Chapitre 31 : Le spectre des ruines
J’étais encore sur le perron du ranch, les pieds sur la première marche qui était encore humide de rosée à peine estompée. Cette famille d’éleveurs avait eu la bonté de m’accueillir sous leur toit et de partager leur repas devant un bon feu bien revigorant. Malgré ce bon moment avec mes délicieux hôtes de la veille, il me fallait déjà repartir pour poursuivre mon périple. Je serrai la main de Martin, qui me souhaita bonne chance pour la suite de mon aventure.
- Ce fut une bonne soirée. Je vous remercie de votre accueil, je n’oublierais jamais cette soirée en votre compagnie.
- J’espère que vous y arriverez, me soutint le fils. Battez-vous pour. Soyez prudente et hydratez-vous bien ! Il va faire chaud aujourd’hui.
- Je n’y manquerais pas, dis-je en sentant la température qui montait déjà. Peut-être que vous me reverrez sur Féli-Télé ! Je ne sais pas quelle est ma voie, mais je vais me donner à fond pour y arriver.
Sa mère fut la dernière à me dire adieu. Elle se contenta d’un cordial salut, sans démonstration d’affection.
- N’hésitez pas à visiter les ruines avant de partir. Je suis certaine que pour une voyageuse, la visite sera très instructive et je vous souhaite de pouvoir devenir une dresseuse accomplie. Sachez que s’il vous venait la nécessité de trouver un emploi, vous pourriez nous aider avec les Tauros.
Je la remerciai, promettant que j’allais réfléchir à son offre. Bien que je trouvais cet endroit charmant et légèrement rustique, je ne savais pas si la vie de fermière était vraiment faite pour moi. Ce n’était pas la dureté de la tâche ou le fait de se lever tôt qui me gênait, bien qu’une part de moi même appréciait de traîner dans mon lit. C’est juste que gérer un aussi grand nombre de pokémon me semblait être une tâche assez délicate. Je n’en avais qu’une poignée et déjà, j’avais du mal à tous les dresser. J’aimais me consacrer à eux, me focaliser sur eux et l’élevage me laissait une désagréable impression de manque de contact. Pourtant, c’était une possibilité à ne pas écarter immédiatement.
Mes pas me menèrent vers l’est, vers ces hauts tumulus qui bordaient la vallée. A quelques kilomètres de Bonville, plusieurs collines artificielles vallonnaient le paysage. Des buttes funéraires parfois ravinées depuis longtemps parsemaient ce lieu, vestiges d’une antique civilisation préhistorique.
Selon les renseignements des fouilles archéologiques effectuées lors de précédentes campagnes de fouilles, ces populations d’agriculteurs étaient parmi les premiers habitants de Sinnoh.
- Alors voyons voir, marmonnais-je en ouvrant mon petit guide de poche. La tribu des Hainos était relativement isolationniste, ne se mêlant que peu aux peuples voisins, conservant une culture relativement homogène, malgré l’obstacle représenté par le Mont Couronné, qu’ils appellaient Delkhiin Khuis, le cœur du monde en leur langue. Les groupes tribaux de la région avaient réussi à former une confédération relativement pacifique, en raison d’un savant mélange de diplomatie et d’équilibre des puissances. Les différents groupes partageaient une même culture, mais n’avaient aucun sentiment national, ils étaient avant tout liés par l’appartenance à des groupes familiaux, d’où une pratique resserrée de l’endogamie.
Les petits écriteaux touristiques devant l’un de ces monticules funéraires exposaient des reproductions de trésors et informaient les passants des curieuses pratiques de ces tribus.
- Les chefs de ces clans se faisaient enterrer dans de somptueuses tombes, entourés de leurs armes et de leurs biens, comme ces haches et ces miroirs de bronze. De nombreuses tombes avaient été retrouvées avec deux corps, signe que les chefs se faisaient enterrer avec une concubine ou un amant, sacrifié pour l’occasion afin d’accompagner le dirigeant dans sa descente dans le royaume des morts.
