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Les méandres de la mémoire de MissDibule



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» Auteur : MissDibule - Voir le profil
» Créé le 07/08/2025 à 23:52
» Dernière mise à jour le 10/09/2025 à 11:57

» Mots-clés :   Présence de personnages du jeu vidéo   Slice of life   Unys

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Chapitre 3 – Phares
Comme tous les jours, Chamsin se rendait au Métro de Combat. Le toit vert émeraude étincelait sous le soleil de plomb. L’imposante gare le surplombait de son ombre, prête à l’engloutir. L’aspect ancien et majestueux du bâtiment, tout en colonnes de pierre blanche, tranchait avec la modernité du reste de la ville.

Chamsin entra dans la station de métro sans plus de cérémonie. Comme à son habitude, il fit un rapide tour de la gare, posant sur chaque rame un regard différent. Les lignes Duo lui inspiraient de la lassitude. Les lignes Solo, une profonde tristesse. Quant aux autres, elles creusaient un peu plus le trou béant qui lui servait de cœur.

Sauf une.

La ligne 8.

Le chef de train soupira. Il travaillait sans relâche depuis quinze ans. Chaque jour, il affrontait les plus grands challengers sur les lignes Duo et Super Duo. Parfois, – c’était son moment préféré – il était appelé sur les lignes Multi pour combattre aux côtés de Chammal.

Chamsin frémit. Combattre avec son jumeau avait toujours été sa raison de vivre. C’était de ce plaisir simple qu’il tirait la volonté de sortir du lit chaque matin. Il aimait cette vie.

Stabilité, équilibre, bonheur.

Mais la disparition de Chammal avait brisé cette tranquillité en mille morceaux. Pendant quinze longues années, Chamsin avait fait exactement la même chose. Une routine bien huilée, comme ses trains. Métro, boulot, dodo. Pour le chef de train, c’était même « métro, métro, dodo ». Devant la monotonie morbide de son quotidien, Chamsin esquissa un sourire amer.

Il reporta son attention sur la ligne 8. Celle qui menait à Rotombourg, une petite bourgade perdue où venaient se reposer les trains. Il y était déjà allé maintes fois pour son travail, bien sûr, mais s’était-il jamais arrêté pour visiter l’endroit ? Il n’en était pas certain.

Chamsin fixa le panneau marron qui indiquait : « Trains à destination de Rotombourg ». Pendant quinze longues années, il avait fait exactement ce qu’on attendait de lui. Il était grand temps pour lui de choisir sa propre destination, pour une fois. D’un pas décidé, il s’engouffra dans la bouche de métro n°8.

*
Par la fenêtre du train, Chamsin observait le quai de la ligne 8, sans doute le plus calme de toute la station. Sur tous les autres quais, une agitation constante régnait. D’un côté, les dresseurs surexcités, impatients de s’affronter dans les trains de combat. De l’autre, les simples riverains, qui les observaient d’un œil sévère en attendant les trains ordinaires, ceux qui les mèneraient à leur travail.

Non, ici, tout le monde convergeait vers un même but, une même destination : Rotombourg. Chamsin soupira, mal à l’aise. Il ne savait pas ce qu’il faisait là. Lorsqu’il était monté à bord, sous le regard étonné de ses collègues, il avait prétexté une urgence à Rotombourg pour justifier sa présence incongrue.

Le chef de train avait conscience d’abandonner son poste. Il aurait dû s’en vouloir. Il ne ressentait rien de tel. Juste un immense vide, froid et pénétrant, comme le vent qui souffle dans les bouches de métro. Il n’avait jamais pris de vacances de sa vie. Il était temps de rattraper cette erreur… et tant pis si la façon de faire laissait à désirer !

Lorsque le train démarra, Chamsin s’accrocha fermement à la barre de maintien, engoncé dans son manteau blanc et brun. Autour de lui, beaucoup de sièges vides : il aurait très bien pu s’asseoir, mais il ne tenait pas en place. Il avait l’impression de commettre la plus grosse erreur de sa vie. Mais il ne s’était jamais senti aussi bien depuis la disparition de son frère.

