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Les méandres de la mémoire de MissDibule



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» Auteur : MissDibule - Voir le profil
» Créé le 09/09/2025 à 20:08
» Dernière mise à jour le 10/09/2025 à 13:13

» Mots-clés :   Présence de personnages du jeu vidéo   Slice of life   Unys

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Chapitre 7 – Illuminations
Vêtue de son accoutrement anti-paparazzis, Inezia quitta la Grande Roue l’esprit embrumé. Elle se mit à errer dans la rue comme un zombie. Qu’est-ce qui lui avait pris de dévoiler ainsi son passé dans cette émission qu’elle haïssait par-dessus tout ?

Pourtant…

Elle repensa à la sensation de bien-être qu’elle avait ressentie en vidant son sac. Tous ces souvenirs refoulés, ces frustrations enfouies… Cette histoire qu’elle avait toujours cachée… Aujourd’hui, elle se la réappropriait. Le monde découvrirait bientôt la véritable Inezia.

La jeune femme prit soudain conscience des conséquences potentielles de son acte. Elle risquait de perdre ses sponsors, ses contrats… Elle mettait en jeu toute sa carrière de top-modèle. Un rictus joueur se forma sur les lèvres de la Championne. Elle comprenait désormais la raison qui l’avait poussée à participer à l’émission.

Un acte manqué.

Pour se débarrasser de cette vie qu’elle n’avait jamais vraiment voulue.

En était-il de même pour toutes les autres personnes qui étaient venues raconter leur histoire durant l’émission ? Pour quelle raison étaient-ils venus étaler leurs états d’âme devant les caméras, aux yeux de tous ? Alors qu’elle se posait cette question, la jeune femme se figea. Ses pieds l’avaient menée d’eux-mêmes à l’endroit où elle pourrait obtenir la réponse.

À l’extrême sud-est de la ville, où trônait le bâtiment temporaire installé pour accueillir le staff de Pokéshow. Semblable à un conteneur gris géant bardé de fenêtres, il évoquait à Inezia un hangar qui serait le repaire d’activités louches. « Pas si loin de la vérité, après tout », songea-t-elle. Un immense panneau affichait le logo coloré de Pokéshow, ainsi qu’une inscription très accueillante : « Locaux privés de Pokéshow – Réservés au personnel autorisé. Défense d’entrer ! »

Inezia fixa la porte d’acier un instant et vérifia autour d’elle que personne ne lui prêtait attention. Elle se débarrassa alors de son déguisement, se remaquilla, et sonna à l’interphone, armée de son plus beau sourire. Un bip sonore se fit entendre lorsque l’employé chargé de la sécurité décrocha.

– Qu’est-ce que c’est ? On n’accepte pas les visi… Oh la vache ! s’écria-t-il soudain. Kevin, viens voir ! C’est Inezia !

– Nan, tu déconnes ? répondit une autre voix.

– Bonjour ! déclara Inezia d’une voix charmeuse en regardant la caméra de l’interphone droit dans les yeux. J’ai été contactée par Pokéshow en vue d’une éventuelle collaboration. Puis-je entrer ?

– Mais bien sûr… répondit l’un des hommes d’un ton rêveur.

– Mais t’es con ou quoi ? Même si c’est Inezia, on peut pas la laisser entrer comme ça ! Faut contacter le boss !

– Ah, oui… Un instant, ne quittez pas, on revient !

Une minute plus tard, la voix revint :

– Oui, c’est bon, vous pouvez entrer ! C’est un plaisir de vous accueillir à Pokéshow !

– Merci, vous êtes charmant !

– Oh là là, mec, elle m’a dit que j’étais charmant ! C’est ma future femme, je te le dis !

– Raccroche l’interphone avant de dire des conneries !

Inezia franchit la porte d’entrée en pouffant, amusée.

Une fois dans le bâtiment, elle se figea, impressionnée. Elle ne savait pas à quoi s’attendre, mais sans doute pas à la vision qui s’offrait à elle : d’innombrables bureaux cloisonnés, lumineux et spacieux. Si elle ne s’était pas trouvée dans les rues de Méanville quelques secondes plus tôt, la jeune femme aurait pu se croire dans l’un des immeubles de Volucité.

