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Jusqu'à ce que les vagues cessent de nous bercer de Ramius



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» Auteur : Ramius - Voir le profil
» Créé le 25/10/2022 à 17:10
» Dernière mise à jour le 25/10/2022 à 17:28

» Mots-clés :   Absence de poké balls   Aventure   Conte

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Chapitre 11 : Douze griffes
L’aurore, à l’est, rosissait le ciel. Siebtze s’était levée tôt, malgré la courte nuit, parce que cette heure était propice. Elle n’était pas certaine de comprendre pourquoi, mais c’était ainsi.

Assise sur la crête d’une dune à une heure de marche de Kiktase, surplombant la tente où Omani dormait encore, elle tira l’Œil de sa poche. C’était une petite pierre rouge, sphérique, une bille parfaitement lisse qu’aucun marteau ne pouvait briser. Elle semblait transparente, mais son intérieur était trouble, confus. Siebtze la leva et la colla contre son front, fermant les yeux.

La brume habitant l’Œil ondula lascivement, indocile. La contrebandière se concentra sur cette sensation étrangement chaude, brûlante et un peu douloureuse. Elle savait bien qu’elle ne maîtrisait pas l’Œil. Mais elle pouvait au moins lui voler quelques fragments.

Une nute passa. Puis deux, cinq. Lentement, l’Œil accepta la conscience de l’humaine, et lui concéda une petite place de spectatrice dans le schéma insondable de ses pensées.

C’était tout ce que voulait Siebtze. Que l’Œil étende ses perceptions, lui fasse sentir la présence et l’immensité du désert entier, au risque de faire éclater son esprit trop petit. Elle avait appris à se concentrer sur les points orangés qui concentrait la haine de l’Œil. Ils étaient minuscules, écrasés par l’énormité dont elle sentait chaque seconde et qui menaçait de la déchiqueter, ils se confondaient en un seul, mais elle pouvait les voir, distinctement. Ils étaient à Yspèri.

Avec un grognement douloureux, l’humaine abaissa l’Œil et quitta la vision, puis se laissa tomber en arrière dans le sable. Elle était épuisée.

Les Yeux rivaux étaient à Yspèri. Elle avait fait cette conclusion parmi d’autres, au cours des jours précédents, lorsque le comportement d’Inal-Gorbak était devenu erratique. Et voilà que tout s’éclairait. La Guerrière était montée à Yspèri rassembler une flèche. D’après les suppositions de Siebtze, cela signifiait probablement qu’elle traquait quelqu’un, et en considérant le calme du désert… la meilleure probabilité était un Renégat.

Elle en serait vite certaine. Elle interrogerait de nouveau l’Œil le lendemain, comme chaque matin. Si les Inal-Gorbak poursuivaient un Renégat, ils avanceraient en ligne droite vers le seul refuge que ce dernier pourrait espérer.

Quelle ironie. Et dire qu’elle avait justement vendu la Cité d’Antan à Omani quand ils étaient entrés dans le désert.

La contrebandière se laissa contempler un instant l’Œil inerte dans sa main, comme chaque matin. Ses brumes avaient repris leurs lentes oscillations. Elle ne l’intéressait pas ; elle n’était qu’un grain de sable pour lui, qui percevait et observait toute l’immensité du désert. Un grain de sable qui regardait par les yeux des dieux, certes, mais un grain de sable quand même. Elle avait gagné en humilité depuis qu’elle volait ses perceptions à cet Œil.

Elle aurait eu des raisons d’être fière, pourtant. Elle était allée le chercher au cœur du désert profond, là où le Titan de sable s’était effondré. Elle avait deviné tout de suite, quand le désert avait été parcouru de rumeurs terrifiées sur ce qu’il s’était passé ; elle savait déjà que Gorbak et ses Apprentis avaient tué son père, elle sut rapidement qu’ils avaient aussi éliminé la Lame Noire. Elle était allée chercher un Œil du Désert, faisant le pari que les Guerriers des Sables avaient gardé les Yeux de la Montagne comme trophées.

