Crépuscule~ de fan-à-tics



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» Auteur : fan-à-tics - Voir le profil
» Créé le 07/06/2010 à 12:25
» Dernière mise à jour le 07/06/2010 à 12:25

» Mots-clés :   Présence de personnages de l'animé   Présence de poké-humains   Présence de shippings

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Episode 53 : ...N'existe pas dans mon Paradis.
Yosh, bonjour à vous tous, voici le nouveau chapitre...Qui est un chapitre clef pour la psychologie des personnages, et un dernier hommage pour celui qui s'en va.

J'espère que le chapitre vous touchera, et je vous assure, que l'on va essayer de repartir sur un thème plus léger après l'ellipse, nouveaux gags et tout.

Sinon, à partir de maintenant, je vais vous dévoiler une prévision pour le TOME 2 (Destins liés - Aube) par chapitre, voici la première :

"Les notions de Vie et de Mort seront bouleversées tout au long de la série. "

Allez, bonne lecture, et sortez les mouchoirs, la playlist pour ce chapitre serait "heaven's not enough" de l'anime Wolf rain.


-Chapitre 52- N'existe pas dans mon Paradis.

Le silence, seul le martèlement régulier de la pluie les entourait tous, pas un mot, pas un son, juste une mélodie répétitive, douloureusement indifférente à leurs tourments.

Les gouttes s'écrasaient nonchalamment sur les toits et les pavées de leur refuge, ruisselant, emportant dans leur course de larges sillons écarlates, comme de gracieuses rivières aux reflets crépusculaires.

Le sol bourbeux, noir et gluant sous leurs pieds, le ciel gris et sombre au dessus de leurs têtes, et le liquide pourpre continuait de s'écouler sous leurs doigts.

L'amertume de leurs larmes se mélangeant avec l'apprêté du fer et le tourbillon visqueux, boueux de la tempête. Le vent soufflait impitoyablement, soulevant l'odeur âcre du sang et des pleurs, étouffant les sanglots, gelant leurs membres courbaturés.

Un éclair gronda au loin. Les échos presque imperceptibles de pas précipités, résonnèrent, sonnèrent au fond de leurs êtres, si forts, si douloureusement pourtant.

Les battements de son cœur palpitèrent à ses tempes.

Sa main se crispa, secouée d'un spasme, suffocante. La vision engloutie ; voilée sous ce rideau opaque, noyé sous l'averse et ses propres sanglots, tanguait, dansait devant elle, au rythme de sa respiration chaotique.

L'image se brouilla.
Tremblement.
Tonnerre.

Ses ongles se fichèrent dans la terre et s'imbibèrent de sang.

Elle ne comprenait pas...

Chacun souffrait à sa manière, en silence, ou dans le bruit, mais, elle, elle ne percevait que l'assourdissante cacophonie de la pluie.

Elle avait froid. Terriblement froid.

Son corps se crispa.

Elle ne comprenait pas.

D'un geste lent et tendre, Blake ôta sa veste et l'apposa sur la frimousse inerte du gamin allongé, pourrissant sur le sol.

Sunny leva la tête encore une fois, et les flashes l'assaillirent, telles les lignes éclatantes, aveuglantes striant l'horizon noir pendant l'orage.

Ses boucles brunes aux reflets roux, scintillantes, suintantes d'eau et de sang.
Sa peau pâle presque translucide, parsemée de tâches écarlate.
Son regard clos, si brillant habituellement.
Son sourire satisfait, soulagé.

Le monde entier semblait prendre des teintes rouges et grises, d'un contraste si éclatant, si hypnotisant…Et si répugnant.

Elle caressa l'asphalte, absente, jouant avec les volutes aqueuses, bicolores. Un être humain contenait-il vraiment tout ce liquide en lui ? Tant que ça, et si peu à la fois…

Elle ne comprenait pas.

Son poing se compressa.

Eléanore devant elle se recroquevilla et jura, la voix brisée.
Daniel l'enlaça, le visage fermé, une grimace douloureuse étirant ses traits.

Depuis quand étaient-ils présents ? Sunny essaya de discerner, de trouver les visages familiers dans la foule, mais elle en fut incapable, la brume opaque, la condensation, ou simplement à cause des flashes, de la danse perpétuelle de sa vision.

Elle perçut vivement, comme un coup de poignard, le cri de Marion, qui d'un bond se remit sur ses jambes et s'enfuit en courant, son corps happé par les lointains méandres qui les suffoquaient.

D'un geste las ; Sunny se remit sur ses jambes. Elle tituba, et Blake l'empêcha de chuter sur le parvis.

Ses pupilles s'agrandirent. Image similaire, temps révolu, achevé, à jamais terminé : l'illumination à la suite du téléport des abra, la panique, la foule qui afflue vers Peter qui tient un Shagi inanimé, livide, vers Makanie et Aaron, étalés, inconscients, vers une Cynthia ployant à genoux, les cris qui fusent, les ordres qui pleuvent, les personnes envoyés chercher Eléanore, toute aide possible.

Sunny avança d'un pas, sans savoir vraiment où elle se dirigeait, quel but l'animait, l'écho des battements de son cœur vibrait au rythme de ses pas, hésitants. Epuisée. Perdue.

Le monde tournait, les façades des maisons s'agrandirent pour racler le ciel grumeleux, les arbres aux branches squelettiques oscillèrent dans un vent mordant, glacé, sifflant aux nuances acides, écarlates.

Tout était rouge et noir. Tout tremblait et oscillait. Tout grinçait et criait. Tout était à la fois net et flou. Illusions et vérités.

Grondement sourd, rauque.

La foudre ?

Sunny frémit et ses pupilles s'écarquillèrent.

Yoann enlevait son casque, fatigué, las, contemplant l'affolement ambiant, ses petites mèches bouclées flottant sous un vent invisible, entourée par l'aura ondoyante d'une Rune protect. Il se tournait vers elle, vers Blake, et leur souriait gentiment ; fièrement. Ses genoux ployaient, l'onde s'évaporait de lui, la couleur quittant ses joues, et il basculait lourdement sur le sol dans un claquement mât.

Réminiscence du passé. D'un temps révolu.

Nouvel éclair, craquement sonore, mais Yoann était déjà tombé depuis bien longtemps. Et il ne se relèverait pas.

Dans un sanglot, Sunny s'agenouilla, et se laissa choire contre un mur dans l'allée où elle s'était faufilée. La pluie effaça le sang qui purulait le long de ses vêtements, noya ses plaintes sous un déluge à la mélopée similaire, et étouffa ses gémissements. Le cœur et les yeux irrémédiablement secs.

Tout autour d'elle, il ne demeura que le silence.

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-Pourquoi tu ne souris jamais sincèrement ?

La question déstabilisa Sunny, toute enfant qu'elle était, elle n'avait que huit ans, et sa répartie naissante, l'abandonna comme un chien devant les grands yeux marrons étincelant de son précepteur.

Totalement désœuvrée.

La gamine se recroquevilla, baissa la tête et se pinça les lèvres avec amertume, alors que l'adolescent qui la gardait tandis que ses parents adoptifs allaient chez l'assistante sociale pour le suivi quotidien soupirait.

-Parce qu'il n'y a pas de raison de sourire.

Sa petite voix résonnant plus entre les quatre murs du salon prit plus le ton hasardeux d'une question innocente que la phrase certaine et intransigeante qu'elle désirait lui conférer. Le garçon en face d'elle la fixa, elle ne se remémorait pas vraiment de ses traits, mais elle se souvenait clairement de sa mine ébahie.

-Tu es d'un pessimisme Sunny quelques fois.
-Mon frère dit juste que je suis réaliste.

Le garçon, qui avait été, son deuxième « amour », se pencha en avant, et la toisa ave hébétude, avant de souffler :

-Tu es vraiment une fille froide, tu le sais, ça ?

Les mots résonnaient encore en elle, quand ses parents revinrent de leur réunion, et la saluèrent de loin. Elle ne souriait pas. Elle ne prenait pas dans les bras les gens qu'elle aimait. Elle ne leur susurrait pas des vœux d'amour trop flous.

Oui, elle était une fille froide.

Mais, ceux qui l'entouraient ne lui donnaient pas l'envie d'être autrement.

Pourtant, quand elle rencontra Yoann, et tous les jours qui suivirent, elle sourit.

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La tempête avait beau empirer, s'intensifier, elle ne balayait toujours pas la trace rouge imbibant l'asphalte. Toutes les larmes du monde, toute l'eau du monde ne suffisait pas à l'effacer, comme si le bitume s'en était engorgé, délecté sadiquement.

Il ne restait de lui qu'une immense flaque écarlate, dure, tatouant de son drame l'avenue principale de leur refuge, comme pour leur rappeler leur plus grande défaite, la menace qui planait sur eux.

Il ne demeurait de lui que le fantôme opaque, d'une présence agonisante. Un spectre illusoire tellement loin de la réalité de son être.

-Peter…Rentre maintenant…Tu vas attraper la mort si tu restes là plus longtemps…

Le timbre derrière lui se morcela et Peter à genoux, le visage ravagé, terrassé ricana nerveusement :

-J'ai bien essayé…Mais il semblerait que la mort ne m'aime pas. Elle passe toujours sans me voir.

L'homme dans son dos se raidit, autant par l'humour noir que par la voix fade et sans saveur de son camarade. Marc se cabra, et ses lèvres se pincèrent avec amertume, alors qu'il murmurait :

-Ce n'est pas ta faute Peter…

Le maître Dragon se replia sur lui-même, et son front racla les pavés humides alors qu'il s'étranglait :

-Il faut bien que ce soit la faute de quelqu'un !

L'écho d'un ouragan, bien plus rude, bien plus dangereuse gronda au loin, profondément camouflé par la première rafale de vent glacée. Marc se tût, et baissa la tête, honteusement, mais le silence ne parvint pas à s'instaurer, ployant sous la pluie battante, accablante.

Le dos de Peter se secoua d'un spasme, d'un hoquet douloureux et son poing se referma sur du vide, les gouttelettes d'eau échappant à sa poigne ironiquement, comme le liquide vital de son élève avait imprégné ses paumes, le seul barrage qu'il avait pu ériger.

Pourquoi n'avait-il pas réagi assez vite ?

L'attaque téléport les menait hors d'atteinte, loin de la zone à risque, tous autant qu'ils étaient. En une seconde, tous les membres de Twilight portant leurs uniformes spéciaux réapparurent dans l'avenue principale du Qg sous l'injonction des Abra, eux même répondant au danger. Là, les conséquences désastreuses de la conférence de presse n'avaient plus pu être niées. Shagi pâle comme la mort, les yeux grands ouverts, et pourtant déjà absent.

Il aurait du reprendre son souffle, recouvrer une once de calme. Mais l'esprit malmené, brisé, il n'avait pas réussi à ordonner ses pensées. Marc et Pierre avaient ordonné qu'on aille chercher toute aide possible. Pas lui.

Lui il…

Peter déglutit et un frisson de rancune, de haine racla son gosier encombré.

Les échos avaient résonnés autour de lui, comme une discussion avenante, une explosion qui ne le concernait plus. Tous les membres présents de Twilight affluaient autour d'eux, Eléanore parvenait même jusqu'à Shagi, et une aura déterminée, ondoyante l'entourait.

Mais il n'était pas parvenu à prendre sur lui pour diriger les opérations. Marc avait accouru auprès de Makanie et Aaron pour essayer de les réveiller, Pierre avait essayé de calmer Cynthia qui balbutiait des mots incohérents les uns à la suite des autres. Et la question avait fusé, de toutes parts, de partout et du néant à la fois :

« Qu'est-ce qui lui est arrivé ? »

A qui ?

Peter s'affaissa et Marc derrière lui, l'avait rarement vu aussi accablé, puis comme un poison que l'on crache, le pus purulent, sui suppure d'une plaie, il siffla :

-Pourquoi j'ai rien vu venir Marc ! Pourquoi je n'ai rien pu faire ?
-Shagi était blessé Peter. Makanie et Aaron ne reprenaient pas conscience. Cynthia semblait avoir perdu la raison. Et Yoann avait l'air parfaitement bien. Il souriait. Il n'a rien dit. Peter, personne n'aurait pu prévoir ça. Raisonna doucement le champion d'Hoenn, sombre.

Peter gémit alors que la pluie autour de lui semblait se mouvoir encore, refléter la vision cauchemardesques qui s'était achevé il y avait peut être quelques heures, mais continuaient de résonner en lui.

Eléa titubait jusqu'à Shagi, soutenue par Daniel et Régis, et elle tendait les mains vers le poitrail de l'irisien qui se mouvait de plus en plus difficilement. Elle fermait les yeux, et se concentrait. Bientôt, l'aura si familière l'entoura, elle et l'irisien, douce et chaude. La frimousse de Shagi reprenait doucement une expression, celle de la douleur, il grimaçait, le souffle erratique, et toussait violemment, reprenant de l'oxygène, ouvrant de nouveau les yeux.

Pourtant il avait l'air si mal en point. Il lui avait fait si peur. Eléanore avait déclaré d'une voix intransigeante un constat de son état, qui paraissait si grave, si important, que Peter avait occulté toute autre conséquence de la conférence de presse pendant quelques secondes. Il l'ignorait mais Eléa, répétait exactement ce que lui disait Miyu.

« Ne bouge pas. Il faut que je calme tes nerfs, ils sont totalement paniqués et subissent le contre coup de l'attaque électrique, si ça continue, ils vont te tuer. »

Pourquoi s'était-il soucié de cette simple réflexion. Les blessures de Shagi étaient certes graves, mais…

-Peter…Tu ne pouvais pas savoir. Insista Marc à nouveau.

Le maître Dragon lui renvoya une œillade désespérée.

-Yoann ne pouvait pas être sauvé. Si tu avais demandé à Eléa de le soigner en priorité, Shagi serait mort également, Peter.

Un sanglot étrangla le champion, dont les mains tentèrent de s'agripper à l'asphalte imbibé de sang, comme elles avaient saisit le vêtement du jeune médium mourant. En vain, sa prise glissa sur la paroi rocailleuse de la même manière que petite vie s'était écoulée sous ses doigts.

Ce n'était pas tant le choix impossible qu'il aurait pu faire qui le torturait, à vrai dire. Il n'ignorait pas cette cause perdue. Non, c'était le fait qu'il n'avait pas su capter, contrairement à Shagi, le regard de Yoann, qui attendait patiemment que tout cela se calme, se mourant en silence.

Il avait stupidement cru, que parce qu'il tenait debout, il allait bien. Parce qu'il souriait, il était en bonne santé.

Il avait égoïstement songé à Harry et à ses propres problèmes, et ce n'est que quand Eléanore avait décrétée, pale, que Shagi allait s'en tirer, que quand Makanie ouvrit péniblement les yeux avec Aaron…Qu'il avait compris son erreur.

Yoann rigolait, en balbutiant :

« Tout le monde est sain et sauf, tant mieux… »

Puis s'effondrait péniblement, comme une poupée de chiffon. La Rune protect l'entourant s'amenuisait, pour n'être plus qu'un mince filet lumineux.

La boue et la pluie avaient pris leurs teintes écarlates.

-Peter…Murmura Marc, penaud. –Rentre maintenant…

Et sa main minuscule…Elle était déjà froide quand il l'avait saisie ! Comment cela avait pu se terminer ainsi, Yoann était destiné à un grand avenir, un monde brillant. Et à cause de son aveuglement, l'enfant qu'il avait entraîné avait chut, avant même de prendre son envol. De l'oiseau aux ailes brisées, bientôt, il ne demeurerait qu'une tâche sanguine, résistant vainement à l'averse.

Si au moins…Si au moins Yoann lui avait craché au visage, si au moins, il l'avait maudit pour ce qui lui arrivait, pour sa mort prématurée et injuste, s'il l'avait blâmé…

-Ce n'est pas pour ça que j'ai créé Twilight Marc…Pas pour ça que…
-Pour quoi ? Pour que des enfants meurent Peter ! Personne n'a jamais voulu que des enfants meurent ! Et ce qui est arrivé à Yoann est vraiment horrible mais…

Le timbre de Marion sonna derrière lui, et elle s'avança, ses longs cheveux blonds dénoués, et ses joues ravagées de larmes invisibles sous la tempête. Les poings serrés, les vêtements trempés, transie de froid jusqu'aux os, elle grimaça devant un Marc, honteux de son échec. Pierre la suivait, le costume à moitié ouvert, sa chemise blanche parsemée de tâches écarlates.

