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» Auteur : Lyros - Voir le profil
» Créé le 29/07/2020 à 13:23
» Dernière mise à jour le 31/08/2020 à 14:02

» Mots-clés :   Kanto   Présence de personnages du jeu vidéo

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II – Freaking Out The Neighbourhood
Levant les yeux vers la fenêtre, il constate avec dépit à quel point les prévisions météo de la veille se sont royalement plantées. Grand soleil et températures estivales, qu’ils disaient.
Détaillant du regard le ciel où s’accumulent des nuages de plus en plus sombres au fur et à mesure que le train s’avance vers Safrania, Blue sent alors sa main recevoir des petits coups de museau de son Évoli, qui semble peu satisfait de la pause dans les caresses que son maître lui administrait jusque-là. Le Champion de Jadielle reprend distraitement le rythme de papouilles, qui se fait alors marquer par les roucoulements bienheureux de son Pokémon, et commence à anticiper la pluie qu’il va devoir subir pour retourner au Bourg-Palette avec Roucarnage.

Blue revient de Johto, où il participait en tant que juge à un tournoi d’été inter-régional, ces derniers étant de plus en plus faciles à organiser depuis que la ligne de Train Magnétique s’est faite rénover. Kanto et Johto possédant la même Ligue Pokémon, les régions sont déjà habituellement considérées comme jumelles, mais les évènements médiatiques impliquant les seize Champions ainsi que la Ligue sont désormais encore plus aisés à promouvoir. On l’a invité à rester pour quelques festivités suivant le tournoi, mais Blue a préféré décliner– ça ne le dérange pas de supporter une foule en délire pour la gloire du combat Pokémon, mais si ce n’est que pour se faire submerger de demandes d’autographes, ça l’emballe déjà moins.

Lorsqu’il arrive à Safrania, il ne peut que regarder d’un air dépité la pluie torrentielle qui l’accueille, et murmure quelques excuses à Roucarnage en le sortant de sa pokéball. Sa veste en cuir le protège à peine de l’orage et les vents violents le gèlent jusqu’aux os, tandis qu’il jure tout le long du vol en essayant de se cacher autant qu’il peut dans les plumes détrempées de son Pokémon.

Quand enfin il arrive jusqu’au perron de la maison familiale Chen au Bourg-Palette, il dégouline de toute part, le brushing complètement foutu, et toque à la porte en grelottant, abandonnant d’avance l’idée de retrouver les clés dans ses vêtements avec ses doigts gelés. C’est évidemment le regard interloqué de sa sœur qui l’accueille, avant qu’elle ne l’attrape par le col et ne le fasse brusquement rentrer dans la maison, sans manquer de l’inonder de reproches.

— Mais ça va pas ?? Blue comment t’as réussi à finir comme ça, t’aurais dû prendre un transport, voir une nuit à l’hôtel si tu détestes tant les voitures !
— Je voulais rentrer, maugrée le châtain en se débarrassant de sa veste.

Il entend plus qu’il ne voit Nina disparaître dans la salle de bain, et en profite pour essayer de disparaître à l’étage mais sa sœur arrive à le rattraper, l’enrouler dans une serviette et le repousser vers l’escalier.

— Je te laisse t’enfuir pour que tu ailles te changer, mais t’as intérêt à redescendre manger tout à l’heure !
— Ouais ouais…

Ses chaussures font un bruit spongieux terrible à chaque marche d’escalier, et il s’en débarrasse dès qu’il peut pour les étaler sur un radiateur, avant de se laisser s’affaler sur son lit, la tête toujours enrubannée dans la serviette.
Un soupir fatigué lui échappe, et il n’a qu’à peine le courage de se défaire de son pantalon et son t-shirt mouillés pour ensuite se glisser sous sa couette en grelottant.

Il a décidé d’arriver ce soir, et pas demain. Déjà, parce qu’il a vu bien assez de gens inconnus pour la journée et en a marre de se faire interpeler, mais aussi car il est déterminé à se lever de bonne heure le lendemain matin afin d’aller voir la mère de Red.
Blue avait suivi attentivement les informations à propos d’une très rare migration de Papilusion qui passait exceptionnellement près du Bourg-Palette cette année, normalement le lendemain…soit pile l’anniversaire de Red. S’il n’y avait eu que l’anniversaire, jamais il n’aurait pu espérer que la date suffise à espérer le voir rentrer, cependant Red est suffisamment passionné par les Pokémon sauvages pour que ce remarquable type de migration l’attire dans le coin. Sa mère lui avait dit être déterminée comme jamais à arpenter la Route 1 au-dessus de laquelle devaient passer les Papilusion, afin de se donner toutes ses chances de remarquer son fils s’il venait les observer, et Blue lui avait promis son aide via les airs avec Roucarnage.

