A strange Halloween
En cette soirée du 31 octobre 1960, Rémi était fin prêt, bien que la pendule de l'entrée n'affichait encore que six heures. Il avait sorti son costume de sorcier, comme chaque année le jour d'Halloween. Il avait même affublé son Medhyèna d'un chapeau pointu noir. Lui-même était vêtu d'une cape noire, d'une robe et d'une paire de lunettes rondes. Il tenait à la main un mince morceau de bois censé représenter une baguette magique et la tenait fermement. Il guettait l'arrivée de ses deux frères pour pouvoir enfin partir à la chasse aux bonbons dans les rues de son quartier, les yeux rivés sur la porte. Son chien-loup bailla à s'en décrocher la mâchoire.
Enfin, un jeune garçon d'une demi-douzaine d'années arriva dans la pièce. Celui-ci était déguisé en fantôme et s'était contenté d'un drap blanc barbouillé de Ketchup sans trou. Il se cogna à un portemanteau, tomba sur les fesses et commença à gémir. Son grand frère, qui avait l'air d'avoir huit ans environ, se précipita vers lui.
« Louis ? Ca va ?
- Moui... geignit-il.
- Tu ne veux pas que je t'aide à faire des trous dans le drap ? »
Le gamin le plus âgé des deux courut dans la pièce d'à côté, pour en ressortir peu après armé de ciseaux. Le Medhyèna observait le manège que livraient les deux frères avec amusement, la tête penchée sur le côté.
« Mais tu vas te faire mal avec des ciseaux !
- Mais j'ai plus six ans moi ! »
Le garçon dénommé Rémi déshabilla son frère du drap et entreprit de faire deux trous dedans. Mais il avait sans doute pris l'outil dans sa trousse d'élève de primaire, et ne parvenait pas à grand-chose avec une paire de ciseaux à bouts ronds. Dépité, il balança rageusement l'instrument par terre et se précipita à nouveau dans une pièce de la maison, pour revenir cette fois avec de grands ciseaux presque trop lourds pour lui qui firent pâlir son petit frère d'angoisse.
« Rémi tu vas te faire gronder ! Maman ne veux pas qu'on sorte les grands ciseaux !
- Mais j'en ai besoin, elle comprendra !
- Fait attention !
- Viens m'aider à tenir le drap pendant que je coupe ! »
Louis hésita, mais finit par ramper vers son frère et tint fermement de ses petites mains deux bouts du drap. Rémi avait eu tout de même raison de faire appel à l'enfant de six ans, car il pouvait déjà à peine tenir la paire à deux mains. Il la brandit au-dessus du tissu, l'ouvrit et... Fit un faux mouvement. Les ciseaux vinrent découper dans le drap une grande fente. Surpris, il fit tomber le dangereux instrument sur son pied. Il se mit alors à pleurer de toute son âme et à hurler de douleur. Son petit frère, ne comprenant pas ce qui s'était passé, geignit à son tour.
« Mais qu'est ce qui se passe en bas ? appela une voix beaucoup plus grave. »
On entendit alors des pas précipités dans un escalier, puis un jeune de seize ans entra en trombe dans la pièce et vit le massacre : deux enfants en train de pleurer, l'un tenant un drap blanc déchiré et barbouillé de Ketchup, et l'autre avec une paire de ciseaux sur le pied, et un Medhyèna hurlant à la mort à côté d'eux. Il soupira et sa passa une main sur le visage tant il trouvait ses petits frères stupides, parfois. L'ado en lui-même n'était pas déguisée, bien qu'il n'en ait pas vraiment besoin. Sa grande taille, son teint naturellement très pâle, ses cheveux noirs coupés courts et ses lèvres d'un rouge éclatant le faisaient ressembler à s'y méprendre à un vampire. Rémi et Louis, voyant leur grand frère dans l'entrée, s'arrêtèrent instantanément de pleurer et se mirent à le regarder avec des yeux brillants. Celui-ci les observa un peu plus attentivement et se mit soudain à hurler.
