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Hamegel de Almartin



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» Auteur : Almartin - Voir le profil
» Créé le 10/09/2025 à 14:33
» Dernière mise à jour le 10/09/2025 à 14:33

» Mots-clés :   Galar   Humour

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Chapitre 6 : Une Nouvelle Ère
En l’espace d’une seule nuit, ces abrutis des Galeries avaient réussi à mettre l’hôpital sens dessus-dessous. La garde de Hamegel les avait délogés juste avant l’aube, et maintenant que les premières lueurs rouges du soleil se dessinait dans le ciel, tout le monde travaillait à remettre de l’ordre, comme partout en ville d’ailleurs. Il faisait froid, comme d’habitude à Couronneige, mais aujourd’hui, ce froid offrait une sensation inhabituelle à Limier.

— Sir Limier ! l’interpella un soldat de la garde, qui approchait en tenant Tristifer par le bras.

Le traître titubait à côté du soldat, les pieds traînant par terre plus qu’il ne marchait réellement. Il avait le teint violacé et grimaçait d’une drôle de manière, les lèvres pendantes ; Limier reconnut aussitôt les symptômes d’un empoisonnement par vémini.

— Les gars des Galeries l’ont bien amoché, expliqua le soldat. On l’a retrouvé avec deux lampéroie qui le vidaient de son sang. Et un lucario aux phalanges rougies à force de cogner. Pour l’anesthésie soi-disant. Ils ne manquaient pourtant pas de matériel médical, ils étaient dans un hôpital !
— Comme on dit, ce n’est pas parce que vous donnez des couverts à un poussifeu qu’il arrêtera de picorer son grain.
— Vee vee èègossèè !
— Par contre je ne comprends rien à ce qu’il raconte, expliqua le soldat. Mais peut-être que vous si ; vous avez l’habitude de travailler avec eux non ?
— Croyez-moi, soupira Limier, on ne s’habitue jamais à ce niveau de connerie.
— Moi je peux vous aider ! lança Osha dans son dos.

Osha, Triston et dame Zélie étaient en train de se remettre de leurs émotions, assis autour d’un brasero sous une tente de la garde. Si Triston avait remporté son duel contre son cousin, lui, dame Zélie et Osha furent par la suite capturés avec tout le monde dans l’hôpital : patients comme personnels. Ils n’avaient été libérés par la garde que dix minutes plus tôt tout au plus.

— Sir Triston a parlé comme ça pendant presque une semaine, je pense pouvoir comprendre un peu, ajouta-elle en s’approchant.
— Très bien, accepta Limier, sans conviction. Vous pouvez toujours essayer, mais je doute que ce soit intéressant.
— Vee vee èègossèè !
— Il dit qu’il veut négocier.
— Négocier quoi ? s’étonna Limier. Il a perdu, il n’a rien à négocier.

Aux côtés de Limier, Vacherin, Keldorset—et même cet abruti de Ramure que Limier avait convaincu de sa bonne foi, et à qui il s’était bien gardé de dire que c’était son luxray qui avait grillé son tropius au Pit—attendaient bien sagement sur des chaises de camp. Keldorset fut le seul à s’étonner de la demande de Tristifer.

— Vee vee raaiir maa raaiison.
— Il dit qu’il veut… trahir sa trahison ? compléta Osha, perplexe.
— Ça y est, ça ne veut déjà plus rien dire. Emballez-moi ce crétin, précipita Limier.
— Il pourrait nous donner le cerveau derrière cette trahison, proposa Groslouis, qui s’approchait en marchant lourdement, une pastèque entre les mains.

Il revenait du ravitaillement, les joues rougies par le jus dégoulinant de la pastèque. Il la croqua à pleine dent et mâcha bruyamment.

— Parce que le sir Tristifer là, ajouta-t-il la bouche pleine, c’est un sous-fifre non ?
— Vii ! vii ! s’enjoua Tristifer, bien plus mollement qu’il ne l’aurait voulu.

Limier soupira ; il avait besoin de repos, pas des élucubrations erronées de Groslouis. Le cerveau, ils l’avaient. Glaucus. Lui et son arriéré de neveu, Glenn, ainsi que ce soulard de Goulot, croupissaient déjà dans les cellules de la municipalité en attendant leur jugement à Galar, et selon les lois galariennes. Il ne pouvait pas y avoir pire sanction pour ces fanatiques qu’ils étaient.

