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Livre d'images [Recueil de one-shots] de Misa Patata



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Informations

» Auteur : Misa Patata - Voir le profil
» Créé le 27/12/2018 à 11:50
» Dernière mise à jour le 27/08/2019 à 18:08

» Mots-clés :   One-shot

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Un tricheur sachant tricher...
Dans sa grande chambre, un garçon de quinze ou seize ans terminait de préparer sa valise pour la semaine à venir. La tâche achevée, il ferma le bagage et regarda son Pokémon. Le petit Rapion, l'air enjoué, lui retourna comme il put son sourire.

Encore une semaine amusante en perspective.


o o o

La voiture noire s'arrêta doucement sur le bas-côté, près des grilles entourant une grande bâtisse à l'air assez vieux. D'autres véhicules tout aussi luxueux stationnaient dans les environs, chargés de jeunes gens et demoiselles et de bagages plus ou moins lourds. Le passager salua sobrement le chauffeur et ouvrit la portière sur le monde extérieur, armé de sa valise et de son Pokémon insecte, qui trottinait sur ses talons.

Le gamin, cheveux noirs et yeux bruns, ne sortait pas tellement de l'ordinaire. Il portait peut-être l'uniforme scolaire, symbole de terne rigidité, avec un certain panache dû à son air roublard, mais c'était au fond un enfant riche comme les autres. En marchant jusqu'au bâtiment, il décocha aux autres étudiants des regards amusés, méprisants ou bien totalement indifférents. La routine.

De si bon matin, la silhouette imposante du pensionnat se découpait en contre-jour devant un ciel aux teintes encore un peu sombres. Il y avait quelques Hoothoot aux yeux rougeoyants, perchés sur le toit comme tant de sentinelles silencieuses. Ils iraient bientôt se coucher en même temps que le soleil se lèverait, comme à leur habitude.

Repérant son Rapion déjà loin devant lui, l'adolescent cessa de flâner et pressa le pas. Il n'avait pas vraiment hâte.


o o o

La valise vide fut immédiatement occupée par le petit Pokémon insecte et poison, qui s'y nicha comme dans un panier. Amusé, le dresseur lui lança un coussin pour rendre ça plus confortable, et inspecta, comme chaque lundi matin, sa petite chambre.

Un lit simple était installé contre le mur, en face d'une fenêtre à rideaux bruns sombres. L'armoire en bois contenant les uniformes de rechange et quelques vêtements plus confortables avoisinait un bureau moderne à plusieurs tiroirs, contre un mur pâle. Le seul élément décoratif était le tapis bleu brodé au motif d'Artikodin qui recouvrait le parquet : sa mère avait insisté pour qu'il se sente un peu chez lui. Ce n'était pas tellement le cas, mais ça rendait la pièce un peu moins austère. Par ailleurs, quand les copains passaient jouer aux cartes ou finir un devoir, ils admiraient toujours le bel ornement.

Une sonnerie se fit entendre et le garçon soupira. Dans la malle, le Rapion se lovait contre son coussin gris.

— T'as pas assez dormi, toi ? gronda le dresseur, sans irritation.


o o o

— Hé, Aurelio !

Le dresseur aux cheveux noirs s'arrêta au milieu du couloir, pour voir accourir un garçon brun suivi d'une jeune fille aux cheveux blonds tirant sur le roux. Tous deux étaient vêtus de l'uniforme scolaire réglementaire et accompagnés de leurs Pokémon respectifs, un Rozbouton et un Griknot. Le Rapion s'enjoua immédiatement à la vue de ses camarades de jeu préférés ; l'adolescent accueillit cette arrivée avec moins d'enthousiasme.

— Salut Sheridan. Judy...

La demoiselle le salua avec tout autant de froideur et, après un au revoir à l'attention de l'autre garçon, tourna les talons. Son Griknot ne manqua pas d'adresser une grimace au jeune homme avant de suivre sa dresseuse.

Atterré, le brun aux yeux bleus se permit un soupir et s'autorisa même le luxe d'une remontrance.

