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Le Dernier Voyage - One-Shot - de dragibus57



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Informations

» Auteur : dragibus57 - Voir le profil
» Créé le 28/08/2009 à 14:14
» Dernière mise à jour le 28/08/2009 à 14:21

» Mots-clés :   Absence de combats   Absence de poké balls   Drame

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Le Dernier Voyage
Clic...
Clic-clic....
Clic...
La route est déserte.
Des volutes de chaleur montent du macadam surchauffé. De minuscules poussières dorées voltigent dans les rayons du soleil qui rase l'horizon. On entend en arrière-fond les chamailleries des Piafabec, le bourdonnement des Apitrini et le chant des Crikzik dans le talus. L'air est chargé de l'arôme alcoolisé des fruits trop mûrs. Cette fin d'après-midi de septembre sent l'automne.
Clic...clic...
Clic-clic....
Clic...
Tout se fige, tout se tait soudain.
La nature s'incline respectueusement devant le vieux couple qui s'avance.

L'homme marche à petits pas hésitants, s'appuyant d'une main sur sa canne qui martèle la chaussée et de l'autre sur la tête de la femelle Feunard qui a synchronisé son rythme sur le sien. Clic...clic...
Tous deux se dirigent vers l'ombre bienfaisante de la forêt proche.

La nuit sera bientôt là, on va s'arrêter. De toutes façons, il n'en peut plus. A chaque pas, je sens sa main peser plus lourdement sur moi, sa respiration se faire un peu plus sifflante.
Dire qu'il a été l'un des plus grands dresseurs de son temps. Saloperie de cataracte, saloperie de vieillesse !


Le Feunard repère un sapin dont les basses branches inclinées vers le sol offriront un semblant d'abri pour la nuit. Il conduit l'homme au pied de l'arbre et l'invite à s'assoir sur le tapis d'aiguilles en le poussant doucement du museau. Le vieillard s'adosse un instant au tronc pour reprendre son souffle, puis tourne son regard éteint vers la grande renarde aux reflets bleutés.
« Merci ma Belle. »

Ce sont ses premiers mots depuis des heures. C'est vrai qu'il n'a jamais été un grand causeur : il était connu comme le Taiseux dans les arènes où on passait. Mais là, même à moi, il ne dit plus grand chose. Il faut reconnaître qu'on vit ensemble depuis si longtemps que parler n'est plus vraiment nécessaire. Je sais ce qu'il ressent et c'est réciproque.

L'ancien dresseur tâtonne dans la fourrure épaisse et détache maladroitement du dos de sa compagne un vieux sac de toile. Il en sort une petite boîte à biscuits en fer-blanc ainsi qu'une gourde vide enveloppée dans une couverture élimée. Le Feunard saisit la lanière de la gourde entre ses crocs et s'enfonce en trottinant dans le sous-bois.

C'est un peu à cause de moi, s'il en est arrivé là. Il m'a tout sacrifié. Son temps, sa famille, ses amis...
Il n'était jamais à la maison, toujours sur les routes à peaufiner mon entraînement. Il restait des semaines sans donner de nouvelles et ses amis ont fini par ne plus en demander. Il n'a pas vu grandir ses enfants et ils le lui font chèrement payer maintenant.
Sa femme l'a quitté, parce qu'elle ne supportait plus qu'il s'occupe exclusivement de moi. Elle s'est même imaginée que j'avais pris sa place, aussi bien dans son cœur que dans son lit. Quel gâchis !


Le vieil homme boit goulûment l'eau fraîche que le Feunard vient de lui apporter. Il partage aussi avec lui les baies que le Pokémon lui a montrées et qu'il a cueillies plus tôt dans la journée.
Le jour décline, mais le vieux ne le perçoit pas.
Au bout d'un moment, il ouvre de ses mains tremblantes la vieille boîte cabossée. À l'intérieur, des Rubans. Une vingtaine, délavés, usés à force d'avoir été trop souvent manipulés. Il en choisit un au hasard et le caresse pour en deviner la forme. « Celui-là, c'était pour le Super Concours d'intelligence, catégorie Master. Il doit être vert. Tu te souviens, ma Belle ?... »
Puis il soupire et reste immobile, perdu dans ses pensées. Il flatte machinalement la tête fine du renard qui s'est allongé à ses côtés, le museau contre sa cuisse.

Si je me souviens ? Évidemment. De celui-là, des autres et de tout le reste : les Concours, la Ligue, la Tour de Combats...
Il voulait un Pokémon parfait. LE Pokémon de toute une vie.
Il a passé des heures à choisir mes parents, pour leurs qualités génétiques et pour leurs attaques. Il a passé des semaines à attendre l'œuf idéal. Il a dû recommencer, encore et encore, pour obtenir la bonne nature. Et quand je suis enfin née, petite Goupix shiney, j'ai été la récompense de tous ses efforts.
Ensuite sont venues les années d'entraînement. Rien n'était trop beau pour moi. Les combats soigneusement choisis pour obtenir les bons EV; les Poffin les plus onctueux pour les concours ; les baies les plus savoureuses, les potions les plus chères...Et toujours l'amour, la tendresse, le souci de mon bien-être. Avant le sien.


Le vieux s'est endormi. Le Feunard tire délicatement la couverture usée sur son corps maigre et se recouche tout contre lui, l'enveloppant de ses larges queues pour lui offrir un maximum de chaleur.