À mesure que les stations défilaient sous ses yeux, Chamsin se rendit compte qu’il avait oublié la sensation de voyager. Ironique, pour un chef de train. Il passait sa vie dans le métro, mais ce dernier le ramenait toujours à son point de départ : Méanville. Il sourit. Être passager, ce n’était pas si mal. Il suffisait de se laisser porter.

Chamsin ferma les yeux, et se laissa bercer par le doux son du train qui glissait sur les rails. Il n’aurait su dire combien de temps s’était écoulé lorsque le train s’arrêta une ultime fois. Le chef de train inspira profondément. Il ne savait pas ce qu’il venait chercher dans ce petit village, mais une conviction l’animait : Rotombourg était la destination qu’il avait choisie.

Alors qu’il s’apprêtait à quitter le train, une voix le retint :

– Euh… Boss ?

Chamsin se retourna, et se retrouva face à l’un de ses collègues, un chef de train junior, fraîchement embauché pour pallier l’absence de Chammal. Un brave type, mais peu sûr de lui. Il semblait intimidé devant la légende vivante du Métro de Combat qui lui faisait face.

– Oui ?

– Vous voulez qu’on vous attende pour repartir ? On va stationner pendant vingt minutes, on peut attendre un peu plus longtemps, si vous voulez…

Chamsin déploya ses talents d’acteur inexistants pour paraître convaincant :

– Euh… Non, non, je risque d’en avoir pour longtemps. Question de, euh, maintenance. Et puis je ne voudrais pas provoquer des retards sur toute la ligne !

– Oui, on n’a pas besoin de ça ! plaisanta le jeune homme pour détendre l’atmosphère.

Chamsin rit à son tour, conscient de l’ironie de la situation.

– Bon, eh bien, je ne vous retiens pas plus longtemps ! Bonne journée à vous ! s’exclama Chamsin en soulevant sa casquette de chef de train, un geste qui illumina le regard de son collègue.

– Oui, à vous aussi, Boss ! Bon courage ! Oh, et…

Chamsin se figea, peu assuré.

– On est tous avec vous, vous savez, avoua son collègue. Ça ne doit pas être facile pour vous… Et malgré tout, vous continuez à travailler avec le sourire… Je… Je vous admire beaucoup.

L’ironie du sort poignarda à nouveau Chamsin en plein cœur. Pourquoi recevait-il de si douces paroles en ce jour précis ? Décidément, l’univers aimait le torturer. Mais l’univers pouvait bien brûler, il n’en avait plus rien à faire. Il méritait ces mots. Il en avait besoin, même.

Il offrit un sourire sincère à son jeune collègue.

– Je vous remercie. Ça me touche beaucoup.

– J-J’en suis ravi, alors ! (Il regarda sa montre d’un œil inquiet). Oh, euh, désolé, je ne veux pas vous empêcher de travailler ! Moi aussi, il faut que j’y retourne, d’ailleurs ! Bonne journée, et à bientôt, j’espère !

– Au revoir et à bientôt.

Chamsin quitta le train d’un pas léger, empli d’une énergie nouvelle. Lorsqu’il émergea du métro, le bitume chaud de la plateforme d’accès à ciel ouvert crissa sous ses semelles. Un village si petit qu’il n’a même pas de gare… Mais qui se trouve également être une ville-atelier où l’on entrepose et répare les rames des trains. L’idée semblait totalement absurde.

Pourtant, lorsqu’il leva les yeux vers le village en hauteur, tout semblait parfaitement limpide. Un air pur lui chatouillait les narines. Une légère brise faisait remuer son couvre-chef. Au loin, une douce mélodie lui caressait les oreilles.

Intrigué, il suivit la musique et gravit les escaliers. Là, sur le pont de pierre qui surplombait les trains, une jeune fille jouait de la flûte traversière. Envoûté par sa mélodie, Chamsin s’approcha et s’appuya contre la rambarde. Par-delà le pont, un train reposait en contrebas.

