Pikachu
Pokébip Pokédex Espace Membre
Inscription

Jusqu'à ce que les vagues cessent de nous bercer de Ramius



Retour à la liste des chapitres

Informations

» Auteur : Ramius - Voir le profil
» Créé le 15/11/2022 à 14:24
» Dernière mise à jour le 18/01/2023 à 19:04

» Mots-clés :   Absence de poké balls   Aventure   Conte

Si vous trouvez un contenu choquant cliquez ici :


Largeur      
Chapitre 14 : Fort ou faible
« Aaailu. »

Le cri glissa doucement dans l’air nocturne, un couinement à l’appel nerveux.

« Aaailu. Aaailu. »

L’Excavarenne leva la tête vers elle, indécis. Qui pouvait venir, de toute façon ? Siebtze lui sourit, certaine qu’il pourrait distinguer ses lèvres malgré la pénombre. Puis elle le gratouilla sous la mâchoire pour le faire taire, et détourna le regard vers la rue enténébrée.

Au-dessus, la masse de l’Arbre masquait les étoiles et la lune. Ses feuilles au vernis huileux renvoyaient la lumière blanche dans des jeux de réflexions étranges et déconcertants. L’effet cessait le jour, mais de nuit, les branches jaunes portaient une couronne d’argent scintillant.

Une autre nute passa. Siebtze tapota du doigt sur l’encolure du Pokémon volé, et il lança de nouveau sa question plaintive. Trois fois, cinq fois. Peut-être quelqu’un finirait-il par venir.

Sinon, elle irait chercher le veilleur elle-même.

Lanius et elle s’en étaient assurés avant de se poster en embuscade : les Guerriers avaient laissé l’un des leurs en sentinelle. Un manteau obscur et solitaire, qui patrouillait dans le noir et la poussière autour des corps ensablés de ses siblings. Livré à ses pensées, et à la réprobation muette de la Cité évidée.

Ils avaient bien travaillé, Siebtze était forcée de le reconnaître. Ils avaient procédé méthodiquement, abattant bâtiment après bâtiment, observant en détail leurs premières tentatives pour comprendre où frapper, ménageant leurs dragons pour leur permettre de travailler toute la journée, et triant soigneusement ce qui pouvait cacher un fuyard et ce qui ne méritait pas l’effort d’être détruit. Et au soir tombé, il ne restait plus aucun abri à plusieurs centaines de mètres à la ronde autour de l’Arbre.

D’ici quatre jours, cinq au plus long, ils auraient arasé la Cité d’Antan pour de bon. C’était une prouesse remarquable pour une douzaine de personnes de renvoyer au néant une douzaine de millénaires d’histoire en aussi peu de temps, et Siebtze s’était prise bien malgré elle à respecter leur puissance. Ces gens-là n’étaient pas juste des Dresseurs capables de se faire obéir d’un Carchacrok ; ils savaient l’utiliser.

Mais la puissance ne serait pas leur alliée dans la nuit, quand les ruines qu’ils avaient profanées et mutilées les observeraient en silence.

Un éclat d’argent scintilla, enfin, à mi-hauteur d’un enchevêtrement squelettique de poutrelles. Lanius avait repéré quelqu’un — la sentinelle arrivait. Siebtze caressa rapidement la fourrure de l’Excavarenne pour le rassurer, puis le conduisit fermement à l’intérieur du bâtiment à sa gauche et le poussa contre un mur pour lui faire comprendre de ne pas bouger et de la boucler. Puis elle ressortit, juste à temps pour distinguer la silhouette ample du Guerrier qui approchait, une ombre parmi les ombres.

Bien ; l’autre était encore assez loin. La contrebandière se rapprocha en rasant les murs, croisant les doigts pour ne pas faire repérer avant qu’il ne soit trop tôt.

De l’autre côté de la rue, Lanius sauta dans le vide. Sa dizaine de kilos s’écrasa sur le sable avec un bruit étouffé, et le Guerrier se retourna immédiatement — la Guerrière, corrigea Siebtze : sa démarche, ses appuis, l’ampleur de son mouvement, suggéraient plutôt une femme. Ça ne changerait rien, mais la contrebandière appréciait cette bribe de connaissance. Elle lui faciliterait un peu la tâche quand il faudrait tuer cette femme pour atteindre quelqu’un d’autre.