Et apparemment dame Zether, cette vieille corneille de Beaugant, les y avait rejoint peu après avoir échoué son propre coup d’état. D’après le rapport que Limier avait lu, elle s’était réfugiée, une fois ses forces battues, à la gare ferroviaire qui assurait la jonction entre Couronneige et le reste de Galar. Mais c’était sans compter sur Zeelien et sa fine stratégie ; tout faire sauter. La gare avait été totalement oblitérée certes, mais l’ennemi avec. Zeelien était d’ailleurs en retard, il aurait dû être là déjà, comme il avait quitté le Plateau Beaugant à la tombée de la nuit.

Tristifer continuait de baragouiner ses inepties, mais Limier n’écoutait déjà plus. Ses pensées étaient bien trop occupées par les conséquences de sa propre trahison. Car oui, Limier était un traître. Mais il n’avait pas eu le choix ; Coulzan s’embourbait dans un rôle clivant en constante opposition à la municipalité. Il avait été un bon chef, mais incapable de mener l’Ordre vers une quelconque réussite. Il stagnait. Limier avait trahi oui, mais pour la bonne cause. Il se savait plus progressiste que Coulzan, et lui au moins avait une véritable chance de faire avancer les choses… à condition que Coulzan ne l’en empêche pas. Mais voilà, il avait disparu avec Geliverne et sœur Marbaude la veille, juste après la bataille du Pit. Limier avait fait fouiller toute la ville, avec le concours de Gardemeer et de sa garde, sans les trouver. Tout au fond de lui, il était heureux de le savoir vivant et entre de bonnes mains. Mais il ne pouvait pas non plus risquer de le voir revenir et ruiner tous ses efforts. Ni encore moins l’accuser de traîtrise devant les autres…

— Sir Limier ? l’interpela Osha.

Limier tâcha de reconcentrer son énergie sur la situation présente. Il sourit poliment à Osha.

— Je vous écoute.
— Tristifer dit qu’en échange, il demande un petit lopin de terre, poursuivit-elle.
— Vous voulez dire un petit lapin de terre, corrigea Groslouis la bouche pleine.
— Il veut un excavarenne ? s’étonna Keldorset. Pour quoi faire, creuser un trou et s’évader ?
— Ou alors un carapuce, proposa Triston, mais du coup, c’est une puce.
— Ah bon ? s’enquit Ramure. J’ai toujours cru que c’était une tortue moi.
— Non, il a bien dit un lopin de terre ! protesta Osha, qui commençait à perdre patience.

Et Limier aussi, pensa-t-il très fort.

— Emmenez-moi ce traître, trancha-t-il finalement pour se débarrasser de Tristifer une bonne fois pour toutes.

Limier trouvait les divagations de ses compagnons déjà bien abrutissantes lorsqu’il n’en était que spectateur lors des réunions de l’Ordre, mais elles l’épuisaient totalement maintenant que c’était à lui de les recadrer. Heureusement, les soldats de la garde lui obéirent sans discuter, emmenant au loin un Tristifer incapable de protester ; une discipline à laquelle il pourrait prendre goût bien rapidement, surtout maintenant qu’il avait engagé une coopération plus étroite avec Gardemeer et sa garde.

Il fallait qu’il annonce maintenant cette coopération à ses hommes ; c’était pour cette raison qu’il les avait tous réunis ici. Ça, et sa nomination à la tête de l’Ordre de la Couronne. Heureusement, ils étaient trop bêtes pour voir le coup d’état qu’il avait forgé dans celui de Glaucus. A l’exception peut-être de Keldorset, mais le garçon avait une relation privilégiée avec lui, comme il servait sous ses ordres au Temple de la Couronne depuis des mois déjà.

— Sir ! Sir !

Limier reconnut la voix de Zeelien, qui accourait aussi vite qu’il le pouvait, presque paniqué.

— Sir ! Ils sont partout ! reprit le seigneur de Beaugant en arrivant enfin à sa hauteur.
— Du calme, tempéra Limier, qui ne comprenait pas ce qui l’excitait ainsi. Expliquez-vous, qu’est-ce qu’il se passe ?
— La garde, sir ! Tout autour ! C’est le moment idéal pour tout faire péter !
— Quoi ? s’enquit Limier.
— Ch’est pas faut, mâcha Groslouis. En plus je peux lâcher mon rhinocorne moi aussi, il se fera un plaisir de foncer dans tout ce qui bouge.
— Ah je viens de comprendre le plan ! s’émerveilla Ramure. C’est du génie, sir !
— Moi je peux faire charger ramoloss, il n’a pas son pareil pour surprendre l’adversaire…
— Mais vous allez la fermer oui !