Le sommeil commence déjà à guetter l’adolescent, et il se met sans réfléchir à jouer du bout des doigts avec le pendentif qu’il garde depuis des années. Sa sœur, qui va souvent voir la mère de Red, a inévitablement fini au courant de leurs plans, et lui avait rapidement demandé au téléphone pourquoi lui voulait dépenser tant d’énergie à retrouver son rival, sur lequel il ne cesse de cracher depuis trois ans. Blue avait réussi à baratiner de manière crédible ses histoires de vengeance, ce qui n’a pas spécialement aidé à le faire remonter dans l’estime de Nina, qui le considère encore actuellement comme un con fini. Tout de même son petit frère, et on n’abandonne pas la famille comme ça, mais sans l’ombre d’un doute son con fini de petit frère.

La vengeance fait effectivement partie de ses motivations, mais les derniers mois passés à se mettre lui aussi à le chercher un peu partout ont réussi à peu à peu faire poindre un soupçon de ce qui s’apparente à de l’inquiétude chez lui. Jusque-là il s’était toujours dit que Red devait sûrement bouder quelque part, ou faire quoi que ce soit d’autre de stupide dans la nature, mais le Kanto n’est pas non plus si grand que ça et…même en s’aidant de quelques connaissances, il n’avait pu se résoudre qu’à arriver au même point que la police quelques années auparavant : Red s’est volatilisé.

L’idée même lui est dérangeante sur le plan technique et personnel ; technique car, Red étant le dresseur le plus puissant (statut à évidemment remettre en question dans le cadre de sa future revanche où, sans l’ombre d’un doute, Blue se sait prochain vainqueur) il est hautement improbable qu’un Pokémon sauvage ait pu lui causer du souci, et personnel car Blue n’échoue pas, alors s’il décide de retrouver Red, il le retrouvera.
Or dans l’état, ni l’un ni l’autre n’étant vérifiable, la situation se retrouve pour lui des plus frustrantes.

Blue renifle, et se rend compte que son nez s’est mis à couler, juste avant d’entendre au loin sa sœur parler dans le vide alors que la conscience lui échappe.

▬ ▬ ▬
La première chose qui accueille le jeune Champion le lendemain, c’est un mal de crâne. A peine au bord du sommeil il essaye déjà de se redresser, par habitude de réveils énergiques, mais cette fois-ci il regrette. Il se ravise en retournant en position fœtale sous sa couette, mais bouger le fait se rendre compte que son corps aussi lui fait mal, comme si ses muscles principaux étaient tous courbaturés. Blue ne comprend pas comment il peut avoir des courbatures alors qu’il a passé la journée précédente majoritairement assis, mais au final ne s’en inquiète pas autant que de ses maux de tête grandissants ; le moindre geste lui donne l’impression de s’évanouir, et bouger semble la pire idée possible.

Eventuellement, sa sœur finit par apparaître dans son champ de vision, et il accepte docilement ce qu’elle lui apporte, visiblement un médicament et une soupe. Tandis qu’il mange avec peine, il surveille du coin l’air courroucé de Nina, mais l’idée même d’entendre sa voix stridente dans son état le dissuade de faire ou dire la moindre chose à l’encontre de la jeune femme brune.
Soudain la raison de son retour au Bourg-Palette lui revient d’un coup, et il manque de tout renverser de surprise.

— Attends– Nina, il est quelle heure ?!

Sa voix croassante lui brûle la gorge, et il part dans une quinte de toux sous le regard agacé de sa sœur.

— Onze heure. Et n’espère même pas repenser à cette histoire de Papilusion, t’as été stupide hier, je t’ai pas ennuyé parce que j’ai vu que tu t’étais couché…mais si j’avais remarqué que tu étais encore trempé, je t’aurais bien secoué ! Tu rentres de sous un orage, en volant dans les courants de vent froid en plus, et te sèches même pas correctement avant de dormir ? Vraiment là, tu l’as cherché.
— Attends, je peux pas rester, je dois y aller.
— Pardon ? Blue, tu as de la fièvre et probablement chopé une grippe.

Le jeune Champion ouvre la bouche pour répliquer, mais peut-être la fièvre entrave son excellent générateur de mauvaise foi, car même lui ne peut que contempler l’échec total de sa journée.
Les Papilusions sont censés passer quelque part entre midi et le coucher du soleil, et il lui semble évident que d’ici une heure il ne sera pas prêt à se lever et arpenter le ciel avec Roucarnage. Une immense frustration naît dans sa poitrine, et il ne peut se retenir de frapper sa couette, ce qu’il regrette d’autant plus que le mouvement renverse le bol de soupe sur ses jambes.