Peter se redressa et ses lèvres s'étirèrent dans un rictus fou, alors qu'il hoquetait :

-J'ai fondé Twilight pour Harry ! Pour retrouver Harry et pour arrêter ces Teams ! Dis-moi quel but à twilight maintenant ? Maintenant que mon frère a…Qu'il a…
-Qu'il a tué Yoann? Hasarda froidement Pierre.

Lance frémit imperceptiblement, confirmant les hypothèses, les déductions, que tous, à la suite du réveil de Shagi, de ses supplications enfiévrées, avaient plus ou moins esquissées.

-Peter…N'oublie pas…les derniers mots de Yoann. Bafouilla Marion, grave.

Le souffle du champion s'entassa au fond de sa gorge, et les mots claquèrent en lui.

La frimousse livide de Yoann, son sourire peu confiant, la gerbe de sang, sa voix vibrante :

« Twilight ne doit pas mourir avec moi Peter… »

Un sanglot lui échappa, et une larme unique roula sur la joue du maître Dragon. Pour le garçon dont le fantôme du dernier regard hantait encore son lieu d'agonie. Pour la trahison de son frère. Pour cette mort, injuste et cupide, qui leur avait ravi un compagnon. La fureur implosa dans son poitrail avec la même douleur aigre que la détresse.

-Comment peux-tu dire ça ! Comment peux-tu encore penser à ça ! Vous êtes sans-cœur ou quoi ! Il est…il est…Il est mort…MERDE ! Il est mort et ces derniers mots étaient pour cette foutue organisation ! Pour cette parodie de bande de héros même pas capable de sauver qui que ce soit !

La cousine de Lucas tressaillit, et ses pupilles marron se baissèrent, puis se fermèrent docilement sous le cri. Les phrases du jeune garçon résonnaient, tournaient encore dans leurs crânes, omniprésents, comme une supplique muette, une demande, le dernier besoin. Savoir que son sacrifice n'avait pas été vain. Oppressants et faibles à la fois, détestables et attendrissants, dégoutants et émouvants.

« Dis…je n'ai pas tout gâché, hein ? j'ai bien fait de d'ordonner à Noadkoko d'utiliser Rune protect…Comme avec Sunny lors de l'explosion…J'ai bien fait de me relever et de finir le discours de theodd…Comme ça…ils savent que…que…L'organisation ne succombera pas à si peu. J'ai été utile, finalement, non ? »

Bien plus que ça. Il leur avait probablement sauvé la mise, si Theodd s'était effondré sous le coup, leur bataille aurait pris fin, mais à quel prix, à quel coût devait-il cette victoire à la saveur écœurante ?

-Et tu crois peut être que je suis contente que ce gamin soit mort ! Tu crois peut être que ça m'a fait plaisir de congeler son corps ? De voir tout ce sang ? Tu crois que ça va me faire plaisir, d'aller dire ça à sa famille ? De ramener ses Pokémons à sa famille ?

Marion recula, puis se rétracta, tremblante de colère et de peine, plongeant son regard dur dans celui de son amour pour s'égosiller :

-Tu crois vraiment que j'ai voulu tout ça ! Nous aurions du prévoir ça ! Nous aurions du être plus soudés ! Nous aurions du renforcer la surveillance, et pas être imbus de notre puissance !

Pierre et Marc s'affaissèrent au loin, les visages marqués par la culpabilité.

-Nous aurions du voir que Cynthia était sous le coup d'un chantage ! A cause de nous, elle a peut être elle aussi perdu sa filleule ! Nous aurions du faire plein de choses Peter !

Un hoquet la secoua, son cri dérapa, s'enrailla, alors qu'elle se remettait droite, et qu'elle avouait dans un souffle méprisable :

-Mais nous ne l'avons pas fait ! Et c'est trop tard maintenant !

Elle secoua vivement la tête, avec véhémence, désirant chasser les images de Cynthia complètement affalée dans un coin, en larmes, de ses Pokémons congelant le cadavre de ce gamin innocent, sacrifié pour une cause trop grande pour eux, de la vision de tout ce sang imbibant son âme avilie.

-Tu crois que j'ai choisi d'élever les Pokémons glaces, parce que je suis froide, Peter ? C'est faux, j'ai choisi ce type…Parce que je veux mourir ainsi. Parce que, pour moi, être cryogénisé représente la plus belle des fins. Pas de sang, pas d'explosion, juste s'endormir, avoir froid une seconde, et plus rien.

Elle convulsa et se mordit la lèvre inférieure avec rancune alors qu'elle balbutiait :

-Et Yoann…Yoann a fait un choix. Il a décidé…De mourir comme ça. Il est mort dignement Peter ! C'est peut être une maigre consolation, mais c'est au moins ça !

Le concerné grelotta, et sa face se ferma, se figea sur une expression indéfinissable. Tremblant, il ouvrit les bras, pâlit, et il lui sembla revoir le corps frêle de Yoann, à la plaie béante dans l'abdomen. Le même garçon dont le regard voilé oscillait de lui, à Sunny et Blake.

Il aurait pu, il lui avait proposé de l'emmener dans la grotte de Cristal, derrière la cascade, là où le temps s'arrêtait, là où il vivrait. Eternellement, dans le même état qu'à son arrivée, à jamais, un garçon de treize ans, à la poitrine défoncée.

« Je ne veux pas de cette vie là. »

Puis le fantominus du garçon, qui flottait, et qui grinçait, alors qu'il murmurait un ordre presque inaudible tant il perdait en vigueur. La capacité dévorêve ; un dernier regard, et un murmure :

« Je vais trouver la paix avant vous…Désolé. »

Puis plus rien, la tête flasque qui dodeline sur le côté, sans se redresser, roulant sur la base du cou, comme relâchée, sans force. Les yeux qui se ferment, à jamais, avec un dernier sourire.

La mort.
Simple.
Pathétique.

Pourquoi, pourquoi cette insupportable fatalité demeurait vraie ? Pourquoi alors qu'ils l'espéraient tous, pourquoi ne disparaissait-elle pas ! Ils y mettaient pourtant toutes leurs volontés…Pourquoi, par moment, le vouloir, y croire de toutes ses forces ne suffisait-il pas ?

Le corps tout frêle du garçon s'était allégé, et sa respiration haletante avait pris fin. Il était minuscule, tellement petit, jeune comparé à eux. Innocent dans la masse.

Et il était mort.

Salomée lui avait pourtant répété milles fois, ils l'avaient lui-même transmis à ces enfants : le caractère immuable de cet état, définitif. Mais il ne parvenait toujours pas à y croire. Il se bornait à espérer que toute cette journée, ne soit qu'une immense fumisterie, une blague gigantesque. Il souhaitait qu'il n'ait jamais à choisir entre la vie d'Harry et celle de son élève. Il désirait de toute son âme que Salomée se dresse là, devant lui, et lui annonce fièrement qu'elle pouvait le ramener, qu'elle avait trouvé un moyen d'échapper au règne du collier, qu'elle n'avait qu'à fermer les yeux pour plonger dans les « possibles » de Yoann pour le ramener parmi eux.

Mais il délirait. La seule chance du gamin, ce dernier l'avait refusé, sous prétexte qu'il préférait achever une vie en toute liberté que de finir piéger, prisonnier de son propre corps atemporel.

La liberté.

Quel stupide concept !

Il aurait du mieux éduquer Harry, ne pas lui laisser le choix, lui faire croire en des rêves illusoires. Il aurait du obliger Yoann à lui laisser le costume de Theodd, à se rendre dans la grotte de Cristal. Eléanore ruinait sa vie entière pour assouvir sa soif de Liberté, elle aussi, et cette volonté de vivre comme le vent, finirait par la tuer aussi.

Pour cette vague bise aux senteurs insaisissables, pour cet idéal au goût amer, absolument utopique, combien de personne tombait ? Il ne voyait là, dans ce nom, qu'un cyclone dévastateur, rasant tout sur son passage.

L'évidence s'ancra plus profondément en lui, s'imprégnant dans chaque parcelle de son être que les images des derniers instants de Yoann, ses mots, son sang.

-Je n'aurais pas du lui laisser le choix…

Le murmure, le constat, fut avalé par la pluie et disséminé, éparpillé sur l'asphalte, s'écoulant avec les larmes des cieux. Doucement Marion s'avança vers Peter et l'enlaça, passa ses bras autour de sa taille, et le maître n'eut pas le courage, ni même l'envie de la repousser. Comme il ne chercha plus à cacher ses larmes.

L'évidence sonnait en lui comme le glas de la fin, le tragique chant funèbre enterrant sa moralité. Macabre de complexité et de clarté, les mêlant dans un paradoxe fatal.

La Liberté n'était qu'un fléau.

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-Vous êtes perdu ?

Peter sursauta, et il toisa, hagard, la foule se pressant autour de lui, cherchant à discerner la personne qui l'avait ainsi interrogé. Ce fut une petite main qui tira son t-shirt, qui fit descendre son regard mordoré sur lui. Ce gamin avec un héricendre sur l'épaule, à la frimousse commune et au regard chocolaté profond. Un enfant comme les autres, parmi la masse.

Yoann.

Le maître Dragon, désemparé, bafouilla une réponse confuse, et répliqua simplement :

-Je viens pour enterrer un Pokémon…Je…
Il dépêtra de sa poche, une balle dorée et argentée, agrémentée des insignes GS, dont la coque était fendue de manière ostentatoire. Le jeune garçon écarquilla des yeux, et balbutia :

-Je n'avais jamais vu de pokéballs pareilles…
-Elle…est unique…Je crois…Bredouilla Peter.

Le gamin se redressa, et mit les mains derrière son dos, comme pour s'empêcher de la toucher, ses doigts ayant à peine effleuré le métal tiquèrent, encore secoué par une sensation de froid, qu'il ne connaitrait qu'en touchant la main d'Eléanore, dans le futur.

Il prit une mine de circonstance, et sur une voix compréhensive, assura :

-Ne vous en faites pas, nous allons lui ériger une belle tombe. Vous pourrez vite prier pour l'âme de votre Pokémon.
-Ce n'est pas…mon Pokémon…Et je pense savoir où est son âme…c'est juste…Par soucis de…Forme…On va dire.

Bien entendu, le jeune médium ne pouvait pas savoir, que cette pokéball contenait le défunt Celebi d'Holly, que Peter venait tout juste de rencontrer. La créature, qui avait succombé lors d'une expérience sur le clonage de Giovanni, celle qui avait fusionné avec sa maîtresse pour obtenir vengeance, créant ainsi Salomée. Le celebi qui avait été le modèle du Pokémon raté qu'affronterait Silver, Gold, et tous les autres quelques années plus tard…

Pourtant, l'enfant devant lui, les lèvres pincées, désolé, afficha un sourire compatissant à son interlocuteur, et lança sereinement :

-Je comprends. C'est gentil à vous de faire ça pour votre amie, je suis certain que, malgré tout, cela touche profondément ce Pokémon exceptionnel.

Outre l'impression que ce gamin lisait dans ses pensées, décelait tout en lui, ce qui frappa Peter en cet instant, fut l'innocence de ses traits, si similaires à son frère disparu. Il y lisait tant de bonté et de naïveté, d'envie de Liberté, de Paix.

Il est des rencontres, qui se gravent en nous, plus efficacement qu'on ne le croit. Parfois, elles surpassent les connaissances de toujours, et occultent tout ce que l'on connaissait, bouleversent les existences. Il existe des moments charnières, où on entrevoit notre futur, de par ce bref croisement, où l'on aperçoit tous les possibles, toutes les vies qui s'offrent à nous. Pendant une brève seconde, on devient omniscient, puis nos doigts se referment, parfois sur du vide, parfois sur l'épaule d'un nouvel avenir incarné en un simple passant.

Ce jour là, Peter sut, au fond de lui, que ce garçon deviendrait son élève, que le Pokémon encore si faible sur son épaule, surpasserait les meilleurs. Il sut que le petit possédait un don hors du commun, que, lui montrer cette GS ball n'était pas un tort. Il sut qu'un jour, Yoann se battrait pour les principes qu'il défendait.

Et en effet, Yoann montra un potentiel inépuisable en combat, aimant et élevant ses Pokémons avec une compassion qui lui appartenait tout entière, une empathie significative. Yoann, quand il croisa de nouveau une GS ball sur son chemin, la lui remit docilement. Yoann mourut pour cette liberté, cette paix à laquelle il aspirait de tout son être.

Et jamais Peter n'aurait tant aimé se tromper de sa vie.

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La pluie se répercutait en eux, les flagellaient plus efficacement que sur les cloisons de leur abri. Elle martelait leurs crânes bourrés d'images non désirées. Les effluves de sang, flottait encore, prisonnière entre les murs de bois, et le feu crépitant dans l'âtre de la cheminée ne chassait pas le froid qui les paralysait.

Ils ne savaient plus, par quel miracle, ils avaient réussi à traîner leurs carcasses jusqu'ici, pour la plupart, l'instant fatidique demeurait flou et brumeux, comme si une charpe de brume enserrait leurs souvenirs.

Silver rajouta une bûche dans le foyer, et attisa les flammes d'un geste mécanique, froid, aucune émotion peinte sur le visage, mais silencieux. Il se redressa et contempla la pièce, monstrueusement vide, malgré la peuplade qui l'encombrait.

Blake avait ramené Sunny, et l'avait guidé dans sa chambre, conduisant un vrai zombie, et depuis, il se tenait, sur le comptoir de la cuisine, comme une statue de pierre. Régis, également, avait aidé à ramener Eléanore jusqu'au chalet, tout comme Akira avait mené Sam et les autres enfants, les guidant avec une patience infinie. Ils n'en restaient pas moins, inertes, tout à chacun, leurs pupilles scrutant l'invisible, à la quête d'une réponse inexistante.

Lucas, qui pourtant n'était pas sorti assister au spectacle à cause de l'orage, demeurait dans son coin, cajolant son ptitravi, absent. Il n'avait pas contemplé l'agonie de leur camarade, et pourtant, il semblait aussi secoué que tous les autres.

Même Daniel, qui était censé être un psychopathe en devenir, ne rien ressentir, s'était rué vers les toilettes. Si on ne l'entendait pas vomir d'ici, Gabriel lui, fermait les yeux à plusieurs reprises, tiquant nerveusement, comme capable de percevoir cet infime son de souffrance, mais trop épuisé, cassé, pour l'enrayer.

Silver soupira, et retourna s'asseoir auprès de Gold. Le brun tenait sa sœur dans ses bras, qui, pour une fois, ne proférait pas un seul son et se contentait de se laisser bercer. Son coéquipier n'avait pas prononcé un seul mot depuis…Au moins trois bonnes heures, depuis que Yoann avait fermé simplement les yeux, pour ne jamais les rouvrir. Aussi, la question, le simple murmure rauque, enroué par les pleurs surprit Silver, enfermé dans ses pensées.

-Comment fais-tu…pour être aussi…Calme ?

Le roux plissa les yeux, et il admira Eléanore, dans les bras de Régis, Samantha, auprès de Yuki. Celle-ci lui renvoya une œillade furibonde, exactement la même qu'elle lui avait lancé, quelques heures plus tôt, quand il avait voulu lui tendre la main, l'aider à se relever, après qu'elle se soit effondrée en pleurs. La même expression de gamine brisée et décidée, qui lui hurlait « Je n'ai pas besoin de ton aide ! ». La pluie avait beau la tremper de la tête au pied, coller ses cheveux à sa peau pale et mêler ses larmes aux gouttes venant des cieux, elle n'avait pas cillé, elle n'avait pas désiré que son frère la réconforte. Contrairement à la dernière fois.