Limier sentit la tête lui tourner, mais au moins sa gueulante les avait calmés. Il était épuisé.

— On ne fait rien péter, reprit-il après avoir repris sa respiration. On est ici justement pour mettre en place un partenariat avec la garde de Hamegel.

Voilà, c’était dit. Lui que ne savait pas comment l’annoncer aux chevaliers, il l’avait fait de la manière la plus simple qu’il soit. Les regards perplexes se promenaient dans sa petite assemblée. Seuls Osha et Keldorset semblaient percevoir l’intérêt d’un tel partenariat. Vacherin ne bronchait pas non plus, mais parce qu’il s’était endormi sur sa chaise.

— Vous êtes sûr, sir ? demanda finalement Toqué. Parce que ça ferait un super chapitre dans les mémoires de l’Ordre…
— Vous ne touchez à rien, insista Limier d’un ton décisif. Zeelien, vous me rangez cette pokéball. Je ne veux pas voir votre oniglali dehors, est-ce clair ?

Zeelien rangea sa pokéball dans sa besace, l’air renfrogné. Limier n’en pouvait déjà plus de ces abrutis. Lui qui s’était imaginé que les choses se passeraient différemment sous sa direction, il s’apprêtait à faire les mêmes caprices que Coulzan, à tout vouloir envoyer balader. C’était d’ailleurs ce qu’il allait faire, il allait tout balancer d’un coup.

— A partir d’aujourd’hui, nous travaillerons avec la garde. Gardemeer nous a montré qu’elle était prête à coopérer avec nous. Maintenant c’est à nous de nous montrer moins bornés que par le passé, et d’accepter certaines approches modernes de la municipalité pour obtenir le déblocage de nos projets les plus essentiels. C’est comme ça que nous avancerons dans notre quête pour faire revenir Silveroy.
— Mais sir Coulzan disait toujours que—
— Sir Coulzan n’est plus là, sir Ramure, trancha Limier. Et croyez-moi, j’en suis le premier désolé.

Limier fut surpris de la sincérité avec laquelle il lâcha ses mots. Il sentit les larmes perler dans ses yeux. Il déglutit difficilement pour ravaler cette éruption d’émotion.

— Nous allons cependant accueillir un nouveau membre dans l’Ordre, poursuivit-il. Osha.

Tous les regards se tournèrent vers la jeune femme, qui elle-même ne semblait pas vouloir comprendre. Pourtant elle avait le profil parfait pour remplacer Glaucus. Elle était elle-même originaire des Galeries, et elle était rousse, une couleur de cheveux peu commune à Couronneige, et par voie de conséquence associée dans l’imaginaire collectif aux destins particuliers. Elle était la candidate toute désignée pour devenir la nouvelle maîtresse du domaine des Galeries. A un détail prêt.

— Mais… c’est une femme ! s’insurgea Groslouis.
— Avec tout le respect que je vous dois sir, je vous emmerde ! se défendit-elle.
— Ah ! Moi je l’aime bien ! s’amusa Zeelien.
— Bon, je n’ai qu’à écrire sir Osha dans le registre, statua Toqué avec une moue perplexe. J’inventerai ses lettres de noblesse à postériori.
— Non mais attendez, c’est une blague ? Sir ? se tourna-t-elle vers Limier.
— Vous allez devenir le Seigneur des Galeries, clarifia-t-il, solennel.
— Moi ? Mais je suis infirmière !

C’était vrai. La pauvre n’avait aucune connaissance des affaires seigneuriales. Limier pensait cependant qu’avec un peu d’aide, elle ferait un meilleur seigneur que Glaucus. Déjà par le simple fait qu’elle ne rejetait pas toutes les améliorations sociales sous prétexte qu’elles venaient de Galar ; si le confort de vie du peuple des Galeries s’améliorait, il y avait fort à parier qu’elle serait rapidement acceptée. Et puis surtout, en la guidant personnellement, il s’assurait lui de garder les Galeries sous contrôle.