Siebtze profita de sa distraction pour s’avancer en silence, s’approcher à une dizaine de mètres à peine. Elle n’alla pas plus loin : autant ne pas tenter le Dieu. À la place, elle s’accroupit dans la gueule édentée d’une porte, sortit son collier de sous son vêtement, et gémit doucement.

Il y avait une nervosité perceptible dans le mouvement de la Guerrière lorsqu’elle pivota pour chercher la source de ce nouveau bruit. Elle ne la trouva pas. Siebtze ne bougeait pas, se contentant de laisser sa voix porter au niveau du sable et mourir dans un murmure. Sur la côte, elle aurait fait un fantôme tout à fait terrifiant ; ici, elle parvint seulement à mettre la Guerrière sérieusement sur ses gardes.

Dix-sept gondes passèrent avant qu’elle ne décide de se remettre en marche. Siebtze ne l’avait pas quittée du regard. Elle n’aurait pas de seconde chance.

La Guerrière avança très prudemment, vérifiant l’ensemble de ses alentours à intervalles irréguliers et pensant même à regarder en hauteur. Elle remonta prudemment la rue et regarda Siebtze droit dans les yeux.

La contrebandière resta immobile, et la Guerrière la manqua.

Elle poursuivit sa route, et dès qu’elle tourna la tête, Siebtze bondit sur elle et lui planta brutalement ses deux dagues dans le cou. Le sang artériel l’éclaboussa, apportant une chaleur obscène à ses doigts frigorifiés, et elle plaqua une main déjà poisseuse contre la bouche de la Guerrière.

La femme la mordit presque immédiatement, se débattant de toute ses forces dans son étreinte. Elle frappa aveuglément et Siebtze serra les dents en sentant une salve de coups de coudes lui percuter les côtes : la Guerrière était forte. Puissante. Mais elle avait deux griffes de Carchacrok plantées dans le cou, qui déchiraient ses deltoïdes sur le chemin de sa trachée et de sa carotide, et même avec l’adrénaline qui devait inonder son organisme et la rendre complètement aveugle à la douleur, elle ne pouvait pas se libérer. Siebze la fit glisser au sol et lui étreignit le bassin en ciseau, bloquant complètement la moitié supérieure de son corps.

Sa victime s’agita encore un court moment, battant vainement des jambes contre le sable. Et puis les ruades se changèrent en spasmes, qui perdirent progressivement en force, et Siebtze la lâcha, récupéra ses dagues et les essuya sur une pièce de tissu sec, et se releva sans un mot.

Elle plongea la main dans une de ses poches et en tira la petite bourse de poudre oxydante, avant d’hésiter. Avec ce carnage, elle aurait probablement besoin d’un nouvel habit. La seule personne pour laquelle il pourrait servir de fixer la couleur rouge sur celui-ci était Omani… valait-il mieux qu’il ne se doute pas de la quantité de sang qu’il avait sous les yeux ?

Mieux valait qu’il ne se demande pas combien il y en avait eu avant. Elle rangea l’oxydant et s’accroupit à nouveau pour écarter le sable de ses mains. Lanius ne tarda pas à la rejoindre, et ils creusèrent ensemble.

Au niveau du sol, l’odeur du sang se faisait âcre, sans merci, et les autres traces habituelles d’un meurtre commençaient aussi à remplir l’air. Ils se dépêchèrent de terminer une fosse de bonne taille, et Siebtze y roula la Guerrière et son épée. Comme prévu, l’attaque avait été trop rapide et elle avait été trop choquée pour s’en servir ; dans le cas contraire, l’aide de Lanius aurait probablement été nécessaire.

« Ça s’est bien passé, commenta Siebtze à l’intention du Scalpion. On en a assez fait ? L’épée pourra leur dire que leur sœur est morte terrifiée ? »

Le soldat de plomb hocha la tête, l’air aussi blasé que s’il venait de capturer un Ratentif.

« Bien. Dans ce cas, allons voir si notre vieil ami le Guerrier est dans le coin. »

***
Omani chercha.

Il se faufila dans les ombres, sur le sable, aveugle à tous les regards pesant sur lui sinon ceux des étoiles. Il passa des seuils qui n’avaient pas accueilli que le vent depuis des générations, il tâta des lits aux lattes couvertes de monticules de polymères tombés en poussière, il brisa une poignée de babioles si vieilles qu’elles ne se souvenaient même plus d’avoir été colorées un jour.