La relation qu'ils entretenaient, se brisait, s'effilochait, lentement. Ils pouvaient feindre, sourire dans ce jeu d'acteur, la vérité restait, et la mal continuait de grossir, de ronger, et d'anéantir. Leur lien, crevait à petit feu, de la même manière, des gens disparaissaient. La lutte restait impossible contre la fatalité.

-C'est la vie…Souffla-t-il simplement, résigné. –Je suppose, qu'on y peut rien, et qu'on ne peut qu'accepter.

Gold se ferma, sa frimousse se durcit brusquement ,sa mâchoire claqua nerveusement alors qu'un sanglot étouffé remontait en lui.

-C'est tout ce que tu as à dire ? C'est la vie ?

D'un bond, il se redressa, Cristal manqua de tomber, privée de son support, mais, comme tous, elle ne prêta pas plus attention à la dispute qui débutait, trop ancrée dans ses propres tourments. Pourtant, le ton haussa radicalement, brisant la quiétude pétrifiante qui embaumait l'atmosphère d'après-guerre.

-Tu te rends compte de ce que tu dis Silver ? C'est…juste..la vie ! Non, c'est la vie de Yoann…Du type qui t'as sauvé Silver ! Qui nous a retrouvés après Carmin ! Et il est…
-Dans la mesure, où on y peut rien Gold…Que veux-tu que je dise d'autre ? Marmonna le roux, d'une voix lasse.

Le brun se crispa, et fronça les sourcils, en proie au souvenirs de ses pensées de la matinée, où il avait osé songer que Yoann devait s'amuser dans cette foutue conférence de presse…Où il avait rêvé de revêtir ce costume, rien que pour échapper à la tension du groupe…Et lui, l'homme qu'il aimait, se fichait éperdument qu'un de leur camarade, quelqu'un avec qui ils avaient partagé bien plus que des idéaux, soit mort, d'une façon qui aurait tous pu les atteindre !

-Et si ça avait été moi Silver ? Tu aurais aussi dit ça ?

Silver sursauta et ses pupilles argentée coulèrent sur son ami en même temps qu'un frisson d'effroi lui remontait l'échine et lui coupait le souffle, toute sa répartie. Malgré tout, le brun prit son silence comme une approbation, et il cracha, le timbre étranglé :

-J'ai pleuré quand je t'ai cru mort Silver…J'ai eu l'impression que toute ma vie s'effondrait avec la tienne ! Mais je vois que…toi, tu t'en fiches éperdument…C'est vrai, c'est la vie !

Comment il pouvait être amoureux d'un type pareil ? Pourquoi n'arrivait-il même pas à le haïr ?

Le jeune dresseur tourna des talons et partit aussitôt en raclant des pieds, Capumain sauta de l'épaule de Samantha et suivit son premier dresseur avec un gémissement plaintif. Abandonnant un Silver perdu, qui se demanda pour la première fois quelle place Gold tenait dans son existence.

Il y eut une seconde de flottement, et dans un murmure, Cristal lui souffla froidement : « Dégage de mon canapé, et va le rejoindre. ». L'ancien voleur se leva, un peu déboussolé, puis après avoir scruté la pièce, en cherchant de l'aide, après s'être heurté au mur nommé Samantha, et avoir vu Eléa qui pointait intransigeante le couloir où s'était enfui Gold, il partit à son tour.

La cadette Heart se détendit, le cœur lourd, puis, dans un froissement de tissu, elle rejoignit Lucas, aux côtés de Samantha, et posa sa tête contre lui. Le grand adolescent l'observa avec fatigue, et elle passa son bras autour de lui, et maugréa :

- Ne te plains pas, t'as une fille qui te console, et moi j'ai vraiment besoin de réconfort là, alors…S'il te plait, Louka, juste tais-toi, et reste là.

Le Di Dargual eu un rictus, plus semblable à une grimace, et la poitrine gonflée de chagrin, il inspira profondément pour chasser cette masse écrasante qui l'oppressait, alors qu'il passait une main dans le dos de Cristal.

La douleur s'estompa légèrement, ou tout du moins, se dilua, se mélangea à celle de la jeune femme, portant désormais à deux le fardeau du deuil.

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-Peut être que tu ne regardes pas dans la bonne direction.

Le conseil simple et timide de Yoann parvint à peine aux oreilles de Silver, qui, de loin, observait Samantha se remettre progressivement du choc de son enlèvement, surmonter ses crises de manques, son inquiétude pour Eléanore après son malaise à l'hôpital, sans lui.

Le roux tourna la tête, et le médium lui sourit gentiment, en pointant du doigt Gold, seul dans le canapé, la tête en bas, selon la technique « pour la bonne humeur De Chris et Angie », le brun fixant silencieusement sa sœur et Lucas, cajolant un Ptiravi tout guilleret.

Le fils de Giovanni arqua un sourcil, puis haussa les épaules, avant de rejoindre son ancien coéquipier, et de l'imiter. La tête en bas, aux côtés d'un Gold écarlate et étonné, il lui lança :

-Semaine pourrie ?
-Ouais. Grommela Gold, las, avant de rajouter : Mais comme tu dis, ça va passer.

Alors, Silver ôta ses yeux de la silhouette de Samantha, auprès d'Akira, et plongea ses iris d'argent sur son ami. Un demi-rictus étira ses lèvres.

Plus loin, Sunny venait chercher Yoann pour lui proposer un match en tête à tête, et à sa question « Qu'est-ce que tu fais ? » il lui répondit mystérieusement « J'aide les aveugles. » qui la laissa pantoise. Depuis quand le gamin utilisait-il l'ironie ?

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Akira ne décolérait pas, sa fureur, présente depuis ce matin, quand son plus gros soucis du jour avait été le sommeil vicieux qui prenait plaisir à le suivre ; à ce soir. Les tourments qui l'occupaient prenant un aspect bien plus acide et grave.

Il contempla ses mains, qui lui apparurent encore souillée de sang et moite sous la boue, malgré le fait qu'il les avait lavé une bonne trentaine de fois, à la fois sous l'averse, sous le robinet, et sous ses larmes. Il sentait, plus qu'il ne voyait les résidus de cet tragique accident, encore collé à sa peau. Ses poings se refermèrent furieusement, impuissants. Incapable de trouver un défouloir, un responsable autre qu'eux même dans cette impasse, dans ce drame.

Sa première envie, lorsqu'il avait compris l'identité de la vague forme frêle qui se vidait de son sang progressivement à ses pieds, avait été de frapper, quelque chose, n'importe quoi. Peter, le responsable de cet acte, mais les sanglots, les cris si vulnérables, si brisés qui s'élevaient dans un rideau cacophonique presque aussi écrasant que l'averse, ses forces l'avaient comme abandonné. Et il n'était resté que l'échec, l'épuisement.

Il y avait quelques heures, le trou béant qui s'était condensé dans sa poitrine, dévorant, le privant d'air et d'envie de se battre, l'avait presque poussé à se retirer. Juste quelques heures, juste quelques minutes. Etre Seul. En face à face avec le vide, avec la mort.

Puis à la douleur vide de la perte, s'était substituée l'amertume de l'angoisse.

Akira frissonna, et d'un bras, il ramena Samantha contre lui, l'enlaça de toutes ses forces, comme s'il craignait qu'elle ne disparaisse à son tour, aussi brusquement, aussi brutalement que l'enfant qu'il avait connu.

Il remercia le ciel une énième fois, que sa vue défaillante lui ait empêché de voir le dernier visage d'un si jeune gamin. Il désirait juste conserver en tête la frimousse souriante de ce petit, si pleines de rêves et d'idéal.

Mais Akira, lui, voyait clair dans ce théâtre, cette pièce où chacun jouait masqué.

Toutes ces heures d'entraînements pour le compte de Twilight. Comment créer et désamorcer une bombe, combattre en duel les pires bandits de leurs régions, s'infiltrer dans le nid de guêpes, les règles de survie, l'art de mentir, de ruser, de feindre…Tout cela les membres de l'organisation l'apprenaient un peu plus chaque minute, sans même se soucier de sa signification. Espérant purifier le poison gangrénant le monde, sans même se douter qu'ils s'en abreuvaient déjà.

Si un jour, on leur présenterait de vrais hommes en face d'eux, ils ne réagiraient pas plus, ils tireraient comme s'ils avaient été faits de carton, sans entendre leurs cris d'agonies ou leurs suppliques. Comme lors de l'accident Giovanni, Twilight les couvrirait, empêcherait le scandale.

Des machines, voilà ce que Twilight faisait de ces enfants. Des robots endoctrinés, qui ne voyaient leur fin que comme un pas de plus, un sacrifice utile et honorable pour l'ascension vers leur but. Et Yoann, comme les autres, n'en avait aucunement conscience. Il obéissait, voilà tout.

On lui avait dit d'enfiler le costume de Théodd, de servir de bouclier humain, de leurre, et cet enfant à peine pubère, avait hoché de la tête sans se débattre. Il était mort le sourire aux lèvres, fier d'avoir gâché son existence, piétiné ce qu'aurait pu devenir sa vie.

Obéir, bientôt, ce serait tout ce qu'on leur demanderait, la seule règle en ces lieux. Ceux qui refusaient remplaçaient les cibles en carton. C'était la règle, la normalité, la continuité. Comme une hymne languissante dont les accords se répétaient inlassablement de plus en plus fort jusqu'à s'éteindre dans un murmure timide.

Cet Harry dont ils avaient parlé était la preuve totale, le relent exemplaire de ce cercle vicieux. Le Carnage qui s'annonçait, n'était rien comparé à ce bain de sang où tous avait vu mourir une part d'exu même en même temps que Yoann rendait son dernier souffle.


Tous les enfants présents ici, allaient devenir des pions, des êtres de l'armée conditionnés parfaitement.

Pourtant, Yoann, dans ses derniers moments, avait ouvert une brèche dans cet avenir peu reluisant, le sang qui avait imbibé leurs vêtements, emporté par la pluie, noyé ses derniers mots, avait pourtant transmis sa volonté.

Il leur offrait une fleur.

En refusant d'obéir à Peter dans ses derniers instants, en ignorant son délire sur l'immortalité grâce à une chimèrique grotte en Cristal, même à l'agonie, Yoann leur avait susurré à tous, une évidence, un fait que personne ne pouvait leur voler.

La liberté.

Ils étaient tous libres, ils avaient tous une personnalité qu'aucune organisation, aucun ordre ou endoctrinement ne pouvait leur soustraire.

Akira eut un rictus désemparé, désespéré.

Peut être, justement, Yoann était-il un peu trop idéaliste pour survivre bien longtemps dans ce monde de fatigue perpétuelle.

Son étreinte s'adoucit, et Akira, posa sa tête sur celle de son élève, alors qu'il soufflait d'une voix brisée :

-Samantha, promet-moi de ne jamais participer à cette organisation. De ne jamais prendre le risque de mourir comme ce gamin.

Les larmes qui roulèrent sur ses joues, s'il ne les vit pas, n'échappèrent pas à son élève.

Samantha baissa la tête, dépassée, et ses doigts se crispèrent sur sa jupe et qu'elle se mordait avec hargne la lèvre pour empêcher les sanglots traîtres de lui échapper par inadvertance.

Elle ne saisissait pas, où, comment, de quelle manière, ce drame avait pu se produire. Ce matin encore, elle se souvenait l'avoir salué, lui avoir lancé un « à ce soir » indifférent, sur le seuil de la porte. Quel croisement avait-elle loupé ? Quel engrenage s'était enclenché, sournoisement, sans même un préavis ? Comment pouvait-on ravir si aisément une vie.

Les évènements se déroulaient bien trop vite autour d'elle, comme si, pétrifiée, elle contemplait le monde se mouvoir en accélérer, sans bouger de sa place, incapable de participer, d'enrayer cette effervescence.

Elle ne saisissait pas et l'injustice, l'incompréhension la tenaillait toute entière.

Un hoquet secoua sa poitrine et elle ne put retenir un gémissement peiné, alors que l'image de Yoann, dont le corps frêle et flasque baignait dans une mer écarlate, lui explosait à la figure. La vision se superposa à ses souvenirs de la dimension de celebi, et elle y reconnut le regard de condamner, l'expression sereine et triste à la fois que lui lançait Eléanore dans ses derniers instants, dans ce « possible avenir ».

Samantha se recroquevilla.

C'était injuste, terriblement injuste.

Pourquoi assistait-elle si souvent, depuis l'incident, à cette scène ? Pourquoi ce démon joueur et sadique qui se plaisait à lui envoyer ce cauchemar ne l'avait-il pas prévenu de la mort de Yoann ? N'avait-elle pas déjà assez souffert ? Eléanore n'était-elle pas bien vivante là, en cet instant ? Alors que Yoann gisait, froid comme de la Glace ?

Le maudit imbécile qui regardait la plèbe, bien à l'abri dans les cieux, savait-il au moins compter ? S'il la tourmentait ainsi dans le but de corriger le futur, ne devaient-ils pas lui passer toutes les cartes en mains ? N'imaginait-il pas qu'elle nécessitait de tous les indices, dans l'ordre ? Comment pouvait-elle prévoir qu'un tel malheur s'apprêtait à frapper sans le moindre indice !

C'était juste cruel, de songer qu'Arcéus souhaitait la mort d'un garçon aussi généreux que Yoann. Tout comme aussi absurde que de songer qu'il avait accordé à Samantha le droit de pousser ses amis de déroger à leurs destins.

Pourtant…Il fallait bien une explication ?

Alors que l'adolescente ravalait une nouvelle rasade de pleurs en se plaquant un peu plus contre son professeur, une image la saisit, une évidence, une réminiscence. Et son cœur implosa dans sa poitrine sous une balle de culpabilité.

Ils avaient dit, que le tueur de Yoann se nommait Harry, non ? Le même Harry de ses rêves ? Ceux que revivaient Sam à l'intérieur des yeux de Shagi chaque nuit depuis des semaines ? Tout comme, étrangement, elle avait rêvé absurdement de Sunny et son frère avant que ceux-ci n'entrent dans sa vie, après l'explosion ?

Etait-ce ça, les indices qu'elle demandait ?

Samantha se crispa.

Est-ce que cela signifiait qu'elle les avait loupés ? Qu'elle aurait put empêcher ce massacre, mais qu'elle ne l'avait pas fait ?

« Sourit, petite souris ! »

Samantha enfonça son visage dans les bras de son tuteur, espérant s'y réfugier.

« Tout le monde a envie d'être heureux, mais ma mère et ma sœur me disaient toujours, que, même si on en a très envie, tout ne se passe pas comme on l'avait prévu. Mais, si on y croit, si on cherche constamment les petits riens qui nous touchent dans la journée...Alors on est forcément heureux, qu'importe ce qui se passe. »

Quels petits riens ? Quels petits plaisirs retenait-elle de sa journée ? Elle était vivante, il était mort, elle avait eu l'occasion d'empêcher cela, mais elle avait été trop empêtrée dans ses propres soucis pour les voir, les appréhender ! Alors que lui…Que lui avait tout fait pour lui rendre le sourire.

« Samantha, tu veux être heureuse ? »

Samantha frémit, et elle perçut derrière cette phrase hantant ses souvenirs, comme l'écho de sa propre voix :

« Je ne veux pas être comme Cendrillon ! »

Et cette fois, elle ne put retenir la vague déferlante de larmes.

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-Pas comme Cendrillon ? C'est bizarre, comme façon de penser…

Samantha joua des doigts, embarrassée, assise sur le canapé du salon. A peine revenue de l'hôpital, encore fatiguée, incapable de faire ses nuits. Elle errait parfois comme une pauvre âme en peine, nocturne, esseulée, n'osant pas visiter la chambre d'Eléanore, ni revenir pour réveiller une énième fois Akira, ou encore se réfugier chez le frère qu'elle rejetait. Dans ses déambulations, elle avait un soir croisé Yoann, le regard absent, qui paraissait converser avec d'invisibles forces dans un discours silencieux.