— Vous étiez présente lors de la Bataille de Hamegel, expliqua Limier. Vous y avez même joué un rôle déterminant lors de la défense de l’hôpital, en barrant la route à cent cinquante féroces grotadmorv venus contaminer les lieux.
— Ce qui a permis à sir Triston de battre son ténébreux cousin le sir Tristifer en duel ! ajouta Toqué, tout excité.
— QUOI ? Mais je n’ai jamais fait ça !
— C’est pourtant ce qui est écrit dans la saga de la Bataille de Hamegel, insista Limier.

Osha en resta bouche bée. Limier savait très bien que cette saga était infestée des rêveries de Toqué, mais que pouvait-il faire d’autre que de feinter l’ignorance ?

— Le peuple des Galeries croit en ces manuscrits sacrés, poursuivit-il. Que vous le vouliez ou non, le destin vous a placé sur une toute nouvelle route, sir Osha.
— Arrêtez de m’appeler sir, ça n’a pas de sens !
— Rien de tout cela n’a de sens, sir Osha, força Limier, tout à coup plus honnête. Le domaine des Galeries qui tente de se retourner contre nous. Vous, qui êtes une héroïne des Galeries, prête à rétablir la vérité et à guider votre domaine vers le rétablissement de son honneur. Ça n’a pas de sens, mais c’est pourtant ce que retiendra l’histoire, alors autant nager dans le sens du courant plutôt que de tenter de faire des remous au milieu du tsunami qui nous emporte tous dans cette histoire.

Osha se tu enfin, puis chercha à s’asseoir, visiblement étourdie. Tout le monde à Couronneige avait conscience de la grandeur multimillénaire de l’Ordre de la Couronne, lequel ne pouvait être intégré à chaque génération que par un nombre extrêmement restreint de seigneurs, l’élite parmi l’élite. Les modestes gens comme Osha ne pouvaient même pas imaginer rejoindre l’Ordre un jour, elle avait donc toutes les raisons du monde de se sentir étourdie par cette ascension sociale vertigineuse qui s’offrait à elle.

— Keldorset nous rejoindra également, reprit Limier pour profiter du silence d’Osha. Scribe, ajoutez dans l’agenda une double cérémonie d’adoubement pour demain.
— Ah, c’est que ça ne va pas être possible, sir, regretta Toqué.
— Comment ça, pas possible ? On n’a rien de prévu il me semble.
— Ben justement, je comptais aller pêcher. Il y a ce bargantua dans le lac qui me nargue à chaque fois que je le rate. J’ai juré de l’attraper, pour avoir au moins un chapitre à moi dans les registres de l’Ordre.
— Pour les bargantua, il faut un filet à oiseau, et un aimant, conseilla Triston.
— Je vais venir avec vous, avança Zeelien. Oniglali va régler votre problème en moins d’une minute.
— Il n’y a rien à régler, vous irez pêcher après la cérémonie point barre.
— Coulzan aurait accepté, lui, maugréa Toqué.
— Ben maintenant qu’il n’est plus là, c’est moi le chef, statua Limier, vindicatif. Et en tant que chef, je dis également qu’on va passer en revue les différents projets de l’Ordre pour voir où on en est, et on adaptera au besoin.

Les chevaliers se regardèrent, perplexes. Ils étaient dehors, au milieu d’un campement de la garde, ce qui était troublant il en convenait. Mais Gardemeer allait arriver d’une minute à l’autre, et sa présence était nécessaire pour discuter de leurs projets d’urbanisme respectifs. Un frisson secoua tout à coup Limier ; il avait encore de longues heures de travail devant lui, avec cette bande d’abrutis, alors qu’il n’avait fallu que deux annonces toutes simples pour le vider de son énergie. Il n’était pas sorti de l’auberge… Mais il n’avait pas de temps à perdre, il fallait qu’il ancre l’Ordre dans une nouvelle ère plus performante et progressiste. Car n’était pas le progrès qui bloquait le retour de Silveroy, il en était convaincu. C’était le manque d’harmonie qui régnait à Hamegel, à forces de discordes entre l’Ordre et la municipalité. Aucun monarque ne veut régner sur un peuple divisé, et c’était précisément là que Coulzan échouait.

Limier était peut-être un traître, mais il avait agi pour la bonne cause. Pour Silveroy.

***

— Pour la millième fois, non ! je ne sortirai pas de là un point c’est tout !
— Voyons sir, regardez-vous.