▬ ▬ ▬
Quand il se réveille pour la deuxième fois de la journée, il reste cette fois immobile un moment, laissant doucement le sommeil le quitter. Sa chambre est baignée dans la lumière carmin du coucher de soleil d’Août qui passe par sa fenêtre, et tout semble un peu plus beau, plus chaud. Ou peut-être que c’est juste lui qui a chaud avec sa fièvre, qui sait.

Las, il n’essaye même pas de se relever, la situation le blasant de démotivation. Mais, quelque part dans ses pensées il entend un cri caractéristique, d’abord dans le lointain, ce qu’il suppose être une hallucination de son esprit fatigué, mais finalement se répète, le poussant à se tourner vers la fenêtre. Il doit plisser ses yeux pour filtrer les rayons de soleil, mais finit par voir quelque chose qui vole…non, une nuée.

Blue se relève avec précautions, jusqu’à se traîner à sa fenêtre pour l’ouvrir, et profiter du spectacle qui se déroule devant lui : une centaine, peut-être même plus, de Papilusions planent ensemble au-dessus du Bourg-Palette, laissant dans leur sillage une trainée de poussière scintillante dans la lumière du soir. C’est objectivement magnifique, mais la honte d’être tombé malade pour cette occasion suite à sa simple stupidité le dégoûte. De là où il est, il voit la porte d’entrée de la maison de Red, et sa mère sur le perron…elle a dû revenir au village pour les dernières minutes de soleil, les Pokémon sauvages rendant une excursion nocturne sur les Routes trop dangereuse sans Pokémon pour se défendre. La culpabilité le prend à nouveau à la gorge, et il se détourne subitement de la fenêtre, sa tête ne manquant ceci dit pas de lui faire regretter son geste brusque. Il se laisse glisser de dos le long du mur de sa fenêtre, jusqu’à finir assis la tête dans les bras, réprimant sa nouvelle envie de casser quelque chose.

▬ ▬ ▬
— Donc, basiquement tu m’demandes d’aller chercher des champignons sur le Mont Argenté.

Samuel Chen semble un instant embêté par la formulation.

— Je fais des recherches sur les Parasect en ce moment, et…
— Pépé, te bile pas, j’ai compris. J’essaye juste de dire que je suis pas ton Caninos, j’ai des trucs à faire moi aussi. Encore aller dans une autre ville te ramener un truc c’est une chose, mais là, m’envoyer à la cueillette aux champignons…
— Blue, j’ai vraiment besoin de toi. Moi et mes assistants allons participer à une convention scientifique à Johto toute la semaine, et le Parasect que j’étudie en ce moment semble posséder les mêmes champignons que ceux que j’avais vus un jour en faisant des recherches près du Mont Argenté, mais c’est la dernière semaine de leur saison…nous allons tous être pris par les conférences, je n’ai qu’à toi à qui je peux demander. Je suis désolé, je te le demande en tant que service.

Blue relève le regard d’un air vaguement méprisant. Bien sûr, le Professeur Chen lui-même n’a personne d’autre à qui demander…

— M’bon. J’irais. Mais j’attends quelque chose en échange.
— Ahh merci Blue ! Je savais que je pourrais compter sur toi. Tiens, j’ai imprimé une photo du champignon en question.

Le jeune châtain lâche un soupir en récupérant la photo, ayant l’impression de s’être fait avoir dès le début. Le vieux n’a même pas douté un instant qu’il finirait par accepter, comme à chaque fois…c’est toujours aussi agaçant.

Il observe la tête du champignon sur la photo en sortant du laboratoire, tout en comptant ce qu’il avait à faire d’ici la fin de la semaine pour l’Arène. Le plus avantageux pour lui est probablement d’y aller le lendemain matin, il avait promis pas mal de matchs en fin de semaine.

— Vraiment moche, ce champi.

▬ ▬ ▬
Grand bien lui fasse d’accepter ce genre de requête à la con. D’autant plus que ce matin le ciel a décidé que Blue chercherait le champignon sous la pluie, et le dresseur ne l’en remercie absolument pas. Cela fait bien deux heures qu’il barbote dans la boue des forêts au pied du Mont Argenté où il est censé y avoir son objectif fongique, sans arriver à la moindre conclusion positive.

