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Jusqu'à ce que les dunes cessent de chanter de Ramius



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Informations

» Auteur : Ramius - Voir le profil
» Créé le 14/07/2021 à 14:14
» Dernière mise à jour le 04/09/2021 à 18:00

» Mots-clés :   Absence de poké balls   Aventure   Conte

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Épilogue
L’épée, immobile, faisait face à la trentaine de scientistes alignés et agenouillés. Et cela troublait Onis, pour deux raisons.

Ils avaient senti le village par hasard, comme toujours avec les villages nomades, et s’étaient approchés doucement. Une habitude qui avait encore un goût amer de confiance refusée, malgré les années qui s’étaient écoulées depuis sa mise en pratique ; une arrivée de Guerriers aurait dû être bruyante et ne surprendre personne.

Mais en l’occurrence, leur sournoiserie avait été récompensée par un laboratoire : en arrivant et en descendant silencieusement le long de la dune, ils avaient trouvé à côté des tentes une petite foule occupée à jouer — à écrire — dans le sable. Une trentaine d’enfants entre lesquels une seule adulte évoluait, une femme d’une quarantaine d’année dont le visage sec révélait l’habitude de voyager au cœur du désert. Elle avait un regard qu’il n’avait jamais subi ; un mélange détonnant de mépris, de compassion et d’indifférence, comme si elle vu tant de Guerriers mourir et tuer au cours de sa vie qu’elle ne croyait plus qu’ils puissent la menacer.

Une menace certes difficile à incarner devant un groupe d’enfants auxquels ils avaient demandé de ne pas se lever, sous les yeux de leurs parents qui avaient accouru. Cela aurait fait douter n’importe qui.

L’autre raison, c’était que l’épée les suivait, Aixed et lui, parce qu’elle avait recueilli l’esprit de Gorbak. Or cette immobilité stoïque, en face de la femme, était exactement celle que les deux Guerriers avaient fini par redouter, du temps où ils étaient Apprentis.

L’immobilité précédant le chaos. Le calme avant la tempête. Une tempête dont seul Gorbak avait été capable, froide, déterminée et implacable, au point que lui-même la subissait : un état qui s’imposait à lui plus qu’il ne le commandait. Voir une épée dans cet état de tension absolue était plus éprouvant encore que de se soumettre à sa morsure.

« C’est quoi, le principe ? gouailla Aixed. Les enfants en première ligne, en espérant que les Guerriers soient assez humains pour ignorer le laboratoire ? Réponds-moi, la vieille !

— Ces enfants sont des élèves, jeune sotte, déclara la scientiste en se délectant visiblement de l’ouverture que lui offrait la Guerrière. Moi, je suis leur professeur, ce qui veut dire que je leur apprends à se montrer intelligents. »

Un sourire de mauvaise augure tordant ses lèvres, elle déversa un fiel impressionnant dans une dernière phrase.

« Tu veux un cours ? »

Aixed avait perdu toute sérénité depuis longtemps ; elle avait commencé à enrager dès qu’elle avait vu le nombre d’enfants. Elle libéra une gifle qui sonna comme un coup d’épée, un bruit de métal résonnant longuement—

L’épée s’était interposée. Un mouvement si rapide qu’elle avait semblé sortir de nulle part.

« Quoi encore ! lui cracha Aixed après une salve de jurons pour sa main fracassée. Qu’est-ce que t’as, toi ? »

L’épée lui tourna le dos — si l’on pouvait dire — pour faire face à la scientiste affichant toujours son air de suffisance insupportable. Elle changea bientôt d’expression.

Un panache de tissu noir et violet s’éleva du côté de l’épée flottante, dans un mouvement presque timide, et vint se poser sur les poignets de la scientiste. Elle ferma les yeux, stupéfaite. Ça, se dit Onis, ça n’annonçait rien de bon.

Quelques gondes passèrent. Interminables.

« Oui, articula doucement une scientiste apaisée. Tu m’étonnes, qu’il te manque. »

Quand l’épée retira ce qui lui servait de bras, elle se leva, regardant les deux Guerriers médusés d’un air pacifique.

« Permettez-moi de vous présenter mes excuses pour vous avoir traités rudement, Inal-Gorbak. »

Elle ménagea une pause polie, sans la moindre trace de condescendance — simplement parce qu’elle savait qu’ils reculeraient d’un pas et raffermiraient leur poigne sur leurs épées en l’entendant les appeler ainsi.

« Je suis Margar tal Sèmèrès, reprit-elle en ignorant la révulsion des Guerriers à entendre ce nom claironné au grand jour. J’ai partagé la quête de vengeance de votre maître, du temps où il traquait Tograz, et je la continue encore aujourd’hui, selon un autre chemin.

— Vous avez du culot de vous prétendre l’amie d’un homme qui vous aurait tuée s’il avait entendu ce nom, la rabroua brutalement Aixed.

— Crois-tu ton maître assez idiot pour ne pas l’avoir su ? »

Aixed avala le Dunaja en silence. Les enfants, autour d’eux, observaient leur professeur tenir tête à deux Guerriers, et leur attention avait quelque chose de bien plus glaçant que ne pouvaient l’être les adultes qui s’agitaient avec angoisse entre les tentes.

« Si cela ne vous est pas interdit, je peux vous enseigner la raison d’être de ce lieu, tempéra Margar.