— Tu pourrais être plus gentil avec elle !

Aurelio considéra un instant ce jeune homme qu'il pouvait presque appeler son ami. Même s'il venait d'une famille moins riche que la sienne et que son père désapprouverait sûrement, il appréciait la compagnie du délicat garçon au Rozbouton. Il haussa les épaules.

— C'est elle qui a commencé à m'accuser de tout et n'importe quoi !
— Elle n'a pas tout à fait tort.
— Et pas tout à fait raison non plus ! Non mais, je suis peut-être pas exemplaire, mais elle me met presque au niveau de l'autre idiot de sa classe, là, le voleur...

Sheridan croisa les bras et se plongea un instant dans le silence. Son Rozbouton, joueur, essaya d'imiter le geste sans y parvenir, faute de pattes à croiser.

— Tu n'es peut-être pas un voleur, mais tu restes un tricheur, signala le jeune homme aux yeux bleus. Et ça, tu ne peux pas le nier !

Aurelio n'écoutait plus, mais hocha la tête par politesse.


o o o

De retour dans la chambre, l'étudiant se posa immédiatement à son bureau. Son Pokémon ne se fit pas prier pour aller se réfugier dans la valise-panier au coussin rembourré. Le garçon le regarda un moment, admirant son air tranquille et détendu, comme si le petit scorpion n'avait aucun problème dans sa vie. C'était peut-être le cas. Lui, des problèmes... Il avisa son devoir de mathématiques, rempli d'équations et autres exercices qu'il jugeait assez peu utiles. Hormis ce qui touchait à l'économie, les maths n'étaient pas tout à fait son fort.

Cependant, contrairement à ce que pensaient ses camarades, il ne perdait pas son temps à tricher pour faire ses devoirs ou pendant les interrogations. Ses bonnes notes n'avaient rien à voir : autrement, il aurait une moyenne bien plus honorable dans cette langue de Kalos horriblement compliquée. Les nombres, c'était probablement plus simple à appréhender, finalement.

Sans plus se préoccuper de son paisible Rapion somnolent, il s'attela à sa tâche.


o o o

Comme souvent le jeudi soir, Aurelio accueillit quelques camarades de dortoir dans sa petite chambre. Il y avait son ami au Rozbouton, et quelques autres garçons de la classe. C'était apparemment interdit d'inviter des filles, alors ils s'en tenaient à cette règle. La surveillante aussi costaud qu'un Vigoroth faisait suffisamment peur.

Il ferma la porte sans bruit — car se retrouver après le couvre-feu de vingt-deux heures était également interdit — et remarqua le regard appuyé de son camarade, qui tenait le petit Pokémon plante dans ses bras. Le dresseur du Rapion, qui cette fois ne dormait plus du tout, haussa les sourcils.

— T'en fais une tête, constata-t-il.

L'adolescent aux cheveux noirs fouilla dans son bureau pour en sortir un vieux jeu de cartes. Son grand-père lui avait appris quelques jeux et surtout quelques tours un peu sournois avec ces mêmes morceaux de carton décorés. Sheridan le suivait du regard, désapprobateur. Il profita du fait que les trois autres étaient en pleine discussion pour prendre l'occupant de la chambre à part.

— Tu ne tricheras pas cette fois, hein ?
— Pourquoi ça t'inquiète ? T'es trop sérieux !

Agacé, le discret garçon soupira et alla prendre place avec les autres, assis sur le joli tapis bleu. Son Rozbouton s'échappa bien vite de ses bras pour aller se blottir auprès de Rapion dans un coin. Aurelio plissa les yeux mais se contenta lui aussi de rejoindre ses camarades.


o o o

— T'as encore gagné ?! Tes parents t'ont payé de la chance en lingots ou quoi ? s'étonna l'un des joueurs.
— Avec ça tu devrais te mettre à la shasse... grommela un autre.