Un Train Solo.

Bien évidemment.

Pour remuer un peu plus le couteau dans la plaie de son cœur.

Chamsin resta quelques instants à écouter la douce musique, yeux fermés. Ce village éveillait quelque chose en lui, une sensation qu’il ne parvenait pas à expliquer. Une intuition le poussa à rouvrir soudain les yeux, et observer les alentours.

Autour de la station de réparation des trains, montagnes et forêts se dressaient fièrement. À l’est, les petites maisons semblaient minuscules à côté de l’immensité de la nature. Le village, enclavé dans la roche, constituait l’exception plutôt que la règle dans l’écosystème de la région.

C’était presque comme si Rotombourg cherchait à faire partie du paysage, sans le dénaturer.

Chamsin écarquilla les yeux. Il venait de comprendre l’origine du trouble que ce village suscitait en lui depuis son arrivée.

Rotombourg était l’exact opposé de Méanville.

L’une était le départ de tous les trains d’Unys. L’autre marquait la fin de leur parcours. L’une se fondait dans le décor. L’autre créait elle-même ses propres décors. L’une était aussi naturelle que l’autre était artificielle. Chez l’une, le train était un objet. Chez l’autre, un sujet.

Une ville creusée dans la roche.

Une ville taillée dans la forêt.

– Ah, le voilà ! Le légendaire Chamsin, en chair et en os !

La grosse voix fit sursauter le concerné, et interrompit le train de ses pensées. Pris de court, Chamsin se retourna, et découvrit un quadragénaire, boudiné dans sa chemise à carreaux. Son visage rouge et sa bedaine laissaient transparaître son caractère bon vivant.

– C’est vraiment un honneur, Mr Chamsin ! déclara-t-il en lui serrant vigoureusement la main.

– Oh, m-mais, tout l’honneur est pour moi, Monsieur… bégaya le chef de train.

– Woods ! Alder Woods ! Mais vous pouvez m’appeler Alder. Je suis le nouveau maire de Rotombourg. Veuillez m’excuser, je ne voulais pas vous déranger… Mais vous savez, les nouvelles vont vite, ici. Alors dès que j’ai su que mon idole se trouvait dans ma ville, je n’ai pas résisté à la tentation de venir vous voir !

Alder détailla Chamsin des pieds à la tête. Le chef de train le dépassait bien d’une tête.

– Wow, vous êtes si… impressionnant !

– Je, euh… Je vous remercie, répondit Chamsin, gêné. Votre village est, euh, très champêtre. Rien à voir avec Méanville.

– Ah ça, je veux bien vous croire ! approuva Woods en lui donnant une tape dans le dos. Ici, la seule lumière artificielle, c’est les phares des trains, j’vous le dis ! Même pas de lampadaire pour éclairer la nuit, c’est dire !

Chamsin observa autour de lui : en effet, le pont était dépourvu de tout éclairage. En tant que chef de train dont le métier était d’assurer la sécurité des usagers, cette découverte le mit mal à l’aise : et si des enfants tombaient dans le vide en pleine nuit ? Au moins, les lumières aveuglantes de Méanville avaient l’avantage certain de toujours voir où l’on mettait les pieds.

– Qu’est-ce qui vous amène dans notre beau village ? Vous venez pour le travail ?

Aïe. La question qui fâche.

– Oui, euh…

Chamsin s’apprêtait à dégainer un mensonge similaire à celui qu’il avait servi à ses collègues, mais il se ravisa. Il était venu pour des vacances, il aurait ses vacances. Au diable les apparences.

– Euh, je veux dire, non, je… Je suis venu pour… les vacances. Rotombourg m’a semblé la destination parfaite pour décompresser.

Les petits yeux d’Alder Woods s’illuminèrent aussitôt.

– Alors là mon cher, rien ne pourrait me faire plus plaisir ! Mais dites-moi, vous voyagez plutôt léger ! remarqua le maire.