« C’est comme si on avait découpé un étage d’un des gratte-ciels de Volucité pour le transporter ici… » songea-t-elle. « Ça fait vraiment tache dans le beau paysage de Méanville… »

– Ah, voilà la grande Inezia, en chair et en os ! s’écria une voix. Je suis raviiii que vous ayez enfin accepté de nous rencontrer ! J’ai appris que vous venez de participer à notre émission ? Vous m’en voyez honoré ! Je me présente, Chaz Berry, producteur de « Rondez-vous Mystère » !

À ces mots, le nouveau venu, un homme aux cheveux poivre et sel vêtu d’une chemise noire entrouverte, salua Inezia d’un baisemain désuet.

– Enchantée, répondit poliment Inezia. Oui, je l’avoue, votre émission a attisé ma curiosité.

– Souhaitez-vous discuter des modalités d’un potentiel contrat dans mon bureau ? s’enquit Berry d’un ton intéressé.

« Allez, Zia, c’est l’heure de déployer tous tes talents d’actrice ! »

– Oh, euh… J’espérais pouvoir visiter vos locaux, d’abord. Je suis curieuse de découvrir l’endroit où la magie opère !

Chaz Berry afficha un air ennuyé. Inezia pouvait lire sur son visage son conflit intérieur. Finalement, il céda.

– Oui, eh bien, je suppose qu’un petit tour des bureaux ne peut pas faire de mal.

– Oh, merci beaucoup ! s’exclama la Championne d’un ton enjoué.

Chaz Berry mena donc son invitée à travers un dédale de bureaux provisoires. Il donnait des explications soporifiques, que la jeune femme écoutait à peine. Elle scrutait les inscriptions placardées sur les portes, à l’affût de son objectif. Enfin, lorsqu’elle repéra la pièce qu’elle cherchait, Inezia mit son plan à exécution.

– Dites, Mr Berry…

– Oui, Ms Inezia ?

– C’est un peu gênant, mais… Où se trouvent les toilettes, s’il vous plaît ? J’ai dû boire trop de thé détox ce matin, haha !

– Oh, euh, eh bien…

Embarrassé, Berry bredouilla des indications pour trouver les toilettes. Elles ne se trouvaient pas vraiment dans la même direction que l’objectif d’Inezia, mais elle ferait avec.

– Souhaitez-vous, euh… que je vous y accompagne ?

– Oh non, ne vous dérangez pas, je vais trouver ! Je reviens vite ! Merci !

La jeune femme déguerpit sans demander son reste. Elle commença par emprunter la direction indiquée par le producteur, avant de bifurquer dès qu’elle fut hors de son champ de vision. Elle atteignit rapidement la pièce qu’elle recherchait : la salle de montage.

Elle inspira un grand coup avant d’ouvrir la porte d’un coup sec.

Une multitude d’écrans empilés les uns sur les autres. Une obscurité à peine brisée par l’éclairage des moniteurs. Une odeur de sueur, mêlée au graillon des emballages de restauration rapide. Voilà ce qui accueillit Inezia lorsqu’elle ouvrit la porte. Et bien sûr, les monteurs eux-mêmes, et leur air fatigué.

– Hé ! s’écria l’un d’entre eux. Qui vous a permis d’ent… Ooooh ! s’exclama-t-il après s’être retourné. J’y crois pas, c’est…

– Quoi ? Arrête de trouver des excuses pour pas bosser, Alex ! Oooh putain, je rêve, c’est Inezia !

– Mais ouais, bien sûr, et moi j’suis la reine de Galar ! renchérit un troisième avant de sursauter. Oh la vache, c’est vrai.

– Bonjour les garçons ! s’exclama le mannequin de sa voix sensuelle. Je viens de la part de votre producteur, Chaz Berry. Il m’a autorisée à visiter le studio, et je mourais d’envie de découvrir l’émission en avant-première ! Est-ce que mon passage rend bien à l’écran ?