« Mais mon Dieu qu'est ce que vous avez foutu ? Ce drap, là, c'est la nappe préférée de votre mère, au cas où vous ne l'auriez pas remarqué ! Et qu'est ce qui vous a pris de sortir des ciseaux comme ça, vous auriez pu vous blesser ! Maman va m'engueuler grave ! J'étais censé vous surveiller ce soir, moi !
- Mais, Baptiste, geignit le petit Louis, on se déguisait...
- Et en quel honneur, je te prie ?
- Mais, c'est Halloween...
- Halloween... C'est pas vrai... Oh mon Dieu... Je vais encore devoir vous faire sortir, je suppose. »
Avec un air épuisé, il se passa à nouveau une main sur la figure.
« Allez, rangez-moi tout ça, et on ira...
- Mais Baptiste, tu n'es pas déguisé ! répliqua Rémi.
- Tant pis ! lança-t-il. Mais toi, tu crois pas que tu en as un peu trop fait ? Y a un truc qui dégouline sur ton front.
- Oh non ! Ma cicatrice ! »
Tandis que le gamin essuyait la marque qu'il avait tracée sur son front avec du Ketchup, Baptiste remonta les escaliers et ne tarda pas à redescendre avec un manteau noir, un chapeau et une écharpe en plus. Louis, quant à lui, avait docilement obéi à son frère et rangé tout dans un autre endroit caché des regards. Il revint un peu après, mais sans déguisement.
« Baptiste, demanda Rémi avec une voix innocente, pourquoi tu te couvres comme ça ? Il ne fait pas sir froid.
- Le jour où tu sauras ce qu'est l'honneur, tu comprendras.
- Baptiste, annonça Louis, j'ai pas de déguisement. »
Le jeune homme secoua la tête de dépit, remonta dans sa chambre, puis revint avec un vieux parapluie noir déchiré et des habits noirs eux aussi qui avaient du lui appartenir étant petit. Il déchira le restant du parapluie pour former deux morceaux de toile tenu chacun par une baleine. Il donna les habits à enfiler à Louis, puis lui fixa les deux fragments de parapluie au dos. Il se recula et admira son travail. Il hocha la tête.
« Et voilà un parfait déguisement de chauve-souris !
- Et pour Pijako ? dit le gamin en sortant le perroquet. »
L'oiseau vint se percher sur l'épaule de Louis et regarda le jeune homme d'un regard interrogateur. Ce dernier découpa un cercle dans le restant du parapluie et une bande assez longue. Il colla le rond sur la bande et l'attacha à la tête de Pijako pour former un bandeau de pirate. Le volatile semblait comprendre ce qui se passait et ne montra aucune résistance. Après avoir pris plusieurs petits sacs pouvant contenir les bonbons, ils partirent de la maison.
« Enfin Rémi je te dis qu'un seul sac suffira !
- On ne sait jamais !
- Jamaiiiis, chanta Pijako. »
Dans la rue tranquille où les trois frères habitaient, les citrouilles percées et garnies d'une bougie étaient à l'honneur. Il y en avait au moins deux disposées sur le perron de chaque maison. Les fenêtres des maisons laissaient voir de la lumière à l'intérieur. Des lampadaires disposés sur le trottoir et la pleine lune assuraient qu'il ne risquait pas de faire bien sombre. Les garçons, les deux plus jeune tout du moins, espéraient que chaque habitant du quartier avait renouvelé son stock de friandises et que personne n'était passé avant eux. Baptiste avait remarqué l'anxiété qui frappait ses deux petits frères et ne put s'empêcher de remarquer avec désobligeance que vu l'heure, ils ne risquaient pas de croiser grand monde dans les rues, à part des adultes surbookés qui rentraient du boulot après avoir fait des heures supplémentaires. Rémi et Louis le regardèrent d'un œil noir, mais il ne sembla pas y faire attention. Le Medhyèna, quant à lui, trottinait gaiement aux cotés de Rémi et sentait bien que cette soirée n'était pas comme les autres. Pijako continuait à hululer de temps à autre.