Dix ans plus tôt… Elle avait mûri, depuis. Elle avait tempéré ses rêves de vengeance. Elle n’aurait jamais Gorbak ; le vieux fou lui avait échappé, il s’était réfugié dans la mort. Elle avait déjà eu Varsta, et elle avait été plus cruelle avec lui que ce qu’elle avait envisagé autrefois. Maintenant, c’était au tour des Apprentis de tomber. D’abord Aixed, celle qui portait les Yeux. Ensuite Onis, sur lequel Varsta en avait su si peu.

Elle rangea l’Œil avec un rictus déterminé. Pour l’instant, ses plans se déroulaient correctement et se nourrissaient les uns les autres.

« Siebtze ? » demanda Omani.

La contrebandière se retourna avec surprise. Elle ne l’avait pas entendu approcher — idiote !

« Omani, répondit-elle nerveusement. Tu es plus matinal que d’habitude.

— Je ne dors pas très bien quand on me mène en bateau.

— Tu as bien raison, plaisanta Siebtze. C’est une habitude saine.

— Arrête de faire l’enfant et dis-moi plutôt ce qu’il s’est passé hier soir. »

Si ça n’avait tenu qu’à elle, Siebtze aurait posé une question bien plus personnelle et bien plus agressive. Mais Omani était jeune. C’était normal qu’il ne sache pas encore comment mener un interrogatoire sans offrir de porte de sortie à sa victime.

« Ce que j’avais dit qu’il se passerait, affirma la contrebandière. Nous avons rejoint Kiktase, le village le plus proche du col, et obtenu un Excavarenne sur lequel nous chargerons le Guerrier que nous capturerons. J’ai blessé le Carchacrok du village pour empêcher les poursuites, et le Guerrier s’étant interposé, il a fallu l’entraver aussi. Maintenant, nous progressons vers la cité en ruine où les Renégats de l’Ordre se rassemblent, pour voir si nous pourrions nous y servir. C’est tout.

— Heureusement, persiffla Omani. Parce que si toi et Lanius pouvez descendre un Guerrier et son Carhacrok aussi facilement, je doute qu'il ait été vraiment nécessaire de s'aventurer plus loin que Kiktase. Nous aurions pu ramener ce Guerrier-là.

— Le but de ce voyage est que toi, tu apprennes à en battre un. Je te l’ai dit hier soir.

— Oui, après avoir éliminé le plus proche ! Je peux savoir pourquoi tu ne m’as pas simplement aligné contre lui ?

— Parce que les villageois savent se battre à la lance, imbécile. Je suis meilleure qu’un Guerrier, mais je ne peux pas protéger une cible aussi grosse que Saïyenn si un village entier essaie de lui planter des lances empoisonnées dans le lard. »

L’idée coupa la parole à Omani pendant un moment ; il faisait passer la santé de sa compagne avant tout le reste. Siebtze se surprit à penser que c’était bien, alors qu’elle le savait depuis longtemps.

Omani ne laissa pas le silence s’éterniser. C’était un rappel trop douloureux du fait qu’il serait déjà mort plusieurs fois sans elle pour le guider ou pour trouver les terriers des petits Pokémon dont le sang leur servait d’eau.

« Alors tu pourrais servir s’instructrice aux soldats, s’entêta le pêcheur. Si on peut battre un Carchacrok avec deux poignards, je ne vois pas à quoi je sers dans ce désert. Tu as déjà la solution que veut Avandras !

— Je suis forte, c’est vrai, admit Siebtze avec une trace de suffisance dans la voix. Et ma force est d’être attentive, assez attentive pour comprendre comment un Carchacrok compte attaquer d’après la position de ses membres. C’est quelque chose qui s’apprend — et je pourrais t’apprendre si tu le souhaites —, mais pas au niveau où je suis. Pour m’égaler, il faut un talent que tu trouveras peut-être chez deux ou trois soldats mazakins. Ça ne fera pas assez de monde. »

Il fallut un moment à Omani pour digérer l’idée. Il se remémorait probablement ses souvenirs du combat, revoyait la précision inhumaine avec laquelle Siebtze avait coulé ses attaques dans le rythme de celles du Carchacrok.

Ce serait de la conversation pour plus tard.

« Autre chose ? demanda-t-elle doucement.

— Non, admit Omani. Non. Pour l’instant.

— Alors remettons-nous en route. La Cité d’Antan est loin, et nous ne l’atteindrons pas en papotant.