Le jeune homme sourit, content que son petit tour ne perde pas en efficacité. Inviter autant que possible des camarades différents était plutôt une bonne idée : ils ne se rendaient pas tout de suite compte qu'on trichait. Pas tous, du moins.

— Un magicien ne révèle jamais ses secrets ! plaisanta-t-il en recueillant les cartes qui restaient. Une autre partie, messieurs ?

La plupart des têtes se secouèrent pour signifier que non. Minuit n'allait pas tarder à sonner et ils n'avaient aucune envie d'être découverts par la surveillante, qui redoublait de vigilance et sortait son redoutable Miradar lorsqu'un nouveau jour commençait. Ils s'éclipsèrent tous en chaussettes pour faire le moins de bruit possible, et le silence regagna la pièce.

Aurelio ne retint pas un bâillement. Après un « bonne nuit » lancé à l'adresse de son Pokémon, qui dormait sans doute déjà, il se mit au lit. L'attitude sévère de son ami ne le préoccupait même plus.


o o o

Ravi de troquer l'uniforme contre un pantalon sombre et un gros pull adapté aux températures automnales, le dresseur boucla sereinement sa valise. Ce dimanche, ce serait l'anniversaire de sa mère et il y aurait un tas de pâtisseries traditionnelles pour fêter ça. Connaissant son père, il aurait recours aux meilleurs artisans boulangers d'Unionpolis pour que la petite fête soit à la hauteur de son rang.

Rapion le suivit en trottinant jusqu'à la grille de l'école, où l'attendait comme chaque vendredi soir son camarade au Rozbouton. Les deux Pokémon se lancèrent aussitôt dans une course-poursuite amusante. Aurelio observa l'autre garçon.

— Qu'est-ce que tu fais, ce week-end ?

Sheridan haussa les épaules, l'air embarrassé.

— Sans doute rien d'aussi intéressant que toi.
— Tu parles ! grommela l'adolescent aux cheveux noirs. C'est ennuyeux, les fêtes, chez nous. Y a toujours plein d'adultes et leurs enfants sont débiles. Ceux qui ont un Pokémon ne savent même pas s'en occuper, et les autres ont à peine l'âge de parler. Je suis juste content pour les gâteaux, d'habitude mon père veut pas qu'on en mange beaucoup... Au pire je plumerai les amies de maman aux cartes... Bon alors, dis, tu vas faire quoi ?

Le brun parut hésiter, mais il répondit finalement :

— Comme mes parents ne seront pas là, je vais en profiter pour aller jeter un œil au vieux château, dans la forêt près de chez moi, tu sais...
— Ah depuis le temps que tu m'en parles, de ce château !
— Je t'aurais bien proposé de venir en plus, mais si tu fais la fête... Et puis Judy habite dans le coin et veut venir, alors je me suis dit que non...

Aurelio acquiesça en silence, trop conscient du sous-entendu. Il ne voulait certainement pas se sentir de trop, et puis de toute façon les parents ne le laisseraient jamais sortir tout seul jusqu'à Vestigion. Il salua son camarade lorsqu'il aperçut la voiture qui le ramènerait à Unionpolis. Les petits Pokémon se séparèrent à contrecœur en même temps que leurs dresseurs.


o o o

Jamais journée d'anniversaire n'avait paru si longue et irritante. Le jeune homme dissimulait son Rapion sur ses genoux, aidé par l'épaisse nappe, et lui faisait volontiers passer des morceaux de viande ou des légumes dont il ne voulait pas. En dépit des gâteaux qui attendaient sagement à la cuisine, il mangeait sans appétit.

Tous les adultes discutaient de sujets d'actualité ennuyeux et surtout de leurs relations avec tel ou tel chef d'entreprise influent. L'adolescent des années quatre-vingts avait l'impression d'entendre des seigneurs d'une époque reculée. Il paierait cher pour pouvoir allumer la télévision et s'abrutir devant les nouvelles séries à la mode, ne serait-ce que pour échapper à cette torture. Sa sœur cadette, assise en face, ne semblait pas plus enjouée.