Elle en avait profité pour le remercier de son intervention, de l'avoir secouée, mais le garçon avait simplement sourit et répondu « Je te préfère comme ça, même si c'est pas encore la grande forme. »

Etrangement, comme toujours avec ce garçon, l'envie de se confier, en l'absence d'Eléanore, l'avait prise, et elle lui avait conté, son désir d'indépendance, de se battre pour elle-même, d'être capable d'assurer sa propre protection.

Elle avait toujours cru posséder un caractère de battante, un orgueil surdimensionné, et il est vrai, elle en était doté, mais elle se trouvait tout simplement incapable d'en jouir à sa guise, et parfois, sa propre personnalité se retournait vers elle, comme un coutelas acéré, dans les pires situations possibles.

Cendrillon n'était qu'une femme attendant l'amour, le prince, elle résumait tous ses rêves d'enfants recueillie, mal à l'aise dans sa famille d'accueil et dans le monde. Cette même illusion qu'elle se devait de tuer pour parvenir à ses fins.

-C'est pour ça que tu ne vas voir personne alors que tu n'arrives pas à dormir ? Analysa Yoann.

Samantha hocha la tête et le médium siffla, l'air de dénoncer cette attitude bien trop réfléchie et complexe pour lui. Mais il croisa les bras, et chercha lentement une réponse. Il fronça les sourcils, et balbutia :

-Tu es sûre de ne pas vouloir voir Silver ? C'est ton frère après tout, quoi que tu fasses, ça ne changera rien, et il avait l'air de te faire du bien, avant…
-Non.

Sèche et intransigeante, Sam se durcit, se ferma à cette possibilité.

-Pourquoi ?

Parce que sa fierté lui hurlait, plus fort que ses sentiments, que ce garçon en qui elle avait cru, ce sauveur, n'avait fait que lui mentir et se moquer d'elle tout du long. Elle lui avait fait part, de nombreuses fois, de son désir de connaître ses origines, elle l'avait invité à partager une part de sa vie, à fêter son anniversaire. Elle l'avait considéré comme un frère, et peut être, s'en doutait-elle déjà depuis longtemps. Mais…Il n'avait fait que contempler l'enfant stupide et futile qu'elle était, Il l'avait laissé croire, l'avait leurrée pendant tous ces mois. Peut être amusé, peut être triste, cela lui importait peu. Il l'avait trahie.

Elle avait vu la première fois en lui, comme un Prince venu la tirer du calvaire, comme au mont Sélénite, et petit à petit, il avait étendu ses bras, elle avait pris l'habitude de le voir ainsi, de le considérer comme tel. Il la paralysait, la rendait dépendante d'une force, des connaissances qu'il lui cachait.

En cela, elle ne pouvait pas lui pardonner.

-Tu comptes l'ignorer longtemps ? Je pense que ça lui fait aussi mal qu'à toi.

A cela, Samantha conserva son silence.

Et bien qu'il ait mal, exactement comme elle, avait souffert, seule dans les ténèbres, en proie aux cauchemars, à ses pires craintes, à l'extinction de la barrière de mensonges qui protégeaient son existence.

-Je trouve ça stupide. Désolé de te le dire, mais je trouve ça stupide. Avoua Yoann doucement, comme capable de cerner le fil des pensées de son interlocutrices en suivant la courbe de son regard, en effleurant le dessin de ses songes.
-Ce n'est pas stupide, si je considère Silver comme mon frère…je vais…je vais forcément dépendre de lui. Je dépend toujours de quelqu'un !
-Et en quoi c'est mal, au juste ? Je veux dire, quand tu aimes les gens, quel mal y-a-t-il à accepter leur aide ? C'est ça que je ne comprends pas dans ton raisonnement. –Tu acceptes bien l'aide d'Eléa. Pourquoi tu n'acceptes pas l'aide de ton propre frère, qui a tout mis en œuvre pour te secourir ? Pour moi c'est juste une excuse.

Samantha vacilla, mais, se mordant la lèvre, elle se mura dans un mutisme buté, le cœur gros, les yeux plissés.

Elle n'était pas prête, pas prête à lui pardonner, voilà tout. Voilà la vérité.

Yoann face à elle, reprit son petit sourire mutin, et il lâcha simplement :

-On dit souvent que l'on va changer, mais peu de gens y parviennent vraiment. Peut être parce que…le terme changer ne convient pas vraiment.

Il se pencha en avant, et plongea ses iris dans celle bleues argentée de Sam, et ajouta mystérieusement :

-On ne change pas, on évolue.

Tout comme les Pokémons, qui conservaient un peu de leurs attributs passés alors qu'ils empruntaient une nouvelle forme, plus puissante, plus digne, preuve de leurs efforts fournis et du chemin parcouru pour en arriver là.

Mais Samantha était encore trop instable, trop friable, pour comprendre le sens profond des conseils de Yoann, comme toujours. Si elle désirait mûrir, devenir une véritable adulte, elle ne devait pas éradiquer la Cendrillon qu'elle avait adulé dans son enfance, mais l'intégrer, et se construire par devers elle.

Pendant une seconde, l'adolescente se rendit compte, qu'elle était bien la seule à qui le jeune médium dévouait autant de conseils.

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Christopher et Angèle, assis derrière le comptoir, non loin de Gabriel et Régis, -tous deux la tête dans leurs paumes, coupés du monde- s'entre regardèrent, puis grimacèrent.

L'ancien voleur attrapa une éponge, et prit parti de nettoyer la cuisinière, mécaniquement, mais une main effleura la dentelle pendouillant à sa manche, Chris se retourna et vit la frimousse inondée de larmes d'Angie, et celle-ci, la gorge serrée, le corps tendu, passa une main sur la joue de son partenaire, pour essuyer les pleurs qui roulaient sur ses joues également. Dans un rictus effacée, ils s'étreignirent et partagèrent leur peine ensemble, silencieusement, respectueusement. Leurs têtes emplies de souvenirs.

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-Vous êtes vraiment forts vous savez, vous trouvez toujours les mots justes pour remonter le moral des gens ou les aider, vous devriez être psys.

Christopher et Angèle, en pleine bataille sur un programme informatique, écarquillèrent des yeux. Présent dans le salon du chalet depuis l'aube, ils babillaient gaiement. A Silver qui leur avait envoyé –victime du mal de crâne matinal habituel- « Mais vous z'avez pas un chalet à vous ou quoi ? » Ils avaient simplement rétorqué justement « Mais vous seriez tristes sans nous, non ? », qui, fait étonnant, avait fait taire le rouquin.

C'était à ce moment là que le petit médium, revenu tout juste d'une séance d'élevage avec Sunny, leur avait lancé cette simple phrase. Pique innocente, simple constat, il leur sourit avec ravissement. Et les deux voleurs l'avaient aussitôt adopté.

On les traitait souvent d'andouilles, d'attardés. Dans leurs vies, ils avaient connus plus de surnoms que n'importe qui, du duo comique raté aux jurons censurés. Pourtant, le jeune garçon ne leur disait rien, il se fichait éperdument de leur passé de bandits, et il se contentait de papoter avec eux, parfois de participer à leurs jeux. Sauf quand ça dépassait les bornes, là, il voulait bien s'amuser à piquer toutes les couvertures de laines, à les étaler sur le parquet pour faire des concours de glissades avec ses Pokémons et Sunny, mais en revanche, vérifier si les tapis volaient en sautant du toit…

Etrangement, l'adolescent en devenir ne jugeait pas du tout leur logique décalée, il s'en souciait peu.

Ils disaient que les gentils devaient toujours porter du blanc, et les méchants du noirs, soit, il enfilait un T-shirt uniforme.
Ils racontaient que les idées venaient plus vite la tête en bas sur un fauteuil, il s'y installait confortablement, comme décrit, et invitait tout le monde à s'y joindre.
Ils proposaient de vérifier telle théorie, de préparer une fête pour remonter le moral de tous, de lancer un tournoi d'échec…Peu importait les idées saugrenues, il était pour, il participait ou s'excusait.

Chris et Angie passaient parfois le temps, à le surveiller, de loin, essayer d'aider Sunny dans sa rééducation, puis ensuite, quand il revenait, lui soufflaient d'encourageants commentaires pour le forcer à se déclarer. Ils débattaient des sentiments de chacun, s'étonnaient de la perspicacité d'un enfant si jeune, cherchaient en vain des moyens de venir en aide à l'un ou à l'autre. Ils complotaient, discutaient…S'amusaient, simplement. Parfois, leurs rires s'emmêlaient, entraînaient celui de Sunny dans son sillon, ou de Cristal…De Makanie…Comme une traînée de poudre, une gaieté communicative.

-Ma mère me dit souvent, qu'un bon Médium doit posséder une bonne empathie, comprendre les gens, comme les psys. Que les personnes doivent se sentir à l'aise avec son médium, en confiance, heureux. Comme avec vous. Leur avait-il simplement avoué, une fois, alors que Samantha partait avec Akira pour une de ses séances d'entraînement monumentale.

Les yeux de Christopher s'illuminèrent d'une joie, alors qu'il bafouillait, envoyant des myriades de cœurs, d'étoiles et de paillettes dans toute la pièce :

-C'est vrai, nous serions donc de bon médiums ?
-Oh et Chris, nous porterions ces tenues traditionnelles si adorables !! Avec tout plein de dentelles ! Et des lunettes, de belles lunettes stylisées !
-Et on ferait des batailles d'eaux avec l'eau sacrée !
-Puis on soignerait les petites Pokémons !
-Et leurs dresseurs ! Leurs dresseurs aussi !

Un rire timide les avait arrêtés, et ils contemplèrent, ébahis, le petit adolescent, la main plaquée sur son visage essayant de se retenir vainement, de ravaler les échos de son propre amusement. Le rouge aux joues, la respiration entrecoupée de ricanements, il les avait regardés intensément, d'un regard perçant, profond, pour leur souffler :

-Vous êtes vraiment incroyables. En un instant, vous arrivez à me rappeler tout ce qu'il y a d'important dans le métier que je déteste !

Son regard s'était fait vague, le temps d'une étincelle, la frimousse assombrie, les mots emplis de regrets qui sonnèrent comme un glas ne parurent pas provenir de lui, et pourtant c'était bien le cas.

-S'effacer devant les gens, laisser d'autres êtres prendre notre place dans ce monde, ne pas avoir de préjugés, rester toujours ouvert et sympathique, quelque soit la situation, l'horreur. Jouer le rôle d'un Ange, qu'on est finalement jamais…
-Moi je vous trouve super comme vous êtes, monsieur Yoann.
-C'est vrai, vous n'avez pas de raison de changer, on peut toujours faire les choses à notre manière, non ?

Le gamin les avait dévisagés longuement, la mine effarée, puis à nouveau, son sourire quotidien avait étiré ses lèvres, alors qu'il répétait :

-Vous êtes vraiment géniaux.

Un compliment, une simple louange, et pourtant, qui signifiaient beaucoup pour eux.

-Oui, vous serez un excellent couple de Psy !

Les concernés rougirent brusquement puis participèrent à l'hilarité générale. Le cœur léger.

Christopher et Angèle auraient souhaité pouvoir lui rendre la pareille, au moins une fois.

Mais ils ne pouvaient plus.

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Silver s'essouffla, mal à l'aise, surtout dans le couloir sombre, où la mauvaise humeur, le sentiment de culpabilité s'amoncelait, compact, dense, l'embrumait d'une vague d'incertitudes noires et floues.

Il chercha des yeux son camarade, scruta les coins sombres de la masure décidément bien grande, avec des angles tordus avec toutes ces mezzanines.

Ce fut pourtant sur l'une d'elle, qu'il dénicha le brun, voyant ses jambes pendre dans le vide, dépassant d'un renfoncement de la toiture, aménagé. Il remarqua Blake, assis dans ce qui semblait être une échelle, la tête dans les mains, la ceinture de pokéball, celle de Yoann, sur ses genoux.

Lentement, il s'avança vers lui, et au moment de monter, de rejoindre Gold, il s'arrêta.

D'abord, parce que Blake avait bougé légèrement pour lui permettre de passer.
Ensuite, parce qu'il ne savait pas encore ce qu'il désirait dire à son ami, comment soigner son désarroi.

Etrangement, quand Cristal lui avait soufflé cet ordre, son cœur avait répondu en écho, et le regard dur, déterminé d'Eléanore, n'avait fait que confirmer son envie. Mais à présent, sans soutien, il doutait.

Il recula, désarçonné, et s'agenouilla sur une des étapes de l'escalier, poussant un soupir perdu. Il croisa ses bras, et sentit le mal de crâne poindre, sournoisement.

-Qu'est-ce que je vais faire de ses Pokémons ?

La question fusa, douloureuse, acide, emplie d'un désespoir bien trop lourd pour lui.

Blake leva la tête vers le rouquin, de plus en plus mal. Blême, il détourna le regard, pour ne pas à soutenir celui qu'on lui envoyait. Il ferma les yeux et déglutit.

Il ne savait jamais vraiment comment rassurer les gens, ni les aider. Les enfoncer dans la peine, ça, c'était son truc, les insulter, les secouer, aussi…Et à vrai dire, les voir tous amorphes, lui donnait plus des envies de les prendre un par un et de leur hurler « Il est mort, mais vous, vous êtes en vie, alors bougez vous ! ».

Il avait pourtant expérimenté, le deuil, il connaissait son gout amer par cœur…

Dire, qu'il ne ressentait rien, vis-à-vis du sacrifice de Yoann, serait un mensonge, cependant, la vérité, restait qu'il lui avait toujours à peine parlé, à ce gamin. Le seul fait qui l'attristait, restait qu'il ne le connaitrait jamais réellement, mais, Silver ne cherchait pas vraiment à se faire des amis.

Ce n'était pas son but d'être le bon copain, sur qui on pouvait toujours compter, vers lequel on se tournait au moindre problème.

Du moins, jusqu'à présent, sa solitude lui suffisait. Son seul et unique désir, avait été de retrouver sa mère.

Maintenant…Que lui restait-il ?

-Je suppose que…je vais devoir les rendre à sa famille…Mais Fantominus a disparu…Et…Bafouilla Blake, se répondant lui-même, après ce silence en retour.
-Peut-être que Sunny, voudra en conserver un.

L'aîné des Shade tressaillit et ses poings se crispèrent sur la ceinture, il se mordit la lèvre avec honte et culpabilité. Silver resta stoïque, les mains dans les poches. Sa réponse avait fusé, naturellement. Enfant, il s'accrochait au souvenir de sa mère, à la plume qu'elle lui avait légué, comme son trésor. Sans elle, à ses côtés, il ignorait, comment il aurait pu tenir. Elle était le symbole de tout ce qu'il aimait, tout ce qu'il avait de bon en lui, sa lumière dans les ténèbres. Son unique certitude.

A présent, son bien le plus précieux, reposait dans son sac, avec son jumeau, et ses espoirs gamins, enterrés. Sa sœur ne lui parlait que peu, pour conserver les apparences. Son père ne le menaçait plus, mais une Team puissante, elle, ravageait le monde. Une organisation qui avait emporté Yoann avec elle, et qu'ils combattraient tous. Gold y compris.

Silver frissonna de nouveau, quand les mots de son coéquipier l'heurtèrent de nouveau.

Cela aurait pu être lui, sur cet escalier, à la place de Blake, se demandant que faire des Pokémons de son ami défunt. Le dégout, le vide qui s'insinua en lui, lui fila la nausée et ses maux de crâne s'amplifièrent.

-Je crois que Sunny, n'a jamais vu la mort comme une finalité horrible…J'ai toujours fait en sorte, que pour elle, la mort ne soit pas douloureux…Petite, je lui faisais croire que les méchants crevaient avant les gentils. Je voulais vraiment, qu'elle pense…Qu'il y avait une justice dans ce monde, qu'elle n'en ait pas peur. Maintenant, comment je vais faire pour…Avec Yoann qui…
-Elle n'a pas l'air du genre à croire ça, franchement.

Blake tressaillit, devant le ton abrupt, presque coupant, de son interlocuteur. Et le brun ricana nerveusement alors qu'il tremblait comme une feuille :

-Elle parle fort et de manière dure…Mais au fond…

Son expression se crispa, puis s'étira en une grimace douloureuse, alors qu'il avouait dans un souffle récalcitrant :

-Quand elle est avec ses Pokémons, ou avec lui…Elle était elle-même…Elle souriait enfin…Et croyait…Elle croyait de nouveau…Comme quand elle était gamine, et qu'elle espérait stupidement que l'assistante sociale nous sauverait !