Les trois jeunes hommes s’entreregardèrent, en proie à un mélange de gêne et de confusion.

– Vraiment… ? Mais Mr Berry nous a formellement interdit de montrer les rushs de l’émission aux personnes extérieures… commença l’un.

– Oui, mais après, c’est Inezia, quand même, fit valoir le second, dénommé Alex. Le studio essaie de la recruter depuis un bail.

– Peut-être, mais c’est bizarre, quand même… se méfia le troisième.

La Championne s’était préparée à cette éventualité. Elle composa donc sa plus tragique mine de Ponchiot battu, inspirée de sa chère mère. Quelques larmes se mirent même à perler au coin de ses yeux.

– Vous… Vous ne me croyez pas… ? demanda-t-elle d’un ton blessé.

L’effet fut immédiat. Devant sa mine attristée, ses cibles mordirent à l’hameçon, et se confondirent en excuses. Inezia, elle, exultait. Elle ne reculerait devant rien pour trouver la réponse qu’elle cherchait. Satisfaite, elle prit place sur le siège qu'un des monteurs lui offrait.

– Ce serait beaucoup trop long de vous montrer chaque interview en entier, même si on se limitait à celles choisies pour passer dans l’émission, argua Alex. Mais vous avez de la chance, on a presque fini de monter les petits résumés d’une minute qu’on va diffuser au début de chaque épisode. On peut vous montrer ça, si vous voulez.

– Oh, oui ! approuva Inezia.

Elle observa avec enthousiasme les petites séquences. Il y avait des citadins anonymes, qui racontaient sur leur passé au sein de Méanville. Hélas, beaucoup de récits relataient des vies tragiques et brisées. « Mon histoire à moi paraît bien gaie, en comparaison », songea Inezia avec mélancolie.

Mais la Championne fut surprise de voir aussi apparaître des personnalités publiques : Jason Lamarcus, célèbre basketteur, ou même Chamsin ! Qui aurait cru que cette vieille branche se prêterait au jeu ?

Une histoire en particulier retint son attention : celle d’une dame âgée, dont la carrière de danseuse avait été écourtée par un incident sur scène. Fascinée, la jeune femme repassa plusieurs scènes du petit résumé qui concernait cette danseuse, nommée Olivia. La voir pleurer ainsi sa vie perdue serra le cœur d’Inezia.

– Ah, vous aussi, vous avez un faible pour Olivia ? C’est la coqueluche de tout le monde, ici ! expliqua l’un des monteurs.

– Oui, tout le monde l’adore ! renchérit un autre.

– Moi aussi, son histoire m’a touché. C’est justement pour ça que j’aime pas du tout ce que Mr Berry nous a demandé de faire avec, lâcha Alex, les bras croisés.

– Comment ça ? s’enquit Inezia, intriguée.

Un mauvais pressentiment lui parcourut l’échine.

Nouveau regard gêné au sein de l’équipe de montage.

L’un des collègues d’Alex lui donna une tape sur la tête.

– T’en as trop dit, abruti !

– Je m’en fous. J’aime pas les méthodes du boss, et j’ai pas peur de le dire.

– T’as raison, ricana le troisième. Tu risques juste de te faire virer ET poursuivre en justice pour avoir brisé l’accord de confidentialité !

– Rien à foutre. Au moins, je reste fidèle à mes principes. Je vais vous expliquer, Inezia, décida Alex.

Aucune des vives protestations de ses collègues ne réussit à décourager Alex. Inezia sentait bien que le sujet le démangeait depuis longtemps. Il commença par raconter au mannequin toute l’histoire d’Olivia, qui se révéla bien différente de ce que la Championne avait vu dans le résumé. En réalité, l’histoire de la danseuse finissait bien.

– En fait, Mr Berry nous a demandé deux choses. D’abord, effacer toutes les accusations dirigées contre l’affreux Edward. Ensuite, couper la partie où Ernest dit à Olivia que sa vie reste incroyable, même si elle n’est pas restée danseuse.

Inezia sentit le sang bouillonner dans ses veines. Elle dut déployer des trésors d’ingéniosité pour conserver son rôle de greluche aguicheuse.

