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Hamegel de Almartin



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» Auteur : Almartin - Voir le profil
» Créé le 09/08/2025 à 23:58
» Dernière mise à jour le 15/08/2025 à 13:51

» Mots-clés :   Galar   Humour

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L’Elite de Couronneige
— Mais puisque je vous dis que je n’sais plus !
— Mais enfin, faites un effort sir Groslouis, insista sir Tristifer des Géants, une souris, ce n’est tout de même pas la même chose si c’est un compagnol ou un raichu.
— Bon, je vais mettre au hasard… un ixion tiens ! Terrassé par sir Groslouis lors d’un duel à mort ! Ça fera bien dans le registre, décida le scribe Toqué.
— Mais vous ne pouvez pas falsifier les évènements comme ça enfin ! s’offusqua sir Limier de la Cime. Il vous dit qu’il a chassé une souris !
— Je suis sensé immortaliser vos faits d’arme, moi, se défendit Toqué. Il me faut du pokémon badasse, de l’épique.
— Oui, enfin de l’épique, on fait surtout dans l’gazon et l’terrassement en ce moment, merci Coulzan ! gronda sir Glaucus des Galeries, non sans dédain.
Sir Coulzan, le reprit Limier. Ayez du respect pour notre souverain !

La porte s’ouvrit à ce moment-là, son crissement résonnant dans cette petite pièce ronde faite de vieilles pierres dans laquelle les chevaliers de l’Ordre de la Couronne se réunissaient. Sir Coulzan, fit son entrée devant les regards attentifs de l’assemblée. Sans un mot, il contourna la longue table de bois qui occupait une bonne partie de la pièce pour aller s’asseoir de l’autre côté. Il passa d’abord le scribe Toqué, dont les grimoires, parchemins et autres vieilleries inutiles envahissaient une bonne moitié de la table. Coulzan passa ensuite derrière sir Groslouis ; il avait hâte d’entendre son rapport, comme il devait terminer l’aménagement de la Montée de Beaugant, un projet phare de leur plan d’urbanisme qu’ils menaient depuis des mois déjà. Les seigneurs des Géants, les seigneurs Triston et Tristifer, étaient là eux aussi, de l’autre côté de la table, tout comme les seigneurs Glaucus et Glenn des Galeries. Ceux-là pourraient lui expliquer un peu mieux ce qu’il s’était passé la vieille au Champ-de-Mars, car les témoignages qu’il en avait reçu de la part des habitants étaient quelque peu brouillons. Aucune trace des seigneurs Geliverne et Ramure cependant, ces deux glands s’étaient encore perdu quelque part sans doute. Enfin, Coulzan s’assit en bout de table, aux côtés du seigneur Zeelien de Beaugant et de son meilleur ami et plus fidèle serviteur, Limier de la Cime. Il jugea son assemblée quelques instants, l’air souverain.

— Ordre du jour, s’il-vous-plaît ? lança-t-il soudain au scribe Toqué.
— Bien sûr, sir, consentit l’homme de lettres en farfouillant dans la pile de documents qu’il avait devant lui. Sir Groslouis de Granfroy nous comptait justement comment il avait terrassé un terrible ennemi qui l’empêchait de terminer son projet. Ensuite, nous aurons le récit de sir Zeelien de Beaugant qui—
— On va passer tout de suite à sir Groslouis, si vous le voulez bien, coupa Coulzan.

Les combats de pokémons étaient bien trop rares dans les récits des chevaliers pour les laisser indifférents, Coulzan y compris. La faute à leur mission d’urbanisme, une quête noble certes, ayant pour but ultime le retour de Silveroy sur le trône de Couronneige, mais néanmoins mortellement ennuyeuse, du moins pour la noblesse guerrière de Couronneige, dont ils étaient tous les héritiers ici, au sein de l’Ordre de la Couronne. Alors si Groslouis avait terrassé un ennemi, Coulzan voulait l’entendre tout de suite.