Pas mal par dépit, il a fini par sortir Évoli de sa Pokéball, qui avait semblé motivé à l’aider à peu près trente secondes, avant d’aller s’amuser dans les fougères et flaques d’eau. Blue l’a laissé faire en haussant les épaules, au moins maintenant il a quelque chose d’un peu distrayant à regarder que le sol plein de feuilles mortes sans champignons. Sa veste commence à ne plus très bien le protéger de la pluie, et son dernier souvenir de vêtements trempés le rebute assez pour laisser tomber pour aujourd’hui, même si l’idée même de retourner à cet endroit maudit le fatigue d’avance. L’adolescent décide quand même de faire demi-tour, et appelle Évoli à demi-voix en se détournant vers là d’où il venait à l’origine. Cependant, au bout de quelques pas il se rend compte qu’Évoli n’a pas répondu, et se met alors à le chercher du regard avec étonnement. Il ne s’est pas rendu compte d’à quel moment il l’a perdu de vue, trop occupé à râler ou retourner avec dépit des feuilles mortes.

— Évoli ?

Pas de réponse, alors Blue retourne s’enfoncer dans la forêt en grommelant. Il marche quelques minutes, cherchant à rappeler son Pokémon en pointant sa pokéball un peu partout, mais rien à faire, la petite boule de fluff a vraiment disparu de vue. L’agacement commence à piquer le châtain. D’abord Red qui disparaît sans raison, puis Évoli !
Il s’arrête et écarquille les yeux à ses propres pensées. Ben voyons, comparer Évoli à Red maintenant. Mais il reconnaît soudainement au loin le cri de son Pokémon, et se dirige dans sa direction en coinçant ses mains dans ses poches humides. Il arrive au niveau d’une petite clairière, et il lui semble reconnaître le bout de la queue du petit Pokémon brun dépasser de l’herbe.

— Ben alors sale bête, tu me fais des coups foir…

Il se fige en constatant la présence d’une autre personne accroupie devant son Pokémon dans la clairière, sincèrement étonné. Le ciel gris semble faner toutes les couleurs alentour alors Blue met quelques secondes à reconnaître la personne face à lui, mais le rouge omniprésent de ses vêtements le fait rapidement tilter.
Non, ça peut pas être sérieux. Ici, vraiment ? En pleine cueillette aux champignons ? Pour être honnête, Blue n’arrive même pas à assimiler l’information.

Plus exactement, la seule chose qui lui vient en tête est : Il a changé. Evidemment, qu’un enfant de onze ans a changé maintenant qu’il en a quinze. Plus grand, le visage moins rond, mais encore cette certaine disgrâce de l’adolescent masculin en pleine croissance. Red se relève et son corps semble trop long, trop grand pour son air encore un peu jeune et naïf.

Blue s’était fait de nombreux films sur le jour où il arriverait à remettre la main sur son rival. Des films où il envoyait Tortank l’arroser, d’autres où il lui sortait ses meilleures punchlines fracassantes, ou encore où il se contentait de venir lui mettre un pain avant de repartir dignement. Evidemment, la vie ne se passe jamais comme l’on l’imagine. Alors, Blue se retrouve tétanisé, à ne savoir quoi dire ni même faire devant le fantôme de ses trois dernières années, devant celui qui l’a indirectement tourmenté chaque nuit de culpabilité et autres sentiments désagréables. Red semble lui aussi très étonné, voir hésitant. Hésitant de quoi, s’enfuir à nouveau ? Si oui ou non Blue allait de nouveau lui cracher un commentaire désobligeant ? Probablement pas hésitant à rester, pense sombrement le Champion. Il se dit qu’il doit aussi faire pitié, à nouveau trempé et le pantalon dégueulasse, avec ses bottes pleines de boue et les cheveux collés au visage.

— Red.

Un murmure, comme essoufflé. L’adolescent face à lui le fixe depuis tout à l’heure, mais détourne subitement le regard en l’entendant. Ce geste, aussi minime qu’il soit, remue quelque chose dans la poitrine de Blue.

— Red !

Blue veut que Red le regarde à nouveau, il veut croiser ce regard qui l’a fui tant de temps. C’était peut-être même la plus longue fois où il l’a vu directement. Et cette fois, enfin, malgré que Red soit Red, il relève à nouveau ses yeux noirs vers ceux noisette de Blue.

La forêt est silencieuse, à peine troublée par le clapotis de la pluie sur le feuillage, et l’atmosphère est si étrange que Blue se demande encore s’il n’est pas victime d’une hallucination. Il sait que certains Pokémon s’amusent à piéger les gens perdus…mais de l’herbe sort alors un Pikachu, qui observe d’abord un instant Blue, puis Évoli, de nouveau Blue, mais finalement Évoli.

Red et un Pikachu, ça ne peut pas être une hallucination. Il est là, vraiment là, presque intact après trois ans de silence radio, si ce n’est ses vêtements sales et usés. Pikachu et Évoli commencent à roucouler ensemble, comme pour se présenter l’un à l’autre, et c’est comme si Blue se réveille d’un coup. Il fait quelques pas dans la direction de Red, sans même savoir ce qu’il veut en faire, mais il s’arrête en voyant Red reculer d’un nombre égal de pas. Quelque chose de désagréable serre la gorge de Blue.

