Inaccessible de kamui shiro

Le grand chat me fixe de ces deux magnifiques pupilles bleues, d'où, malgré le peu de sentiment qui s'en dégage, je peux percevoir une part d'étonnement. Je viens de lui dire que je suis heureuse qu'il se trouve là, et depuis, un silence s'est installé entre nous. Soudain, il dévie son regard. Il cesse de m'observer, ce qui me stupéfie un peu. Il bouge sa tête, lentement, scrute les environs, s'observe lui même, puis, d'un mouvement qui semble exténuant, il se révèle, ses membres tremblants, et prend alors appui sur ses deux pattes arrière. Il était, jusqu'à cet instant, reposant tel un quadrupède, sur ses quatre pattes, et je ne m'attendais aucunement à ce qu'il prenne la posture de mon Dracaufeu. Il fait le tour de la marre, d'un pas lent, d'un pas fatigué, mais il la contourne quand même, puis, arrivé environs à trois-quatre mètres de moi, il s'arrête. Il s'arrête brusquement, me dévisage de ses yeux du ciel et tombe. Il commence à chuter, à chuter lentement tel quelqu'un qui perd conscience, tel quelqu'un qui n'a plus de force. Je m'en rend compte assez vite, assez vite pour lui crier « attention ! » et assez vite pour galoper vers lui, puis le retenir, de toutes mes forces, et l'empêcher de tomber dans l'eau. Je suis étonnée, il n'est pas aussi lourd qu'il en a l'air. J'enlace son corps d'une main et de l'autre, je retiens son épaule gauche. « Mewtwo, réveille-toi ! » lui crié-je.
Enfin, après quelques secondes, son corps se stabilise. Je pense qu'il reprend conscience petit à petit. Heureusement, car même s'il n'est pas aussi lourd qu'il le fait croire –en effet, il fait plus de deux mètres de hauteur– j'use d'un grand effort pour le soutenir. Je relève ma tête, précédemment posée sur son torse, et observe son visage. Ses yeux sont ouverts. Ils m'observent comme à leur habitude, mais subitement, cette fois ci, je me sens particulièrement gênée. Peut-être est -ce parce que je suis trop proche du grand chat gris, ou peut-être est-ce parce j'ai cru déceler une lueur de tendresse dans sa vue, mais ce qui est sûr, c'est que je m'éloigne violemment de lui. Surprise, et n'ayant pas l'habitude de marcher à reculons, je trébuche et m'affale sur les fesses.
Le chat ne bouge pas, il me regarde, impassible. J'ai l'impression d'être ridicule. Je tourne la tête pour ne plus le voir.
Soudain, j'entend quelque chose résonner en moi.
– Sereina–
C'est une voix grave et douce.
– Sereina–
C'est une voix que je crois déjà connaître.
– Sereina–
Je retourne ma tête et contemple à nouveau le grand chat. Il est toujours posé, debout, à un mètre de moi. Mais ses yeux sont fermés. C'est étrange –très étrange– pourquoi a t-il cachés ses magnifique prunelles bleues ? C'est la première fois qu'il le fait devant moi.
– Je l'ai fait car sinon je ne pourrais pas converser avec toi–
La voix se fait encore percevoir.
- Hein ? Qui me parle ? c'est vous ? » Exprimé-je à haute voix, en désignant le monstre gris.
Mewtwo ouvre brusquement ses yeux, dévoile un regard surpris, puis les clôt, presque instantanément.
- Vous ? Pourquoi vous ? Sommes-nous plusieurs ?–
Je le regarde, surprise. Comment lui expliquer que l'on utilise "Vous" pour désigner des personne que l'on considère ''supérieures'' à soi ? " Vous " est une forme polie, ce n'est qu'un bête principe...
– Donc tu te considères inférieure à moi–
Cette fois-ci, la voix de Mewtwo se fait dure. Je baisse la tête, frustrée. J'avais oublié qu'il pouvait lire dans mes pensées. Finalement, je réplique, d'une voix un peu tremblante.
- Non, ce n'est pas vrai. Je me considère comme ton égal. Si j'ai dis vous, c'est parce que, sur le coup, je me suis sentie désemparée, j'ai cru que « vous » te satisferais plus que « toi ». Mais, personnellement, je préfère bien plus parler en "tu"... »
Mewtwo insiste. Je ressens une intonation de cruauté dans sa façon de s'exprimer.
– Et en quoi te considères-tu égal à moi ?–
Je ne répond rien. Je ne sais pas quoi lui répondre. Il ne vaut mieux pas que je parle.
Je sais que si lui répond, ma voix va trembler. Si ma voix tremble, c'est que j'ai peur. Si j'ai peur, je dirais n'importe quoi. Il faut que je me calme, que je réfléchisse.
Je connais la réponse, c'est si simple, pourtant.
Moi, je me considère égale à lui. Je n'ai ni la force, ni la puissance, ni –peut-être- l'intelligence qui sont équivalentes à les siennes, mais j'ai la possibilité d'exprimer mes idées, mes sentiments, j'ai la force de dire que nous sommes égaux. J'ai la force de le respecter autant qu'il pourrait, lui, me respecter. C'est mon point de vue.