Il retint un sanglot, et Silver baissa la tête, mais alors que, jugeant qu'il n'aidait en rien, il s'apprêtait à partir, Blake bredouilla :

-C'est…grave si je lui en veux ? C'est normal à ton avis, que j'ai qu'une seule envie, en cet instant, c'est d'aller le chercher, et de le frapper jusqu'à ce qu'il ouvre les yeux ?

Silver garda le silence, abasourdi, ne trouvant rien à répliquer, après tout, qui était-il, pour juger de la normalité ?

Ses doigts crissèrent sur les barreaux de l'escalier, amers. Il n'était pas à sa place ici.

-Merde ! Elle avait enfin retrouvé un vrai sourire ! Elle riait ! Elle n'avait plus peur des spectres ! Elle…Elle allait enfin bien ! Nous avions enfin un ami !

Le hurlement se répercuta dans les couloirs vides, et Blake se recroquevilla, alors que l'image, de Yoann, juste à ses côtés durant la conférence de Presse, basculant en arrière, heurté par un rayon mortel, tournait et retournait son cerveau, malmenait son cœur meurtri. Les mains moites de sangs et de sueurs, la respiration saccadée, sa gorge s'obstrua et ses prunelles lui piquèrent affreusement alors qu'il crachait avec rancœur, dans un râle de souffrance :

-Comment t'as pu mourir maintenant ! Crétin ! Andouille de Yoyo…Ab…Abruti ! J't'avais dit…Que si tu la faisais souffrir, t'étais mort ! Comment t'as pu…Comment t'as pu crever sans ma permission ?

Mais les insultes se turent, Silver posa une main sur l'épaule du jeune homme, et lui adressa une grimace malhabile.

-Tu sais…Je pense que…S'il avait eu le choix, il serait resté avec vous…Mais…Parfois…C'est juste…Impossible.

Les sanglots étouffés de Blake, secouèrent encore longtemps les pensées de Silver, bien après son départ.
Morne, il s'hissa dans le refuge de fortune de Gold, et Capumain, ravi de trouver un compagnon, vint se nicher sur ses épaules. Le brun, pourtant, ne montra pas le même enthousiasme, et il siffla d'une voix brisée :

-Va-t-en.
-Non.

L'adolescent fit volte-face furieusement, les joues rouges de larmes versées, mais sa rancune, sa colère s'envola immédiatement dès qu'il croisa le regard argenté de son camarade, l'abandonnant, avec la blessure béante, purulente dans sa poitrine. Il se mordit la langue, et sa respiration s'arrêta une brève seconde. Il prit une inspiration, pour hurler, pour pleurer, mais tout cet air se compressa dans sa poitrine, et implosa violemment, sans lui laisser la moindre parcelle d'oxygène pour lui.

Le roux le fixait, désemparé, cherchant ses mots, savait-il au moins, que, sa simple vision éveillait en Gold des sentiments si étranges ? Si dérangeant ? Savait-il seulement, qu'il lui suffisait de le rencontrer dans son paysage, pour que tout prenne du sens, même ce qui n'en avait jamais eu ? Imaginait-il seulement, à quel point, chacun de ses mots, chacun de ses gestes, pouvaient briser ou reconstruire son univers ? Avait-il seulement conscience qu'une personne tenait à lui si intensément ?

-Gold…Commença Silver doucement.

Le brun vacilla, l'incertitude, la douleur de son indifférence, de sa méconnaissance, le poignardant plus sûrement que toute arme blanche.

La mort de Yoann n'avait fait que renforcer ses propres sentiments, Silver avait pris une telle place dans son univers, qu'il le désirait à ses côtés à chaque instant, il voulait sentir le souffle de la vie agiter sa poitrine. Le baiser qu'il avait échangé secrètement avec lui, il ne parvenait pas à l'oublier, et aujourd'hui, il se rendait compte, froidement, que le roux, tout comme Yoann, pouvait disparaitre du jour au lendemain. Sans jamais connaître la vérité.

-Gold, répéta simplement Silver, comme pour forcer le brun à revenir vers lui.
-Je ne mentais pas.

La phrase claqua, et le dresseur au capumain redressa la tête pour contempler son compagnon, tressaillant d'anxiété, des douleurs du deuil.

-Je ne mentais pas Silver…Si…Si tu disparaissais, comme ça…Je ne sais pas ce que je ferai ! Et toi…Toi tu prends toujours des risques, j'ai eu tellement peur de te perdre ces derniers temps !

Il s'enfonça, et balbutia, la gorge enrouée, le ton fracassé :

-Pour moi…Si tu meurs, je meurs avec toi. Je ne pense pas que je pourrais supporter une vie sans toi Silver.

Le roux resta inerte, blanc, les yeux écarquillés et Gold ricana, mais ce qui le secouait ressemblait plus à un hoquet incontrôlable, un spasme étouffant tandis qu'il bafouillait :

-Mais toi…Apparemment, tu t'en fiches complètement…C'est la vie…Je…J'aurais mieux fait de porter ce foutu costume à la place de Yoann…Au moins, il serait toujours là, et…Et…

Il se tût, deux bras venaient de l'entourer, et sa tête se nicha dans le creux du cou du rouquin. Malgré ses larmes, le brun sentit les tremblements qui secouaient imperceptiblement son camarade, et seul le léger trémolo dans sa voix clair, hésitante, lui confirma ses doutes :

-Je…Sais pas si ça marche aussi avec toi…Aussi bien qu'avec Samantha.

Il resserra sa prise, et écarlate, tenta de reproduire les mêmes gestes qu'il avait effectués à chaque fois que Samantha avait pleuré auprès de lui.

Il ignorait ce qui lui prenait, à vrai dire, durant une seconde, les mots lui avait semblé si dérisoires, si inutiles pour stopper les pleurs du dresseur au capumain, que son corps avait agi de lui-même.

Ses pensées s'étirèrent une seconde sur son rêve étrange, et la sensation fumeuse d'un baiser passa furtivement sur ses lèvres, le comblant d'un nouvel embarras. Il balbutia, gêné, pour chasser son trouble –vraiment inexplicable-

-Tu ne peux pas dire ça Gold, tu as une sœur et une mère. Tu ne peux pas jeter ta vie aux orties.
-Et toi alors ? Toi aussi tu as une sœur ! Pleura simplement le brun.
-Elle ne me parle plus.
-Et alors ? Tu m'as moi ! Silver…je suis là, et je ne veux pas que tu meurs…

Le roux sentit les poings de Gold tirer sur son col coulé, pour le retenir à ses côtés, et il soupira, une vague d'attendrissement s'écoulant en lui, de même qu'une pointe d'agacement.

-Je n'ai jamais dit que je désirai mourir, tu sais.
-Mais c'est une possibilité ! Yoann aurait put être n'importe lequel d'entre nous ! Tu comprends ça au moins ? Tu comprends seulement qu'un enfant a perdu la vie ? Et toi tu ne ressens rien !

Silver détourna lamentablement la tête, penaud, et il siffla :

-Je n'ai pas dis non plus que je ne ressentais rien, minable. T'écoute vraiment quand je parle ? Ou alors t'as encore le casque du prof vissé sur les oreilles avec des foutus chansons disney ? J'ai dit que c'était la vie. Qu'on y pouvait rien. C'est la vérité, c'est tout, j'ai perdu assez de gens, pour savoir que…Pour comprendre cet état de fait. M'y habituer, même si c'est dur à dire.
-Et si je crevais, si ça avait été moi à sa place, tu aurais réagi de la même façon ?

Au ton sec et froid de Silver, répondit celui teinté de chagrin, de colère sourde de Gold, qui osa se défaire de l'emprise du roux pour plonger ses iris mordorées dans celles argentées de son rival, avec une mine de défi. Tout son être tremblait de peur à l'idée d'un rejet, d'une insulte bien placée, cette phrase lui échappait, acide, empli de son nouveau désir, sa volonté de s'imposer.

Silver contempla pensivement Gold, et ce dernier ferma les yeux, l'attente le faisant frémir de crainte. Puis les mots tombèrent.

-Je n'ai plus que toi.

Gold rouvrit les paupières, et son cœur s'emballa alors que Silver fuyait son regard, embarrassé, écarlate.

-C'est vrai que Samantha est ma sœur…Mais, elle ne veut pas entendre parler de moi…Et j'aime bien Eléanore, ou ta sœur…Je supporte même Chris et Angie, par moment…Mais ce n'est pas pareil…Je veux dire…C'est...Sans…Sans toi je…

Il se pinça les lèvres et s'embrouilla dans ses propres réflexions. Sans lui, il n'aurait jamais pu supporter le combat contre son père, sans Gold, il ne se sentait, tout simplement, plus en sécurité, plus lui-même. Si Gold en venait à mourir, il n'était pas suicidaire, il estimait avoir assez souffert dans sa vie pour en plus, la voir s'achever trop tôt…Il savait qu'il continuerait son existence, à veiller sur Samantha et Eléanore, voire Cristal de loin…Mais l'envie, la volonté n'y serait plus, ses forces lui échapperaient. Peut être parce qu'il s'était redécouvert à ses côtés, peut-être parce qu'il était son unique rival et ami, qui le poussait au-delà de ses limites, l'obligeait à se dépasser sans cesse, grâce auquel il avançait un peu plus chaque heure. Mais il fut incapable de l'avouer à haute voix, et la frustration mêlée à son orgueil le fit lâcher froidement :

-Mais de toute façon, tu n'étais pas à sa place, et tu ne le seras jamais. Ni toi, ni moi. Point.

Gold, secoué, tituba, et il ne reçut cet ordre menaçant que bien tard :

-Maintenant lâche-moi t'as assez pleuré comme ça, minable.

Pourtant, malgré les mots durs, malgré les peurs à venir, l'incertitude, l'indécision, malgré la mort, la vie, ils échangèrent un faible sourire complice.

Ils vivaient, tous les deux, pour le moment, et ça, personne, pas même leurs peines, le fantôme de Yoann, ne pouvait le changer.

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-Alors, c'est ça ? La balade entre mecs, qui a fait fuir tous les prétendants de Sunny jusqu'à présent ? Une simple, balade avec toi ? Y-a pire…Il faudra que je te présente mes cousins, question menaces, ils sont champions, eux…

Yoann regardait de droit à gauche, scrutant le paysage avec naïveté, curiosité, sans animosité ou même crainte. Il se contentait de mettre un pied devant l'autre, et de suivre Blake sans se soucier des conséquences. L'aîné de Shade l'avait pourtant mené bien plus loin que le domaine du Qg, et ils s'engageaient sur les sentiers escarpés du mont Argenté, lieu reconnu pour son danger omniprésent. Il se contenta de ricaner, en jouant avec son yo-yo, tel un maître du Destin devant la toile à tisser.

-Oui, oui, c'est juste ça, mais étrangement, je dois avoir une aura effrayante, et ils ont peur que je leur saute à la gorge comme ça, sans raison, dès qu'on passe dans un coin sombre. C'est bête, parce que, quand je leur ai cassé la gueule, ça a toujours été dans un endroit bien éclairé.

Contrairement aux autres, Yoann rigola simplement, même s'il suait à grosses gouttes, il s'empressa de corriger :

-Oh, ne t'en fais pas pour ça. Je suis médium, l'oublie pas, ton aura est tout à fait normale, contrairement à celle D'Eléanore.
-Etrange, alors ce n'est pas mon charisme monstrueux qui les fait fuir…

Blake fit mine de réfléchir une seconde, puis en croisant les bras, affichant un rictus sadique, il susurra, le plus spontanément du monde :

-Ils doivent tiquer quand ils apprennent que j'ai tué nos parents biologiques.

Aucune réaction, c'était à peine si Yoann avait tourné la tête vers lui, et, il songea silencieusement, avant de rétorquer naïvement :

-Oui, ça doit être ça.

Blake en tombait des nus. Yoann sourit devant l'air pour le moins « abruti » de son interlocuteur et il haussa les épaules, avant d'expliquer :

-Sunny m'a déjà raconté cette histoire.
-Oh la…

Blake siffla, et boudeur, tapa du pied, frustré de voir son effet de surprise annihilé par sa cadette qu'il aimait et surprotégeait tant. Comment avait-elle pu lui faire ça ? Elle lui plantait un poignard dans le cœur, elle savait pourtant que c'était son petit plaisir, de contempler la tête des en amourachés brusquement embarqués dans l'express pour les redescendre de leur petit nuage.

Bon, d'accord, il exagérait légèrement, mais quand même, c'était dégueulasse de lui voler son petit effet !
Il allait devoir sauter cette étape pour casser directement la gueule au petit médium. Mais à peine se fit-il cette réflexion qu'une réalité lui explosa au visage, et il fit volte-face, blême, bafouillant :

-Tu sais pour nos parents, et tu es toujours ami avec Sunny ?
-Avec Sunny et Toi. Confirma Yoann comme une évidence.

Blake tituba, puis s'assit prestement sur une pierre environnante, déstabilisé. Jamais on ne lui avait avoué de but en blanc, être son ami, à vrai dire, on l'avait plutôt toujours traité de monstre insensible, de personne froide et égoïste. Perdu, hagard, il arriva à bredouiller, passant une main rapide dans sa chevelure emmêlée :

-Tu n'as pas peur ? Je veux dire…Tu ne…Nous juge pas ?

Yoann arqua un sourcil, puis prit place au sol, sur un rebord de la falaise, avant de lancer :

-Bah…Je ne pense pas que ce soit à moi de juger cela. Je n'étais pas à votre place, d'abord, je ne peux pas savoir ce que c'était. Ensuite, c'est une histoire passée, ce que je pense ne changera rien. Enfin, je crois que vous serez assez punis à votre mort, dans votre autre vie.
-Tu…Tu crois en Dieu ?
-Hey, je vois des fantômes, tu crois sincèrement que je ne peux pas croire qu'il n'y a pas de vie après la mort ? Je crois même en Arcéus : que Pokémons et Humains se réincarnent.
-Je crois que si Dieu il y a…Il a abandonné sa création pourrie depuis des siècles.

La remarque rauque, étouffée, emplie d'une haine presque palpable, demeura longtemps dans l'atmosphère, l'alourdissant, la rendant écrasante. Sa voix cassante déchira l'air ambiant d'une lame glaciale :

-Tu sais pourquoi je n'ai pas peur des fantômes, moi, contrairement à Sunny ?
-Tu n'as pas peur ? S'étonna simplement le gamin, coupé dans son élan.
-Non. Sunny tient sa phobie du Spectrum de notre mère. Et c'est vrai que notre mère était une femme horrible, une skyzophrène qui maltraitait, frappait et affamait ses gosses sans vergogne.

Yoann fronça les sourcils, et se raidit légèrement, appréciant très peu d'être spectateur d'un tel discours, mais il prolongea son mutisme respectueusement.

-Mais je n'ai pas peur des fantômes…Parce que je sais que ce n'était pas notre mère, la pire du lot. Sunny était trop petite, elle n'a retenu que la violence qu'on lui montrait de front. Elle n'a jamais fait de recherches sur nos parents, sur notre mère…

Blake tiqua et ses doigts s'entrelacèrent douloureusement, dans une position ironique similaire à la prière.

-Mais elle était parfaitement saine d'esprit…Enfin, elle portait les tares génétiques…La skyzophrénie se transmet…Mais elle maîtrisait parfaitement ses crises. Ce n'est qu'en rencontrant notre Père, que son état a du s'aggraver.

Un rictus sarcastique étira ses traits et sa paume recouvrit son visage, comme pour en chasser toute expression, alors qu'il soufflait :

-En fait…La rencontre avec mon père et son frère, notre Oncle, a du être l'élément déclencheur à sa névrose.
-Pourquoi ?