Le chef de train vira au cramoisi.

– Ah, euh, oui… En fait, je… Je suis parti un peu sur un coup de tête, et… Vous savez, à force de travailler dans un train, on en oublie comment voyager !

À l’écoute de cette demi-vérité, Woods le fixa d’un air étrange. Sous son regard, Chamsin commença à transpirer à grosses gouttes dans son manteau de Chef de Métro – comme il avait hâte de l’enlever ! Enfin, après une attente insoutenable, le maire de Rotombourg éclata de rire.

– Ha ha ! Oui, j’imagine ! Mais donc, vous n’avez pas non plus d’endroit où vous installer ?

– Euh… Non, mais j’imagine qu’il y a une auberge ou un hôtel quelque part…?

Le maire rit de plus belle.

– Oui, il y a bien une petite auberge mais… J’ai une autre proposition à vous faire : que diriez-vous de loger chez moi ? Ma femme est en voyage d’affaires, et je me sens un peu seul. Et puis, je ne vais pas laisser mon idole aller à l’auberge !

– Oh, eh bien, c’est vraiment gentil de votre part, mais…

Après avoir déserté son poste, demeurer chez le maire d’une ville, aussi petite soit-elle, ne semblait pas l’idée du siècle.

– Ah si si, j’insiste ! Loin de moi l’idée de dénigrer notre auberge, mais rien ne vaut le confort d’une maison. Vous n’aurez rien à payer, bien sûr, vous êtes mon invité ! En échange, je veux que vous me racontiez toutes vos anecdotes sur le Métro de Combat !

Chamsin pesa le pour et le contre. Au point où il en était… Il était venu pour se détendre, et il fallait bien avouer que la proposition du maire était très alléchante.

– Bon, eh bien, dans ce cas… Merci beaucoup. J’accepte avec plaisir votre offre.

– Ah, vous me faites bien plaisir ! s’exclama Alder Woods en lui tapant dans le dos.

Dans quoi s’était-il embarqué ?

Chamsin sourit.

Dans une aventure dont l’issue était incertaine.

Pour la première fois depuis quinze longues années.

*
– La machine est en maintenance depuis deux ans ? s’exclama Woods, euphorique.

Son verre tinta avec fracas lorsqu’il frappa du plat de la main sur la table, hilare. Les deux hommes s’étaient mis à table pour dîner dans la maison du maire, et échangeaient maintenant joyeusement autour d’une bouteille d’alcool.

– Oui, je vous juuuuure ! s’écria Chamsin, tout aussi allègre. Et vous savez le pire dans tout ça ?

– Non ?

– C’est que je sais même pas à quoi elle sert, cette foutue machine !

À ces mots, les deux hommes éclatèrent de rire, enivrés.

– Nan, mais je vous le dis, mon ami, les machines, c’est surfait ! affirma Woods en avalant goulûment le reste de son verre.

– Oh, bah, ça dépend… Y’en a des bien pratiques, quand même… Genre ce truc-là ! argumenta Chamsin dans un hoquet.

Il désignait du doigt le téléphone flambant neuf du maire, posé sur la table.

– Ah oui, c’truc-là… Il est fourni avec les clés de la ville. J’y touche que quand je suis obligé. Si vous voyiez mon téléphone perso… Une « antiquité », comme dit ma femme. Moi, ça m’va très bien. Je trouve que même ces machins-là, on peut s’en passer ! affirma le maire en consultant machinalement ses messages.

Son regard s’assombrit tout à coup.

– Un p-problème ? hoqueta Chamsin, qui ne se souvenait même pas de la dernière fois qu’il avait bu autant d’alcool.

Le maire retrouva bien vite son sourire éméché.

– Non, rien d’important. Dites, z’aimez vraiment vivre à Méanville ? Je juge un peu sans connaître, mais c’est pas la capitale du bling-bling ? Parce que, sans vous offenser, j’ai pas vraiment l’impression que vous soyez du genre à aimer les paillettes.

L’esprit embrumé, Chamsin prit un moment pour réfléchir.