— Tout est loin, dans ce désert stupide… »

La contrebandière éclata de rire.

« C’est presque mot pour mot un adage d’ici, expliqua-t-elle avec peine. Je préfère ta version ! »

Omani n’eut pas l’air particulièrement touché. Mais il passait une mauvaise journée, après tout.

***
L’Arbre à contes d’Yspéri tendait ses feuilles vers le soleil levant, buvant avidement la clarté et la fraîcheur du matin. Les treize Guerriers étaient déjà partis ; ils avaient fait leurs affaires la veille et s’étaient réveillés lorsque l’aurore avait éclairé le ciel. Aixed les arrêta un moment lorsqu’ils furent à quelques dunes de distance, pour se retourner et regarder l’arbre une dernière fois. Elle continuait de sentir cette peur sinistre qui lui soufflait qu’elle ne reviendrait jamais.

Ce n’était pas tout à fait vrai. Elle reviendrait, après avoir trouvé et tué Onis et la scientiste qui l’accompagnait. Mais lorsque cela serait fait, peut-être le désert ne la reverrait-il jamais. Peut-être serait-elle ensablée entre les racines d’Yspéri pour y rejoindre son maître et son frère. Étrangement, l’idée de mourir ne lui inspirait aucune crainte. Peut-être qu’au bout de dix ans passés à régulièrement se fourrer dans des situations inextricables ou à attendre anxieusement la tempête, son esprit s'était finalement préparé à la mort.

Les siblings qu’elle avait rassemblés respectèrent son recueillement, et aucune question ne fut posée. Sans doute l’expression d’Aixed était-elle aussi lugubre que ses pensées. Pourtant, quand elle les arrêta pour la seconde fois, lorsqu’une bonne heure de course eut mis Yspéri hors de portée de la perception de leurs épées, plusieurs voix s’élevèrent pour protester.

« Encore ? lança Pradden. Non mais qu’est-ce que tu as, Aixed ?

— Oui ! Le soleil est à peine levé, pourquoi ne chassons-nous pas ?

— Que se passe-t-il ? Qu’est-ce qu’il y a ?

— Silence, les somma-t-elle froidement. Je vous ai menti, voilà ce qu’il y a. »

Personne n’osa répondre. Elle réalisa que son ton avait été bien plus sec qu’elle ne le voulait — et cela n’importait pas. Elle ne rompit pas le silence. Elle prit le temps de les dévisager, les uns après les autres.

Pradden, qui l’avait conseillée la première. Kaltar et Afze, les jumeaux. Ovnaïj, Mubdida, Hajras, Kirduin, Dalzoc, Jatketza, Umdimin, Srassen, et Bjovket ; elle avait pris le temps de mémoriser chacun de leurs noms la veille au soir, quand ils avaient mangé ensemble.

Ils soutinrent son regard. Bien.

« Cela fait plusieurs jours qu’Onis n’a pas changé de cap, expliqua-t-elle. Il a une destination claire, et il y sera avant nous. Il m’aurait fallu au moins une colonne pour le rattraper à temps. À défaut, je vous ai choisis vous, parce que je pense que vous accepterez d’aller où je vais. Mais ça ne va pas vous plaire.

— Tu peux le percevoir à travers tout le désert ? demanda Dalzoc avec le même manque de suite dans les idées que quand il était fatigué. Mais, comment ?

— Lui et moi étions des spécialistes de l’épée. Il a envoûté la mienne pour protéger le village où il a trahi l’Ordre, mais cela veut dire que je peux le retrouver où qu’il soit.

— Et où va-t-il ?

— Dans quelle direction allons-nous, Pradden ? »

La question s’adressait à tout le monde et elle en plongea plusieurs dans l’embarras. Aixed savait que Pradden saurait trouver la réponse, mais Afze fit honneur au sens de l’orientation qu’avait loué Matrajis la veille. Il comprit le premier.

« La Cité d’Antan, ânonna-t-il.

— Oui, reconnut Aixed. La Cité.

— La Cité d’Antan ?

— Attends, la Cité ?

— Ce n’est pas sérieux…

— Mais elle est folle ! Elle est folle ! »

Elle s’était attendue à une tempête de protestation — mais elle croyait en avoir modéré l’ampleur. Étaient-ils vraiment des esprits libres, ces enfants apeurés qui éclataient en remords dès qu’elle leur ouvrait les yeux ?