Le déjeuner allait durer encore une bonne heure.


o o o

Aurelio parvint à s'éclipser au milieu de l'après-midi pour se réfugier au jardin, suivi de près par son fidèle Pokémon. Ils trouvèrent un coin isolé et des bêtes insectoïdes avec lesquelles s'entraîner. Ça faisait un moment que Rapion s'endurcissait ainsi lors de petites séances de combat. Quelques affrontements avec des dresseurs s'avéraient également bien utiles, mais le duo préférait la quiétude du jardin familial.

Le scorpion n'eut aucun mal à venir à bout des Chenipotte qui aimaient souvent traîner dans les environs, ni des Mimigal un peu plus résistants. Un Papinox lui donna davantage de fil à retordre, mais une morsure bien placée finit par mettre l'insecte volant au tapis.

— Encore à t'entraîner tout seul avec cette stupide bestiole ?

L'adolescent se figea en reconnaissant la voix grave de son père, qui avançait vers lui d'un pas lent et maîtrisé. Le grand homme commençait à se faire un peu plus bedonnant mais ne perdait rien de son effrayante prestance. Son fils jugea plus sage de ne pas répliquer.

— Dépêche-toi de revenir, ta mère te réclame pour le thé et il est presque seize heures. Allez !

L'adulte repartit vers la maison sans un regard en arrière. Le jeune homme rappela à contrecœur son comparse dans sa poké ball.


o o o

Assis au fond de la salle, Aurelio et Sheridan bavardaient à voix basse pendant le cours de langue kalosienne. Le garçon au Rozbouton, plus soucieux que son acolyte, notait ce qu'il pouvait dans son cahier entre deux remarques.

— Et alors, cette escapade dans la forêt de Vestigion ? s'enquit l'étudiant aux cheveux noirs. C'était comment ?

L'autre secoua doucement la tête, tout en vérifiant du coin de l'œil que l'enseignante ne faisait pas attention à eux. Rasséréné, il accorda toute son attention à son camarade.

— Les parents de Judy l'ont attrapée alors qu'elle allait sortir en douce... Du coup, elle a été punie de sortie et j'allais quand même pas y aller tout seul.
— Trouillard !
— J'aimerais bien t'y voir toi, tout seul dans une vieille baraque en ruines pleine de Fantominus !

Roublard, Aurelio lui décocha un sourire moqueur. Tout dans son attitude respirait le défi.

— Très bien, on a qu'à y aller pendant les vacances, et on verra bien. Tu diras à Judy que je ferai un effort, si elle vient !

Sheridan s'en tint là, dubitatif.


o o o

Un nouveau jeudi soir marqua une nouvelle victoire écrasante du garçon sur ses adversaires de la soirée. L'un d'eux, qui avait déjà joué aux cartes dans cette chambre le mois précédent, grommela.

— Soit t'as vraiment de la chance, soit t'es un foutu tricheur !

Les autres joueurs semblèrent plutôt d'accord et se mirent aussi à invectiver l'occupant de la chambre, qui fit de son mieux pour ne pas broncher. Il leur intima plutôt de baisser d'un ton.

— Mais la ferme ! La surveillante va vous attraper dans ma chambre et vous allez passer un sale quart d'heure !

La menace parut faire son effet : les garçons se turent et, sans cesser de jeter des regards suspicieux à leur camarade, quittèrent la pièce. Sheridan serra les dents et les suivit.


o o o

Vendredi, tout le monde le regarda comme s'il avait commis un crime. Se rappelant la soirée, il fit profil bas autant que possible. Voilà qu'on lui avait épinglé le mot « tricheur » en grosses lettres sur le front. Rapion aussi était anormalement maussade.


o o o

Le week-end à la maison fut essentiellement consacré à l'entraînement du scorpion, qui ne démérita pas. Lorsqu'il se mit à briller d'une forte lueur dans la soirée de samedi, l'adolescent ne cacha pas son sourire. Peut-être qu'on y réfléchirait à deux fois avant de l'insulter dans les couloirs.


o o o

Lundi matin, le directeur de l'établissement remarqua le garçon accompagné d'un imposant Drascore, qui franchit les grilles de l'école. Il l'arrêta un moment.

