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Livre d'images [Recueil de one-shots] de Misa Patata



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Informations

» Auteur : Misa Patata - Voir le profil
» Créé le 05/12/2018 à 16:00
» Dernière mise à jour le 27/08/2019 à 18:08

» Mots-clés :   One-shot

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Gare à celui qui joue avec le feu
Une nation fort reculée célébrait autrefois un terrible roi.

Le souverain était grand, le souverain était fort. Pas une bataille ne se termina sur une défaite ; pas un affront ne resta impuni ; pas une loi nouvelle, si scandaleuse qu'elle fût, ne souleva un vent de protestation ; pas un Pokémon légendaire ne déchaîna sa colère contre la cité.

Le souverain était respecté.

Mais par-dessus tout, le souverain était cruel.


o o o

La bonne parole gagna rapidement la cité, qui s'éveilla enveloppée de bonne humeur. La guerre était finie ! Le roi reviendrait victorieux !

Comme la coutume l'exigeait, toute la ville se fit belle pour accueillir la figure triomphante. Serait-elle drapée de pourpre ? De blanc ? Nul ne savait et nul ne saurait avant son arrivée. Le compromis fut de répartir en égale quantité ces deux couleurs, symboles d'un grand et prospère royaume. Ainsi des tentures furent accrochées aux façades des maisons, des guirlandes tressées suspendues entre les toitures, et des fresques peintes grâce aux bons services d'un bataillon de Queulorior.

Chacun mettait la main à la pâte et s'épuisait, pour faire rayonner la beauté du cœur battant du royaume. Les musiciens et danseurs répétaient de complexes spectacles, et les dresseurs s'entraînaient d'arrache-pied à de grandioses prestations avec leurs Pokémon. On parlait déjà du grand vainqueur du tournoi à venir. Les paris couraient les rues et gagnaient les mines enthousiastes. La cagnotte serait élevée.

Au bout d'une journée et demi, le souverain fit son entrée dans la ville. Enturbanné et vêtu de soyeuses draperies blanches, le fier monarque, sur un magnifique Galopa à la selle colorée et au casque doré, salua son peuple. Sa main brune aux doigts fins, presque crochus comme des serres, était l'objet de l'attention exclusive des citoyens.

Le cortège traversa la ville avec une lenteur calculée. Derrière le grand cheval enflammé avançaient des chars sur lesquels se pavanaient des généraux victorieux. Les soldats suivaient en cohortes soigneusement ordonnées, au son d'une bruyante trompette. Enfin, les prisonniers, destinés ou à l'esclavage ou à la mort, fermaient la marche et récoltaient des huées.

L'agitation gagnait tout le monde. Hommes et femmes acclamaient le visage du pouvoir avec force cris et applaudissements. Les enfants, perchés sur les épaules ou tenus à bout de bras par leurs pères, essayaient de toucher les Pokémon qui passaient au beau milieu de la chaussée. Même les bêtes y allaient de leur enthousiasme : des Magmar, postés dans une parfaite symétrie à des passages clés, soufflaient des gerbes de flammes en direction du ciel azur.

Une fois que le roi et sa suite eurent atteint l'estrade en plein cœur de la cité, on s'empressa de déposer un marche-pied à côté du blanc destrier. Le monarque l'ignora proprement et, toujours drapé de ce flegme légendaire, gravit les quelques marches de pierre qui menaient à la scène. On s'attendait naturellement à ce qu'il fît un discours mémorable pour louer ses soldats et se moquer copieusement de l'armée ennemie.

Lorsque sa voix grave retentit, amplifiée par l'attaque Écho d'une dizaine de Ramboum, la populace écouta :

— Un bûcher ! dit le roi.


o o o

Toute la nuit, la ville fut illuminée par des flammes dansantes. On avait installé des feux aux quatre coins de la cité ; on y jeta volontiers des prisonniers de guerre, hommes comme femmes, et des babioles sans importance.

Le souverain, installé sur son balcon, observait sans dissimuler son contentement. Dans ses yeux se reflétaient des étincelles flamboyantes.


o o o

Un Nidoking imposant faisait face à un magnifique Majaspic.

L'arène était en ébullition. Les deux combattants étaient couverts de la poussière du terrain, mais n'en ayant cure, ils se défiaient du regard avec toute la hargne qui leur restait. Chacun des dresseurs était dans un coin d'ombre pour éviter de subir les rayons du soleil, qui atteignait son zénith. La finale de la compétition ne pouvait avoir lieu à un moment plus intense.

Dans le vaste stade de pierre étaient installés toutes sortes de spectateurs. Les plus pauvres, tout en haut, ne voyaient pas grand chose et une partie d'entre eux luttaient contre les rayons aveuglants de l'astre. Les artisans et commerçants se contentaient de places correctes au milieu, tandis que les aristocrates et membres de la communauté politique se prélassaient aux premiers rangs, à l'ombre. Une palissade séparait leurs sièges garnis de coussins du terrain, pour éviter les salissures du sable.