Je déglutis en imaginant ce qui avait pu traverser l’esprit de ces pauvres sacrifiés. Ces filles avaient du être heureuses d’être tirées de leur misère ordinaire, mais quel devait être leur désarroi lorsqu’elles plongeaient dans l’abîme. Finalement, j’étais bien contente de vivre à mon époque, à ne pas me faire égorger pour accompagner je ne sais quelle sorte de Cro-Magnon dans un hypothétique grand voyage.
Si les tertres étaient interdits d’accès, ce n’était pas le cas des temples voisins. Ces complexes souterrains étaient toujours ouverts aux visiteurs, bien que les conseils préconisaient de se munir de potions et qu’il était avantageux d’avoir des pokémon spectre ou ténèbres, pour lutter contre des apparitions spectrales.
- Comme si je n’avais pas assez de types vindicatifs après moi, pestais-je. Comme si je n’avais pas déjà suffisamment fort à faire avec la Team Galaxie, voilà que je dois me méfier d’âmes en peine qui n’ont pas voulu rejoindre le royaume des ombres, me plaignis-je en repoussant une mèche sombre derrière mon oreille.
Les ruines étaient ensevelies sous des tonnes de pierres et de terre tassées par le temps. L’entrée avait été dégagée et de larges murs aux maçonneries bien jointes soutenaient toujours la falaise. La pierre taillée avait été bien épargnée par le temps, puisque l’orientation avait été choisie pour ne pas être exposée aux intempéries majeures.
La seule entrée était taillée à même la falaise, entourée par des pilastres ébréchés. Le sentiment d’entrer dans un lieu obscur était désormais familier pour moi, mais ce lieu dégageait une atmosphère plus lourde que les grottes que j’avais déjà franchies. C’est avec un peu d’appréhension que je découvris ces larges salles aux murs de pierres brutes et extrêmement bien conservées.
L’un des murs avait été bien plus travaillé. La pierre avait été couverte d’un enduit de chaux et était ornée d’une belle fresque, couvertes de caractères formés autour d’yeux. C’était comme une soupe avec des pâtes alphabet renversées étalée par un enfant, agençant les caractères pour s’amuser. J’arrivais à lire les lettres, mais ces mots ne faisaient pas grand sens pour moi.
- C’est donc ça les fameux Zarbi ? Ce sont ces pokémon qui gardent les mythes. J’arive à en lire quelques uns … ça donne … KHARAAGDSAN TSAGAAN ALT et SUIRLIIN OMNOKH ODOR.
Rien ne se produisit, alors que mes mots se perdaient dans les couloirs aussi silencieux qu’un tombeau.
- Bien sûr, tu t’attendais à quoi ? m’adressais-je en roulant des yeux. A ouvrir une faille dans l’espace-temps ou à convoquer une entité démoniaque ? C’est bon pour les contes de fée et t’es sûrement pas la première à avoir du lire ça à voix haute.
Les rares chambres ouvertes étaient du même acabit, avec des fresques ruinées, à peine subrepticement traversées par quelques ombres fuyantes et de petits feux-follets errants dans les salles.
Pourtant, alors que je me dirigeais vers la salle du fond, je pouvais pressentir que quelque chose n’allait pas. Ces ruines étaient vides. Ce n’était pas juste comme une salle calme, comme l’était ma chambre lorsque j’étais absente. C’était bien pire. C’était comme si la chaleur de la vie elle même s’était envolée, comme si les morts faisaient ressentir leur présence par cette absorption de toute la douceur de la vie.
La dernière pièce de l’enfilade était juste vide. Il n’y avait aucune trace du contenu de la chambre funéraire. Le creux dans le centre portait les traces d’un caveau, qui avait été ouvert et pillé il y a bien longtemps.
La personne enterrée ici n’avait pas eu droit à un repos éternel. Ses restes avaient été dispersés, sans respect. Les seules choses qui restaient intactes étaient les écrits et les glyphes ornant les murs. C’était ce que les voleurs n’avaient pas pu emporter … ce qui n’avait pas de valeur marchande comme l’or ou les joyaux. Finalement, même la mort elle-même n’était pas un abri éternel.