— Jeune homme, vous me ferez le plaisir de laisser votre Pokémon dans sa ball une fois à l'intérieur, entendu ?

Un grommellement fut sa seule réponse.


o o o

Assis sur un banc dans la cour, Aurelio observait le ciel morose au-dessus de lui. Il faisait gris ce matin-là, en dépit de ce qu'avait raconté la miss météo dimanche soir. Les nuages auraient peut-être la gentillesse de laisser passer un peu de soleil au cours de l'après-midi.

Le garçon soupira et sortir sa poké ball pour la regarder. Son Pokémon lui manquait alors même qu'il se trouvait à ses côtés. Il regrettait un peu cette soudaine évolution ; et il détestait les règles stupides de cette école. Son père aimait trop la rigueur et choississait les établissements en conséquence.

Il serra les dents en pensant à sa famille. Son grand-père : un tricheur. Son père : un tricheur. Et lui-même qui marchait dans leurs traces, en bon fils obéissant : un tricheur.

Sa main se crispa autour de la sphère rouge et blanche.


o o o

— C'est infernal, soupira l'adolescent, le nez dans son assiette de lasagnes. C'est pas comme si j'étais un voleur ! Et puis maintenant tout le monde se fiche de mon Pokémon et disent que je triche en combat !
— La triche et le vol, c'est pas très différent, répliqua son camarade, l'air encore plus inquiet que d'habitude. Je t'avais bien dit que ça te ferait du tort !

Aurelio repoussa fermement son assiette et se prit la tête dans les mains, excédé. Le dresseur au Rozbouton avait raison, mais c'était un peu tard pour le reconnaître. Il était un tricheur et tout le monde le savait.

— Mais j'avoue que les autres sont durs avec toi, ajouta Sheridan. Enfin, surtout avec ton Pokémon qui n'y est pour rien, je suppose.
— J'en ai pas l'air, mais je prends son dressage très au sérieux. Je te promets que là-dessus, au moins, je suis honnête.
— C'est pas à moi qu'il faut le prouver, ça. C'est aux autres.

Pensif, le garçon aux cheveux noirs observa son ami qui semblait d'un coup plus sérieux. Il laissa même échapper un sourire.

— En fait, je crois que j'ai une idée. Mais t'as intérêt à faire preuve de bonne volonté.


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Un peu intimidé, l'étudiant regarda autour de lui. Un certain nombre d'élèves, dont ceux qu'il avait joyeusement entourloupés durant des parties de cartes, étaient rassemblés de part et d'autre du petit terrain de combat derrière l'école. En face de lui, à quelques mètres, une coquette demoiselle aux cheveux blonds-roux faisait la même chose. Le garçon grimaça : il aurait dû se douter que son camarade ferait d'une pierre deux coups en le poussant à affronter son amie. Pour une fois, elle n'avait pas son éternel Griknot avec elle.

Il en comprit la raison lorsqu'elle lança sa poké ball, de laquelle sortit un dragon bipède presque aussi grand qu'elle. Son allure globale, plus tranchante, le faisait paraître nettement plus menaçant que sa pré-évolution. Aurelio fit de son mieux pour ne pas se démonter et envoya son Drascore sur le terrain. Dresseur et Pokémon se forcèrent à ignorer les huées des spectateurs.

— Crois-moi, je ne te ferai pas de cadeau ! signala Judy, radieuse. Ami d'un ami ou pas, ça ne change rien.
— Content de l'apprendre, s'entendit-il répondre. J'aurais l'air de quoi, autrement...

« Sûrement d'un tricheur doublé d'un faible », songea-t-il avec amertume.

Les hostilités furent rapidement lancées par la jeune fille, qui commença par ordonner à son Carmache un « jet de sable » bien placé. Le dragon ne se fit pas prier et gratta volontiers le sol terreux pour envoyer de la poussière sombre au visage de son adversaire. Drascore n'en parut pas tellement affecté.