Et assis à l'ombre sur un balcon surplombant le terrain, le monarque, dans une ample robe pourpre, regardait le duel qui commençait à s'éterniser.

Sur un ordre de son entraîneur, la brute mauve se jeta en avant pour asséner un coup de corne à son adversaire. Le mouvement rapide et les pas lourds soulevèrent un peu de poussière. Par un réflexe impressionnant, le serpent vert au corps parsemé d'élégants motifs roula sur lui-même et parvint à enserrer l'une des grosses pattes du Nidoking, qui s'écroula par terre. Dans une apothéose verte, Majaspic déclencha une tempête de feuilles qui vinrent lacérer de toutes parts le corps du Pokémon Perceur.

L'issue du combat suffisamment claire, la foule se leva pour acclamer le combattant encore debout ainsi que son entraîneur, qui s'inclinait bien bas : son turban manqua de se dérouler. Le souverain concéda un applaudissement modéré, et depuis sa tribune, se leva en agitant les mains :

— Un bûcher ! dit le roi


o o o

Toute la nuit, la ville fut illuminée par des flammes dansantes. On avait installé des feux aux quatre coins de la cité ; on y jeta volontiers la carcasse du Nidoking perdant.

Le souverain, installé sur son balcon, observait sans dissimuler son contentement. Ses lèvres étaient retroussées sur un rictus porteur de pleine satisfaction.


o o o

L'épouse du roi mourut, terrassée par une implacable maladie. On la pleura quelques temps, et la cité se mit aux couleurs sombres du deuil.

Cependant l'enthousiasme revint rapidement réchauffer les cœurs à l'annonce d'un remariage prochain. La ville se para de ses plus belles dorures pour accueillir en ses murs une cérémonie fastueuse. L'on fit même venir des Pokémon de contrées très lointaines pour qu'ils fassent pleuvoir la neige sur la cité durant les festivités. Certains qui ne l'avaient jamais vue s'en étonnèrent et louèrent leur souverain encore davantage.

Le mariage eut lieu en grande pompe un jour d'automne. Tous les musiciens se donnèrent rendez-vous pour éblouir le couple royal qui traversait la ville sur un char doré tiré par quatre magnifiques Galopa parés de flammes bleutées, les plus rares de tout le royaume. Par la suite, une somptueuse réception réunit toute la cour ainsi que quelques commerçants tirés au sort qui s'en vanteraient allègrement auprès de leurs amis le lendemain.

Au terme de la fête, qui atteignit les dernières lueurs du jour, le roi ordonna que l'on fît tinter sa coupe pour rétablir le silence. Il leva une main brune avant de manifester son désir de vive voix.

— Un bûcher ! dit le roi.


o o o

Toute la nuit, la ville fut illuminée par des flammes dansantes. On avait installé des feux aux quatre coins de la cité ; on y jeta volontiers les coupes ayant contenu le vin.

Le souverain, installé sur son balcon, observait sans dissimuler son contentement. Son visage se rapprocha instinctivement du bord pour humer la nauséabonde fumée.


o o o

La nouvelle gagna rapidement la cité, qui s'éveilla enveloppée de morosité. La guerre était finie. Le roi reviendrait perdant.

Les hérauts éparpillés dans les différents quartiers parlaient d'un traité de paix. Les négociations avaient duré, et le souverain avait signé. Personne ne proposa de décorer la cité pour accueillir le triomphe, puisqu'il n'y en aurait pas. Alors en attendant le retour et les explications qui s'en suivraient, le peuple se mura dans un silence prudent. Mieux valait ne pas parler trop vite, même en l'absence du monarque : il avait des yeux et surtout des oreilles partout.

C'est sur un Galopa fatigué et poussiéreux qu'il passa les portes de la ville, drapé d'une pourpre abîmée, le turban prêt à tomber à tout instant. Il ne leva pas de main brune pour saluer son peuple. Les soldats restants ne marchaient pas en musique ni en cadence, et il n'y avait nul esclave pour récolter les moqueries.

Quand le souverain disgracié descendit de sa monture, il se hissa tant bien que mal, l'air d'un homme de deux fois son âge, sur l'estrade en pierre. Il n'y eut nul discours à déclamer, juste une dernière requête :

— Un bûcher ! dit le roi.


o o o

Toute la nuit, la ville fut illuminée par des flammes dansantes. On avait installé des feux aux quatre coins de la cité ; on y jeta volontiers les atours royaux en vue d'en préparer de nouveaux.

Le souverain, parmi ses sujets, observait sans dissimuler son contentement. Son visage se contorsionna et perdit peu à peu sa consistance lorsqu'il se jeta dans le chaos rougeoyant.


o o o




Eugène DELACROIX, La Mort de Sardanapale, 1827, huile sur toile, 392 x 496 cm, Paris, musée du Louvre.