— Bien sûr, sir… mâcha Groslouis entre ses bajoues pendantes. On a eu un très bon repas à l’Auberge de la Panse. Copieux, pour sûr, même si le vin—
— Attendez, attendez, coupa Coulzan tout en soignant sa politesse. Nous vous demandons de conter votre combat, sir, ajouta-t-il avec un sourire forcé.
— Ah oui oui, le combat ! corrigea Groslouis. Ben je vérifiais l’avancement des travaux sur le dernier tronçon de la Montée de Beaugant, quand soudain paf ! un lapin me saute dessus !
— Un lapin ? s’enquit Tristifer ? Mais c’était une souris il n’y a pas deux minutes.
— Oui bon, commença Groslouis en gesticulant dangereusement sur sa chaise bien trop petite pour son derrière obèse. Une souris, un lapin, c’était un rongeur quoi.
— Mais on s’en fout, précipita Zeelien, ce qu’on veut savoir c’est si vous lui avez marrave sa gueule au lapin ?
— Oui ! affirma Groslouis, avant de marquer une hésitation. Non.

Coulzan soupira profondément, le regard allant de l’un à l’autre de ses chevaliers. Ses chevaliers, qui faisaient peines à voir. Groslouis déjà, mal rasé, ses cheveux châtains en pagailles sur sa tête ronde. Zeelien aussi, à l’opposé du premier, était petit mais nerveux, les cheveux bruns très courts et tout aussi drus sur le crâne. L’un portait une armure trop étroite, l’autre nageait dedans, mais toutes les deux impeccables ; il fallait dire que Groslouis se tenait d’ordinaire loin de tout danger quel qu’il soit, et que Zeelien préférait l’enlever pour combattre. C’était pour les fiottes, d’après lui. Si Coulzan reconnaissait volontiers que plus personne ne portait une armure pendant un combat pokémon désormais, la porter faisait partie des traditions de l’Ordre de la Couronne, et lui ne manquait jamais à la tradition. Toqué non plus d’ailleurs, ce grand dadais blond prépubère n’était pas chevalier mais il portait tout de même une brigandine en cuir sous sa toge de scribe noire. Et zélé comme il était, il avait une fois de plus réussit à lui vendre un combat épique qui, Coulzan en était maintenant certain, ne viendrait jamais. Comment pouvait-il encore se faire avoir ?

Instinctivement, il se prépara à une énième séance sans queue ni tête qui allait s’éterniser. Il n’avait que trop l’habitude de ces récits qui ne voulaient rien dire et qui évoluaient au fur et à mesure qu’ils étaient contés. Non pas qu’il remettait l’honnêteté de ses chevaliers en cause, ça non ; c’était plutôt leur capacité à se concentrer ou à se rappeler de quoi que ce soit datant du matin même.

— Du moins pas mon rongrigou, reprit Groslouis, lui il s’est fait voler dans le lard dès la première charge.
— Un lapin qui charge ? s’étonna Tristifer.
— Ce ne sont pas plutôt les souris qui chargent ? hasarda Triston.
— Pour sûr ! la corne bien droite, paf ! en plein dans le mille. Y’a qu’à voir les bandages de rongrigou, y’a pas grand-chose qui dépasse !
— Oh ça c’est bon ! s’excita le scribe. Une charge mortelle sur ce vaillant rongrigou, ça ne fera que rendre l’ixion plus terrifiant, et la victoire finale de sir Groslouis n’en sera que plus grande.

Les chevaliers échangèrent quelques regards dans le silence, visiblement circonspects. Toqué commença à griffonner quelques mots sur un parchemin. Coulzan ne put s’empêcher d’intervenir.