– Oh… Mais pourquoi ?

– Bon, Alex, ça suffit ! Tu vas nous faire virer, avec tes conneries ! s’énerva son collègue.

– Parce que cet enfoiré d’Edward Fox a eu vent de la participation d’Olivia à l’émission, continua Alex sans lui prêter attention. Et bien sûr, il a flippé. Il veut préserver sa réputation, basée sur son histoire à lui, inventée de toutes pièces. Et comme si ça suffisait pas, il veut aussi qu’on fasse croire qu’Olivia est une pauvre dame fragile à la vie brisée.

– Mais quel sale type ! explosa Inezia, incapable de conserver son masque plus longtemps.

Sa réaction épidermique cloua sur place les deux collègues d’Alex. Ce dernier, lui, approuva avec ferveur.

– Je vous le fais pas dire ! Et le pire dans tout ça ? C’est que Mr Berry nous a demandé de faire ce genre de montage malhonnête pour toutes les histoires ! avoua Alex, hors de lui. Celle d’Olivia est juste de loin la plus modifiée.

Sous le choc, Inezia repensa à tous les récits qu’elle venait d’entendre. Toutes ces vies qui suivaient leur cours au sein de Méanville… Ces fragments d’histoires si chers au cœur de ses concitoyens… Quelle part de vérité contenaient-ils ? Qui étaient ces hommes abjects, pour oser tordre les souvenirs des honnêtes gens ?

Une autre question la frappa en plein cœur.

Et qu’en était-il de son histoire, à elle ?

Allait-on la déformer aussi, renier sa mémoire ?

Sûrement pas !

– Ils n’ont pas le droit ! protesta Inezia avec force.

Elle se redressa avec tant de force qu’elle fit sursauter les trois monteurs.

Au même moment, la porte de la salle de montage s’ouvrit avec fracas, révélant un homme au visage rouge, qui avait bien perdu de sa superbe.

Chaz Berry.

– Ah, t’es là, petite garce ! Tu t’es bien foutu de ma gueule ! hurla-t-il.

– Tiens, Mr Berry, quelle charmante surprise ! On parlait justement de vous, répondit Inezia en se tournant vers le producteur, les bras croisés.

Chaz Berry observa les écrans une seconde avant de saisir le col d’Alex, fou de rage.

– Qu’est-ce que vous lui avez raconté, bande de dégénérés ?

– La vérité, assena Alex sans broncher, le regard brillant de courage derrière ses lunettes noires. Que vous nous obligez à modifier les histoires des participants sans aucun scrupule ! Que vous avez cédé aux pots-de-vin d’un sale type pour discréditer une vieille dame !

Les mots étaient, tranchants, incisifs. Les traits déformés par la colère, Berry leva le poing, prêt à frapper.

– Vous êtes tous virés ! Tous ! beugla-t-il, hystérique. Et attendez-vous à recevoir une plainte pour rupture de contrat !

– Ça, ça m’étonnerait, le détrompa une voix derrière lui.

Chaz se retourna comme un Frison enragé. Inezia se tenait bien droite, un sourire rayonnant aux lèvres… et un téléphone portable à la main.

– Souriez, vous êtes filmé ! s’exclama-t-elle avec entrain.

– Espèce de garce ! Je vais te…

Avant qu’il ne puisse faire un pas de plus, deux paires de bras le retinrent : le reste de l’équipe de montage, qui se ralliait à la cause d’Alex et d’Inezia. Cette dernière rangea son téléphone et vint se planter devant Chaz Berry, dont les veines du front semblaient prêtes à éclater. Alex en profita pour verrouiller la porte.

– Le marché est simple, Mr Berry, déclara Inezia d’un ton sans réplique. Soit vous retirez toutes les modifications que vous avez apportées aux histoires des participants, et vous vous engagez à les diffuser telles quelles, soit je transmets cette vidéo très instructive à toute ma liste de contacts… qui inclut un grand nombre de journalistes trèèès intéressés par les scandales. Je vous laisse imaginer la longueur de la liste…

Furieux, Berry la traita de tous les noms. Inezia, elle, jubilait. Pourtant, elle ignorait pourquoi elle agissait ainsi. La veille encore, elle désirait plus que tout faire supprimer l’émission… et voilà qu’elle essayait de la sauver !