Une question, simple, presque indifférente, juste teintée de curiosité, à cela, Blake répondit dans un grondement furieux :

-Deux fois par mois, nos parents partaient de la maison pour aller rendre visite à notre Oncle. Et quand ils revenaient, Papa avait toujours des jouets pour nous. Ses jouets usagés. Avec des noms d'enfants différents à chaque fois. Je peux encore t'en citer quelques uns « Joséphine, Azure, Anna…Bernard…Roland… »
-Il a pu aller en demander à une organisation faite pour cela, non ?
-Non. Une fois, une seule fois, parce que Maman venait d'accoucher de Sunny, Papa m'a emmené avec lui, pour son habituel « voyage » chez notre Oncle.

Blake ricana nerveusement.

-Au début je n'ai pas du tout compris. On allait d'un bout à l'autre du pays, à Hoenn, et ils me demandaient juste d'aller jouer avec d'autres enfants. Ils me demandaient juste de leur montrer l'intérieur de la voiture. Puis ensuite, ils « l'invitaient » à la maison.

Yoann blanchit brusquement tandis que Blake baissait la tête et se pinçait les lèvres, les yeux plissés, retenant un cri, un hurlement, ses tremblements.

-Le Gamin restait toujours chez notre Oncle, et dès qu'on rentrait, je n'avais plus le droit de l'approcher. Finalement, on est parti, on est rentré à la maison, j'ai vu ma sœur…Les années ont passées.

L'aîné Shade déglutit difficilement.

-Derrière la maison, dans le Jardin, y-avait un four à Pizza…Qu'on utilisait jamais pour la cuisine d'ailleurs…Et même si maman avait osé préparer quelque chose dans ce four, j'aurais interdis Sunny d'en manger…Parce que c'est moi qui le nettoyait…à Chaque fois que Papa décidait de brûler un truc à l'intérieur. Parfois je l'aidais même à placer les « détritus » à l'intérieur. Je te laisse imaginer ce que c'était…Ce dont Papa voulait se débarrasser.

Le jeune médium frissonnait de haut en bas, les yeux écarquillés, avec la chaire de poule et les cheveux hérissés sur la nuque.

-Je pense que c'est ça…Savoir ce que faisait notre père et notre Oncle…Qui a fait perdre la boule à notre mère. Elle lui a donné des enfants, auxquels il ne prêtait ni attention, ni amour, tout comme à elle.

Blake plongea son regard dans celui du médium, qui s'il reprenait des couleurs, n'en restait pas moins blafard et tremblotant.

-Contrairement à Sunny ou toi, je ne suis pas entrée dans cette organisation pour un idéal de paix ou quoi que ce soit. Je crois que ce monde est aussi pourri que le Dieu ignoble qui l'a crée, et il n'y a aucun moyen de le changer. Je veux juste être certain, que ma sœur sera à l'abri, que si jamais je tourne comme ma mère, il y aura des gens pour lui venir en aide, pour m'arrêter avant que je ne lui fasse du mal.
-Tu….Tu ne tourneras pas comme ta mère ! Bafouilla Yoann, de plus en plus mal à l'aise.
-Ca m'étonnerait…J'ai déjà des signes, un enfant normal n'entend pas la poupée de sa sœur lui parler, et lui expliquer exactement comment tuer ses parents, comment faire en sorte de ne pas se faire adopter par son oncle…Il ne décide pas de faire exploser ses parents. Tu ne crois pas ?

Yoann se mordit la lèvre inférieure, et balbutia :

-J'entendais aussi des voix quand j'étais gamin…Et c'était juste des fantômes, tu as peut être une bonne sensibilité ! P…Puis, y-a le garçon dont s'occupe Sunny, là, Daniel, qui a des problèmes de ce genre si j'ai bien compris…Attends son retour, parle-lui, compare avec lui ce que tu ressens…-Tu te goures peut être !
-Je n'ai aucune envie de parler à ce gamin…

Il avait trop peur de découvrir la vérité.

Un silence embarrassé suivit leur dialogue, et de longues minutes s'écoulèrent dans une atmosphère partagée entre la honte et la réflexion.

Pourtant, Yoann finit par le briser, il leva simplement les yeux vers la voûte constellée, du soir naissant, et murmura :

-Je peux comprendre que tu détestes Dieu dans ces conditions, mais…On m'a appris…Qu'Arcéus avait choisi de laisser le libre arbitre aux hommes, la Liberté. Et qu'on ne peut lui en vouloir, pour les guerres, les douleurs que cela engendre.

Blake, obtus, pouffa dédaigneusement :

-Il est beau le libre arbitre, si c'est ça, il aurait mieux fait de nous faire naître en tant que moutons bien dociles, et empêcher tout cela d'arriver.
-C'est impossible, quand bien même nous serions soumis à un Destin commun, nous menant vers un bonheur commun, des gens seraient écrasés par les autres, et il y aurait des personnes « condamnées » à une vie de misère. Quand bien même, ce qui est bon dans nos esprits, ne l'est pas forcément pour les autres, on ne peut pas catégoriser le Bien et le Mal à mon sens. Tu vois, par exemple, si nous étions soumis à un Destin, ton oncle aurait eu besoin de…D'assouvir ses envies, pour son propre bien être. Et toi et Sunny, vous n'auriez peut être pas pu vous libérer de vos parents, peut être que votre Destin aurait été de subir à jamais, pour…qu'à votre âge adulte, vous les dénonciez légalement…

Blake se tût, le regard dans le vague, puis dans un ricanement exaspéré, il lâcha :

-Le monde est vraiment pourri…peu importe les points de vue.
-Je dirais qu'il est juste…Normal, on ne pourra jamais établir totalement le bien sur la planète, ni totalement le mal. Il reste, mitigé entre les deux. Il n'y a pas de situation qui vaut mieux qu'une autre…L'importance c'est que la majorité des gens soient heureux et en sécurité. Même, si c'est affreux de se dire que ça se fait aux dépens de certains.
-Tu te mets à parler comme Sunny, attention.

Yoann rigola faiblement, et à sa plus grande surprise, Blake ébouriffa ses cheveux vivement dans un geste fraternel, alors qu'il soufflait :

-C'est bon, j'me rends…Rien te fait peur, et ça servira à rien de te casser la figure avec ta mentalité à deux balles. Tu passes. Tu peux être ami avec ma sœur.

Le petit médium dévisagea avec incompréhension son camarade, puis sa frimousse s'illumina de félicité alors qu'il ajoutait dans un rire :

-Et le tien aussi, Blake, le tien aussi !

A cette réponse, l'aîné des Shade eut un rictus mystérieux, ému, préférant conserver un silence plutôt que de répliquer les mauvais mots.

Aussi étrange que cela puisse paraître, Yoann croyait en dieu. Blake et Sunny, eux, l'exécraient. Yoann ne pouvait expliquer pourquoi, mais il aimait croire qu'une personne bienveillante les protégeait, et que toutes les épreuves qu'ils rencontraient, il les envoyait pour son bien.
Et même si parfois les évènements qui s'enchaînaient contredisaient totalement cette théorie, sa foi ne s'ébranlait pas.
Le jour de sa mort, Sunny et Blake levaient les yeux au ciel, la pluie tombante agrandissait encore plus l'écart entre eux et les cieux. Plus que jamais, ils se sentirent seuls et abandonnés sur cette Terre. Si Dieu existait bel et bien, alors ils ne désiraient même pas le rencontrer. Sa Bonté équivalait bien trop amèrement la Cruauté du Diable.
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Shagi grimaça en se redressant, avec une mine lourde, il posa une main effarée sur son abdomen d'où s'était extirpé le motisma d'Harry, celui-là même qui avait failli le tuer. Son poing se crispa sur ce qui restait de sa tunique irisienne et il refoula une convulsion douloureuse.

Son corps souffrait certes, mais en comparaison de son esprit, il n'en était rien.

Autour de lui, le monde semblait gris et morose, terne et morne. Non…Mort. Le corps de Yoann avait été enlevé, le sang lavé des mains, mais son esprit errait toujours les lieux, comme les fantômes qu'il gardait.

Makanie, assise sur un rebord du lit, dormait de nouveau, avec un Aaron, une mine soucieuse, peinte communément sur leurs traits. Le garçon sursauta de nouveau, en proie à un spasme, et il ferma les yeux sans pour autant éviter les réminiscences de s'imprégner sur sa rétine.

Une main s'agrippait à Eléa et elle fixa l'irisien avec incompréhension, ne pouvant camoufler un sourire soulagé : la prise qu'il exerçait sur elle dénonçait une volonté, une force, une vitalité nécessaire s'il désirait survivre.

« C-C… »

Le souffle rauque, secoué par les spasmes faisait frémir Makanie –tout juste réveillée- qui émit un sanglot et se plaqua contre Aaron. Le visage de Peter se décomposait lentement alors que Marc et Pierre se prenaient la main, cherchant du soutien l'un en l'autre.

« Il ne faut pas qu'il parle ! »

Le cri courroucé, alliée à la fatigue d'Eléa de ces derniers jours reprenant du terrain, alors qu'elle bataillait pour conserver ce gamin en vie, tout cela le heurtait avec la violence déferlante des vagues aux larges de son île. Cependant Eléa secouait la tête au dessus de lui et elle pressait les doigts que lui tendait Shagi avec compassion, une boule mélancolique le prenant à la gorge. Il devait parler, c'était peut être ses derniers mots, le dernier souvenir qu'il souhaitait leur laisser, ces précieuses minutes étaient inestimables.

« Pas…Harry…. »

Sa bouche se tordait alors que sa langue manquait d'obstruer, de tuer son ultime phrase.

« Ce…n'est…pas…Harry ! Non… »

La phrase sonnait encore comme une supplique dans son esprit.

Son aveu, comme rejeté dans un souffle ardu, un cri de douleur, s'atténua lentement. Les yeux de l'irisien se voilèrent d'un masque violacé, opaque, et sa tête roula sur le côté alors qu'un sourire satisfait échouait sur ses lèvres. Comme une vague, qui avance et recule, n'abandonnant derrière qu'une mince écume moussante et chatoyante, le brun se retira, les narguant de son avance sur eux, de sa sérénité face à l'horizon infini et inconnu.

Son regard coula alors lentement sur Yoann, tandis qu'Eléanore à ses côtés murmurait qu'il était sortit d'affaire, et il capta le sourire illusoire, rassuré de ce gamin insipide, avant qu'il ne s'effondre au sol.

Shagi se rétracta sur son lit, et se figea, la douleur perforant son cœur bien plus infâme que celle de ses souvenirs. Son visage se contracta, et d'un geste rageur, il s'arracha à ses couvertures, ouvrit la fenêtre de sa chambre et sauta.

Ses jambes faibles ployèrent sous sa propre charge et il ricocha, tombant dans une flaque, la pluie le trempant jusqu'aux os. Le cœur sec, les rues mouillées, la respiration saccadée et les yeux écarquillés, il flancha une seconde, se rattrapa, puis s'ébranla avant de s'enfuir à toutes jambes.

Une pluie diluvienne noyait la vallée, depuis les premières lueurs pâles de l'aurore, ne conférant qu'une faible teinte illusoire aux rayons solaires, une faible bruine camouflait l'horizon comme un paradis lointain. La brume engloutissait les pas des passants qui se dépêchaient de fuir s'abriter dans ces rues désertée par la vie.

Ses pas le menèrent inévitablement vers la place principale, inondée par l'averse. ET Shagi sut, il sut avant même de discerner la silhouette effondrée de Peter au dessus de la tâche écarlate, avant de croiser le voir enlacé par une Marion, grave, avant de croiser le regard de Marc, avant de voir Steven toussant fortement et se retirer en sortant des médicaments de sa poche.

Il ne prenait jamais ses soins contre le diabète devant qui que soit, pas même devant Marc, c'était Harry qui le lui avait dit.

La frimousse de Yoann se dressa devant lui, son expression, son sourire rassuré, par même moqueur. C'était quoi ça ? Un au revoir ? Un « j'ai gagné » ? Une dernière moquerie, sûr de ne pas être rembarré cette fois ?

Shagi sentit ses certitudes s'ébranler. Les souvenirs de Yoann, naïf pigeon qu'il avait arnaqué, puis de son ami d'enfance Harry, tout timide et effacé devant les autres. A ces visions s'opposaient le rictus d'un type n'ayant pas hésité à torturer son frère, à porter un coup fatal à son camarade, qui avait orchestré un assassinat d'un enfant, et le dernier sourire serein d'un mourant.

Quand est-ce que ça avait dérapé ? Depuis quand avaient-ils changé à ce point, sans lui ?

Le monde se brouilla, et sans même s'en rendre tout à fait compte, Shagi fit volte-face pour reprendre sa course, le cœur battant.

Il ignorait même jusqu'où il allait, pourquoi, mais quand il s'arrêta, à bout de souffle, la poitrine en feu, il sut. Il sut qu'il avait atteint son but. D'un geste las, il dépêtra son téléphone portable, bien malmené dans sa poche, et il appuya sur quelques touches.

L'écran s'anima, malgré son mauvais état.

-Allô ?

Le timbre si familier et rassurant d'Arisa retentit à l'autre bout du combiné.

Sa gorge se noua, il ravala sa bile et le regard dans le vague, scrutant le crépuscule, il fut incapable de savoir comment il en était arrivé à l'appeler, elle. Il ignorait même ce qu'il désirait vraiment lui annoncer.

-Shagi ? je sais que c'est toi, c'est ton numéro…Tu es là ? Ca a pas intérêt à être une farce ! Grogna la dresseuse, perdue dans les méandres du lointain, à une distance plus douloureuse qu'il ne le concevait, qu'il refusait d'admettre.

Hors de sa portée.

La horde de Dragon de la jeune femme rugirent fièrement, comme pour menacer l'irisien, et celui-ci sentit ses forces céder.

-Coucou Arisa…Balbutia le garçon d'un ton faible.

La cadette de Peter se tût, un long, long silence, d'une patience que personne n'aurait espéré d'elle. Et Shagi en profita, recouvrant ses facultés railleuses, son seul bouclier face à la vie, il lança en claironnant :

-Bon, je sais que tu vas me trucider…Mais je suis à Twilight, tu sais l'organisation de Peter. J'aide Makanie à le ramener sur terre quand il nous la joue idéaliste pacifiste et écologiste maintenant –c'est nouveau !-

Il n'obtint aucune réponse, et il ne s'en soucia guère, continuant sur un air léger, le cœur battant la chamade, un sourire factice sur sa frimousse, si souvent exercée à mentir, à feindre, qu'une moue de circonstance, indéfinissable cachait ses traits et ses véritables pensées.

D'ailleurs, l'irisien lui-même n'était pas certain de les définir pleinement, ses songes et son attitude, en cet instant, il agissait par automatisme, par un réflexe de défense. Parce qu'il en avait besoin, parce qu'avec elle, il le pouvait.

-Et à twilight, j'ai rencontré un garçon étrange…Je te fais le résumé vite fait : têtu comme un tauros, aussi insipide et timide qu'une carpette de magicarpe, avec des idées pleins le crâne, trop grandes pour lui…

Il baissa les yeux et bafouilla :

-Courageux comme pas deux…Rudement malin même…Tu vas pas le croire, en plus, il était sensible et sociable…Le seul truc qui clochait vraiment avec lui, il avait des principes…Il croyait en des choses…Il y croyait tellement fort que…Que…Ca l'aveuglait…

A nouveau, la frimousse de Yoann, son regard, rivé sur lui alors qu'il se reprenait conscience, et qu'au contraire, le médium plongeait dans les méandres du néant.

Il hoqueta, et transforma son irrépressible envie de vomir en un rire étranglé, sec. Son interlocutrice resta inerte.

L'image d'Harry, de son regard fourbe et fou après qu'il ait électrocuté froidement son meilleur ami, se superposa à celui de Yoann, souriant, rassuré, lorsqu'Eléa avait murmuré aux autres que lui, Shagi, était hors de danger. Le contraste le frappa, la frimousse d'Harry si différente de ses souvenirs d'enfances. C'était l'expression de Yoann qu'il avait toujours vu sur son visage, pas le nouveau. Et c'était Yoann qui était mort, pas Harry. C'était Yoann qui avait été rassuré pour lui, et Harry qui les avait poignardés.