— Attendez, vous n’allez pas noter ça quand même ? reprocha Coulzan au scribe.
— Non mais on fait comme d’habitude, sir, on joue un peu sur les détails pour rendre le truc un peu plus héroïque quoi.
— Mais là vous ne jouez sur rien du tout, vous inventez carrément !
— Ben faut bien soigner notre image pour les générations futures, sir, parce que ce n’est pas avec—
— D’accord je comprends bien, mais vous y mettez de l’ixion et du combat à mort comme si vous alliez au marché, et ça sort de nulle part en plus !
— Bon, si vous y tenez, je recommence, concéda le scribe, contrarié. Mais si dans deux minutes il nous sort qu’il combattait un dodoala, faudra pas venir vous plaindre sir, sauf votre respect.
— Non non ce n’était pas un dodoala, protesta Groslouis en secouant ses bajoues. Ça, mon scarhino peut vous le dire ! C’est lui qui lui a tenu tête, corne contre corne, avant de le casse-briquer bien comme il faut ! mima-t-il avec le tranchant de sa main. Et ça, je peux vous dire qu’il n’a pas aimé le lapin, avec son type roche !
— Un rhinocorne ! intervint Limier. Un pokémon de type roche avec une corne et qui charge, ça ne peut être que ça.
— Ou un farfuret, proposa Triston, mais du coup, c’est un furet.
— Franchement sir, vous ne préférez pas mon ixion ? insista Toqué.
— Mais non ! s’impatienta Coulzan. Un rhinocorne c’est très bien, alors vous me virez l’ixion et tout le reste, et vous notez ce que raconte Groslouis !
— Mais du coup vous lui avez bien marave sa gueule ? s’enquit Zeelien auprès de Groslouis, affichant un sourire carnassier.
— Pour sûr ! Et je n’ai pas manqué de le capturer, le bestiau ! Mais en attendant, il m’a foutu en l’air le dernier tronçon de la Montée, à force de le piétiner. Faut replanter tous les navets sur au moins vingt mètres !

Coulzan demeura interdit un instant. La Montée de Beaugant était quasiment terminée, et tout s’était miraculeusement bien passé sur ce projet jusque-là. Surtout quand on connaît l’ampleur de la tâche ; une grande voie aux pavés bien alignés, avec accès pédestres et cyclables derrière les bas-côtés verdoyants, qui parcourt toute la pente depuis le nord de Hamegel jusqu’au Plateau Beaugant. Ils avaient également installé des tables sur les abords de la Montée avec des sas à vélos et des airs de jeux pour enfants sur le thème de Silveroy, pour encourager les familles à s’intéresser au roi de Couronneige. Nulle part il était fait mention de quelque culture que ce soit. Coulzan réagit enfin, se redressant soudainement sur sa chaise.

— Comment ça, replanter les navets ? questionna-t-il, sentant l’inquiétude le gagner. On n’a jamais planté de navets sur la Montée.
— Ah si si, plein ! On en a recouvert les bas-côtés pour nourrir les taupiqueurs.
— Mais les taupiqueur sont une espèce invasive à Hamegel, on dépense chaque mois des sommes folles pour s’en débarrasser ! protesta Limier, échangeant un regard inquiet avec Coulzan.
— A la place des navets, je propose qu’on insert une bataille contre des fermite envahissantes, intervint Toqué.
— Mais non vous n’écrivez rien du tout, s’emporta Coulzan, ni fermite ni navets, parce que sir Groslouis va nous couvrir tout ça de gazon, et ce dès aujourd’hui !
— Oui sir, bien sûr, consentit Groslouis, les bajoues tremblantes. Et du coup, qu’est-ce que je fais des courges, je les enlève aussi ?
— Mais oui vous me virez tout ! Patates, radis, ou que sais-je encore quelles saloperies vous avez plantées ! Je veux du gazon, point barre !
— Mais comment je vais faire pour tout enlever ? s’inquiéta Groslouis. C’est qu’on en a mis partout nous…
— Faites comme moi, faut tout faire péter ! conseilla Zeelien.