- Cela t’intéresse tant que ça, ou es-tu attirée par le Grand Mystère ? minauda une voix aiguë derrière moi, brisant ce silence sépulcral.
- Qui êtes vous ? demandais-je en me retournant, discernant à peine les ombres qui se détachaient à peine dans l’obscurité des portes.
Les ombres semblaient danser, dessinant comme des entrelacs, formant un contour complexe qui se stabilisa en une forme humanoïde.
Une femme à peine plus âgée que moi apparut, à la robe noire comme la nuit et au teint pâle comme la lune. Ses cheveux étaient aussi noirs que les miens, bien que plus longs et moins disciplinés, comme s’ils étaient dotés d’une volonté propre.
- Je m’appelle Louise et je suis venue ici pour voir celle qui … celle qui s’amuse à nuire à nos projets.
- Vos projets ? reculais-je en me mettant sur mes gardes. Vous êtes de la Team Galaxie ?
Elle renifla de dédain.
- Bien sûr que non, je ne suis pas l’un de ces ridicules clowns. J’ai une toute autre ambition. Cependant, nous avons un grand projet et … tu nous gênes dans sa mise en œuvre.
- C’est quoi votre plan ? tentais-je de l’interroger, ne suscitant qu’un rire.
- On ne va rien te dire. Je ne te dirais pas en quoi tu contrecarres notre Grand Dessein. De toute façon, te le dire ne te servira à rien.
A ces mots, je pris une pokéball. Du moins, je tentai. Mon geste fut comme gelé, mon bras ne me répondait plus.
- Tu penses que je ne suis pas capable de te défaire ? caqueta t-elle. J’ai des pouvoirs spéciaux et … je vais te montrer un peu ce que je sais faire.
Une sorte de masse pesante s’écrasa sur mon dos. La pression me fit tomber à genoux, alors que je serrai les dents.
- Tu as tué plusieurs de nos hommes lors de cet accident de camion bien organisé. Youssef, Michelle, Nabuto, Edmund … c’était des amis que je connaissais.
- T’as pas de bonnes fréquentations, rétorquais-je, avant d’être plaquée au sol.
- Ferme-là, me coupa t-elle avec un air dédaigneux. Tu ne sais rien de moi. Tu prétends être d’une grande noblesse à jouer les héroïnes, alors que tu as les mains souillées. Ton âme est entouré d’un karma immonde. Tu le sais … meurtrière.
Je serrai les poings, refusant de l’écouter, tentant de prendre appui sur le mur. Dès que je commençai à résister, une main froide à la texture parcheminée me saisit le bras et me jeta contre le mur du fond.
Les doigts griffus d’un Spectrum semblaient émaner d’elle, autour de ses manches en lambeaux, comme une prolongation de son être.
- Qu’est-ce que t’es ? prononçais-je entre mes dents, ne sachant pas comment réagir face à cette entité surnaturelle.
- Je suis l’une des élues ! répondit-elle avec un regard extatique. Je suis destinée à participer à l’émergence d’un nouveau monde ! Mon seigneur s’en assurera ! Il m’a offert l’éternité !
Je vis son petit sourire s’élargir et s’agrandir, alors qu’elle semblait habitée par sa foi.
- C’est qui ton seigneur ? la questionnais-je en voulant en découvrir plus.
- T’es même pas digne de prononcer son titre avec ta sale langue impure. Il est mon dieu sombre, le porteur d’une nouvelle ère ! Quant à toi …
Elle me tira vers elle avec son pouvoir sinistre, me plaquant une fois de plus au sol. La femme mystérieuse me frappa d’une vague d’énergie spirituelle qui me submergea, brouillant ma vision.
Tout se troubla, alors que la pierre sembla se déchirer devant moi. Une présence colossale se détacha alors de la mer d’ombre et d’argent, marquant ma vue et écrasant mon esprit. C’était comme comparer une pile de montre à une étoile et l’entité brouillée devint plus claire, marquant ma rétine.