— Le talent « regard vif », expliqua Aurelio. Tu ne m'auras pas avec ce coup-là !

La blonde ne se laissa pas démonter, toujours souriante. L'offensive suivante fut plus brutale : le Pokémon caverne ouvrit la gueule pour laisser échapper un hurlement, suivi d'un torrent de flammes rougeoyantes. Des exclamations admiratives fusèrent autour d'eux. Le garçon grimaça, conscient du danger que le feu représentait. Il ordonna une esquive, mais le scorpion fut en partie touché et affaibli par l'attaque.

— Heureusement qu'il n'y a pas de brûlure... « toxik » !

Drascore ne bougea pas immédiatement, ce qui étonna quelque peu son adversaire ainsi que sa dresseuse. Il attendit quelques secondes avant de s'élancer sans crier gare et de planter l'un de ses dards empoisonnés dans le cou du dragon, qui n'eut pas le temps de s'y soustraire. La zone touchée prit une inquiétante teinte violacée, et le Pokémon grimaça face au désagrément. Cependant il ne se démonta pas, et répliqua avec un coup de patte rapide. Les griffes acérées firent vivement reculer l'insecte.

Aurelio, complètement pris dans la frénésie du combat, mit un temps à remarquer que plus personne ne huait. Les spectateurs étaient concentrés sur le match et ne devaient même plus penser à la réputation du combattant. Le jeune homme repéra son camarade et son Rozbouton parmi la foule et sourit. Peut-être bien qu'il était un sale tricheur, mais il était aussi un dresseur respectable.

Son Pokémon dut ressentir sa détermination, car il se mit de lui-même en position d'attaque, attendant un ordre. En face, la jeune fille ne déméritait pas. D'un seul geste, elle se fit obéir de Carmache, qui courut à pleine vitesse vers son adversaire afin de lui administrer un sévère coup de griffe. Le scorpion n'esquiva pas, mais en profita pour refermer ses mâchoires sur l'autre patte du dragon, qui se couvrit vite d'une fine couche de glace.

— J'ai plus d'un tour dans mon sac !
— Je vois ça ! rétorqua la demoiselle, sans céder à la panique. Carmache, « lance-flammes » !!

L'adolescent n'eut pas le temps de donner un ordre : Drascore mit un moment à réagir et à lâcher son opposant, qui lui cracha littéralement au visage. Face à la violence des flammes, le Pokémon scorpogre chancela et s'éloigna autant que possible de l'assaillant. Il tenait encore debout malgré tout, grâce à un solide entraînement défensif.

Un nouvel assaut aurait pu être lancé si le duel n'avait pas été interrompu par les vociférations du directeur. L'homme en costume sombre arriva en agitant les bras et en ordonnant que tout le monde regagne le bâtiment, les combats étant interdits en dehors des cours de dressage. La foule se dispersa à contrecœur.

Aurelio rappela son Pokémon fatigué et mit un temps à se remettre du brusque changement de situation. Le silence, autour, avait repris ses droits. Un calme apaisant, typique de la petite bourgade qu'était Bonville, envahissait à présent la cour et le terrain de combat. Penaud, le garçon regarda sa poké ball fixement.

Il fut rejoint par Sheridan ainsi que, plus étonnant, par Judy. Cela le poussa à lever les yeux, étonné. La jeune fille n'arborait pas son air méfiant habituel. Elle lui tendit la main. Abasourdi, le garçon mit un moment avant de la saisir et de la serrer doucement. Un sentiment chaleureux le saisit tout entier.

— Tu vois qu'on s'amuse plus en étant honnête ! soupira, derrière eux, le dresseur au Rozbouton avec son éternel air sérieux.

Le jeune homme regarda ses camarades et sourit, apaisé.


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LE CARAVAGE, Les Tricheurs, 1594-1595, huile sur toile, 94,2 x 130,9 cm, Fort Worth, musée d'art Kimbell.