— Tu vas continuer de nous fuir ?

Une lueur de peine brille dans le regard de son vis-à-vis.

— De me fuir ?

Red détourne à nouveau le regard. Ça achève d’allumer une colère inattendue chez Blue, qui s’élance vers Red cette fois dans l’idée de le secouer un peu, mais l’autre dresseur est bien plus vif que lui, et en quelques mouvements habiles il l’a non seulement évité, mais a aussi sorti un Dracaufeu de sa pokéball, et s’envole sur son dos tandis que le lézard de feu s’éloigne rapidement d’eux en quelques battements d’ailes. En un instant, la clairière est vide, Red et Pikachu ont disparu, ne laissant qu’un Évoli et son dresseur stupéfié.

Il a fui, il a encore fui. Blue ne sait pas ce qui l’a le plus retourné dans tout ce qui vient de se passer, mais tout ce qu’il arrive à faire est se prendre la tête dans les mains et essayer de calmer sa monstrueuse frustration grandissante.

▬ ▬ ▬
Blue n’a parlé à personne de ce qu’il s’est passé. Il est rentré le soir au Bourg-Palette, est resté majoritairement silencieux auprès de sa sœur, et se contente d’aller traîner à l’arène de Jadielle le lendemain. La journée passe terriblement lentement ; il fait quelques combats, mais a la tête ailleurs tout du long– ses Pokémon réagissent majoritairement par habitude au fil des matchs, comprenant rapidement que Blue ne les accompagnerait pas de sa fougue combattive habituelle aujourd’hui. Il reçoit quelques remarques des habitués de l’arène mais ne réagit qu’à moitié, si bien qu’il finit par se retrouver seul, mais ne le remarque qu’au moment où la luminosité dans l’arène a assez baissé pour que l’éclairage automatique s’allume.

Le châtain ne sait comment réagir depuis le jour précédent. Chaque fois qu’il se laisse repenser à cette clairière au pied du Mont Argenté, un trop-plein d’émotions le brusque et il se retrouve à tout refouler automatiquement, comme s’il craint que la vague de réflexions ne noie son esprit. Cependant Blue n’est pas du genre à se laisser se lamenter trop longtemps, et l’irritation finit par le pousser à se relever rageusement. Il a beau avoir espéré toute la journée que la précédente était un rêve, ça n’en avait objectivement pas été un, et ça lui a permis de récupérer un indice important sur la localisation de Red ; le Mont Argenté est reconnu pour être un lieu dangereux et fui même des plus braves, il est impossible d’y mener des recherches efficaces dès que l’on grimpe vers ses hauteurs. Forcément, maintenant qu’il y pense, il devient évident que c’est un lieu de choix pour se planquer lorsque l’on est le dresseur le plus puissant de la région et qu’on ne craint par conséquent pas les Pokémon sauvages. Le lieu lui a tellement été survendu comme inhospitalier, voir invivable avec ses neiges éternelles et tempêtes diverses, qu’il n’a même pas imaginé qu’un être humain normal puisse décider de s’y réfugier sur le long terme. Mais forcément, l’erreur aura été de considérer Red comme un humain normal…

Blue ferme l’arène pour la journée, et laisse un post-it comme quoi elle le resterait jusqu’à la fin de la semaine. Les gens s’y feraient, de toute façon peu de monde arrivait jusqu’au huitième badge de Kanto, la plupart des visiteurs venant l’affronter se présentant en combat libre pour le prestige.

Ce soir là il n’a pas envie de rentrer au Bourg-Palette, alors il monte à l’étage de l’arène où il a aménagé un petit appartement de fonction, et se contente d’un message pour prévenir sa sœur avant d’enfouir son Pokématos dans un coin et aller se coucher, résolu.

▬ ▬ ▬
Les jours suivants Blue stalke le Mont Argenté depuis le dos de Roucarnage, cherchant le moindre signe du bout de queue enflammé de Dracaufeu, ou même un éclair de Pikachu. Il manque de se faire avoir quelques fois par les courants d’air violents et glacés circulant autour de la montagne, et prend rapidement la décision de revenir chaudement vêtu. Il revient trois jours bredouille, mais s’obstine et y retourne avec la même détermination au quatrième jour, le dernier qu’il lui reste avant de retourner à l’arène. A force de tourner en rond il retient mieux les lieux à surveiller, ainsi que les endroits où se poser pour laisser Roucarnage se reposer. Tandis qu’il mâchonne d’un air absent un sandwich gelé depuis une corniche enneigée, Roucarnage, qui s’occupait jusque-là de ses plumes, tourne d’un coup la tête sur le côté, attirant l’attention de Blue sur…une explosion. Sautant d’un coup sur ses pieds, il fourre son sandwich dans une poche aléatoire avant de grimper sur son Pokémon et le lancer avec empressement vers le fracas éclatant en contrebas du flanc où il se situait.

