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Jusqu'à ce que les vagues cessent de nous bercer de Ramius



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» Auteur : Ramius - Voir le profil
» Créé le 13/09/2022 à 07:47
» Dernière mise à jour le 13/09/2022 à 07:47

» Mots-clés :   Absence de poké balls   Aventure   Conte

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Chapitre 5 : Courir
« Brise les marques, ordonna Onis d’une voix ferme. Brise les marques autour d’eux et prive-les de la vue. »

Le Démon acquiesça, et s’élança à bonne allure dans la pente, soulevant une épaisse traine de sable. Le vent joueur ne parvenait pas à disperser le nuage effilé qui s’accumulait progressivement, seulement à l’étaler au fur et à mesure que la charge tranquille du dragon le créait. En une poignée de nutes, un épais manteau de sable engloutit les courbes douces de la combe de sable, et le Démon consciencieux élargissait sa spirale aux dunes alentour.

Onis descendit d’un pas hésitant le versant de sable, ajustant l’avant de son habit sur sa bouche. Margar marmonnait quelque chose derrière lui, mais il l’ignora. Il devait… voir, probablement, bien qu’il sût déjà.

Le temps que les deux compagnons mal assortis arrivent en bas de la dune, le nuage de sable retombait doucement au sol, et le pas lourd du Démon s’estompait au-dessus de la ligne de crête. D’en haut, la silhouette avait été relativement facile à voir : si l’habit beige se confondait bien avec le sable, les cheveux et les mains qui s’en échappaient le contrastaient autant que la silhouette sombre du Démon. Et maintenant, un linceul de sable recouvrait tout, laissant à peine une liasse de cheveux noirs de visible.

Le partenaire d’Onis avait fait un travail soigneux : ni la femme, ni l’autre Démon ne risquaient rien. Leurs yeux étaient fermés, protégés, et leurs têtes n’étaient couvertes que d’un fin voile beige qui ne les étoufferait pas. Pour le reste, les détails n’étaient guère plus que des courbes enfouies dans le creux de la dune, implicites. Étrangement, Onis trouvait que cela rendait les choses plus faciles.

Bien sûr, il n’avait pas besoin de voir Aixed pour savoir que c’était elle qui gisait là. Mais il y avait quelque chose de moins dérangeant dans ce savoir que dans la vision qu’ils avaient eu depuis la crête, une Guerrière et sa monture abattues dans le sable, la première ayant volé sur plusieurs pas lorsque la seconde avait cédé à la somnolence et perdu le contrôle de sa trajectoire.

« Est-elle vivante ? »

La question de la scientiste déconcerta le Guerrier pendant une ou deux gondes. Margar était une nomade, dont la coutume était de laisser les morts derrière soi dans le sable ; avait-elle déjà vu un tel corps à demi enfoui ?

« Oui, affirma Onis sans même vérifier le souffle de sa sœur d’armes. Son épée ne monterait pas la garde sinon.

— Ces trucs sont obligés de rester immobiles tout le temps ? Ça fout la trouille.

— Et elle va s’en sortir, poursuivit-il en ignorant l’interruption. Je craignais que la chute ne lui ait brisé un os, ou quelque chose, mais elle n’a pas été projetée assez loin pour ça. Le Démon est arrivé à ralentir en se rendant compte qu’il s’affaiblissait. »

Le discours spontané d’Onis s’interrompit aussi brusquement qu’il avait commencé. C’était juste une idée, comme ça, qui lui passa par la tête et ne le laissa pas poursuivre. Une impression bizarrement exacte, que la prochaine phrase de la scientiste serait « Eh bien, si elle est vivante, termine le boulot. »

Il se retourna vers elle, quelques pas prudents derrière lui, et l’interrogea du regard, sans qu’elle ne paraisse saisir la question. À la place, ce qu’elle dit fut :

« On a une chance de la perdre avant qu’elle n’aille retrouver sa flèche ? »

Le Guerrier ne répondit pas, pas tout de suite, reporta son regard sur la sœur de dix ans de vie et le Démon qu’il connaissait presque comme le sien. L’épée, que rien ne distinguait de celle qui s’accrochait à son dos ni de celle qui se dissimulait dans les fontes de Margar.

