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Minuit de Suroh



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Informations

» Auteur : Suroh - Voir le profil
» Créé le 05/08/2023 à 21:51
» Dernière mise à jour le 05/08/2023 à 23:04

» Mots-clés :   Kalos   Suspense

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Chapitre 1 : 19h – L’apéritif.
19h
Le jeune Mathias venait d’entrer au Palais. Le flot des invités étant très dense, il lui avait fallu jouer des coudes pour se frayer un chemin jusqu’aux cuisines, où il était attendu. Les contrôles de sécurité avaient aussi failli le mettre en retard pour cette soirée exceptionnelle, qui lui permettrait de vivre confortablement pendant les mois à venir. Six-mille Pokédollars de l’heure étaient une aubaine à ne pas rater !

S’il courut aux vestiaires pour s’y changer, son esprit, lui, était ailleurs. L’autre salaud, là ! Il en tremblait presque. A peine avait-il quitté sa petite amie qu’il avait vu un homme – et qui lui rappelait quelqu’un, en plus ! – se diriger vers sa maison.

Mais Mathias ne pouvait pas faire demi-tour : il était attendu à dix-neuf heures tapantes, et ne pouvait se permettre de manquer cette soirée. Quand même ! Il avait bouillonné pendant tout le trajet de Fort-Vanitas jusqu’au Palais. Son Holokit en main, il avait exigé de sa petite amie qu’elle lui donne des explications.

Pourquoi ce type allait-il la voir ? Pourquoi ne lui avait-elle rien dit ? Aucune réponse. Le silence de sa compagne l’avait enragé, et ses messages étaient devenus de plus en plus irréfléchis, cinglants, violents. Son esprit avait bouillonné.

Il savait qu’un de ses amis n’était pas loin, et il aurait voulu aller vers lui pour trouver un peu de réconfort. Ils avaient passé un peu de temps ensemble plus tôt dans la journée et Mathias adorait discuter avec lui. Un pêcheur incapable de pêcher le moindre poisson ! Il arrivait même à se blesser le bras avec une canne à pêche, difficile d’être plus maladroit que ça. Il en aurait souri, s’il n’avait pas été furieux.

Mais il savait qu’il ne pouvait pas se permettre de faire un détour – lui qui n’avait jamais été ponctuel était déjà presque en retard. Ses pensées frappaient contre son crâne ; ses mains en tremblaient. Il traversa le Palais jusqu’aux vestiaires en se contrôlant autant qu’il le pouvait, puis claqua la porte des vestiaires derrière lui.

Au fond du château, dans des recoins auquel seul le personnel avait accès, ces vestiaires étaient une petite pièce médiocrement éclairée et dont les meubles se réduisaient au strict minimum. Une dizaine de casiers se serraient les uns contre les autres, sous un tapis de poussière que personne n’avait jamais pris soin de nettoyer.

Mathias ouvrit le casier qu’on lui avait attribué, récupéra sa tenue de serveur, la remplaça par ses propres affaires, puis le referma à clé. Il se changea en regardant autour de lui cette pièce exiguë aux allures de prison. Aucune ouverture vers l’extérieur, et aucun air qui passait. Une sensation de claustrophobie le poussa à s’habiller rapidement, et à sortir de la pièce.

Autour de lui, les personnes marchaient, dansaient, virevoltaient. Le son d’une cloche retentit dans toute la demeure : il était dix-neuf heures, la soirée allait bientôt pouvoir commencer. Se sachant en retard, et pourtant incapable de se concentrer sur l’idée qu’il allait devoir travailler, Mathias pressa le pas, avant d’enfin arriver aux cuisines.

La jeune cuisinière en chef était justement en train d’exhorter chacun des serveurs, des autres cuisiniers et des barmaids à faire honneur à la maison Chaydeuvre. En voyant Mathias rejoindre le plus discrètement possible le rang, elle ajouta à son intention que les nouveaux venus devaient tout particulièrement veiller à garder une attitude impeccable tout du long de la soirée. Retenue, sérieux et communication sont la clé d’une soirée réussie !