La neige commence à dangereusement dévaler les pentes alentours, mais Blue n’est concentré que sur l’épais nuage sombre qui s’échappe d’un bosquet situé dans un creux entre deux corniches du Mont. Le vent enneigé nettoie rapidement la scène de son rideau de fumée, et il finit par pouvoir distinguer une grande silhouette rouge étalée au sol, ainsi qu’une plus petite à ses côtés. Blue intime à son oiseau de descendre les rejoindre, faisant fi de l’avalanche qui commence à se former autour d’eux, et comprend rapidement le problème : Dracaufeu est évanoui, et la flamme de sa queue dangereusement faible.

— Red !

L’adolescent à la casquette tourne vers lui un regard médusé, tandis que Blue bondit au sol à peine Roucarnage posé, afin de courir à ses côtés.

— Il faut se barrer tout de suite, y’a une avalanche qui arrive !

Le brun semble se reconcentrer sur son Pokémon inconscient, l’air désespéré. Blue s’approche, mais il semble évident que Dracaufeu ne pourra pas se relever rapidement sans aide.

— Donne-lui une potion, vite ! Y’a pas le temps là !

Mais Red continue de se triturer les mains en fixant son Pokémon, comme coincé dans une hésitation inextricable, et son rival remarque finalement qu’il n’a pas de sac sur lui, et que ses poches semblent vides. Ceci dit l’avalanche prend en force à chaque seconde, et même s’il possède lui-même des potions dans ses affaires, il faut qu’ils partent maintenant.

— Rappelle-le dans sa pokéball, j’ai de quoi le soigner, mais là faut y aller. Roucarnage peut nous emmener tous les deux.

Le grand rapace s’approche d’eux en sautillant, l’air peu rassuré par la catastrophe en puissance, et Blue finit par secouer Red par le col de sa veste (comment peut-il être seulement vêtu d’une petite veste manches courtes et d’un simple jean en pleine montagne enneigée sans s’évanouir d’hypothermie ?...) et enfin son rival de toujours rappelle le grand monstre dans sa pokéball, tandis que le Champion l’embarque presque de force sur le dos de Roucarnage. Le vacarme de la neige dévalant les pentes devient de plus en plus assourdissant, et c’est avec un visible soulagement que l’oiseau décolle, quoiqu’avec certes un peu de difficultés entre la fatigue et la nouvelle charge sur son dos.

Mais une fois dans les airs et la menace évitée, Blue se rend compte de sa situation. Il est avec rien de moins que Red fermement agrippé à son dos, dans les courants aériens dangereux du Mont Argenté, et la furieuse envie de retourner à un endroit civilisé. Seulement, peut-il réellement embarquer son fugitif de rival quelque part où on pourrait le reconnaître ? Pas que l’avis de Red lui importe spécialement, mais si l’ancien Maître réapparaissait subitement, on ne leur lâcherait plus la grappe. A contrecœur, Blue indique à Roucarnage de se diriger vers la clairière où il avait retrouvé Évoli.
Red s’accroche à lui avec une telle force qu’il lui fait presque mal, et il s’en débarrasse avec soulagement après avoir atterri, afin d’aller chercher dans son sac un rappel et quelques potions, qu’il tend ensuite au brun, l’air neutre.

— Prends-les, qu’il souffre pas trop longtemps.

Sans un mot comme d’habitude, Red attrape du bout des doigts les soins tendus par son sauveteur, et se détourne rapidement avant de s’éloigner s’occuper de son Pokémon plus loin. Blue le regarde faire, interdit. Décidément, il ne sait toujours pas vraiment comment réagir. D’un côté, il aurait presque voulu traîner Red à un Centre Pokémon pour le forcer à rester quelque part, le temps d’appeler sa famille, mais il n’avait pas pu se résoudre à lui mentir et dire qu’il n’avait pas de quoi soigner Dracaufeu. Car lorsqu’il pourrait de nouveau voler dessus…il s’enfuira à coup sûr. C’est évident, pourquoi en serait-il autrement ? Ce n’est pas se faire sauver par quelqu’un, et encore moins par celui l’ayant persécuté toute son enfance, qui va le faire changer d’avis quand ça fait des années qu’il fuit toute compagnie humaine, n’est-ce-pas.