Cela faisait bien dix minutes que Marbaude tentait de convaincre Coulzan de sortir du tas de foin dans lequel il s’était caché. Il était ridicule, allongé dans le foin avec ses vêtements miteux, et de la paille plein les cheveux. Il avait beau se planquer dans toutes les granges du village, il ne pouvait pas échapper aux visions omniscientes de sidérella. Il était un homme brisé, qui avait perdu tous ses repères en une seule nuit, si bien que depuis trois jours maintenant il redoublait d’ingéniosité pour fausser compagnie à son hôte, sir Tricor du Géant. C’était à Pic Roche, le fief de ce dernier, que Marbaude avait conduit Coulzan et Geliverne après leur défaite, car Tricor était le seul homme sensé de tout Couronneige à avoir poursuivi ses recherches sur Silveroy en parallèle de cette parodie d’ordre chevaleresque qu’était l’Ordre de la Couronne. Et il avait bien fait, car il avait maintenant une nouvelle importante à partager avec Coulzan. Seulement voilà, Marbaude n’arrivait pas à le sortir de là.

— Bon ça suffit maintenant, sortez où je vais devoir employer les grands moyens, menaça-t-elle.
— MER-DE ! Voilà c’est tout ce que j’ai à dire : merde ! lança-t-il avant de replonger sous le foin.

Tant pis pour lui, il l’avait bien cherché. Marbaude se releva et se dirigea à l’extérieur de la grange, dans laquelle des tauros ruminaient tranquillement. La grange se trouvait à l’entrée du village, tout près du Temple de Regirock, le pokémon emblématique qui figurait sur tous les écus et les blasons du domaine du Géant. Marbaude rejoignit Tricor, Geliverne et son cadoizo, qui l’attendaient dehors.

— Il vous demande, mentit Marbaude à Geliverne.

Le chevalier, toujours armé de son inébranlable bonne volonté, se précipita dans la grange. Plus qu’un chef, Coulzan représentait un guide spirituel pour lui. Et Geliverne le collait davantage encore depuis qu’il essayait de leur fausser compagnie.

— Je ne lui donne pas cinq minutes, commenta Tricor de sa voix grondante.
— Pas plus d’une, rétorqua Marbaude.

Coulzan ne supportait pas plus Geliverne maintenant que par le passé, et comme il n’était plus le meneur de l’Ordre de la Couronne, il ne prenait même plus la peine de faire semblant de l’écouter.

— Sir ! On a une bonne nouvelle à vous annoncer ! criait Geliverne alors qu’il pénétrait dans la grange. C’est en rapport aux crottes…
— AH NON PAS VOUS !

Rapport aux crottes… Ce pauvre Geliverne n’avait rien compris à la bonne nouvelle en question, mais au moins il avait fait sortir Coulzan. Ce dernier se précipitait hors de la grange, vêtu de vieux vêtements de lin déchirés et semant des brins de paille sur son chemin. Il n’avait même pas tenu dix secondes.

— Mais sir, attendez ! Sir ! criait Geliverne en le suivant dehors. Des belles crottes violettes qui s’évaporent !

Coulzan s’arrêta finalement au milieu du chemin de terre boueux, levant les yeux au ciel et serrant la mâchoire. Il semblait lutter entre l’envie de disparaître pour de bon et celle de réprimer Geliverne une fois de plus, très probablement dépassé par son niveau de connerie qui battait chaque jour des records. Il choisit les réprimandes.

— Vous vous rendez compte au moins que ce que vous dites n’a aucun sens ?
— Pourtant je fais mes phrases dans l’ordre ; sujet du roi, gerbe, complémentaire.

Coulzan marqua un arrêt, stupéfait par la réponse une nouvelle fois lunaire de Geliverne.

— Sujet, verbe, complément, ne put-il s’empêcher de corriger.
— Ouais c’est ça, complément.
— Allons-nous mettre à l’abri des regards, les interrompit Tricor d’une voix grave.