Les regards se tournèrent vers Zeelien, qui était avachit bras croisés sur la table. Il était en mission au Parc Refuge, le petit sous-bois à l’ouest de Hamegel où Silveroy s’était réfugié et, d’après les témoignages de Gloria, était entré en contact télépathique avec ce crétin de Dhilan cinq ans plus tôt. Coulzan avait lui-même repensé ce sous-bois pour qu’il devienne un lieu de retraite spirituel pour Silveroy ; tout avait été réarrangé, et il avait même fait construire un petit autel pour le roi. Cependant, les fientes de poichigeon rendaient le lieu inhospitalier, d’où la mission de les déloger qui avait été attribué à Zeelien. Tout faire péter n’avait donc rien à faire là.

— Qu’est-ce que vous voulez dire par "faites comme moi" ? questionna Coulzan avec appréhension. Attendez, je vais reformuler, reprit-il immédiatement, votre mission consistait à faire partir les poichigeon du Parc Refuge, sir Zeelien, articula-t-il comme pour mieux se contrôler lui-même. C’est tout ! il n’y a rien à péter !
— Pas d’inquiétude sir, je vous assure qu’il n’y a plus un seul poichigeon, rapporta fièrement Zeelien. Je leur ai marave leur gueule bien comme il faut aux poichiches. Et ils ne risquent pas de revenir ces salopards, parce qu’il n’y a plus un arbre debout !
— En fait vous n’avez rien compris à ce qu'on vous demande ? intervint Limier pour prendre le relais à un Coulzan qui bouillonnait intérieurement.
— Ben si ! se défendit Zeelien. J’ai fait une seule petite erreur, c’est que j’ai bousillé l’autel. Il n’y a plus rien non plus. C’est que oniglali ne contrôle pas trop ses explosions…
— Vous vous rendez compte que vos actions desservent notre objectif sacré de faire revenir Silveroy ? explosa Coulzan. Je ne me tape pas toutes ces réunions débiles avec vous pour jouer au chevalier, c’est clair ça ? SILVEROY A BESOIN DE NOUS ! Pas de bol : cette quête ne consiste pas en de glorieuses campagnes guerrières comme pouvait en faire l’Ordre de la Couronne par le passé. Les temps changent, et nous, on se tape l’urbanisme de Hamegel. Mais si c’est ça qu’il fait pour retrouver Silveroy sur son trône au Temple Couronne, alors soit ! Et j’accepte même de me traîner ces gros boulets que vous êtes, si c’est l’épreuve qui m’est donnée par le destin. Mais j’ai déjà assez à faire avec ces connards de la municipalité et ces investisseurs voraces pour que VOUS NE SABOTIEZ PAS EN PLUS NOTRE QUÊTE !

Un court silence s’installa ensuite, les chevaliers échangeant des regards coupables.

— En parlant des connards de la municipalité, reprit Zeelien, ils m’ont dit que vous devriez aller leur rendre visite au plus vite. Parce que j’ai un peu abîmé la barraque de Dhilan à côté du Parc Refuge.

Coulzan entreprit de se masser les arcades sourcilières ; il n’en pouvait plus des mauvaises nouvelles. Après le départ de Dhilan, cette maison avait été transformée en musée. Il avait été un champion de la Ligue de Galar et un grand spécialiste du type acier après tout, d’autant plus qu’il était le frère de Shehroz, l’ex-président d’une multinationale galarienne qui croupissait maintenant en prison. Bien sûr que la municipalité n’avait pas manqué de miser dessus pour faire venir les touristes de Galar. Et bien sûr que le maire allait l’emmerder avec ça et que ça allait plomber leurs négociations.

— Ils veulent qu’on les paie pour réparer les dégâts c’est ça ? anticipa Limier.
— Ben… c’est qu’il n’y a plus grand-chose à réparer. Je l’ai bien dézingué, la barraque, il n’y a plus un mur debout.

Sur ces mots, Coulzan se leva, dépassé par les évènements.