Le Champion se faire sortir de ses pensées par le retour de l’autre adolescent, qui semble ne pas savoir quoi faire des bouteilles vides de potions. Excellent, Blue doit jouer les poubelles en plus. L’air las, il tend son sac ouvert vers son vis-à-vis, qui y remet doucement les potions vides en fuyant son regard. Derrière lui, Dracaufeu a toujours l’air mal en point, mais tient désormais debout et arbore de nouveau une fière flamme au bout de la queue ; une nuit réparatrice suffirait à lui faire grand bien. Blue reprend vers lui son sac, mais se fige en entendant Red se racler faiblement la gorge.

— …merci.

Sa voix est faible, cassée, comme usée d’inutilisation, et l’entendre bloque Blue dans sa respiration. Stupéfait, il relève son regard noisette de son sac vers Red, et se fait clouer par le regard de ce dernier. Hésitant, mais plein de reconnaissance. Il est sincèrement soulagé d’avoir pu s’occuper rapidement de Dracaufeu sans qu’il n’y ait plus de complications, c’est évident dans son allure. Mais surtout, il ne semble plus sur le point de fuir.

— Je, euh, commence Blue sans trop savoir où il va, t’en prie.

Un léger silence s’étend, et chacun se retrouve à regarder bêtement ses chaussures. Finalement une idée traverse l’esprit du Champion, et il fouille un instant son sac avant d’en sortir un thermos.

— J’ai…du chocolat chaud, si tu veux. On peut, partager.

Honnêtement, il se sent naze. Depuis quand il se sent intimidé face à Red ? Red le bizarre, Red le minable…peut-être, se dit-il soudain, depuis qu’il a légitimement perdu à la Ligue contre lui. Peut-être depuis qu’il a potentiellement disparu à cause de lui, car même s’il l’a toujours insulté gratuitement, ça n’a jamais été au point de souhaiter sa disparition définitive.
Et en plus, l’autre abruti se prend à hocher doucement la tête. D’accord, très bien, il va donc boire un chocolat tiède avec Red dans une clairière au pied du Mont Argenté.

C’est inattendu, mais l’atmosphère se détend peu à peu au fur et à mesure. Blue comble le silence de petites remarques sur le fait qu’il a trop sucré le chocolat avant de partir, que le tronc pourri sur lequel ils se sont assis lui mouille le pantalon et que c’est chiant, que les champignons qui y poussent sont vraiment hideux, et finit par sortir Evoli pour occuper le Pikachu qu’il n’a pas remarqué jusque-là, mais est visiblement en train de le fixer intensément depuis un buisson environnant. Les deux petits Pokémon se mettent à jouer rapidement, et Blue les observe en haussant un sourcil. A côté de lui, Red laisse ses pieds se balancer dans le vide en fixant son gobelet de chocolat trop sucré. L’instant est improbable, absurde même, mais Blue y découvre un brin de secret, de précieux– il sait qu’il est le seul à avoir vécu un tel moment en compagnie de l’autre garçon, en tant qu’humain. Il est le seul à savoir, et dans un sens, ça ravit son côté égocentrique.

— Eh Red, franchement, reviens. Tu manques à tout le monde.

Le jeune Champion peine à croire ce qu’il vient de dire, mais essaye de ne pas trop y réfléchir, histoire de ne pas le regretter trop vite. Il voit les pieds de l’autre dresseur se figer, et ses doigts se serrer autour de son gobelet. Maintenant qu’il peut détailler un peu plus calmement son rival, il constate que ses vêtements sont trop petits, élimés, que ses mains sont sales et éraflées, ses chaussures usées et trouées. Quant à ses cheveux, ils sont ébouriffés sous sa casquette, et quelques mèches bien plus longues que les autres laissent imaginer qu’il se les eus coupés lui-même d’une manière ou d’une autre. Le froid atténue les capacités de son nez, mais Blue se doute qu’il doit probablement pas sentir le Rosélia. Comment pouvait-on en arriver à se laisser aller à ce point ? Qu’est-ce qui avait pu le pousser à prendre une pareille décision ? Ce n’est même plus un simple exil à ce niveau, c’est chercher à repousser toutes ses limites.

— Est-ce que t’es venu ici…t’entraîner ?

Red hoche alors de la tête. L’autre garçon le fixe un instant, blasé. Vraiment, trois ans intensifs d’entraînement ? Enfin techniquement, il a fait la même avec son nouveau rôle de Champion, mais de façon disons…plus socialement commune.

— Je comprends pas…t’es le meilleur. Tu l’as prouvé à la Ligue, même si j’aime pas l’admettre. Pourquoi t’as totalement disparu ? T’avais toute la gloire rien que pour toi !

A côté de lui, Red se met à se dandiner légèrement d’une fesse à l’autre, et se remet à tripatouiller ses doigts, comme s’il cherchait lui-même à organiser ses pensées.