— Répandre le conflit, comme toujours…

— Oui, jeune Aixed. Mais pas contre toi. »

Elle connaissait même leurs noms. Onis comprit avec un temps de retard — c’était l’épée, l’épée qui lui avait parlé d’eux. L’épée qui devait avoir reconnu une vieille connaissance. Était-ce possible ?

Mais la volonté de l’épée était claire. Aixed le massacrerait pour cela (au moins du regard), mais Onis devait entendre ce que la scientiste avait à dire.

« Permettez-moi de vous écouter, s’inclina-t-il.

— J’ai entendu dire que vous avez aussi connu Tograz d’un peu trop près, non ? »

Le combat. La tempête de sable. Le chaos, même après que Gorbak ait lâché sur le sable un Tograz éreinté. L’Esprit du Désert enragé, pris d’une folie dont ils commençaient à peine à douter de la raison. Comment oublier ?

« Il n’était que partie d’un tout, continua Margar. Un cultiste, vénérant un dieu ancien. L’épée me dit que vous avez eu affaire à eux. »

Trois fois. Un homme désarmé, une femme accompagnée d’un Lapin-Sapeur, et un Phénix. Chaque fois ils avaient failli mourir.

« Vous apprenez aux enfants à résister à leurs prêches, déduisit Onis.

— Plus que ça, rectifia Margar. Je leur enseigne un esprit critique à l’aide de résumés des sciences que le Sèmèrès a préservées. Ainsi, un jour, ils pourront remplacer l’Oracilis. Ils auront la sagesse de questionner les certitudes et la capacité de prévoir ce que la science peut prévoir. Ces enfants ne pourront pas accomplir tout ce qu’on fait les oraciles ; il faudra désormais s’ouvrir au monde extérieur pour voir venir ses attaques. Mais les cultistes, oui, je vous garantis que je leur prépare une très mauvaise surprise.

— L’Ordre le refusera, pointa le Guerrier.

— Onis, qu’est-ce que tu fous ? lança Aixed.

— Mon devoir.

— Tu trahis ton maître, tes siblings et tout ce qui a fait de toi celui que tu es. Tu te laisses toi-même de côté pour poursuivre une chimère. »

Le prêcheur aussi, avait su les monter l’un contre l’autre. Mais lui n’avait pas pu aller jusqu’au bout et ils avaient été dos à dos quand leurs épées les avaient attaqués, dominées par l’emprise que les cultistes avaient sur les monstres. Aujourd’hui, Onis sentait qu’il avait déjà perdu Aixed, qu’ils s’étaient déjà perdus l’un l’autre. Il réprima une larme.

« Si tu penses que l’Ordre peut lutter à la fois contre la Science et contre le culte, rétorqua-t-il aussi durement qu’il le put. Alors c’est toi qui te fais des illusions.

— C’est son devoir et il l’accomplira !

— Notre devoir est de protéger le désert ! Aujourd’hui il est devenu vain de le protéger de la Science ; c’est peut-être elle seule qui peut s’en charger ! Je suis désolé, mais mon choix est fait. Si la Science n’est plus une ennemie, alors c’est une alliée, et je lui prêterais mes mains.

— Gorbak aurait honte de toi.

— Gorbak a épargné cette femme. »

Il n’y avait guère plus rien à dire. Plus qu’à tirer l’épée, à lâcher leurs Démons intrigués l’un contre l’autre, à s’entre-tuer sous les yeux des nomades que leur colère avait terrifiés, plus encore que leur simple arrivée. Onis lut dans les yeux d’Aixed qu’elle le ferait. Il s’était désigné comme cible de sa rage et il en connaissait bien l’ampleur.

Mais comment pourrait-il, lui, faire une chose pareille ?

Faire le vide. Aucune pensée parasite. Rien que la conscience de sa lointaine destination, sa main sur son épée, et le vortex d’ombres qui l’emportait — échappant de justesse au sillon de lumière bleue que l’épée d’Aixed traça à hauteur de sa gorge. Les enfants virent avec horreur leur protecteur disparaître.

La Guerrière le suivit dans les ombres, immédiatement. Se décala de quelques mètres. Une deuxième fois, ne trouvant aucun adversaire. Une troisième fois. Elle tint sa garde, abasourdie, attendant qu’il attaque. Il ne réapparut pas.

« Non… grogna-t-elle. Non ! Maudit soit ce satané fils de Chien ! »

Elle n’eut besoin que d’un coup d’œil pour jauger la situation. Un village entier où des lances pouvaient apparaître à chaque instant. Deux Démons, dont un qui risquait de l’attaquer elle — et le sien n’était même pas sûr, les femelles ayant tendance à être dominantes sur les mâles. L’épée de Gorbak, manifestement décidée à suivre désormais la scientiste. Les forces étaient trop floues — elle ne pouvait pas prendre le risque.

« Nous reviendrons, grogna-t-elle à l’adresse de la scientiste aux yeux plus goguenards que jamais. Et je vous jure que je convaincrais l’Ordre de vous faire exécuter et de disperser les enfants. »

Elle posa la main sur son épée, suspendant machinalement sa fureur, et rejoignit à son tour Yspèri, le nouveau bastion de l’Ordre — on continuait de dire « le nouveau » alors qu’il avait une dizaine d’années…

Elle convaincrait les Maîtres de l’écouter, elle, et non Onis. Il le fallait. Et peu importait qu’il ait presque une nute d’avance — qu’il ait pu déjà trouver quelqu’un, raconter n’importe quoi à son sujet pour la présenter comme folle.