Omani fouilla, rapidement et consciencieusement, jusqu’à ce que la face pâle de la lune se réfugie derrière les feuilles meurtrières de l’arbre géant. Il ne trouva rien et s’entêta. Il ne trouva rien et Siebtze n’eut pas plus de chance que lui en écumant l’autre côté de la Cité.

Ils cherchèrent jusqu’à ce que l’aurore colore le ciel nocturne d’un halo mauve. Ils ne trouvèrent rien et se replièrent dans l’abri qu’ils avaient choisi. Une journée de perdue.

Siebtze eut un regard mélancolique pour le ciel quand elle entra dans le vieux bâtiment, et resta à la porte le temps qu’Omani atteigne la cage d’escalier. Puis quand elle le suivit, elle ne s’arrêta pas à l’étage où ils avaient déposé leurs affaires dans une salle dont le plancher était moins inconfortable que les autres : elle continua de grimper, et sans trop savoir pourquoi, Omani revint sur ses pas pour monter jusqu’au toit avec elle.

Elle l’accueillit en silence, assise les jambes dans le vide au sommet de la façade est. L’indéboulonnable Lanius était avait posé sa tête sur ses coudes à côté d’elle, sur la petite rambarde de Pierre Grise qui suivait le pourtour du toit. Omani grimpa dessus à son tour, et s’assit un peu plus loin sur le garde-fou érodé. Le soleil se laissait deviner à l’horizon, par-dessus les dunes échancrées et les bâtiments plus bas. Il distillait déjà une lueur de paille dans le ciel.

« Leurs aubes sont tellement plus belles que les nôtres. »

La contrebandière se renfrogna doucement. Ah. Évidemment. On ne parlait pas.

Elle répondit, pourtant, au bout d’une minute interminable.

« Les tiennes, tu veux dire. Je suis née dans le désert. »

Le soldat aurait pu s’en douter. Ce n’était pas tout à fait cohérent avec ce qu’elle avait prétendu un mois plutôt, ceci dit, ni avec les quelques bribes d’information qu’il lui avait arrachées avant d’arriver à Kiktase.

« Ce n’est pas ta maison, pourtant.

— Les nomades n’ont pas besoin d’une maison ! »

L’amusement dans sa voix ne le trompa pas, pour une fois. Elle plaisantait, et le cœur n’y était pas.

Un autre silence. Au loin, l’or céleste s’étalait lentement sur les dunes.

« Après… reprit Siebtze d’un ton moins forcé. Je reconnais que je ne me suis plus sentie chez moi quelque part depuis longtemps. Avec la peau que j’ai, il n’y a pas grand-monde pour m’accueillir… »

Ce serait peut-être plus facile si elle n’était pas une telle bête sauvage, se dit Omani. Il laissa ses yeux s’attarder un instant sur la poitrine de sa guide, où le tissu était maculé de sinistres taches brunes qui ne pouvaient guère avoir qu’une origine. Elle avait tué cette nuit.

Il détourna le regard, honteux d’être si dur. D’accord, il n’avait jamais vu que la face obscure et violente de Siebtze, mais elle ne pouvait pas non plus être un des monstres qui descendaient des montagnes pour venir se nourrir dans les champs. Elle était humaine. Elle avait ses raisons. Et si elle avait pris une autre vie, une poignée d’heures plus tôt, c’était pour adresser un message aux Guerriers et tenter de briser leur détermination avant de devoir les affronter.

Lorsqu’il osa relever la nuque et chercher l’horizon, il discerna le regard de la contrebandière et tourna vivement la tête pour la voir le dévisager, droit dans les yeux.

« Je sais que je te répugne, dit-elle avec une note de tristesse. Et je ne tenterai pas d’y faire quelque chose juste parce que cela m’attriste. Lorsque nous regagnerons la côte, tu pourras choisir de m’oublier avec les autres monstres. »

Omani sentait vivement son cœur battant le branle-bas et la rougeur qui envahissait ses joues. Il détourna de nouveau le regard, incapable de supporter l’honnêteté de Siebtze. Elle était sincère avec elle-même et avec lui, et il se sentait minable à l’idée qu’il ne parvenait qu’à la mépriser en retour.

Entre eux, Lanius planta ses lames dans la roche antique, et entreprit de se hisser par-dessus. À la périphérie de sa vision, Omani vit la contrebandière se pencher pour saisir le petit Pokémon et soulever sa dizaine de kilos pour l’aider à s’agenouiller sur la rambarde. Elle n’avait peut-être rien, mais elle avait quelqu’un.