– Ah, et bien sûr, comme votre parole ne me suffit pas, je souhaiterais être nommée coproductrice de l’émission, à titre exceptionnel, pour m’assurer que les conditions du marché sont remplies.

– Plutôt crever, lui cracha-t-il au visage.

– Oh, vraiment ? Je ne comprends pas, pourtant, c’est vous qui teniez tant à collaborer avec moi… Bon, tant pis, il ne me reste plus qu’à appeler la PDG de Pokémédia, alors…

Elle ressortit son téléphone et initia un appel. Elle mit le haut-parleur et vit le visage de Berry passer par toutes les teintes de l’arc-en-ciel. Elle parvint néanmoins décrypter sa véritable pensée : « elle bluffe. »

« C’est ce qu’on va voir… »

Une tonalité.

Deux tonalités.

Trois tonalités…

– Edith Numens de chez Pokémédia, j’écoute.

– Bonjouuur, Edith ! Inezia à l’appareil !

– Oh bonjour, Inezia, comment allez-vous ? Que me vaut le plaisir de votre appel ?

– Ça va, merci. Écoutez, je pense que j’ai une info qui pourrait vous intéresser…

– Ah oui ? Je vous écoute… s’enquit Edith d’un ton intrigué.

Inezia dévisagea Chaz Berry. Il semblait beaucoup moins serein : épaules tremblantes, sueur dans le cou, regard paniqué… La Championne sourit d’un air narquois.

– Ça concerne Pokéshow, vous savez, la grande entreprise…

– Si je sais ? Ça fait des années qu’on essaie de trouver une preuve tangible de leurs pratiques frauduleuses ! Mais ils se protègent bien, ces Rattata… En plus, ils sont couverts par Pokéwood, leur maison-mère. Vous avez quelque chose ?

Cette fois-ci, Edith semblait plus qu’intéressée. Inezia planta son regard dans celui de Chaz Berry et assena le coup de grâce.

– Oui. C’est à propos du producteur Chaz Berry…

– Ah oui, cette ordure ! Depuis le temps qu’on essaie de le coincer… Alors, qu’est-ce que vous avez sur lui ?

C’en fut trop pour le producteur.

– Stop ! Stop ! Arrêtez ! C’est d’accord !

Inezia enleva le haut-parleur et coupa son micro.

– Vous acceptez mes conditions ?

– Oui… Oui ! Vous avez gagné, sale vipère…

Un sourire triomphant se dessina sur les lèvres de la jeune femme.

***
Grâce à l’intervention d’Inezia, l’émission « Rondez-vous Mystère » ne présenta que des récits authentiques. Dès le premier épisode, le projet rencontra un franc succès. Comme la Championne l’avait prédit, son propre passage dans l’émission déchaîna les passions. Elle perdit la plupart de ses contrats, mais, plus étonnant encore, elle en décrocha d’autres.

Des marques de mode qui prônaient des valeurs plus éthiques saluèrent son courage et son honnêteté face aux travers de ce milieu controversé. Bientôt, Inezia et son histoire devinrent les porte-drapeaux d’une mode plus humaine. Quelle ironie ! Cet acte manqué, destiné à la faire descendre de ce piédestal qui l’oppressait, l’avait élevée sur un autre.

Inezia sourit à cette pensée. Radieuse dans sa robe de soirée bleue, elle essayait toujours d’assimiler les derniers événements. Non seulement elle avait participé à l’émission qu’elle croyait haïr, mais elle avait même aidé à la produire ! Et maintenant, elle se retrouvait là, invitée à cette soirée qui célébrait la diffusion du premier épisode de l’émission – le sien.

Cocktail à la main, elle embrassa la salle de réception du regard. Tous ceux qui avaient contribué de près ou de loin à la réalisation de l’émission se trouvaient là. Enfin… Tous, sauf un. Un certain producteur n’avait pas souhaité se joindre aux festivités, pour le plus grand bonheur d’Inezia.