Il passa une main par-dessus son dos et ramena son arme devant lui d’un mouvement fluide, délibéré, le terminant par un lancer modeste qui l’envoya doucement flotter vers les deux silhouettes ensablées.

« Qu’ils nous traquent, entonna-t-il. Qu’ils ne traquent que nous seuls. Altère leur vue et conduis-les à nous. Maintiens-les sous notre emprise aussi longtemps que nous serons leurs proies, car les liens de la vengeance courent dans les deux sens… »

Il ménagea un semblant de pause avant de reprendre. Il n’y avait pas vraiment de méthode pour pousser une épée à exécuter des instructions complexes. Onis avait seulement remarqué que la sienne préférait qu’il lui explique pourquoi il faisait appel à elle, et qu’elle appréciait les termes sybillins. De toute façon, le langage du désert était aussi imperméable que la plupart du reste du monde pour les épées : il devait se reposer sur leur lien pour lui communiquer quoi que ce soit. Les mots n’étaient qu’une façon d’attirer son attention.

Quatre fois, cela suffirait. Inutile de se répéter plus longtemps. L’épée d’Aixed l’avait laissé faire, peut-être intriguée par cet humain qu’elle connaissait de loin, mais ne resterait pas inactive très longtemps s’il jouait trop sur l’esprit de sa maîtresse.

« Je ne sais pas, répondit-il enfin à Margar. Elle devrait déjà être partie la chercher. Je ne sais pas pourquoi elle ne l’a pas fait, alors que c’était la seule chose logique à faire.

— Je me trompe, ou elle a un désavantage sur nous aussi longtemps qu’elle reste seule ?

— Oui et non. Oui, parce que son Démon ne tiendra pas en face du mien, et parce que nous nous valons à peu près à l’épée ; nous connaissons tous les tours dont l’autre est capable… Et non, parce que partir chercher sa flèche revient à nous donner du temps pour nous préparer. Et dès qu’elle nous lâche, elle court le risque que je parvienne à fausser sa vue et à échapper à toute détection. Aussi… Je n’ai aucune idée du choix qu’elle va faire.

— Hmm. Mais le village est sauf ?

— Le village est hors de danger. Si elle ne se réveille pas d’ici à ce que mon Démon ait terminé, dans quelques nutes au plus tard.

— Ça, je te garantis que ce ne sera pas le cas, sourit Margar avec un regard vers la silhouette du dragon endormi d’où émanait un léger ronflement. Ils ont pris une dose de somnifère pour la journée, et je parie même qu’ils ne se réveilleront pas avant demain midi. »

Le Guerrier hocha sombrement la tête. Margar avait préparé toutes les Fleurs de Sommeil, et n’avait laissé derrière eux qu’une pincée de poudre quand ils avaient quitté cette même combe de sable, au matin. Depuis, le Démon d’Onis avait harcelé les Marcheurs jusqu’à leur faire infléchir leur course, s’éloigner d’Aixed immobilisée, rejeter la dernière direction qu’elle leur ait connue.

« Si j’étais elle, je nous poursuivrais, reprit Margar. Je nous défierais en combat une fois, rapidement, en profitant de mon avantage de vitesse. Juste pour voir si c’est faisable seule. Et ensuite je filerais chercher cette flèche pour revenir aussi vite que possible avec. Ce serait le choix le mieux équilibré.

— Qui peut dire ce qui passera par la tête d’Aixed ? rétorqua Onis plus sèchement qu’il n’en avait eu l’intention. Elle est capable de jeter la logique au vent quand ça l’arrange. »

La scientiste eut un sourire désabusé, mais accepta l’argument. Le Guerrier songea qu’il faudrait penser à nuancer un peu ses mots, plus loin, plus tard. Et le Démon revint au bout d’un silence résigné.

Il venait de soulever des douzaines de fois son poids en sable sur plusieurs dunes de distance, et accepta pourtant ses deux passagers et leurs deux épées sans broncher. Leurs poids conjugués l’empêchaient de dépasser les quarante kètres à l’heure : ce serait plus lent qu’Aixed quand elle et son Démon se seraient remis d’une nuit passée dans le froid, mais Onis savait qu’il devait s’estimer heureux. Si son Démon n’avait pas été une femelle, elle n’aurait pas pu maintenir un tel rythme avec une double charge, toute la journée. Enfants du désert ou pas, les Démons eux-mêmes avaient leurs limites, et il leur arrivait de les atteindre.