– J’y ai jamais vraiment pensé… Avant, pour moi, Méanville, c’était juste logique d’y habiter, avec mon travail… Mais maintenant que Chammal est plus là… Je commence à me demander si j’aime vraiment vivre dans cette ville. Comme vous dites, c’est tellement… tape-à-l’œil, voyant… Tout est fait pour vous faire tourner la tête. C’est presque à vous rendre fou !

– Ouais, c’était aussi mon impression.

– Mais ! s’exclama soudain Chamsin en levant le doigt, à la grande surprise du maire. Je dois bien avouer que quand je ressors d’un long service, tard le soir… Voir la ville illuminée, c’est… rassurant. Méanville ne dort jamais, et ça a ses bons côtés. Il y a toujours un restaurant ouvert en cas de fringale nocturne. Ou un spectacle à regarder, si on veut se changer les idées. Et pour les combats… Y’a pas mieux. Et je sais de quoi je parle.

À ces mots, il vida le reste de son verre d’une traite. Le maire de Rotombourg hocha la tête.

– Ouais, c’est vrai que pour les combats, c’est une destination de rêve. Ça a pas l’air si mal, en fait. Peut-être que j’pourrais y passer un de ces jours. Pour vous rendre visite.

Chamsin ne répondit pas, hébété. Sa tête pesait une tonne. Alors qu’il s’apprêtait à sombrer dans l’inconscience, un bruit tonitruant le ramena douloureusement à la réalité. On frappait à la porte de la maison avec fracas. Le maire fronça les sourcils et se leva pour aller ouvrir. À peine eut-il ouvert la porte qu’un homme se jeta dans le vestibule, l’air courroucé.

– Où est-il ? hurla le nouveau venu.

Un homme d’un certain âge, affublé d’un élégant costume trois-pièces et d’un monocle.

Le maire de Méanville.

Même ivre, Chamsin le reconnut aussitôt. Son heure avait sonné. Mais il ne regrettait rien. Cette journée valait toutes les remontrances du monde. Le maire se précipita vers la table et frappa des deux mains dessus, renversant au passage le verre de Woods.

– Vous vous rendez compte de ce que vous avez fait ? vociféra-t-il. Vous avez paralysé la ville entière à vous tout seul ! Vous êtes fier de vous ?

Le visage ridé du vieil homme se trouvait à quelques centimètres seulement de celui de Chamsin.

– Henry, je vous conseille de vous calmer, intervint Woods d’une voix ferme. Vous n’avez aucun droit de lui parler sur ce ton.

Chamsin se tourna vers son nouvel ami. Malgré son état léthargique, il débordait de reconnaissance.

– J’ai tous les droits ! Notamment celui de le virer sur-le-champ, si ça me chante !

Après un léger flottement, un bruyant rire explosa. Un rire libérateur, qui résonnait dans tout le séjour. Chamsin riait au nez et à la barbe du maire, qui fulminait.

– T’entends ça, Alder ? Apparemment, il peut me virer, là, tout de suite !

Woods éclata de rire à son tour. Le maire de Méanville devint soudain rouge écarlate.

– Parfaitement ! affirma ce dernier, d’un ton moins assuré qu’auparavant.

– Et pour me remplacer par qui ? demanda Chamsin avec aplomb, tout en se resservant un verre. Vous venez de le dire vous-même, mon absence d’aujourd’hui a paralysé la ville entière. Mais apparemment, vous comptez me virer quand même. J’ai hâte de voir comment Méanville va s’en sortir sans moi, alors. À la vôtre !

Puis il vida son verre cul sec, avant de s’évanouir sur la table.

***
La jeune femme aux couettes bleues riait à gorge déployée. D’un côté, Chamsin était ravi que son anecdote la fasse rire, mais de l’autre, la situation commençait à devenir gênante. Il s’efforça d’observer le paysage, par la fenêtre de la nacelle. Méanville rayonnait dans la lumière d’été.