Il s’élança alors en direction d’un petit préau de bois qui servait de poste de garde à l’entrée du village. Les autres le suivirent. Tout autour, les paysans et autres villageois qui vaquaient à leurs occupations étaient effectivement nombreux. Le Pic Roche était devenu, en quelques années seulement, la seconde agglomération de Couronneige derrière Hamegel. Sa population avait surtout explosé à force de drainer les pauvres gens expulsés de leurs habitations à Hamegel, victimes invisibles de cette stupide joute urbanistique que se livraient la municipalité et l’Ordre de la Couronne. Si Marbaude en avait conscience depuis bien longtemps déjà, les voir ici avait été un choc pour Coulzan ; un échec de plus à son actif. Fort heureusement, personne n’avait connaissance de l’identité de cet énergumène malpropre qu’était Coulzan, Sans cela, Limier serait très probablement déjà intervenu en personne pour le faire taire définitivement.

— Les carottes sombres, annonça alors Tricor en prenant place sur un siège en bois. Et non pas des crottes vaporeuses comme le disait notre cher ami Geliverne.

Cette fois-ci, Tricor avait piqué l’intérêt de Coulzan. Marbaude décida de le laisser déballer, se contentant de faire taire Geliverne—qui s’apprêtait à sortir une énième connerie—grâce à l’hypnose de sidérella.

Après son arrivée à Couronneige, Gloria avait rapidement trouvé les carottes gelées puis blizzeval, s’imposant ici aussi comme la géniale dresseuse pokémon qu’elle était. Mais les carottes sombres étaient restées introuvables. Blizzeval seul n’avait pas été suffisant pour restaurer la confiance perdue de la population, empêchant le retour de Silveroy. Au bout d’un certain temps, Gloria repartit, et l’Ordre de la Couronne se concentra sur sa croisade urbanistique pour limiter l’influence galarienne et ainsi empêcher la situation d’empirer.

Mais les choses étaient sur le point de changer, car les carottes sombres avaient maintenant été retrouvées, et donc spectreval ferait lui aussi son grand retour. Et avec lui, l’espoir du retour de Silveroy…

— Où sont-elles ? demanda enfin Coulzan, qui venait de saisir l’importance de l’annonce.
— Ça, ça restera un secret bien gardé du domaine du Géant, statua Tricor, conscient que Coulzan n’avait aucun levier pour négocier. Mais spectreval ne va pas tarder à ramener le bout de son museau. Il faut donc se magner le tronc, parce que Limier ne va pas rester assis à compter les léboulérou quand le canasson débarquera sur la Voie de Procession.

Si spectreval débarquait effectivement à Hamegel, Limier chercherait à l’associer à l’Ordre bien sûr. Ce serait une victoire monumentale pour lui, l’occasion d’asseoir à jamais sa légitimité. Mais encore fallait-il qu’il soit capable de valoriser son retour pour ragagner la confiance du peuple en Silveroy et ainsi le faire revenir. Or s’il continuait son virage pro-municipalité comme ces trois derniers jours, rien n’était moins sûr…

— Hok !

Geliverne avait laissé échapper un étrange hoquet, et il semblait maintenant contrarié dans son sommeil… quand il s’éleva tout à coup dans les airs.

— Sidérella ! Mais qu’est-ce que tu fais ? s’enquit Marbaude.

Mais le pokémon lui fit comprendre qu’il n’y était pour rien. Blizzeval s’éjecta lui aussi de sa pokéball pour hennir comme il ne l’avait encore jamais fait. Un étrange halo bleu enveloppait maintenant Geliverne, puis il se mit à articuler quelque chose.

— Hu… humains, commença-t-il non sans difficultés. Le retour de mon destrier est imminent…

Marbaude comprit à cet instant. Et à en voir le visage déconfit de Coulzan, il comprit lui aussi. Silveroy, le monarque de Couronneige, leur adressait la parole à travers Geliverne, comme il l’avait fait à travers Dhilan cinq ans plus tôt.

— Ne faites pas fausse route, humains… poursuivit Silveroy avec peine.
— Pardonnez-moi, mon Roi, j’ai peur de ne pas tout à fait comprendre, s’exprima Coulzan, solennel.
— C’est que… ce vaisseau humain m’a l’air particulièrement… difficile à piloter… comme s’il lui manquait quelque chose…
— Le cerveau sans doute, ironisa Tricor, peu impressionné.
— De quelle fausse route parlez-vous, mon Roi ? reprit religieusement Coulzan.

Il en avait les larmes aux yeux. Marbaude retrouvait en cet instant le Coulzan qu’elle avait connu à ses débuts, imprégné d’une foi inébranlable. Le revoir ainsi lui réchauffait le cœur.