Le Guerrier jeta un dernier regard en arrière avant de partir, sur la touffe de cheveux qui semblait être une plante solitaire aux branches s’agitant mollement dans le creux de la dune, et puis se retourna vers l’avant et mis son dragon en mouvement d’un seul contact sur ses écailles.

***
Au soir, Margar attendit à peine que le carchacrok s’arrête pour s’en échapper en titubant, et elle s’écrasa dans le sable au bout de trois pas.

Onis ignora toutes les possibilités de sarcasme qui s’offraient à lui et monta la tente, sans dire un seul mot au sujet de la condition peu reluisante de sa passagère. La scientiste trouva cette occasion manquée vraiment regrettable, au point de parvenir, lorsqu’elle en eut assez d’entendre des bruits de tissu et aucun mot, à se retourner vaillamment pour avoir au moins la bouche à l’air libre.

« Ça m’avait pas manqué, cette connerie, grommela-t-elle sans hargne.

— Vous avez un problème ? »

Génial. Voilà qu’elle l’avait en plus intimidé au point de revenir au vouvoiement. Margar retint un soupir de dépit à l’idée qu’elle n’était qu’au début de ses peines, quelle que soit la foutue route où elle s’était engagée.

« Trois fois rien, gamin, lança-t-elle. Je n’ai juste pas été élevée sur le dos d’un lézard coureur, et juste là j’ai envie de marcher pendant un jour ou deux alors que je sais très bien que j’arriverais à peine à me relever. »

Le Guerrier sembla considérer la situation un moment. Et puis il sabota définitivement le coup de gueule de la scientiste avec le ton le plus naturel du monde.

« Eh bien, c’est sans doute le moment idéal pour faire connaissance avec l’épée, alors.

— Pardon ? L’espèce de morceau d’Acier possédé qui avait déjà l’air impatiente de me bouffer le cerveau quand je tenais debout ? Et tu voudrais que je lui apprenne à marcher maintenant ? Non mais t’as complètement perdu la boule !

— Vous pouvez marcher ? demanda sincèrement Onis. Ou faire n’importe quoi qui demande de bouger ? »

Margar estimait que son regard assassin constituait largement une réponse, et le Guerrier eut l’air de très bien comprendre le message et de ne pas se soucier le moins du monde de la façon dont il était transmis.

« Voilà qui limite utilement votre choix d’activités pour ce soir. »

La scientiste se sentit insultée par le fait que cet argument soit formellement logique. Mais il lui fallait aussi reconnaître qu’elle n’était pas en position de négocier, et qu’Onis aurait raison à la fin de toute façon. Autant plier tôt, et limiter l’humiliation.

« Donne-moi cette salope charognarde d’épée. »

Margar songea un peu tard qu’insulter l’épée n’était peut-être pas conseillé. Mais Onis n’y réagit pas. Pas plus qu’au reste de ses écarts de conduite de la soirée (ou des deux derniers jours pour ce que ça changeait), et la scientiste déchanta rapidement quand le Guerrier lui donna le paquetage contenant le monstre spectral en se fendant d’un minimum inquiétant d’avertissements.

« Elle s’est déjà liée à un maître, expliqua Onis. Donc vous n’aurez pas à lui apprendre à chasser pour vous. Ce sera juste une question de vous en faire accepter ou non. C’est peut-être déjà fait, ou bien elle cherchait à vous leurrer. Je vous laisse la sortir de là quand vous vous sentirez prête ; bon courage et évitez de vous endormir. »

La scientiste roula les yeux au ciel, ou plus probablement vers le nord vu qu’elle était allongée avec le soleil plus ou moins à sa droite. Nord-ouest, peut-être ? Elle n’en avait aucune idée et ne s’en souciait pas vraiment. La seule chose à garder en tête était que si jamais l’épée essayait encore de la bouffer, elle l’enterrerait dans le sable et l’abandonnerait à son sort bien mérité.

Margar tourna la tête pour jeter un regard à Onis, qui s’était lancé dans une série d’assouplissements. Ce en quoi il n’avait pas tort, elle savait qu’elle allait regretter de ne pas avoir pu faire pareil le lendemain ; mais autant s’y résigner, il ne lui serait d’aucune aide.