« De quoi avez-vous peur ? cria Aixed. Vous êtes des Guerriers ! Je ne vois qu’une bande de lavettes superstitieuses qui craignent un simple nom ! »

Cela eut le mérite de couper court aux cris d’indignation, comme elle s’y attendait, mais les douze regards irrités fixés sur elle auraient du mal à lui passer ça. Eh bien, il faudrait les convaincre de continuer à la suivre.

« Celui qui met le pied dans la Cité d’Antan attire le malheur sur le désert entier, récita Pradden.

— Je sais ce que disent les villageois quand ils s’ennuient, persiffla Aixed. Cela fait des siècles que les Renégats le font tout le temps, et je ne crois pas que les derniers siècles aient été particulièrement néfastes pour le désert.

— À l’exception d’un léger problème il y a dix ans ! répondit Jatketza.

— La malchance s’accumule-t-elle pendant des siècles avant de frapper d’un seul coup ? »

Jatketza fit la moue. Mais il pourrait attendre. Pradden avait tiré son épée et la braquait sur Aixed.

D’un autre côté, ce n’était peut-être pas plus mal. Si elle était déjà à court d’arguments, alors qu’elle avait pris l’initiative, Aixed doutait que les autres soient trop difficiles à convaincre ; plusieurs regardaient avec une stupeur incrédule l’épée tenue dans l’air.

« Tu voulais ça dès le départ, accusa Pradden. Tu nous as choisi en espérant que nous accepterions ça.

— Eh bien, oui, répondit platement Aixed. J’aurais été la dernière des abruties si j’avais demandé l’aide de Matrajis et Aktel.

— Eh bien tu n’es pas tombée beaucoup mieux. Aucun de nous ne peut te laisser faire ça. »

Aixed resta éberluée un instant. C’était trop beau pour être vrai : peut-être que les dieux lui faisaient un cadeau, finalement.

« Regarde autour de toi, Pradden, dit-elle doucement. Regarde nos siblings et dis-moi combien ont ton assurance. »

Elle voulut se mordre la langue ; ce n’était pas la meilleure chose à dire, sans doute, elle avait improvisé au dernier moment. Mais Pradden se détourna et scruta les Guerriers de la flèche, et elle les vit douter. Ils lui renvoyèrent son regard, incertains, confus, parfois sereins et désapprobateurs, et lorsque ses yeux se posèrent sur Aixed, la Guerrière y lut le doute.

Pradden s’était plantée en beauté, mais elle n’était pas aveugle : elle avait bien vu que seul Jatketza penchait plutôt de son côté. Et même lui n’était pas vraiment certain de devoir s’opposer à Aixed.

Non, la Guerrière n’avait pas raté son choix. Elle avait cherché les jeunes, les blasés, les insolents, les têtes brûlées, et seule Pradden la décevait ; seule Pradden s’opposait sérieusement au sacrilège. Passé le premier moment de surprise, seule Pradden s’accrochait aux légendes qui décrivaient la Cité d’Antan comme un lieu maudit et hanté.

« Je… hésita la Guerrière.

— Baisse ton épée, ma sœur. »

Elle ne le fit pas ; elle raidit sa posture et abaissa légèrement ses appuis. Aixed lui sourit. Si Pradden pensait avoir une chance en duel, elle se ferait un plaisir de mesurer son talent… mais elles n’en étaient pas encore là.

« De quoi as-tu peur, Pradden ? répéta-t-elle doucement. Il n’y a rien, là-bas. Ce n’est qu’une ruine où nos traîtres vont se réfugier parce que nous n’osons pas affronter une poignée de contes.

— Et tu nous as manipulé pour que nous t’y suivions !

— Qui m’aurait suivie si je l’avais admis dès le départ ? Et qui me suivra maintenant ? »

C’était un appel direct aux spectateurs — mais Aixed savait que les indécis attendaient de voir comment Pradden se laisserait convaincre. C’était le plus simple pour tout le monde : si elle tombait dans le rang, tout le monde l’y suivrait sans se poser trop de questions. Alors la Guerrière reprit-elle aussitôt la parole, paisiblement.