— Bon, moi je me casse. Limier, vous prenez la suite ; les navets, le parc, l’autel, faites quelque chose avec tout ça. Moi je vais tâcher de calmer le maire avant d’entendre une connerie de plus parce que je n’en peux plus. Je n’en peux plus ! Je vous jure que ça me fout les foies ! et je pourrais bien fumer le prochain qui l’ouvre !
— Ben justement, sir, interpella calmement Glaucus avec un sourire en coin. Si vous allez voir le maire, faudrait négocier la libération de Geliverne et de Ramure aussi, car ils croupissent dans les cellules de la mairie en ce moment-même. Il ne faudrait pas que ça vous mette davantage encore en porte-à-faux.

***

Fumier.

Coulzan en était persuadé ; Glaucus l’avait fait exprès. Il avait sciemment envoyé Geliverne et Ramure en cellule non seulement pour le mettre dans une position de faiblesse vis-à-vis du maire, mais surtout pour le décrédibiliser auprès des chevaliers de l’Ordre. Coulzan se savait tout aussi responsable en vérité, il était trop prévisible en s’énerver ainsi à chaque réunion et à proférer des menaces qu’il ne mettrait pas à exécution.

Et maintenant le maire, soi-disant très occupé, le faisait poireauter dans le couloir comme un malpropre. Il était à un repas d’affaires avec des investisseurs galariens, lui avait-on dit, une excuse toute trouvée pour remettre Coulzan à sa place de dernier venu dans l’ordre des priorités.

— Ah sir ! Vous tombez bien !
— Ouais, on a même cru qu’on allait finir au trou !

Ça, c’étaient Ramure et Geliverne, pas de doute possible. Coulzan se retourna pour découvrir, non sans surprise, que la capitaine Gardemeer escortait elle-même les deux prisonniers, qui apparemment n’avaient pas compris quoi que ce soit à leur situation.

— Quelle chance ! feinta Coulzan en affichant un sourire forcé.
— Voilà vos hommes, sir Coulzan, et leurs pokéballs, annonça Gardemeer en lui tendant les balls. Faites gaffe, l’une d’entre elles est dysfonctionnelle.
— C’est mon galvagla, expliqua Geliverne, il sort de manière comme la peste.
— De manière intempestive ? tenta de comprendre Coulzan.
— Oui c’est ça, comme la peste.
— Je croyais qu’on disait de manière festive moi, avança Ramure.

Un flash lumineux envahit tout à coup le couloir sombre dans lequel ils se trouvaient tous. Le cœur de Coulzan bondi dans sa poitrine, peu apte à supporter de tels effets de surprises. Galvagla était apparu subitement, et semblait lui-même perturbé, ne comprenant visiblement pas ce qu’il faisait dehors.
Coulzan lança un regard navré en direction de ses compagnons d’armes, qui ne semblaient pas avoir conscience de la gravité de la situation. Il les enviait parfois, ils évoluaient dans un monde beaucoup plus simple que celui qu’affrontait Coulzan chaque jour, et à longueur de journée. Geliverne sautait de joie avec son cadoizo et son galvagla, Ramure en faisait autant avec son kraknoix, et son tropius qui tenait à peine debout sous le plafond. Ils étaient à fond, ces cons ; ils étaient toujours volontaires et de bonne humeur, jamais ils ne rechignaient à la tâche, même la plus chiante possible. L’urbanisme était assez épique pour eux, et ça, Coulzan le leur enviait. Bien sûr, eux étaient des débiles profonds, ils étaient tout simplement incapables de comprendre quoi que ce soit, et ils avaient l’art et la manière de mettre Coulzan hors de lui en un rien de temps. Mais malgré tout, Coulzan ne pouvait s’empêcher d’éprouver un sentiment paternel envers eux. Ils avaient désespérément besoins d’un guide dans ce monde de fou, ils étaient tout simplement incapables de se débrouiller seuls, et il serait criminel de les lâcher dans la nature sans protection.