-Non ! Ne te fais pas de faux espoirs…ce n'était pas Harry...Je…Je n'ai toujours pas revu le Harry que nous connaissons…Mais…Le gamin dont je te parle lui ressemblait vachement…Il s'appelait Yoann.

Ses doigts se crispèrent sur la coque de son téléphone et ses muscles se raidirent, comme si, en retenant son engin dans sa paume, il pouvait faire de même avec le souvenir du jeune médium, sa vie. Pourquoi utilisait-il de l'imparfait ? Comment avait-il réussi à employer ce foutu temps qui appartenait au passé ?
Un rictus étira ses traits jusqu'à ce que ses pommettes lui demandent grâce.

-Mais…En fait…Il ne lui ressemble pas tant que ça…Parce que…Lui…Il ne blâmait personne. Je sais pas comment il faisait…C'était comme si tous les malheurs du monde ne provenaient que du hasard ou de lui…Il disait qu'on pouvait toujours être heureux peu importe les circonstances, si on savait voir où il fallait…C'était un gros naïf…Un super, gros, gros naïf !

Il acheva sa phrase dans un cri vibrant, et plaqua sa main sur sa bouche comme pour se retenir d'exploser, se mordit la lèvre inférieure avec véhémence, reproche, puis bredouilla :

-Harry…n'a jamais été capable de reconnaître ses erreurs ou celles de ses Pokémons…Je crois que Yoann avait une conscience…Extrêmement poussée de ses limites…
-Dans ce cas, il n'était pas naïf.

La jeune femme ouvrait pour la première fois la bouche de la conversation à sens unique, et ce simple impact chamboula l'irisien, qui vit son pamphlet, toute cohérence, restes de hiérarchie dans sa pensée, d'effondrer.

Il ouvrit la bouche, comme pour rétorquer une phrase cynique, sa mâchoire trembla, tressaillit, puis ses lèvres se refermèrent pour se pincer jusqu'au sang en proie à une pression accrue par la peine.

-Tu as raison…Concéda-t-il dans un murmure presque inaudible d'abord.

Dans un geste brusque, il plaqua sa paume sur son front, comme pour se ramener à la réalité, se réveiller, mais rien n'y fit.

-C'est moi le naïf.

Les mots tombèrent cinglants, acérés, comme la réalité qui avait transpercé le rêveur Yoann pour le clouer à terre, définitivement. Un ange aux ailes invisibles, trop faibles pour supporter son envol, et à l'auréole sanglante.

-Entre nous deux…C'est moi le plus naïf…Je l'ai toujours traité comme un moins que rien et lui…Et lui il a été un vrai héros…Et Il est…Il est…il est… et…Et moi je refuse de voir son assassin comme un ennemi…Et Je…Je crois toujours que…

Son timbre craquela. Une toute petite voix lui parvint à ses oreilles, douces et compatissantes comme les caresses d'une mère, ou tout du moins, ce qu'il imaginait en être :

-Shagi…Tu pleurs ?

L'irisien tressaillit, et sa main se porta sur ses joues humides, sur ses yeux embués de pleurs, une grimace, railleuse lui échappa, et son souffle saccadé par la souffrance, harassé, se calma, alors que l'évidence le frappait de plein fouet.

Lentement il ferma les paupières et souffla honteusement :

-Tu es bien la seule…A qui je montrerai mes larmes si c'était le cas…

La femme à l'autre bout du fil s'arrêta de respirer une seconde, puis, doucement, elle souffla, la voix enrouée à son tour :

-Moi aussi Shagi.

Alors, comme un pacte muet, silencieux, Arisa laissa l'Irisien tout à sa peine, sans agir, sans prononcer un mot de plus. Mais même à des milliers de kilomètres l'un de l'autre, leurs cœurs résonnaient de la même perte.

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Le chao, tout autour d'elle, une main qui l'étranglait, le froid qui laissait place à une chaleur suffocante, insoutenable, la respiration qui se bloque, le corps qui se tord, qui se cabre à la recherche d'un soutien, et un rejet, une ombre qui pousse dans le vide et le choc, dur et âpre de la réalité.

Sunny sursauta, se redressa sur le lit, les pupilles dilatées, le souffle irrégulier, un frisson secouant ses membres et la sueur imbibant son dos.

Le monde lui apparut vague, aux contours irréguliers d'abord, pas un son, pas un bruit. Ce fut une image floue, perçant les ténèbres insondables qui l'entouraient, puis peu à peu, le brouillard noir se dissipa. La pièce était grise, sombre et opaque, et pourtant elle fut si lumineuse, si colorée d'un coup, que Sunny ferma les yeux, et ne les rouvrit plus. Les battements de son cœur indomptables, battaient à ses tempes dans un rythme effréné.

Les secondes s'égrainèrent lentement, presque paisiblement, et alors que la pluie qui coulait, battait la vitre à l'extérieur, elle l'apaisa. Sunny recouvra une pensée cohérente. Un constat éreintant se fraya un chemin jusqu'à son esprit embrumé.

Sunny papillonna des paupières, et il lui sembla entrevoir la silhouette minuscule de Yoann, là debout dans la chambre, à lui adresser son habituel sourire bienveillant, le même qu'il lui servait quand elle s'énervait, quand elle ne parvenait pas à diriger correctement son bras gauche et encaissait un des échecs si nombreux sur la voie de la guérison.

Elle tendit la main, en avant, et sa paume se ferma sur de l'air alors que le spectre s'effaçait dans un vent invisible.

La bile attrapa Sunny à la gorge, et elle s'extirpa du lit dans lequel on l'avait déposée, dans son état semi comateux. L'épuisement l'écrasa toute entière. Et elle remarqua un fait étrange :

Constamment, malgré les atrocités du monde, malgré toutes les méchancetés qu'elle pouvait lui balancer sous le coup de la mauvaise humeur, Yoann souriait. L'enfant qu'elle connaissait, dépassait lentement la première image frêle et minuscule d'un gamin à peine sorti des couches, sa première pensée le concernant, et s'ouvrait à cet adulte mince comme un clou, rachitique, à la glotte pendante, au visage carré mais avenant. Elle y avait vu de l'amour dans son regard commun, une bonté insoupçonnée qui lui conférait un éclat profond et magnifique. Elle y avait discerné plus qu'elle n'en avait jamais décelé dans celui de sa mère. Elle avait passé sa main dans sa tignasse bouclée absolument anarchique, en sentir la texture, la douceur qui imprégnait tout son être. Pour une fois dans son existence, elle avait désiré avoir ces gestes tendres envers une personne autre que son frère, elle avait savouré ce contact avec un étranger.

Sunny avait aimé cet homme en devenir, malgré sa taille, malgré son âge. Puisque c'était le premier : plus que sa mère, plus que son père, plus que ses parents adoptifs, que son frère, que ses Pokémons, plus que tout autre être. C'était lui, qui lui avait dicté ses premières leçons de vies, paradoxalement. Il refusait de la laisser se complaire dans sa souffrance et lui soufflait d'une voix tendre de se redresser, de continuer à marcher. Il lui avait enseigné cette règle en société si indispensable qui lui manquait : « dire sans cesse bonjour pour ne pas paraitre hautain ». La politesse. Il lui avait appris à ne pas faire endurer aux autres ce qu'elle refusait de subir, à vaincre sa phobie. Et toujours avec le sourire, le même sourire, la même patience.

Mais Yoann ne sourirait plus jamais.

Il était mort. L'organisation, en doucereuse veuve noire, avait su piéger cet ange bienveillant entre ses griffes, elle avait put le sucer son sang jusqu'à la moelle, et jeter sur le sentier sa coquille vide.

Elle, qu'est-ce qu'elle lui avait dit, toutes ces heures passées ensembles ? Elle ne se souvenait que d'un mot. Un reproche récurent « Tu es naïf ».

Lasse, comme un fantôme, Sunny se redressa et se mit debout.

Elle frissonna alors qu'elle entamait un pas pour sortir de la chambre et se diriger vers le salon, sans raison, juste pour bouger, pour penser à autre chose, se concentrer sur ses mouvements. Elle n'y parvint pas.

La mort ne lui avait jamais paru, si hideuse qu'on la dépeignait, elle lui avait enlevé les bourreaux de son enfance, après tout. Il n'y avait aucune raison pour qu'elle la voie autrement. Yoann était parti.

Soit, elle en avait vu d'autres. Après tout, elle avait éjecté des dizaines de gens de sa vie, des voisins, ses anciens petits amis, cela ne lui avait jamais fait de nœuds.

Sunny se tût, silencieuse, immobile au milieu du couloir, elle ne pouvait s'empêcher de faire des liens. Des liens humains avec tous ses sentiments, des sentiments que tous rencontre un jour dans son existence. Finalement, Les combats Pokémons, les plus sanglants, n'étaient rien comparés à celui du quotidien, une lutte acharnée pour la survie, une bataille dont on ne sort jamais tout à fait indemne. Et dont parfois, on ne se relève pas du tout.

Sunny secoua brutalement de la tête et ferma les yeux, accéléra pour débouler dans le salon. Elle fut surprise de les voir tous ainsi agglutinés, même Blake, avec la ceinture de Pokémon de Yoann sur les genoux, se tenait là, pâle, comme une pierre tombale.

Ses pensées allèrent s'échouer dans l'écume de la mer de tristesse des iris de son aîné.

Elle, elle ne voulait pas le savoir dans ainsi, malheureux. Tout son être lui criait combien ce qu'elle allait dire était abjecte, absolument inhumain envers Yoann, qu'elle allait se poignarder elle-même, mais elle se força à imiter un sourire et les souvenirs vagues des derniers mots de son petit ami recouvrait les hurlements de sa conscience.

-Toujours là-dessus ? Vous en tirez des têtes de six pieds de longs, c'est pas grand-chose, on savait tous que ça pouvait arriver, pas de quoi en faire un plat !

Son gosier se contracta immédiatement. Les regards des spectateurs s'étrécirent, puis s'encombrèrent davantage de tristesse, emprunt d'un voile de pitié.

Sunny ne s'en soucia pas, elle se fichait bien de ce que l'on pouvait songer d'elle, elle ne rendait des comptes qu'à elle-même. Lentement elle se tourna vers Blake, et elle balança d'un timbre éteint :

-Bon, alors qu'est-ce qu'il y a ?

Son aîné baissa la tête, caressa la coque des pokéballs, puis murmura :

-Fantominus a disparu, en même temps qu'il a lancé le dévorêve sur Yoann…Avant qu'il…Avant qu'il ne meure.

Sunny tiqua imperceptiblement, et effleura le fantôme de son membre alors que la vision de Yoann, le dernier regard qu'il lui avait adressé remontait à la surface malgré ses efforts pour la refouler, au fond de son être. Mais pourquoi continuaient-ils de parler de lui ? Ne comprenaient-ils pas c'était fini ? Qu'ils pouvaient dire tout ce qu'ils voulaient, il ne reviendrait pas. Cela les amusait de l'évoquer ou quoi ?

-Sunny…je vais aller rendre les Pokémons de Yoann à sa famille, en même temps que Marion, le ramènera…

Mais bon sang, il était vraiment idiot. Tout son être s'époumonait et pourtant pas un mot de franchissait ses lèvres pincées, crispées dans une grimace.

Tais-toi.

Elle rêvait, elle faisait un immense rêve, un gigantesque cauchemar. Et tout le monde sait, que le plus dur, dans un cauchemar, c'est de se réveiller.

Blake passa une main sur l'épaule de Sunny, puis dans ses cheveux, avec une mine désolée, et elle se raidit au contact glacial de ses mains, alors qu'il murmurait :

-Yoann…T'a demandé de prendre soin de Feurisson…Non ?

La voix de son frère s'étriqua et il lui glissa la sphère rouge et argenté abritant le starter de Yoann dans la paume. Sunny recula, et observa le précieux bien sans la voir réellement.

Le plus dur dans un cauchemar c'est de se réveiller.

Mais…là, le cauchemar, se révélait être la réalité.

Et le rêve, le rêve fugace, il s'incarnait en la personne éphémère de Yoann.

Le plus dur dans un rêve, c'est de l'abandonner.

Sunny se retrouva seule, resta seule dans le bosquet de ses songes, puis doucement elle se leva, et caressa la pokéball où reposait un vestige d'une époque révolue. Où Yoann la serrait dans ses bras, où il guidait sa main vers le fantominus qui la terrifiait, l'accompagnait dans la réalité. Cette fois, elle était seule. Elle lui avait toujours dit qu'il était stupide, naïf, qu'elle n'avait besoin de personne. Elle ne lui avait même pas dit réellement je t'aime. Juste un « moi aussi ». Il lui souriait toujours en retour, est-ce qu'il savait ? Imaginait-il les non-dits, tout ce qu'elle n'osait pas avouer, lisait-il en elle, lui pardonnait-il son incapacité à lui dire ce qu'elle ressentait, à tous ces instants ?

Elle eut un rictus difficile et sa mâchoire se crispa alors que le souvenir de Yoann, et son éternel sourire la narguait vertement. Alors qu'il crevait comme un chien sous la pluie, il n'avait pu s'en départir également, à croire qu'il était né avec le visage déformé !

-Tu es content Yoann ? …Tu es content j'espère… Bredouilla-t-elle.

Puis, tout implosa. Elle sentit une barrière se briser au fond d'elle.



Dans un geste rageur elle passa la main tenant fermement la pokéball dans son poing, sur le comptoir, renversant tous les récipients, tout objet traînant par inadvertance. Ils se brisèrent sous le choc, les morceaux de verres et porcelaine reflétèrent encore les couleurs amères de leurs souvenirs communs, dans ces lieux, dans sa mémoire, dans un ricanement vaniteux, amusé, moqueur. Ils étincelaient de mille feux, réfléchissant les tendres moments qu'ils avaient passé à deux, à se reconstruire, à se chercher, puis à se trouver. Toute cette vie, cet être, qu'elle avait chéri plus que sa propre personne ! Et lui, qu'avait-il fait ? Qu'avait-il fait ! Il était parti avec un foutu sourire ! Comme si de rien n'était ! Comme si ça n'avait pas d'importance, comme si sa mort ne comptait aucunement dans la balance !

Elle eut un sanglot, de grosses larmes lui échappèrent. Blake recula alors que les enfants présents baissaient la tête comme honteux d'assister à cette scène, de comparer leur propre douleur à celle de cette fille qui la laissait déborder, la consumer. Qui rugissait dans un souffle

-Comment as-tu pu me laisser toute seule ! M'abandonner ! Cela te fait rire ? Cela vous te fait rire peut être ?

Et bien elle non, malgré le ricanement nerveux qui entrecoupait ses sanglots, ça ne le faisait pas rire. Pas rire du tout, parce qu'elle tenait à lui.

Sunny vacilla, recroquevilla sur elle-même et souffla dans un sanglot :

-Egoïste ! Gros Naïf Egoïste ! Tu es bien le seul à en rire !

Elle leva les yeux au plafond, les spectres de ses souvenirs la frappèrent de plein fouet. Plus jamais, elle ne le verrait comme ça, en train de descendre l'escalier pour lui proposer un match. Plus jamais elle ne vivrait ce genre d'instant, à cajoler leurs Pokémons, à livrer de grands débats enflammés.

Pourquoi alors qu'elle, elle s'était réveillée, lui non ? Pourquoi lui, non ! Pourquoi lui avait-elle survécue ! Elle, la fille qui avait tué ses parents, qui avait un bras en moins ! Il ne reviendrait pas, tout chamboulé, et ne lui sortirait pas dans un rire malhabile « Désolé, mauvaise blague ! ». Elle ne l'appellerait plus jamais pour sortir marcher un peu. Elle ne prononcerait même plus jamais son nom.

-Tu es parti…Tu es parti à jamais…Se rendit-elle compte, hagarde.


Oui. Dorénavant, ils côtoyaient une dimension d'où elle ne pourrait plus les ramener, aussi fort qu'était sa volonté. Tout comme elle ne parvenait pas à faire cesser les larmes. Une dimension où son sourire lui était inaccessible, une dimension loin de tout.