« Mais cela ne dépend que de toi, Mewtwo. Moi, j'estime que l'égalité ne s'obtient qu'en respectant son prochain. Je ne trouve nulle part l'intérêt d'être supérieur ou inférieur. Quand on est supérieur à quelqu'un, alors jamais ce quelqu'un, s'il t'apprécies, t'appréciera de la même façon que s'il te considérait comme égal à lui même. Si tu parles avec ce « quelqu'un » et que tu lui demandes s'il t'aime, il te répondra en fonction de ce qu'il croit être le meilleur pour sa propre existence, car ce quelqu'un aura toujours peur de toi »
Pensé-je profondément.
Pensé-je profondément en espérant qu'il m'entende.
Mewtwo ouvre ses yeux. Cela signifie qu'il n'est plus en contact avec moi. Il me regarde, et en examinant son regard, je traduis qu'il m'a entendue. Je suis impatiente de savoir ce qu'il va me répondre, je suis impatiente, mais j'ai peur de sa réponse. S'il est plus intelligent que moi, alors, il est sûrement conscient d'autres valeurs, peut-être que ma simple vision des faits ne suffira pas à le convaincre.
S'il peut contrer mes idées sans que je puisse répliquer, alors il en sera fini de moi.
Je crois bien qu'il me considère égale à lui en un seul point, et ce point est la force d'exprimer mes idées.
S'il ne voyait rien d'intéressant en moi, alors il aurait tôt fait de m'éliminer.
Non ? – J'ai raison, hein, Mewtwo, s'il te plait, ne me déçoit pas !
Mais Mewtwo ne répond pas.
Il s'avance en ma direction. Il s'approche lentement, et au fur et à mesure qu'il arrive vers moi, ses yeux bleus commencent à briller, tout en continuant à me fixer.
Je suis assise par-terre, et j'attend, au lieu de m'enfuir, que le grand chat gris arrive vers moi. J'ai quand même peur et cela m'énerve. Est-il dans la nature des humains de toujours avoir peur ? Pourquoi cette peur de mourir ne veut-elle pas me quitter ? Peut-être est-ce une alarme, peut-être cela veut-il signifier que ma fin approche ? Non, c'est ridicule, je...
Une voix grave retenti à l'intérieur de ma tête. Elle résonne si fort que j'en ai mal.
– Alors, selon toi, nous sommes égaux par la force de nos idées ? Selon toi, je te suis entièrement égal, et donc, si j'ai la possibilité de te tuer, c'est simplement car la nature m'a offert une puissance supérieure à la tienne ? Donc, si je veux te tuer, je dois t'en demander l'autorisation ? Tu m'es égale si je le décide, de la même façon que tu as décidé que j'était égal à toi ? Seulement, tu oublies un détail. Et si je décrétais que tu es inférieure ? Par quel moyen pourrais tu te défendre ? Aurais-tu la possibilité d'exiger de moi que je te sois égal et non supérieur ? –
La voix se tait. Mewtwo s'arrête. Il est debout devant moi, il me regarde d'un air dur et corrompu, il me semble en colère. Je le regarde, moi aussi, je ne sais quoi dire, ni faire. Pourtant je voudrais lui dire qu'il se trompe. Il y a une faille dans sa façon de penser. Je sais qu'il y en a une, mais il me faut le temps de réfléchir, et j'ai peur, j'ai peur de lui, j'ai peur qu'il ne m'en laisse pas le temps.
– Tu te considères toujours égale à moi ? Regarde-toi, tu est par-terre, morte de peur, tu ne peux plus bouger car je paralyse tes membres, et à l'instant même, je v...
Mewtwo ne termine pas sa phrase, je remarque dans son regard qu'il hésite.
Soudain, le bleu de ses magnifiques yeux se remplace par un rouge vif et strident, puis, un courant froid me traverse le corps et me paralyse.
Mes membres ne me répondent plus, petit à petit, mon corps devient lourd, et je sens que je tombe en arrière.
Comme si j'étais soudainement démunie de toute volonté, je me laisse faire.
Je percute violemment le sol, plaquée sur le dos, et mon corps est traversé par ce courant froid de partout. Heureusement, ce courant ne me fait pas mal.
Je ne peux pas bouger. Je peux juste voir et respirer, mais difficilement.
Mewtwo se baisse, il me fixe toujours de ces yeux rouges, puis il se pose à quatre pattes, juste aux dessus de moi.
Son regard ne change pas, il est dur, puissant, impressionnant.
Lentement, il approche l'une de ses puissante pattes puis la place autour de mon coup.
Je sens que cette patte tremble, elle tremble comme si elle hésitait. Mewtwo doute, je m'en rend bien compte.
Cependant, sans montrer une quelconque indécision, de sa voix grave, il prononce, tout en me regardant fixement :

« Sereina, prouve-moi simplement que je me suis trompé, ou je te tue. »

Puis, ses yeux se ferment, et subitement, il s'effondre sur le sol.
Malgré cela, sa main continue à se refermer sur ma gorge, sans que je puisse y faire grand chose.