— Sir Coulzan, commença la capitaine, je ne vais pas y aller par quatre chemins. Ce n’est pas mon rôle de m’occuper de ces rigolos, c’est le vôtre.
— Je ne le sais que trop bien, soupira Coulzan.

Les rigolos en question s’affrontaient déjà dans un combat pokémon comme le feraient des gamins qui découvrent cet art de la joute moderne ; ils étaient vraiment nuls, Geliverne insistant avec des coups d’éclairs de son galvagla sur le kraknoix impassible, et Ramure qui paniquait à chaque fois et noyait son pauvre pokémon sous des litres de potions. Coulzan avait enseigné la table des types un nombre incalculable de fois à ces deux-là, sans résultat.

— Alors tâchez d’être un peu plus efficace, poursuivit la capitaine, parce que je ne serai pas toujours là pour étouffer les départs d’incendie. Vous connaissez tout aussi bien que moi les investisseurs ; des requins bien à l’abris derrière leurs textes de loi et brandissant leurs contrats signés en lieu et place d’une épée. J’ai pu les calmer en ayant mis deux de vos hommes en cellule—et au passage ils ne savent pas que je les en sors—mais je ne sais pas pour combien de temps. Surtout si vous enchaînez vos exploits à ce rythme. Les égouts du Champ-de-Mars, le Musée de Dhilan, et j’en passe et des meilleurs. Comprenez-bien—et ce n’est pas une menace, au contraire—que le maire n’en a rien à faire de votre quête. Il ne vous donne des contrats d’aménagement que pour garder le soutien de la population qui, je ne me l’explique toujours pas, croit dur comme fer en votre mission prétendument sacrée. Mais si votre Ordre continue sur sa lancée et à exciter les crânes d’œufs de la municipalité, j’ai bien peur que d’ici très peu de temps vous et moi nous ne nous retrouvions face à face sur un champ de bataille.

Coulzan n’avait rien à redire. La tirade de Gardemeer sonnait avec une justesse qui lui faisait froid dans le dos. Il savait que malgré leur divergence fondamentale sur leur rapport à Silveroy, Gardemeer était une femme honnête et que comme lui elle n’avait aucune envie de voir Hamegel se déchirer.

— Je ne saurais que vous conseiller de vous entourer de meilleurs éléments, avança-t-elle en désignant Ramure et Geliverne du menton.
— Malheureusement, tout le monde n’a pas sa place dans l’Ordre de la Couronne, expliqua Coulzan. Seuls les héritiers de la noblesse de Couronneige y sont autorisés—obligés même, en fait.
— Bien sûr, ironisa Gardemeer. Sir Coulzan, dites-moi franchement : croyez-vous vraiment en tout ça là, ce que vous faites ? Cette élite incapable que vous vous coltinez, tous ces projets qui n’ont ni queue ni tête, comme la Voie de Procession des bekaglaçon, ou le Parc Refuge. Quoi que celui-là n’existe plus, j’ai cru comprendre.
— On va le refaire, rétorqua platement Coulzan. Et oui, bien sûr que j’y crois, ajouta-t-il, avec bien plus de difficulté qu’il ne l’aurait imaginé.

Un long silence s’installa ensuite, ni l’un ni l’autre n’avait besoin de dire quoi que ce soit. Il fallut une bonne minute néanmoins pour que les mots de Gardemeer fassent leur effet. Une suée froide s’empara tout à coup de Coulzan, sans qu’il ne comprenne d’abord pourquoi. Puis le doute le prit à la gorge. Croyait-il vraiment en tout ce qu’il faisait ? La tête lui tournait alors que des réponses indicibles tentaient de se frayer un chemin dans son esprit. Oui il y croyait. Il le fallait. Car sinon, sans l’Ordre de la Couronne et sa mission sacrée, que lui restait-il ? Qui était-il ?