Elle poursuivit son discours – que Mathias n’écoutait que distraitement. Si seulement il pouvait rentrer chez lui ! Coincé, dans l’impasse. Soit il rentrait et pouvait dire adieu à son argent, soit il restait et se condamnait à rager pendant toute la soirée ! Les dernières indications de la cheffe chevauchaient et se mêlaient aux pensées noires de Mathias. Au bout de quelques minutes, tout le service était sorti, la cheffe s’était tue et seules les ruminations de Mathias bourdonnaient dans la pièce.

La cuisinière en chef se tourna vers Mathias :

— Dites-moi, quel est votre nom ?

Sorti de ses pensées par un regard inquisiteur, Mathias se tourna vers elle et répondit fébrilement :

— Mathias, Madame.

— Mathias, vous allez écouter attentivement ce que je vais vous dire. Vous êtes arrivé en retard, et n’avez pas présenté vos excuses. Vous avez feint d’écouter mes instructions alors qu’en réalité vous n’avez rien entendu – trop préoccupé que vous semblez être à penser à vos préoccupations personnelles. Si nous vous avons demandé de participer à ce service exceptionnel, c’est que nous avons choisi de vous faire confiance. Il serait donc de bon ton que vous ne trahissiez pas cette confiance, et que vous vous impliquiez sérieusement dans le travail qui sera le vôtre dans les prochaines heures. M’avez-vous bien compris ?

— O-Oui, Madame. Désolé de…

— Je ne vous demande pas d’excuses pour ce qui s’est passé, mais une attitude digne de notre maison lorsque vous sortirez de cette cuisine. Vous savez, ajouta-t-elle avec un sourire glacial, nous avons tous nos propres démons. Mais votre vie personnelle s’est envolée lorsque vous avez franchi le pas de la porte du Palais. Ici, vous n’êtes qu’un serveur. Voyez ça comme une chance : pendant les heures qui viendront, vous n’aurez pas à vous préoccuper de vos propres soucis, c’est comme s’ils avaient vraiment disparu.

— Je m’efforcerai de suivre vos conseils, merci Madame.

— Oh, et, une dernière chose. Avant de commencer votre service, vous me ferez le plaisir d’aller chercher le sac avec la caisse à outils dans la réserve au fond de l’aile gauche. On doit être prêts à réparer tout ce que les invités pourraient casser… Vous me le déposerez dans un casier près de la porte de cuisine.

Mathias, rouge de confusion, baissa les yeux, balbutia encore quelques mots, puis sortit de la cuisine pour se rendre là où elle l’avait envoyé. Au milieu du bric-à-brac de l’une des nombreuses salles cachées du Palais, il finit par trouver ce qu’on lui demandait. Un gros sac rempli d’outils de toutes sortes.

Il fouilla dedans avec curiosité, et trouva en vrac un nécessaire pour changer une ampoule, de quoi déboulonner et reboulonner une horloge, des tournevis, des chiffons… Il mit le sac en bandoulière et alla le déposer à l’entrée de la cuisine, comme demandé. Enfin, s’efforçant d’arborer un sourire sincère, il sortit pour commencer son service.

Il était dix-neuf heures et vingt minutes. Les rires et les conversations menaient bon train dans l’air doux de cette belle soirée, sur la grande esplanade du Palais. Elle avait été aménagée pour que la centaine de convives puisse s’asseoir et boire en toute convivialité. Navigant dans ce flot d’invités, Mathias s’efforçait de ne pas penser à ses propres problèmes.

Pourtant, progressivement – sans même qu’il ne s’en rende compte –, la fièvre de son travail emportait son esprit. Ce qui le mettait hors de lui quelques minutes auparavant semblait se diluer dans les gestes appris qu’il répétait encore et encore. Il se préoccupait de chacun des invités dont il avait la charge ; le sourire qu’il se forçait à afficher contaminait son esprit, maintenant serein et heureux. Ses pensées se tournaient vers les commandes, la bonne humeur et l’efficacité.