Les trois garçons s'avancèrent vers la première maison. Ils tirèrent le portail, s'avancèrent sur une petite allée décorée de buissons taillés en citrouilles et éclairés par des lanternes. Rémi et Louis remarquèrent qu'il n'y avait pas de sonnette. Baptiste suggéra qu'elle aurait pu être à côté du portail et alla voir si son hypothèse se révélait juste. Il annonça à ses deux petits frères qu'il n'y en avait pas. Ceux-ci se regardèrent avec appréhension. Ils voulaient absolument que la récolte commence bien. La lumière était allumée, pourtant. Soudain Pijako s'envola et frappa du bec à la porte.
« Il y a quelqu'uuuuun ? hulula-t-il.
- Pijako, enfin ! Ne fais pas ça... murmurèrent les deux gamins. »
Apparemment la personne qui habitait là avait entendu car des pas résonnèrent dans le silence de la nuit et la porte s'entrouvrit. Une vieille y passa la tête avec méfiance puis, voyant les garçons déguisés, elle soupira d'aise et ouvrit entièrement la porte.
« Attendez une minute, les enfants, je reviens. »
La vieille femme ne tarda pas à revenir et tendit à Rémi un sac joliment rebondi. Il le prit avec enthousiasme, remercia la femme puis les trois frères se dirigèrent vers la prochaine maison. Après chaque nouveau passage dans une demeure, leur récolte grossissait. Bientôt, onze heures sonnèrent. Un vent froid se mit à souffler, et toutes les bougies s'éteignirent mystérieusement, même celles protégées dans des lanternes. Les lumières des habitations se mirent une à une à disparaître, puis les ampoules des lampadaires clignotèrent avant de s'éteindre. Des nuages vinrent cacher la lune. A présent, il faisait très sombre. Rémi et Louis s'accrochèrent fort à leur grand frère, par peur de se perdre et du noir. Medhyèna couina avant de se réfugier entre les jambes de son maître. Pijako arrêta tout de suite de hululer n'importe quoi et se blottit contre la tête de Louis.
« Baptiste, dis, tu peux sortir Démolosse ?... chuchota timidement le gamin de huit ans.»
Le jeune homme ne se le fit pas dire deux fois et libéra son Pokémon. Un chien démon apparut, mais au lieu d'être noir, sa couleur était bleu marine, et il scintillait de toute part, apportant un peu de lumière. Baptiste demanda alors silencieusement à ses deux jeunes frères d'arrêter de la serrer et ces derniers relâchèrent immédiatement leur prise, comme si ils venaient de s'en rendre compte. Les trois garçons se mirent à avancer prudemment, conduits par Démolosse. Le silence se faisait de plus en plus pesant. Baptiste entendit alors des bruissements d'ailes. L'instant d'après, une nuée de Nosferapti arriva soudain. tandis que Rémi et Louis entreprenaient de se couvrir le visage avec les bras, leur grand frère passa à l'offensive en demandant au chien démon d'attaquer avec un Lance-flamme. Certaines chauves-souris grillèrent sous le coup, et tombèrent par terre, et d'autre esquivèrent l'attaque avec agilité et poursuivirent leur chemin. Les deux plus jeunes garçons jetèrent un coup d'œil avant de retirer leur bras de devant leur figure. Par prudence, Baptiste sortit un autre de ses Pokémon, un Feurisson.
« C'est bon ? Tout le monde est là ? demanda le jeune homme.
- Oui ! répondirent en cœur ses frères.
- Ouiiii ! répéta Pijako. »
Le plus âgé des trois garçons soupira d'aise. Mais à peine remis de leur émotion, voilà qu'un autre bruissement provenant d'un massif de buissons se fit entendre. Medhyèna l'entendit en premier et tourna brusquement la tête dans la direction d'où provenait le bruit. Baptiste ordonna à Feurisson d'user de Clairvoyance. Le hérisson sembla se concentrer un instant, puis on vit des ombres s'agiter dans les buissons. Louis étouffa un hurlement. Deux grands yeux rouges s'allumèrent. Trois Pokémon sortirent soudain des fourrés, se dirigèrent rapidement vers le gamin qui poussa un petit cri, puis plus rien. Louis semblait avoir disparu.
« Oh non... soupira Baptiste. »
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Louis volait. Il ne savait pas comment, tout s'était passé si vite. Tout ce qu'il savait, c'est survolait son village à quelques dizaines de mètre d'altitude. Il se rendit soudain compte qu'on le transportait. Il regarda au-dessus de lui et put distinguer trois formes sombres.