Il n’aurait pas supporté, à cet instant, de questionner sa propre relation avec Saïyenn à la lumière du lien évident entre Siebtze et Lanius. Alors il posa la première question qui lui passa par la tête, sans réfléchir.

« Que signifie la broche ? »

Siebtze eut un moment de surprise, mais se reprit presque aussitôt.

« Oh, ça ? demanda-t-elle. Ma religion ? Ce n’est pas la question que… mais je suppose que je t’avais promis des explications, oui. »

Elle avança les coudes sur ses genoux et posa la tête sur ses mains, pensive. Et resta ainsi pendant une poignée de secondes qui s’étira mollement dans la brise joueuse.

« Nous avons l’habitude d’éviter la question, commença-t-elle. Nous ne sommes censés en parler qu’aux gens auxquels nous pensons proposer le noviciat. Et je te dis ça parce que justement. Ce n’est pas ce que je fais. Je vais… eh bien, je vais répondre à tes questions, je suppose, et tu feras ce que tu voudras de nos préceptes. Tu mérites de pouvoir accorder ta confiance à ton guide, et je suis bien consciente que je n’ai rien fait pour gagner la tienne.

» Cela dit… Bah ; je voulais gagner un peu de temps et je ne sais toujours pas par où commencer. »

Elle pouffa brièvement, un sourire désabusé aux lèvres. Une autre poignée de secondes passèrent avec le vent.

« Quoique. Tu te souviens quand je t’ai dit que ma force était d’être attentive ?

— Je ne risque pas d’oublier, grimaça Omani. Sans vouloir te vexer.

— Non, c’est normal. Donc… ma religion tourne principalement autour de la force. Et plus exactement des forces, parce qu’il y a quelque chose de plus profond dans la force que simplement soulever des pierres sans se fatiguer.

» La force, c’est de pouvoir tracer sa route dans le monde malgré les obstacles, et il y a différentes façons d’y arriver. Je suis une Attentive : j’observe ce qu’il y a devant moi et je repère le bon moment. D’autres sont puissants, sages, résilients, ou patients. On peut se contrôler, on peut se dévouer. On peut être impassible.

» Tiens, prend Vottar V.

— La Reine Souriante ? s’étonna Omani. Elle… Elle suivait cette foi, elle aussi ?

— Oh, non. Nous n’avons jamais cherché à convertir une tête couronnée, non, c’est trop de faiblesses à gérer… Mais regarde Vottar. Elle passe son temps à botter des culs de brigands ou de naloans, elle termine sa vie en ayant fait exécuter son propre fils pour haute trahison et en étouffant volontairement sa propre dynastie. Et tout à la fin, quand elle a réglé tous les problèmes de son royaume, elle s’autorise à sourire, parce qu’elle sait qu’elle a fait du bon travail. Vottar V était résiliente, et pas qu’un peu. Honnêtement, je ne sais pas quel deuil aurait été assez fort pour la briser, et je te garantis qu’elle a encore des admirateurs loin au-delà des frontières de Mazaïkan. »

Les mots de Siebtze laissèrent le soldat pensif. Il y avait une trace de patriotisme à l’idée qu’on se souvienne de la Reine Souriante de Mazaïkan sur le continent entier, et en même temps, il ne saurait dire ce que valait l’admiration silencieuse d’un ordre religieux. Surtout, c’étaient les implications possibles de ce que disait Siebtze qui avaient quelque chose de très ambigu.

Une religion de la force ? Cela voulait-il dire que le paradis sur la terre, pour eux, serait de ne rien appliquer d’autre que la loi du plus fort ?

Omani n’avait jamais vraiment été orthodoxe. Il avait adressé des prières aux rivières pour qu’elles aient autre chose que lui à manger, et depuis que Saïyenn était entré dans sa vie, il la remerciait de ce qu’elle lui avait apporté, mais les croyances qui se basaient sur des concepts ne lui avaient jamais parlé.

Et pourtant Saïyenn lui permettait d’être autre chose qu’un pêcheur. Il avait visité les avenues arborées de Naloaz et était resté de marbre devant la débauche de richesse du Cabinet de Cuivre de Roval, il avait senti l’excitation de la chasse et le frisson de plaisir du vent en haute mer. Il aurait pu tout plaquer, devenir un bandit des océans ou le roi de son confetti — ou même de Mazaïkan, pourquoi pas. Peu d’obstacles pouvaient retenir Saïyenn pendant longtemps. Alors où se plaçait-il, dans la vision de Siebtze ?