J’étais face à un imposant quadrupède d’acier, aux griffes de titane, avec un éventail de tungstène dans le dos. Un énorme diamant enchâssé dans sa poitrine brillait de mille feux, avant de projeter une rafale d’énergie pure sur une ombre suintant la haine vénéneuse. L’éclat de lumière m’aveugla, me désorientant au point que je ne vomisse le contenu de mon estomac sur le sol de ce tombeau.
- Tu n’es pas si forte que tu aimes le prétendre, petite fille, rit-elle en arpentant le sol.
J’étais trop choquée pour lui répondre. Qui était ce dieu ? Qui était-il ? Je ne savais même pas ce que cette adolescente était vraiment. Etait-elle vraiment humaine, avec ce Spectrum en elle ?
Si elle a fait un pacte avec une puissante entité, elle n’est peut-être pas entièrement vivante. Peut-être qu’il s’agissait alors d’une symbiose, d’une association très étroite avec un de ses pokémon, mais c’était bien au-delà de la relation qu’entretenait un dresseur et ses pokémon. Ils étaient si fusionnels, que cela en devenait totalement malsain.
- Tu sais, tu es en position périlleuse, provoqua t-elle. Je peux te tuer si facilement.
Sa main de chair s’approcha vers moi, tout comme celle du spectre qui m’arracha un frémissement.
- Je pourrais te broyer, à moins de me supplier. Allez, lèche mes chaussures.
- Quoi ? T’es malade ? protestais-je en la voyant avancer son petit escarpin verni.
Elle manipula mon corps comme un pantin, me tirant devant elle, m’offrant un bon aperçu sur sa robe en dentelle.
Elle appuya sa semelle sur ma joue, s’amusant à la frotter contre ma peau. C’était absolument humiliant et répugnant, j’étais partagée entre dégoût et frayeur.
- T’es vraiment une tête dure. Quel dommage, tu pourrais me rejoindre, ma jolie petite marionnette.
Je ne savais pas quoi faire, alors que mes bras avaient cessé de gigoter anarchiquement. Je sentais encore son contrôle qui s’exerçait sur mes poignets, bien que mes coudes pouvaient bouger. Mon esprit paniqué tourbillonna à toute allure, revoyant mes combats et mes tactiques. Une scène sournoise se rejoua devant mes yeux.
- Fais comme le Chaglam de Mars, gronda la voix en moi. Bluffe et frappe quand elle ne s’y attend pas.
- Ne me tue pas … pitié … je te lécherais les bottes si tu veux, fis-je avec une voix défaite.
Elle sourit, retirant la pression. Je mis une main sur la cheville, avant de poser mes lèvres sur la bottine. L’odeur de cuir était mêlée à celle de poussière et je fermis les yeux, détestant ce que je m’apprêtais à faire. Avec dégoût, je posai ma langue sur la botte et commençai à la caresser de l’extrémité.
- Vas-y ! T’es vraiment une pathétique larve ! éclata t-elle de rire, au point de se plier en deux.
Au moment ou elle se redressa, je sentis la pression de son aura s‘affaiblir. Mon instinct me donna le signal. Je pris sa cheville entre mes mains, la tordant brusquement. Un craquement ignoble résonna, alors que la possédée hurla de douleur, avant de tomber au sol.
Alors qu’elle chutait, je me redressai pour courir le plus loin possible de ces ruines. Ses hurlements couvrirent ma fuite, alors que je vis d’étranges traînées violettes m’entourer et tenter de m’enlacer.
A cet instant, de petites sphères lumineuses m’entourèrent, repoussant les volutes psychiques. Les étranges bulles semblaient absorber les attaques lancées dans mon dos, me permettant de fuir sans recevoir le moindre coup entre les deux épaules.
Je parcourus les derniers mètres en sprintant encore plus vite, pour atteindre la sortie et m’éloigner de ces ruines maudites.