Perdue dans ses pensées, elle ne remarqua pas tout de suite une femme qui s’approchait d’elle à pas lents. Une dame âgée, à l'élégance rare. Inezia la reconnut aussitôt.

– Olivia. Quel plaisir de vous voir. Vous vous amusez bien ?

Les yeux bruns de la vieille dame brillaient d’émotion.

– Bonsoir, Inezia. Oui, merci. Je viens de discuter avec un certain Alex… Un jeune homme charmant. Il m’a raconté ce que vous aviez fait pour moi… Je ne sais pas comment vous remercier… Vous avez empêché Edward de gâcher ma vie pour la seconde fois. Vous avez ma reconnaissance éternelle.

Attendrie, Inezia esquissa un sourire sincère.

– Je vous en prie. Votre histoire méritait d’être racontée… En entier. N’en déplaise à ce goujat.

– Merci…

Un court silence s’ensuivit. Les deux femmes n’eurent pas besoin de parler pour se comprendre. Elles s’avancèrent en même temps l’une vers l’autre, et s’enlacèrent dans une embrassade complice. Lorsque l’étreinte prit fin, chacune avait les larmes aux yeux.

– Encore merci, Inezia… Vous êtes un ange.

La Championne secoua la tête.

– Oh non, c’est plutôt vous, l’ange.

Sur ces mots, Olivia souhaita une bonne soirée à Inezia et s’éloigna, un petit sourire ravi aux lèvres. Le jeune mannequin se remettait à peine de ses émotions quand une autre personne s’approcha d’elle. Quelqu’un qu’elle était bien moins contente de croiser.

« Oh non, pas elle… »

– Ms Inezia ! Enfin, je vous trouve ! s’exclama Irene Handler, une coupe de champagne à la main, resplendissante dans son tailleur vert.

« Hein ? Elle me cherchait ? »

– Bonsoir, Irene, répondit simplement Inezia, curieuse.

– Il fallait absolument que je vous parle ! J’ai pensé à vous appeler, mais honnêtement, j’ai moi-même été plutôt occupée, à la mairie… Depuis que je suis devenue « le meilleur élément » de notre cher maire, il en profite pour me déléguer encore plus de travail !

Bien malgré elle, la Championne d’arène laissa échapper un rire.

– Oui, je suppose que vous voyez bien ce que je veux dire, reprit Irene en souriant. Mais assez parlé de moi ! Je vous avoue que j’ai suivi votre contribution au projet « Rondez-vous Mystère » de loin, mais chaque nouveau rebondissement m’étonnait un peu plus ! C’était un peu mon émission de télé-réalité à moi toute seule…

À ces mots, Irene se mit à rire à son tour.

– C’est pour ça que je voulais absolument vous parler ! Lors du conseil municipal, vous êtes la seule à vous être opposée à mon projet. D’où vous vient ce radical changement d’avis ?

Inezia se mit à fixer son verre, pensive. Cette question l’obsédait depuis qu’elle avait mis les pieds dans la nacelle de la Grande Roue. Si elle avait participé à l’émission, ce n’était pas juste pour se libérer de l’emprise de sa mère ou de son métier de mannequin. Non, son implication avait dépassé la simple catharsis. Elle était allée jusqu’à braver la loi pour protéger l’émission.

Non, pas l’émission.

Les histoires des participants.

Plus encore…

La mémoire des citoyens de Méanville.

Un frisson électrisa le corps d’Inezia.

Elle tenait sa réponse.

– C’est une très bonne question, reconnut-elle. Moi-même, je n’arrête pas de me la poser. Au départ, j’étais vraiment opposée à ce projet. J’avais l’impression que la ville vendait son âme au diable…

– Je peux comprendre pourquoi. Pokéshow n’est pas l’entreprise la plus éthique, admit Irene.