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« Baptiste, on fait quoi ?
- Ben tiens, on va le chercher ! Demande à Medhyèna d'utiliser Flair ! »
Ce que le garçon fit. Le chien huma l'atmosphère, trouva aussitôt une piste et s'élança dans les rues sombres, le museau en l'air, aussitôt suivi par les deux frères séparés du troisième, le Pijako de Louis, le Feurisson et le Démolosse.
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Les trois silhouettes avaient à présent déposé le gamin à la bordure du village. Leur présence avait apparemment suffi à rallumer quelques bougies autour d'eux et la pleine lune n'était plus cachée des nuages. A présent, le gamin pouvait voir qui étaient ses « ravisseurs ». C'étaient trois spectres. Celui à qui appartenaient les yeux rouges qui s'étaient allumés peu avant n'était autre qu'un Spectrum, accompagné par un Feuforêve et d'un Skelenox. Ceux-ci l'observèrent de plus près, et à la grande surprise de Louis, se mirent à lui parler.
« Joue avec nous... »
Interloqué, le gamin les regarda d'un air interrogateur, la tête penchée sur le côté. Puis, son regard s'illumina et il hocha la tête avec enthousiasme. Aussitôt, les spectres se mirent à se déplacer avec une certaine vitesse et Louis s'amusa à les poursuivre gaiement.
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Pendant ce temps, ses deux frères se faisaient un sang d'encre pour lui. Ils suivaient toujours le chien-loup, accompagnés des trois autres Pokémon. Ils finirent par arriver à la sortie de leur village. Ils se reposèrent un instant, essoufflés, puis Medhyèna mit le museau à terre avant de se remettre à leur trace. Ils arrivèrent alors à l'entrée d'une grotte. Rémi et Baptiste croisèrent un regard rempli d'appréhension.
« Louis ! appelèrent les deux frères.
- Louiiiiis, répéta Pijako »
Un gloussement leur vint en seule réponse. Inquiet, Baptiste fit appel à un splendide Noctali et lui demanda d'utiliser Flash, éclairant ainsi la grotte. Ils s'enfoncèrent dans la caverne.
Ils parvinrent à l'origine des rires qu'ils entendaient sans cesse et virent tout d'abord trois spectres et Louis qui se cachait derrière une pierre. Baptiste ordonna immédiatement à son Démolosse d'utilise Lance-flamme, mais avant que le démon n'ait le temps d'envoyer son feu, un cri perçant se fit entendre.
« NON ! »
Louis s'interposa entre le chien qui n'avait toujours pas usé de son attaque et les fantômes qui s'étaient avérés être des revenants en quête de quelque chose qui pourrait les distraire en cette sinistre nuit d'Halloween. Baptiste eut un regard accusateur vers son petit frère.
« On jouait à cache-cache, ne leur fait pas de mal ! »
Le jeune homme observa attentivement son frère, puis il ne résista plus et se jeta dans ses bras. Les douze coups de minuit sonnèrent. Baptiste relava soudain la tête.
« Allez, il est tard. Viens, on rentre à la maison.
- Et eux ?
- Quoi, eux ?
- Ben... Mes amis.
- Ca m'étonnerait que Maman en veuille à la maison, dit-il en riant. Viens. »
Les silhouettes des trois spectres devinrent floues, puis disparurent. baptiste rappela ses Pokémon, prit ses petits frères par la main et ils prirent le chemin de leur maison.
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Le lendemain matin...
La mère de Baptiste, Rémi et Louis était rentrée tard, hier soir, vers une heure du matin, après avoir eu un dîner spécial « Halloween » avec son mari dans un restaurant réputé. Elle avait filé directement au lit, après avoir toutefois vérifié si ses fils étaient au lit. Elle s'étira et jeta un coup d'œil en cette matinée du premier novembre. Dix heures. Elle avait dormi longtemps. Son mari était déjà parti au travail. Elle se leva et ouvrit son armoire. Un drap blanc barbouillé de Ketchup et une grande paire de ciseaux tombèrent. Elle ouvrit de grands yeux avant de pousser un cri d'horreur.
« KYAAAAAAAAA ! »