Au terme de quelques dizaines de minutes, Mathias avait changé, sans même s’en être rendu compte. Il n’était plus un amant troublé par l’amour, mais un serveur enthousiasmé par son travail. Sa personnalité s’était métamorphosée. Son sourire n’était plus feint, mais sincère, tandis que ses pas étaient affirmés, alors qu’il se déplaçait d’invité en invité, à l’aise dans cet environnement qu’il connaissait si bien.

Ses pérégrinations entre les tables finirent par le mener auprès d’une invitée qui, entre tous, impressionnait par sa prestance et l’aura de gravité dont elle était parée. Elle siégeait entourée d’hommes et de femmes dont les rires mondains attendaient tous son approbation. Les regards étaient tournés vers elle, alors que son propre regard était ailleurs, occupé à contempler la façade du bâtiment. Elle riait lorsque Mathias arriva à sa hauteur.

— Bonsoir, chère Madame, je suis content de constater que vous appréciez cette soirée. Avez-vous choisi les boissons qui vous feraient plaisir ? lui dit-il.

Elle lui répondit avec amabilité ce qu’elle souhaitait – le reste de la tablée faisant ensuite de même. Curieuse et désireuse de passer agréablement le temps, elle demanda à Mathias s’il était seulement serveur, ou s’il avait d’autres activités.

Mathias, heureux qu’on s’intéresse à lui, en dépit de la réserve qui est attendue des serveurs dans un contexte si prestigieux, lui répondit avec franchise qu’il s’était établi à Fort-Vanitas pour étudier la faune locale, et notamment les Pokémon Eau qui vivent près de la rivière.

— Oh, et ces Pokémon ont-ils des particularités qui les rendent dignes d’un intérêt aussi particulier que le vôtre ? lui demanda-t-elle.

— Vous savez que nous connaissons des changements climatiques évidents qui ont des conséquences sur toutes les régions du monde. Il m’a fallu choisir quoi étudier, alors j’ai fait le choix d’un lieu relativement proche de la capitale pour étudier sur le terrain. Je m’intéresse tout particulièrement aux Ptitard qui pullulent par ici. Vous savez, ils exsudent une sueur tout à fait particulière, dont les propriétés sont…

Son interlocutrice l’interrompit d’un rire cristallin, le remerciant de la chaleur avec laquelle il s’était empressé de lui répondre. Mathias, loin de s’offusquer d’avoir été interrompu dans son exposé, se félicitait de l’intérêt qu’une personne aussi prestigieuse portait à ses travaux de recherche. En croisant le regard de sa supérieure, il reprit le cours normal de ses activités, transmettant la commande de cette table aux barmaids.

Continuant son service, il s’occupa d’autres invités prestigieux, comme la célèbre Malva, membre du Conseil 4. Sa propre table étant à l’opposé de celle de la diplomate, il fallait à Mathias des trésors d’endurance pour ne pas s’essouffler alors qu’il s’évertuait à servir à temps ces deux invitées de marque.

Sur son passage, de nombreuses réflexions s’envolaient, les discours des invités lui parvenaient par bribes :

— Et puis il y a ces élevages de Voltorbe…

— Oh, vous saviez qu’Anis avait visité Sinnoh…

— Pouah, cette bière est infecte…

— Moi, je préfère aller au Music-Hall d’Arabelle, à Unys…

— Oui, j’ai écouté une émission qui racontait cela…

Nageant dans cette mer de discussions, notre homme garda son sérieux et fit un travail admirable. Mais, alors qu’il débarrassait certains convives près de la grille de l’entrée, sa sérénité fut troublée. Mathias avait croisé le regard de l’un des gardes, et ce dernier était clairement alarmé. Y avait-il un problème ?

Mathias, un peu confus, n’eut pas le temps de songer plus en avant aux raisons de cette peur. Faisant tinter une cuillère sur un verre en cristal, le propriétaire du Palais invita les convives à poursuivre les invités dans la salle du banquet.