— Est-ce que c’est genre. Ça te stressait ?

Hochement de tête.

— C’est tout ? T’as tout fui par stress ? T’aurais pu demander, jsais pas, de l’aide.

Grattement derrière la nuque.

— …t’osais pas ?

Hochement de tête.

— …t’avais personne à qui demander, en fait.

Dandinement mal à l’aise. Blue est incertain.

— Si tu veux, je peux t’aider, maintenant. Je crois.

Regard étonné de la part de Red. Oui, Blue lui-même est étonné. Mais il lui suffit de penser à la mère de Red et sa détermination de revoir son fils étalée publiquement afin de masquer son immense peine, pour savoir que c’est ce qu’il fallait dire. Après c’est bien beau de le dire, mais il n’a aucune idée de comment aider Red– aider les gens autrement qu’en allant taper sur le nez d’une organisation mafieuse dangereuse, ou les entraîner en leur roulant dessus en combat, est un concept encore assez nouveau pour lui. Enfin, il trouverait. Peut-être. En attendant, son rival le fixe en ayant l’air de s’être fait révolutionner toute sa vie, et ça le met un peu mal à l’aise. Blue relève le menton d’un air hautain, et détourne le visage.

— Crois pas que ça me fait plaisir, minable. Mais j’ai pitié de te voir dans cet état…ça fait combien de temps que t’as pas pris de douche ?

Red cligne des yeux une fois, avant d’aller renifler hasardeusement dans la direction d’une de ses aisselles. L’image surprend tellement Blue qu’il ne peut s’empêcher d’éclater bruyamment de rire, glissant presque du tronc en se tordant les côtes. L’autre dresseur le regarde d’un air désorienté, ne comprenant visiblement pas ce qui a achevé le châtain, mais finit par se laisser contaminer par le rire inattendu de Blue et sourire en retour.

Le Champion finit par se relever, lâchant un dernier soupir amusé, avant de se tourner vers lui.

— Bon. Tu fais quoi, alors ?

Son vis-à-vis laisse faner son sourire, et semble retourner quelques instants à ses réflexions, avant de relever un regard sérieux vers Blue, et faire tanguer une de ses mains.

— …quoi, couci-couça ? Tu reviens à moitié ?

Hochement de tête.

— Du coup…tu reviens, mais retourneras t’entraîner là-haut ?

Hochement vigoureux de tête. Blue devine qu’il ne pourra rien obtenir de mieux de la tête de mule à la casquette rouge en face de lui, et, tout compte fait, c’est déjà pas mal.

— Okay, va pour ça. J’imagine que t’as un p'tit camp ou autre dans le coin, et que t’façon il te faudra te préparer pour rentrer ?

Hochement de tête. Blue pose ses poings sur ses hanches d’un air satisfait.

— Bon. Ben je vais me rentrer alors si ça te dérange pas, j’t’attends au Bourg-Palette. Quoique, en journée je suis à l’arène de Jadielle, après tout je suis devenu Champion.

Il toise d’un air fier Red qui semble sincèrement impressionné, et ne peut réprimer un rictus arrogant :

— Quoi, tu pensais pas que j’allais me tourner les pouces en t’attendant ! Si toi t’es devenu Maître, moi je suis devenu Maître ET Champion haha. Et paf.

L’autre dresseur hoche doucement la tête d’un air très sérieux, comme acceptant sans le moindre problème l’immense valeur de Blue. Il n’a vraiment pas tant changé que ça.

— Allez, ciao minable, finit Blue en lançant Roucarnage hors de sa pokéball.

Cependant, il se fait stopper dans son élan par une paire de bras délicatement passés autour de sa taille, qui le serrent un instant avant de le relâcher. Blue cligne les yeux sans comprendre, mais lorsqu’il se retourne, Red est déjà en train de grimper sur le dos de Dracaufeu, qui ne perd pas plus de temps pour s’envoler. Haussant finalement les épaules, le Champion se dirige à nouveau vers son oiseau, qui s’élance dans les cieux direction le Bourg-Palette.

Blue a l’impression que sa tête va exploser, mais malgré son impression de rêver en continu, un grand sentiment de satisfaction étouffe son égo. Il a réussi, lui, contre tout le Kanto, à retrouver Red. Et non seulement le retrouver, mais aussi le convaincre de revenir au moins partiellement dans le monde civilisé. Seul un génie de son genre peut se vanter d’un exploit pareil, évidemment. Il se laisse aller à ricaner d’un air suffisant depuis les cieux de Kanto, et ignore le regard en coin que lui lance Roucarnage.

N’empêche. Red lui a fait…un câlin ? Vraiment ? Quel minable, décidément.