Elle étendit les bras vers le paquetage enveloppant l’arme, et tira de toutes ses forces pour la ramener à elle. L’épée pesant à peine moins lourd qu’elle, Margar parvint seulement à se traîner elle-même dans le sable, se rapprochant du spectre. Sans importance : le résultat était le même.

Il ne lui fallut guère qu’une poignée de gondes pour se débarrasser des tissus et des cuirs enrobant le monstre, en faisant de son mieux pour ne pas s’inquiéter de la suite, pour ne pas penser à la difficulté de rejeter loin d’elle une masse aussi lourde. Une poignée de gondes, et puis elle posait sa main sur la garde, sans aucun besoin de faire plus.

Les deux panaches noirs se refermèrent sur ses doigts, s’enroulant en spirale le long de son bras.

Elle ferma spontanément les yeux. Elle savait que c’était la chose à faire. Et la vision surgit aussitôt, une rêverie troublée et chaotique. L’épée imitait la classe à laquelle elle avait brièvement assisté, celle qu’elle avait interrompue, et cette imitation était un échec retentissant : une rangée de souvenirs, des fantômes eux-mêmes, dévisageaient la scientiste avec avidité, et elle pouvait sentir que c’était dans l’esprit de l’épée ce qui se rapprochait le plus de l’école qu’elle avait eue.

Ses propres souvenirs remontèrent en force, en réaction. Les longues heures passées à épancher la soif dévorante des enfants, leur curiosité ingénue. Les débats à bâtons rompus avec les adultes, les questions mal ciblées auxquelles elle s’efforçait de répondre de façon conciliante. Le pourquoi des premiers et le comment des seconds.

Les adieux qu’elle avait faits la veille au soir, qui s’étaient éternisés, la vie qu’elle avait eue là, aussi. Le foyer qu’elle quittait et qui resterait toujours auprès d’elle. La vie était faite de séparations, elle le savait depuis longtemps.

Il lui sembla que l’épée réagissait doucement à la tristesse qui transparaissait dans ses souvenirs, que son contact se faisait plus délicat. Margar eut l’intuition, inébranlable, qu’elle ne faisait absolument pas ce que pensait Onis. L’épée l’avait acceptée depuis longtemps, et s’était simplement trompée dans la façon dont elle devait la réconforter, la veille. Une habitude héritée de son ancien porteur — un frisson parcourut la nuque de la scientiste à cette idée.

Leurs esprits liés, ou ce qui en tenait lieu, l’épée ne pouvait pas mentir, elle ne pouvait dissimuler aucune intention, pas plus que Margar ne pouvait dissimuler ses pensées. Ce n’était pas un test ou une épreuve. Ce n’était qu’une chaussure s’adaptant à son nouveau pied, tranquillement, patiemment, et ce concept entièrement étranger que ses propres idées avaient capté n’horrifia même pas l’humaine comme cela aurait dû être le cas. L’épée ne se pensait pas, elle n’avait pas de conscience d’elle-même. Elle n’existait qu’à travers un support vivant, que ce soit par la chasse ou par l’acceptation pleine et entière que Margar sentait déjà germer en elle.

Elle voyait au cœur du monstre, son incapacité pure et simple d’envisager que son simulacre de vie s’éteigne, le fil droit et acéré de ses pensées, elle perçut combien seul l’Acier immortel pouvait incarner cet être, et elle se sentit sondée en retour, jusqu’au plus profond de sa mémoire, sans en être aucunement effrayée. L’épée l’avait attendue pendant dix ans, consciente qu’elles se retrouveraient forcément. Elle n’avait rien à en craindre.

La nuit brillait lorsque Margar rouvrit les yeux, piquetée d’étoiles, et elle entendit distinctement le léger ronflement d’Onis. La scientiste se leva, toute trace de fatigue envolée, et se lança dans l’escalade du versant de la dune. Les panaches noirs de l’épée vinrent se croiser sur son torse, portant dans son dos un poids rassurant et surnaturellement facile à soulever.

La nuit était belle. Elles pouvaient en profiter.

***
Elle se réveilla transpercée de mille échardes d’os.

Un grognement sourd lui échappa, faisant voler le sable juste devant sa bouche. Elle était transie. Elle était percluse. Elle était à moitié enterrée dans le sable, au creux de deux dunes, au centre d’un immense motif circulaire.