« Vous auriez eu l’occasion de demander conseil aux Maîtres. Vous l’avez encore. Yspèri n’est qu’à une heure de course. Partez, allez demander à Cara ce qu’elle en pense — vas-y toi, Pradden. Tu mèneras la flèche qui tentera de nous rattraper. »

Pradden prit le temps d’y réfléchir. C’était une erreur. Aixed laissa l’idée infuser, laissa chacun remarquer qu’il faudrait construire cette flèche-là à la hâte quand Aixed avait eu plusieurs heures pour choisir la sienne, et puis elle enfonça la lame dans la plaie.

« Si tu ne veux pas tenter de briser cette impunité que les Renégats ont acquise, c’est ton choix. Je l’accepte. Après tout, je suis follement orgueilleuse de vouloir rentrer à Yspèri et mettre les Maîtres devant le fait accompli, non ? »

Une fois encore, elle aurait voulu en dire tellement plus. Elle aurait voulu attaquer la sécurité que la Cité d’Antan offrait aux Renégats. Elle aurait peut-être dû admettre sa propre inquiétude à l’idée — ou bien peut-être ne devait-elle surtout pas le faire. Elle aurait voulu suggérer un peu mieux cette image d’une flèche entière rentrant victorieuse et orgueilleuse à Yspéri, ayant dévasté la Cité, éparpillé les Renégats aux quatre vents, vengé les trahisons. Aixed savait au moins cela : il faudrait qu’elle tente de faire passer ces messages-là plus tard, car ses pensées à leur propos étaient encore trop confuses.

Mais Pradden baissa son arme avec un soupir, qui se propagea silencieusement au reste de la flèche. Elle acceptait sa défaite. Acceptait d’avoir été guidée vers la Cité par des mensonges et des faux-semblants. Et autour d’elle, les autres Guerriers se rangeaient à son choix. Peut-être certains avaient-ils d’autres arguments, mais aucun n’aurait le cœur de les exprimer, et c’était tout ce dont Aixed avait besoin.

Les choses n’auraient pas pu mieux se passer.

Ils remontèrent sur leurs Démons, dans une atmosphère de gêne qui refusait de se dissiper ; ils ne prononcèrent pas un mot. Le consensus obtenu par Aixed était encore trop fragile pour que quiconque ne prenne le risque de le remettre en question. Et si elle voulait le faire tenir, il faudrait qu’elle se renseigne sur eux, qu’elle leur parle et qu’elle comprenne pourquoi chacun la suivait. Ce n’était qu’à ce prix qu’ils résisteraient à leurs doutes et accepteraient de courir jusqu’à la Cité.

Alors, une fois le soir venu, fit-elle le premier pas, et reprit-elle une discussion abandonnée la veille au soir avec Jatketza. Il était réticent et il savait très bien ce qu’elle faisait, mais ne résista pas. Il ne refusa pas de se laisser convaincre. En quelque sorte.

Tard, lorsque la plupart des Guerriers furent endormis et que les autres cherchaient le sommeil, Pradden vint trouver Aixed sous sa tente.

La Guerrière posa la main sur son épée sans un mot, se redressant avec un air menaçant qu’elle espérait visible.

« Pas la peine, souffla Pradden en s’asseyant. Je ne suis pas venue pour ça. Dis-moi, tu penses que tu arriveras à tenir la flèche jusqu’à la Cité ?

— Je… Ça devrait aller. Mais toi ? Tu as… joué la comédie ? »

Aixed crut distinguer un sourire sur le visage de sa sœur, dans la pénombre que la lune faisait passer à travers le battant de sa tente.

« J’ai été convaincante ? demanda Pradden.

— Tu m’as eue, en tout cas… Depuis quand le savais-tu ?

— J’ai compris ça hier, dans la nuit. Tu cherchais des gens hors des normes pour poursuivre un Renégat, et j’ai eu l’impression d’assez bien te cerner. Je me suis dit… »

Aixed ne trouva rien à répondre. C’était impressionnant, et elle était rassurée de pouvoir compter sur Pradden, mais en même temps… Si une l’avait percée à jour, d’autres pouvaient très bien avoir compris aussi. Il faudrait qu’elle guette leurs arrières en espérant ne pas avoir une flèche rivale aux trousses.

Pradden s’éclipsa sans un bruit, souriant encore.