Qu'est-ce qu'on va faire ? Il ne pourra pas continuer longtemps comme ça, à dormir à la belle étoile et à se nourrir de baies et d'eau fraîche !
Partir ainsi, comme au bon vieux temps, n'était pas vraiment une bonne idée. Mais il a tenu absolument à refaire avec moi le voyage initiatique de ses débuts. Une dernière fois.
Les villes ont bien changé, les dresseurs qu'il a connus sont presque tous morts, mais il a voulu revoir les arènes qu'on a vaincues, les forêts qu'on a traversées, les montagnes qu'on a franchies. Tous les deux. Une dernière fois.
Avant d'être enfermé dans cette maudite maison de retraite.
« Papa, tu n'es plus autonome, ont dit ses enfants. Tu perds la vue, sois raisonnable, tu n'es plus capable de vivre seul ! C'est la meilleure solution ! »


Le vieil homme, le front perlé de sueur, s'agite dans son sommeil.
Il se retourne et serre dans ses bras le renard bleu au pelage si doux. Il soupire, les battements de son cœur se calment et son souffle redevient régulier. Le Feunard se retrouve dans une position inconfortable, mais n'en change pas, se contentant d'étendre un plus avant son aura protectrice.

Foutaises !
Ils auraient pu le prendre chez eux, ils en ont la place et les moyens. Mais non, un vieux à la maison, ça aurait perturbé leur petit confort personnel.
Ils auraient pu le laisser chez lui et engager une aide à domicile pour le ménage et les repas, avec un Machopeur pour les menus travaux et les courses. Je me serais chargée du reste.
Mais non, c'est bien plus simple de le coller dans « un établissement de soins longue durée » comme ils disent.
Dans lequel on promet de venir le voir tous les dimanches...au début.
Dans lequel les Pokémon ne sont pas admis.
Un mouroir.


Le jour se lève. Le vieux dresseur s'éveille en frissonnant un peu. Il serre toujours le Feunard dans ses bras, comme on fait d'un petit enfant. Il se redresse et le caresse tendrement. C'est leur rituel du matin. Il commence par gratter son cou, là où le poil est velouté, puis le dessus de sa tête, passe ensuite ses mains sur ses flancs et finit en lissant chaque queue avec lenteur.
« Bonjour ma Belle. Tu n'as pas dû bien dormir, encore une fois. Et voilà longtemps que je ne t'ai pas brossée. » La renarde le fixe de ses yeux rouges et le pousse gentiment du museau en ronronnant.
« C'est bon, en route. »

Clic...
Clic-clic....
Clic...
La route est toujours aussi déserte.
L'homme marche à petits pas de plus en plus hésitants, s'appuyant toujours d'une main sur sa canne qui martèle la chaussée, mais de l'autre, pesant de plus en plus lourdement sur la tête de la femelle Feunard. Clic...clac.

Le vieil homme s'écroule, les deux mains comprimant sa poitrine frêle.
Le renard tourne autour, incertain, lèche une ou deux fois le visage ridé, crispé par la douleur, puis détale à grands bonds gracieux dans le petit matin frileux.

Voilà, il est entre de bonnes mains.
Pour l'instant.
L'ambulance est arrivée à temps et il a été admis en soins intensifs. C'est le cœur, ont dit les médecins, usé jusqu'à la trame. Et l'âge. Il n'y a pas grand chose à faire de plus. Son état est stationnaire et quand il sera suffisamment remis, ils le transfèreront en gériatrie.


Le lit est entouré d'appareils de surveillance qui émettent des signaux à intervalles réguliers. Le vieillard est couché à plat, une perfusion de glucose dans le bras et un tube à oxygène dans les narines. Sa cage thoracique décharnée soulève imperceptiblement la mince chemise d'hôpital. La peau du visage est tendue, translucide, sur les pommettes saillantes. Il ouvre ses yeux morts, profondément enfoncés dans les orbites et les tourne vers le Feunard assis, immobile, sur son train arrière à côté du lit.
« Ils t'ont laissée entrer, ma Belle ? »
Bien sûr que non, je me suis faufilée discrètement pendant qu'ils étaient occupés ailleurs.
Je veille sur toi.

- C'est bien... Écoute-moi... » La voix est cassée, balbutiante, teintée d'ombre.
« Ne les laisse pas faire...
La femelle dresse ses oreilles toutes droites, pose sa patte sur le bras du malade et pousse un petit glapissement.
...Je t'en prie ! »

Alors la renarde bondit souplement sur le lit et se couche sur lui, pressant avec délicatesse son ventre doux sur le visage du vieil homme. De sa main restée libre, il passe ses doigts dans la fourrure si soyeuse.
Une dernière fois.

Le voyage n'est pas terminé.
On se retrouvera.
Bientôt.
Je t'aime.


***************

« Allô maman ? C'est moi....J'ai une mauvaise nouvelle à t'apprendre...Papa est mort...
- Oh mon Dieu !…. Ton père est... ! Mais comment c'est arrivé ?
- On l'a retrouvé sur son lit d'hôpital, étouffé par son Pokémon...
- Comment ça ? La renarde ?
- Oui. Tu te rends compte ? C'est son propre Feunard qui l'a tué !
- Après tout ce qu'il a fait pour lui ?!... Ça ne m'étonne pas. Je savais bien que cette sale bête lui pourrissait la vie ! Je le lui ai dit je ne sais pas combien de fois, mais il n'a jamais voulu m'écouter ! Et voilà le résultat... Quel gâchis ! Toutes ces années perdues...
- Calme-toi, le Pokémon sera piqué demain. On ne peut pas laisser une bête aussi dangereuse se promener dans la nature. »

Le vétérinaire m'a attachée à la table d'examen. Ce n'était pas nécessaire, mais il ne pouvait pas le savoir. Il a fini de remplir sa seringue et s'approche de moi.
J'arrive.