Blake s'approcha de sa sœur, calmée, et il la dévisagea longuement, le rictus de Sunny s'agrandit, alors qu'elle balbutiait :

-Il est parti, hein ? Il est vraiment parti ?

Blake hocha gravement du chef et il ferma les yeux alors de deux perles translucides se faufilaient entre ses cils. Et Sunny sursauta, alors qu'un nouveau hoquet englua son souffle.

-Quel intérêt…

Blake l'attira contre elle et l'enlaça doucement devant les regards pudiques de leurs compagnons. Sunny poussa un gémissement plaintif alors qu'elle bafouillait :

-Quel intérêt de construire un nouveau monde s'il ne peut pas le voir ?

Son poing s'abattit sur le torse de son frère, comme une longue complainte, un hurlement silencieux.

-Quel intérêt de construire un monde en paix s'il n'y est pas ? Blake Répond moi ! A quoi ça sert ?

A quoi cela servait-il, si elle ne pouvait pas l'admirer à ses côtés, si elle ne se réveillait pas avec lui, s'il ne lui souriait plus ? S'il ne restait plus là, simplement avec elle !

-Ne meurt pas ! Ne meurt pas ! Ne meurt pas !

Un hurlement déchira l'atmosphère lourde de la salle, et Sunny tomba à genoux.

Lentement, Blake s'agenouilla à ses côtés, et répondit simplement à son étreinte, ne cherchant plus à refouler lui-même ses sanglots, ne sachant pas si elle s'adressait à lui, de peur de le perdre lui aussi, ou bien à Yoann.


Sunny hoqueta, ouvrit les yeux, et à nouveau, il lui sembla percevoir la silhouette vague de Yoann, debout, dans le salon. Doucement, le songe s'approcha d'elle et se pencha à son niveau, son éternel sourire.


-Ne meurt pas…


Yoann fronça les sourcils, malheureux, et ses lèvres effleurèrent les siennes sans qu'elle puisse réellement y gouter.


-Ne meurt pas…


« Désolé »


-Ne meurt pas…


Il ne souriait plus.


-Ne meurt pas…


Sunny retrouva difficilement sa respiration, alors que l'illusion se retira.


Yoann était devenu le rêve, et sa vie un cauchemar.


Et le réveil avait le gout âpre de la mort.

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Eléanore resta stoïque, Régis lui caressait les cheveux, d'un geste mécanique, lui murmurant, la suppliant de ne pas finir comme ça, et elle n'arrivait pas à lui répondre. Elle avait envie de hurler, de lui crier qu'il avait beau le demander, elle n'y pouvait rien, que c'était au dessus de ses forces, de ses moyens, et qu'un jour, il devrait bien lui survivre.

Elle ressentait le besoin de s'époumoner, de cracher sa haine, sa colère contre le ciel, sans y parvenir, sans réussir à inspirer assez de souffle en elle pour exploser. . Là dans le salon tout comme Sunny venait de le faire. Ils avaient tant de fois frôlé la mort, elle plus que les autres, que le goût de l'invincibilité, l'illusion de super puissance chimérique, s'était installée en elle. Tout ça pour l'abandonner, délaissée, au plus mauvais instant. Pourquoi spécialement juste au détriment de Yoann ?

Son regard coula sur ses mains, paumes ouvertes, et elle se crispa.

Elle sentait encore le pouls erratique vibrer dans sa poitrine alors que plus rien ne soulevait celle de Yoann, sous elle, auréolé d'une aura blafarde, s'amenuisant de seconde en seconde. Elle percevait les instructions de Miyu, les « Arrête ça suffit Eléa, tu es au bout du rouleau, tu vas finir dans le même état que lui ! ». Et sa volonté, sa détermination, son obstination vaine qui se heurtait à la résignation abjecte du jeune médium.

Etait-elle aussi insupportable, aussi intransigeante, elle aussi, quand tout ce qu'on désirait, était simplement l'aider ?

Daniel vint s'asseoir auprès d'elle, pâle, mal en point, et il lui passa une main dans le dos, le frottant légèrement pour la soutenir. Mais ni elle, ni lui, ne désirait vraiment de soutien en cette seconde, juste être seuls. Ils le savaient.

Eléanore s'affaissa légèrement, et Miyu au dessus d'elle soupira, désolé, alors qu'il répétait exactement ce qu'il lui avait lancé devant Yoann qui agonisait, sans que les soins qu'elle lui préparait ne soient efficaces.

« Sa blessure était trop grave Eléa, il aurait du en mourir dans les secondes qui ont suivi l'impact, si Noadkoko n'avait pas lancé un Rune protect, il ne se serait pas relevé après l'impact. »

Noadkoko, pendant toute la longueur des soins, l'attente interminable où Yoann avait parlé sans se soucier de ses injonctions, de son ordre de se battre, ses derniers vœux à chaque membre du groupe, elle avait senti la détresse, le refus face à la fatalité du Pokémon. Et elle le comprenait. Ce gout d'impuissance, cette impression qu'une main invisible le tirait inexorablement loin d'eux sans qu'ils ne puissent ni le voir, ni même lutter.

« Eléa, tu n'aurais rien pu faire, la Rune protect qui le maintenait en vie, empêchait également à son corps de subir tout changement, y compris des soins, et dès que le Pokémon a cédé à la fatigue, Yoann n'a pas résisté. Tu n'avais pas le temps de soigner ça. Il avait trois organes littéralement foutues ! »

Tais-toi.

Son timbre, rayé, rauque, son murmure inaudible pour tout autre, lui arracha une grimace. Et Daniel l'enlaça un peu plus fort, comme sentant son mal être. Miyu recula, obéissant, ne comprenant que vaguement l'horreur, la douleur de sa porteuse.

Eléanore releva la tête, et le chant d'Eléanora la fit frissonner, au loin. Et Elle contempla de nouveau la frimousse de Yoann, alors que la Rune protect s'effaçait, qu'il sentait la vie s'écouler loin de lui, emportée, happée par l'averse glaciale, que son fantominus stagnait, planait au dessus de lui, n'attendant qu'un ordre de sa part, comme la faucheuse. Le jeune médium avait lentement tourné la tête dans sa direction, et il lui avait soufflé timidement :

« Tu entends cette chanson, toi aussi ? »

Elle avait hoché la tête, trop surprise, trop hagarde pour saisir, trop épuisée, dans un état trop pitoyable pour lui refuser la vérité alors qu'elle se mentait à elle-même, qu'elle se répétait qu'il allait vivre pour s'obliger à lutter. L'ombre de sourire avait flotter sur les lèvres de Yoann, comme à l'habitude, et il avait murmuré doucement :

« Elle est magnifique…J'aime beaucoup cette Musique, elle donne…C'est un comble, qu'une mélodie aussi belle, marque la fin d'une vie…Non ? »

Elle avait ricané, et il avait siffloté vaguement les paroles qui lui venaient, qui s'échouaient à son timbre, et elle avait suivi le tempo, docilement, désespérément. Encore quelques minutes, encore quelques mots, puis l'aura s'était retirée, et Yoann avait fermé les yeux. Définitivement. Mais elle n'avait pas pu ôter ses mains de sa plaie béante, oublier le sang poisseux, ni même les douces effluves de la mélodie.

C'était, ironique…Oui…

Le chant d'Eléanora débordait de l'envie de vivre.

Eléa se recroquevilla et, d'un timbre déchiré, les souvenirs de Yoann remontant à la surface, le seul garçon qu'elle n'avait pu sauver, elle balbutia :

-Dis, Daniel…Qu'est-ce que je peux faire…Pour leur rendre le sourire ? Qu'est-ce que je peux faire pour qu'ils arrêtent de se lamenter, cette fois ?

Pas de fête, pas de soirée chant, tout cela lui paraissait trop risible, affreux pour remonter le moral des troupes, pour cesser cette complainte commune sur l'autel de la souffrance. Pourtant, elle savait, elle savait que Yoann n'aurait jamais voulu qu'on l'honore une dernière fois de cette façon, il aurait souhaité, que comme lui, ils conservent le sourire, jusqu'à la toute fin, la foi.

Daniel observa sa petite amie passivement, son visage se crispa une seconde sous la peine, et il lui susurra :

-Commence déjà par arrêter de pleurer et par sourire toi aussi.

Eléa poussa un gémissement cassé et elle serra la main de Daniel dans la sienne, silencieusement. Des grosses larmes roulant sur ses joues, et pour une fois, l'idée même de montrer sa faiblesse à ses amis lui apparut comme totalement dérisoire.

Aussi dérisoire que sa peine face à la fatalité inexorable. Aussi dérisoire que sa volonté de préserver Yoann contre la mort. Son monde avait beau semblé exploser, il n'en demeurait pas moins intact, tout comme son cœur, loin d'être brisé malgré la métaphore, battait fortement, la maintenant cruellement en vie.

Yoann n'était qu'un enfant parmi tant d'autre, une âme dans l'univers infini, un pion pour Twilight.

Ce soldat, qui n'était destiné qu'à être un sacrifice sur la voie de l'ambition de l'organisation, était en fait l'instigateur même de sa perte, indirectement. De la compassion de cet enfant si attachant, de ses principes, des graines de sa moralité, de sa droiture germa un plant pourri, déferlant un poison infecte.
Embrouillant l'esprit de ses proches endeuillés, couvrant d'une chape de brume la limite si tenue du bien et du mal. Ce principe pour lequel il avait sacrifié sa vie, ce simple dernier vœu de paix se distordit peu à peu, jusqu'à n'être plus qu'un souvenir éteint, oublié.

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Une berceuse, non, c'était autre chose, un thème beaucoup plus lent, mélancolique. Un requiem. Oui, c'était cela un immense requiem, aussi paisible qu'une goutte d'eau effleurant divinement l'air pour se confondre dans l'onde, mais aussi tragique que le liquide de vie pourpre s'écoulant et se noyant dans son semblable limpide. Oui, Yoann, sur son lit de mort, se remémora son premier, et véritable souvenir conscient, celui qui éveillait tout son être, c'était ce son, cette émotion prenant le cœur, montant et obstruant la gorge. Puis cet immense ciel azuré, ce bleu profond parsemé d'étoiles étincelantes. Il ne savait pas bien pourquoi, mais cette vision l'avait enchantée, éveillée.

Au rythme de la mélopée, son esprit avait lentement cessé d'être embrumé. Le froid mordant de la nuit qui effrayait tant d'enfants de son âge lui parurent rassurant pendant une brève seconde, il avait apprécié la bise fraîche, aussi légère que la mélodie, il le ressentait telle une caresse maternelle, une offrande pour le soulager de ce poids.

Le convoi noir passait devant son nez, les gens pleuraient autour de lui, et lui, il avait mal aux pieds, il avait faim, mais il ne désirait pas partir. Parce que, il n'y avait pas de maison chaude où rentrer, il n'y avait pas de foyer chaleureux, ou de repas délicieux à dévorer. Juste une salle blanche, uniforme, un sorte de gigantesque, où le carrelage frigorifiait plus que le vent, où les sons de la nuit prenaient des allures spectrales, où même la lumière des cieux ne perçait pas la clarté horripilante des murs qui les enfermaient…La tour de Lavanville le terrorisait.

Non, cet endroit, là, par contre, il l'aimait bien, même si les sanglots des gens autour de la stèle grise retentissaient dans l'infinie noirceur qui les embaumait avec la marche funèbre. Ils criaient, se réconfortaient les uns les autres, se tenaient par la main, s'entraidaient, et regardaient une immense boite cirée recouverte de fleurs se faire enterrer. Il pouvait encore se souvenir du nom gravé, incrusté dans le marbre ruisselant d'humidité, de nouveauté. Même si durant cette cérémonie solennelle, il gardait les yeux tournés vers le ciel, qu'il se perdait entre les doux scintillements de la voie lactée, il se rappelait du nom de la victime qu'on regrettait. Comme il se rappelait du visage de sa mère, dans son habit noir de dentelle, dans sa robe douce en soie qu'il n'avait pas le droit de toucher. Il pouvait aisément redessiner les traits qui la marquaient, s'il avait su tracer un trait correct. Mais il n'était pas peintre, il était incapable de restituer sur une toile la minceur de son visage, la finesse de ses traits, rendre la beauté embrumée de ses deux yeux clairs, ayant la clarté, l'ensorcellement de l'azuré. Impossible pour lui, également, de partager avec les autres cette cascade harmonieuse de la chevelure de sa génitrice, de ces allégories semblables à de grandes ailes noires, tel un ange déchu échoué sur cette terre. Elle devait être belle…A vrai dire, il ne s'en rappelait pas objectivement, mais elle devait être belle puisque c'était sa maman.

C'était réellement ce jour là, qu'il avait vécu son premier éveil, une sorte de naissance, il avait vraiment pris conscience du monde qui se déroulait autour de lui. Hors des murs, hors des voix qui lui donnaient des ordres, loin des cortèges, des traditions, des cours, des calculs, des fantômes, des voix…Oui, c'était quand sa mère, le regard fixe, lorgnant sur cette stèle où la lune miroitait macabrement, avait murmuré ses premières paroles à son entière attention, que le garçon avait définitivement compris qu'il existait. Les mots qu'il avait pourtant si longtemps oubliés, refoulés, tournaient encore dans l'air, côtoyant, stagnant à jamais dans cette plaine sans nom, dans ce cimetière isolé, cet Eden désolant. Perpétuellement.

« Regarde Yoann…Regarde ce cortège » Lui avait-elle susurré d'une voix grave, totalement détachée de toute émotion. « Regarde comme les gens se rapprochent les uns des autres, comme ils se montrent leur amour. Un jour moi aussi je participerai à un tel cortège, et tu seras un de ceux là, en noir… ».

Elle avait alors pris pour la première fois sa main dans la sienne, et sans le regarder pour autant elle avait continué, insensible :

« C'est pour ça que nous sommes importants, Yoann. Ce que nous faisons n'est pas vain, ce ne sont pas des sacrifices inutiles, Dieu sème la mort dans notre campagne, mais nous semons aussi l'amour, nous rendons aux gens laissés derrière, ce que les défunts n'ont pas eu le temps de leur laisser. Comme les abeilles, les guêpes qui disséminent le pollen. Nous survolons le pays, et nous couvrons les plaines désolées de fleurs, de paix. Nous pouvons, si nous le désirons, et si nous savons où regarder, semer graines d'une nouvelle société, où l'armée n'est plus, ou même les sacrifices sont amour et non pleurs. »

Et pour la première fois, le petit être de 3 ans du nom de Yoann, ce bambin à peine conscient pour le moment, vit sa mère sourire. La plus belle vision de sa vie, plus rayonnante que le soleil, plus digne que l'éclat lunaire. Il crut en une grimace d'abord, celle que faisaient les autres enfants quand ils lâchaient prises, celles qu'ils faisaient quand ils le voyaient parler aux spectres. Mais en entendant l'éclat joyeux de sa mère, quand il sentit la douceur de son étreinte, sentit l'odeur de sa peau et de ses caresses, il comprit. Il comprit qu'un sourire pouvait réchauffer le cœur des gens et aspira à cette félicité qu'on lui contait.

« Yoann, C'est pour ça qu'être Médium est un rôle important. Parce que vous êtes notre nouvelle génération, celle qui plantera les bases de nos rêves. Celle qui se sacrifiera pour elle, et que nous pleurons tous. Tu es heureux de ce destin Yoann ? Tu dois en être fier. »

Yoann sourit alors que le ciel s'étrécissait progressivement et que son monde s'obscurcissait. Il s'était éveillé avec une mélodie, et il s'endormait bercé par une autre, sur l'autel d'une nouvelle ère, une nouvelle ère de paix, à laquelle il avait contribué.

Oui il en était fier.

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A des lieux de là, priant dans la tour de Lavanville, une jeune femme priait, accompagnée de sa fille, dans les vêtements traditionnels de médiums. Devant eux, le fantôme fugace d'un souvenir s'attarda, et leur sourit, disparaissant de leur vue bien avant qu'elle ne puisse laisser couler leurs larmes.