« Et moi ? Tu dirais que je suis quoi ?

— Je me pose la question depuis des mois, s’amusa la contrebandière. Saïyenn est plutôt puissante, et tu es là pour en profiter. Par toi-même… Il te faut bien être un peu impassible pour t’être s’adapté au désert sans trop de mal. Et tu es assez résilient : ça je peux difficilement le nier, vu comment tu restes calme après tout ce que je t’ai fait subir ! »

Le soldat ne se fit pas prier pour s’esclaffer avec elle. Les compliments étaient bien minces, mais ils avaient un goût particulier après des semaines passées en compagnie de la même personne.

« Et je ne peux pas nier que c’est assez agréable d’être comparé à la Dernière Vottar, badina-t-il. Je me méfierai si j’ai un fils un jour.

— Comparé, hein, tu as du chemin à faire ! »

Ils gloussèrent encore, un moment de détente fragile jeté par-dessus le gouffre qui les séparaient, et Omani se rendit compte qu’il se sentait mieux. Peut-être continuait-il de se demander s’il était injuste avec Siebtze et à quel point il aurait dû s’interroger sur lui-même, mais ces doutes n’étaient plus aussi pressants. Ils pourraient bien attendre le soir, quand une journée de sommeil lui aurait porté conseil.

Et puis il pouvait les combattre.

« Pardonne-moi si c’est indiscret, mais… Ce sont eux, le foyer qu’il te reste ? Ceux qui partagent ta foi ?

— Hmm ? murmura Siebtze en haussant un sourcil. Oh. Je ne… Je ne sais pas trop, en fait. Même là, je suis plutôt isolée. J’ai des ennemis et des alliés. »

Peut-être qu’un culte à la force n’était pas le meilleur endroit où chercher une épaule sur laquelle pleurer, songea Omani. Mais il ne le dit pas. Malgré ce qu’en disait les autres Gardes Royaux, lui trouvait que les larmes n’avaient rien d’un signe de faiblesse. Et il ne serait pas surpris que la foi de Siebtze soit capable de placer la capacité à pleurer honnêtement quelque part dans sa dizaine de forces.

La contrebandière le prit totalement au dépourvu quand elle reprit la parole, sa voix lourde de regrets.

« Mon père cherchait à faire tomber l’Ordre, parce qu’ils édictent la façon dont tout le monde doit vivre dans le désert. Il a rencontré une nomade, ils m’ont traînée avec eux dans leur quête… Et quand j’avais six ans, un Guerrier nous est tombé dessus. Mon père revenait d’un village au large duquel nous campions, et il nous a trouvés servant d’otages, ma mère et moi.

» Il a eu le Guerrier, mais il a dû choisir entre nous deux. J’ai longtemps pensé que si j’avais été plus forte, peut-être, j’aurais pu mieux l’aider, et garder ma mère en vie… mais je n’étais qu’une gamine. Il n’y avait rien à faire.

» C’est aussi ça, quand je dis que je n’ai pas de maison. Pas de foyer. Je l’ai trop cherché dans le passé, et maintenant, je n’ai plus que Lanius. »

Le Scalpion se hissa sur la pointe des pieds, et se décala d’une poignée de centimètres pour venir se blottir contre le bras de Siebtze. Elle ramena son autre main vers lui pour lui gratter doucement la tête, ses ongles ripant sans bruit sur le métal lisse.

Omani baissa humblement la tête, conscient que Siebtze n’aurait pas raconté son histoire au premier venu. Conscient aussi que le lien qu’elle partageait avec son partenaire était peut-être plus profond que celui que lui-même avait noué avec Saïyenn, et qu’assister à ce moment de complicité entre eux était un peu comme regarder par une fenêtre donnant sur la rue et voir les gens dîner à l’intérieur.

Ils restèrent en silence sur le vieux toit, quelques minutes de plus, pendant que le soleil se levait paresseusement. Au soir, quand la nuit tomberait, ils reprendraient leur œuvre. Jouant contre le temps et contre l’Ordre, cherchant à tirer leur épingle du jeu et à disparaître avec une prise avant que la meute de prédateurs ne les trouve.