« Le salaud, » cracha-t-elle.

Les mots lui brûlèrent la gorge, et elle serra les dents pour retenir une quinte de toux. Elle n’avait pas bu depuis trop longtemps. Son Démon dormait un peu plus loin, recouvert d’un mince voile de sable qui ne l’avait certainement pas protégé dans la nuit — il était recroquevillé sur lui-même, une boule d’écailles d’où le sable avait glissé par endroits. Il devait se sentir comme elle, glacé par la nuit qu’ils avaient passée là, et allait être faible et triste en se réveillant.

Elle se retourna sur les coudes et entreprit de ramper vers la silhouette ensevelie, ignorant rageusement la douleur qui lui vrillait les bras, les côtes, les dos. Elle avait l’impression d’avoir été rouée de coups.

Combien de temps avaient-ils dormi ? Ils couraient à l’ouest quand cette torpeur étrange les avait saisis, et le soleil se levait maintenant derrière le Démon. Là d’où ils venaient.

Alors, un jour entier, un jour et une nuit. Aixed grinça des dents en dégageant cette supposition de son esprit courbaturé. Le salaud, le salaud…

Le Démon remua un peu quand elle se hissa sur son arrière-train et commença à fouiller dans ses fontes. Elle l’ignora. Il était capable de mourir dans les prochaines heures, il ne pourrait sans doute même pas lui faire de mal par accident.

L’idée d’être privée de son plus vieux compagnon de route poignarda sa poitrine d’une douleur qu’elle ne connaissait pas et qu’elle n’avait jamais ressentie, pas même quand il prenait les risques les plus fous. Mais de tout le temps qu’ils avaient passé ensemble, lui n’avait jamais subi une nuit à l’air libre. Le risque était réel, tout simplement, et pour la première fois, ce n’était pas un combat qui aurait échauffé son sang et lui aurait permis d’agir au lieu d’avoir peur.

Enfin, ses doigts se serrèrent autour de l’outre de lait de Lapin-Sapeur. Elle l’attira maladroitement à elle et desserra le nœud coulant, embrassa le tissu pour boire une gorgée avide. Une seule, courte et sèche, et puis elle laissa retomber le précieux liquide dans son sac de cuir. Il fallait boire lentement. Sa voix lui reviendrait peu à peu.

Elle profita tout de même du voile de lait qui lui couvrait encore la gorge pour faire une promesse à son Démon, la voix basse et sifflante.

« Je vais te trouver à manger. Ne bouge pas, je vais te sortir de là. »

Le dragon ne fit pas mine d’avoir entendu ; il se resserra seulement un peu plus sur lui-même, frigorifié. Dans quelques nutes, il sentirait la chaleur montante, la caresse du soleil matinal sur son cuir, et il s’étalerait de tout son long pour tenter de chasser la morsure de la nuit. Aixed voulait être revenue avant ça. Mais il faudrait sans doute se contenter de revenir avant qu’il ne se mette en tête d’aller chasser lui-même.

Elle accrocha l’outre à sa taille et s’empara de l’épée familière plantée verticalement dans le sable à quelques pas à peine. Le Spectre n’avait rien fait pour la défendre ou pour entraver son ennemi, mais elle le comprenait. Il n’y avait rien eu à faire.

Les perceptions qui lui parvinrent à travers le manche étaient corrompues, floues. Quelques monstres, plus ou moins loin. Aucune trace du village — à la place, une voie enflammée indiquant exactement le chemin à suivre pour trouver Onis.

« Tu vas mourir, jura-t-elle encore. Tu vas mourir et je serais là pour te regarder. »

Les mots faillirent lui arracher une quinte de toux, et elle avala une autre gorgée de lait pour la retenir. Elle ne dirait rien d’autre de la journée ; elle pouvait se permettre ce serment.

La Guerrière se détourna résolument de l’appât qui lui était tendu et s’élança à petites foulées le long de la dune, refoulant avec un rictus haineux la douleur qui embrasa ses jambes et ses hanches. Un vieux Chien des Enfers, à quelques nutes de course, allait apprendre qui était le prédateur le plus dangereux du désert.

Et lorsqu’elle se remettrait en chasse, elle ne s’arrêterait pas avant d’avoir obtenu vengeance.