Le chef de train sourit. Même si la ville se parait de couleurs chatoyantes la nuit, Chamsin la préférait de jour, où elle révélait toute sa beauté cachée. Les espaces boisés et verdoyants, vestiges du Bois des Illusions, contrastaient avec les merveilles mécaniques construites par l’homme. Cernée par l’eau, Méanville était une oasis urbaine, où les gens venaient se ressourcer après une harassante journée de travail.

– Je parie que la gueule de bois a été rude ! s’écria la jeune femme, hilare.

Chamsin se tourna vers elle : Arceus soit loué, elle parlait !

– Ah ça, oui, c’est sûr, répondit-il en se grattant la tête, gêné.

– Et le maire vous a vraiment donné des congés payés après ça ?

– Eh oui. Il n’a pas eu le choix. Mon voyage m’a fait comprendre que j’étais précieux pour la ville, et donc que c’était moi qui étais en position de force par rapport à lui. Alors, j’ai pris une semaine de vacances bien méritée à Rotombourg.

– Une semaine ? s’exclama la Topdresseuse d’un ton scandalisé. À votre place, j’aurais pris deux mois ! pouffa-t-elle.

– Oh, j’ai encore quelques semaines en réserve, répondit Chamsin avec un sourire malicieux. Maintenant que j’y repense, je me demande si Alder n’avait pas…

– Mais, dites-moi… le coupa la jeune femme. Vous n’étiez pas censé me raconter une anecdote sur votre vie à Méanville ? Nan parce que là, ça se passe surtout à Rotombourg, votre histoire, là, quand même…

– Hmm… Oui, c’est vrai, admit le chef de train.

Il se tourna de nouveau vers le paysage urbain qui défilait autour d’eux et sourit.

– Mais c’est en allant là-bas que je me suis rendu compte que j’aimais Méanville.

Son interlocutrice sourit à son tour.

– Moi aussi ! C’est vraiment la meilleure ville pour les combats Pokémon ! Mais bien sûr, mon endroit préféré reste le Métro de Combat, chuchota-t-elle sur le ton de la confidence. Je me souviens encore de la première fois que j’ai combattu là-bas…

À son tour de raconter une anecdote, maintenant ? Chamsin sourit de plus belle. Une petite voix lui soufflait que leur duo n’allait pas être sélectionné par l’émission. Tant pis !

– J’ai gagné ! Et après, j’ai perdu… continua-t-elle.

Chamsin se retint de rire. Quelle conteuse née !

– Mon adversaire était une dame que je n’avais jamais vue… Elle était si forte ! Et après m’avoir battue, elle s’est volatilisée… Je me suis demandé où la retrouver. Je me suis tournée vers le Club des Épreuves, mais elle n’était pas là-bas… Je ne l’ai plus jamais revue après ça. Ça me hante depuis deux ans… Si seulement je pouvais l’affronter à nouveau ! Elle était au moins aussi forte que vous, ou votre frère !

Chamsin ne souriait plus. Il regardait la jeune femme avec sérieux. Il n’avait jamais entendu parler d’une telle dresseuse. Comment était-ce possible ?

Il sourit à nouveau.

– Merci pour votre histoire, Andrea.

Le visage de la Topdresseuse s’illumina.

– C’est vrai ? Elle vous a plu ?

– Oui. Elle m’a montré que ma belle ville cache bien des mystères… Même dans mon propre métro, que je pensais connaître comme ma poche !

Il se tourna une ultime fois vers l’horizon ensoleillé. Finie, la monotonie mortifère. Place à l’aventure. Il l’avait enfin appris : la meilleure destination, c’est celle qu’on ne connaît pas.

Au même moment, la nacelle arriva à sa propre destination.

Le tour de Grande Roue était terminé.

* * *
« Maintenance en cours. »

« À l’engrenage du Métro, on peut se battre dans des trains… C’est le Métro de Combat ! […] Mais bon, cette mystérieuse dame… Où la retrouver ? Oui, je sais ! Je file au Club des Épreuves ! »