— Même avec mes deux destriers… je ne pourrai revenir… si mes gens ont quitté mes terres.
— Quitter vos terres ? Jamais je ne vous abandonnerais, se défendit Coulzan.

Marbaude croyait comprendre. Il n’était pas question de Coulzan, non. Mais des habitants de Hamegel. Elle, elle était confrontée depuis des années aux conséquences démographiques de l’urbanisme galopant de Hamegel, avec la fuite des plus démunis au profit des plus aisés. L’Ordre pouvait bien réaménager autant de bâtiments anciens ou installer autant de statues à l’effigie de Silveroy qu’il le voulait, l’âme de Hamegel continuait de s’évaporer. Bien sûr, ces travaux contribuaient à rendre le monarque plus présent dans l’esprit des habitants, mais avec une efficacité très modérée.

Le secret du retour de Silveroy à Hamegel résidait donc dans l’esprit de ses habitants, pas dans ses murs et ses pavés.

— Ma vitalité réside dans les âmes humaines… arrêtez les expulsions…

Geliverne se mit à tressaillir. Marbaude pouvait sentir que Silveroy perdait son emprise sur le pauvre chevalier. Coulzan lui, semblait réfléchir à toute vitesse aux propos du monarque.

— Dégagez les Trois Voies…

Ce furent les derniers mots de Silveroy.

Geliverne s’effondra tout à coup au sol, se réveillant à cause de la douleur.

— Qu’est-ce qui s’est passé ? demanda-t-il en se frottant la tête.

Mais personne ne prit le temps de lui répondre ; tout le monde tâchait de comprendre ce que ces Trois Voies pouvaient bien être. Blizzeval bouscula Coulzan, qui fut alors le premier à énoncer une piste.

— Vous venez du domaine de la Croisée, n’est-ce pas ? Vous l’appelez aussi la Croisée Trois-Voies non ? questionna-t-il Geliverne.
— Heu, oui sir, répondit Geliverne, qui ne voyait pas où voulait en venir Coulzan.
— Ça vient d’où, ce nom : les Trois Voies ?
— Ben ça vient des Voies de Procession.
— Les Voies de Procession ? Il y en aurait trois ?
— Ben oui, pourquoi ?
— Parce que ça fait des mois qu’on en cherche une seule, commença Coulzan en perdant son calme, que vous-même étiez chargé de la dégager sous le Champs-de-Mars, et qu’il ne vous soit jamais venu à l’esprit de nous dire qu’il y en avait deux autres !
— Ben je croyais que vous saviez, expliqua simplement Geliverne.
— Mais si on savait on aurait dégagé les autres abrutis !
— Eh, mollo avec le jeunot, intervint Tricor en posant une immense main calleuse sur l’épaule de Coulzan. Si vous avez assez d’énergie pour lui crier dessus, vous en avez assez pour vous remuer les méninges. Parce que ce connard de Limier va faire reboucher le Champs-de-Mars, aux dernières nouvelles. Demande du maire. Bientôt vous n’aurez plus une seule Voie de Procession sous la main.

C’était vrai, Marbaude avait elle aussi entendu parler de ce projet. Ou plutôt de ce changement de projet, parmi tant d’autres, que Limier avait cédé à la municipalité.

— Combien de temps pensez-vous que l’on ait ? demanda Coulzan, qui semblait avoir repris ses vieux réflexes de leader.
— Une semaine tout au plus, estima Marbaude. C’est à peu près le temps qu’avait mis blizzeval pour se montrer.
— Et c’est le délai qu’a obtenu Limier pour reboucher le Champs-de-Mars, ajouta Tricor.
— Bien. Autrement dit, c’est aussi le temps qu’on a pour trouver les deux autres Voies de Procession. Et pour mettre en place un plan d’action à Hamegel, afin d’empêcher Limier de faire une grosse connerie.

Coulzan avait récupéré cette lueur mordante dans les yeux, celle qui lui manquait depuis des mois maintenant. Il avait récupéré sa foi. Enfin, Couronneige avait à nouveau un leader vers qui se tourner, sur qui compter. Tout ce qu’il lui avait fallu, c’était une double trahison, la défaite militaire, l’exile, et l’apparition inopinée d’un monarque qu’il avait passé cinq années à chercher partout. Et Geliverne.

Sidérella interpella Marbaude de sa douce voix. Elle le sentait elle aussi, qu’une nouvelle ère s’ouvrait. Le Roi allait faire son retour.