– Oui. Mais ensuite, j’ai vu l’engouement des habitants pour l’émission. Je n’avais jamais vu autant de monde faire la queue pour la Grande Roue… Visiblement, j’étais la seule à ne pas adhérer à l’idée. Alors j’ai arrêté de ruminer dans mon coin, et, piquée par la curiosité, j’ai fini par participer. Je me suis prise au jeu. J’ai dévoilé mon passé, et j’ai découvert à quel point cela pouvait faire du bien.

Inezia laissa le sentiment de bien-être de son souvenir envahir son corps comme une douce chaleur.

– J’ai vu l’émission. J’étais loin de me douter que vous aviez vécu une enfance pareille… Moi qui croyais que vous étiez une gamine pourrie gâtée, née avec une cuillère en argent dans la bouche… avoua Ms Handler. En réalité, vous avez souffert, vous aussi. Je me rends compte que je vous avais mal jugée. Je suis désolée.

Inezia sourit.

– Je crois que moi aussi, je vous avais mal jugée, Irene.

– Alors nous sommes deux.

Après un court silence entendu, Inezia reprit.

– Je ne réalise que maintenant à quel point j’ai été égoïste, déclara Inezia d’un ton dur. En supprimant l’émission, j’aurais privé les habitants de cette sensation qui m’a pourtant fait tant de bien.

Irene hocha la tête, suspendue à ses lèvres.

– Je me suis rendu compte que, pour beaucoup, cette émission était une chance unique. Celle d’être entendu, écouté, regardé, considéré… Et soudain, j’ai ressenti le besoin de protéger ces histoires. J’ai voulu m’impliquer dans l’émission… pour veiller à ce que la mémoire de Méanville reste authentique.

– « La mémoire de Méanville » ? Vous n’exagérez pas un peu ? demanda Irene, sceptique.

– Non, répliqua Inezia d’un ton catégorique.

Puis elle s’avança vers la baie vitrée, où les illuminations de Méanville brillaient de mille feux. La jeune femme posa une main gantée sur le verre, les yeux rivés sur l’horizon. Mais, peu importe à quel point elle regardait loin, Inezia ne pouvait échapper à son reflet dans la vitre. Elle sourit.

– Méanville est une ville extraordinaire, un spectacle de couleurs et de lumière. Il y a toujours quelque chose à y faire, quelque chose à y voir.

Les yeux perdus dans le vague, Inezia repensa aux histoires qu’elle avait entendues. Jason, le basketteur qui avait révolutionné son sport… Chamsin, le Chef de Métro dévoué, qui faisait la fierté de la ville… Sans oublier Olivia, la danseuse au destin incroyable. Ainsi que tous les autres anonymes, aux vies si différentes…

Toutes ces existences entremêlées faisaient battre le cœur de la ville.

C’était eux, l’âme de Méanville.

Tout comme Irene.

Tout comme elle.

– Mais, dans une ville, peu importent les couleurs, les lumières, les monuments…

Inezia se retourna pour planter son regard dans celui d’Irene.

– S’il n’y a personne pour l’habiter, déclara-t-elle avec force. Ce sont les gens qui animent une ville. Chaque expérience qu'ils vivent au sein de Méanville, qu'elle soit joyeuse, triste, incroyable, banale... contribue à faire vivre la ville. Et je suis désormais convaincue d'une chose... Ces personnes n'habitent pas à Méanville parce que c'est une ville extraordinaire. Méanville est une ville extraordinaire parce que ces personnes y habitent.

Un court silence.

– C’est ce que cette expérience m’a appris. Je devrais vous remercier. Après tout, tout ça, c’est grâce à vous.

– Oh non, c’est plutôt l’inverse. Quelque chose me dit que ce projet n’aurait pas été le même sans vous…

Les deux femmes sourirent et trinquèrent ensemble. Puis, en silence, elles regardèrent le ciel étoilé embrasser les lumières citadines. Les rues sinueuses de Méanville évoquaient à Inezia son parcours de vie. Malgré les détours, les embranchements, les impasses, une lumière était toujours présente pour éclairer son chemin.

Ce chemin l’avait menée dans d’autres méandres, qu’elle avait traversés avec bonheur.

Les méandres de la mémoire.

La mémoire de Méanville.