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Calendrier de l'Avent 2017 de Corpus09



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» Auteur : Corpus09 - Voir le profil
» Créé le 13/12/2017 à 23:27
» Dernière mise à jour le 14/12/2017 à 00:00

» Mots-clés :   Fanfic collective   Song-fic

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Jour 13 : Quelque chose pour toi, par Soundlowan
- Non, ne lui faites pas de mal !

Le cri de la petite fille a fusé, une seconde trop tard. Le démolosse de son oncle vient de déverser son feu sur la silhouette brumeuse. Contrairement à ce qu’elle pensait, le pokémon sauvage tourne les talons et s’enfuit à toutes jambes. La Branette inconnue vient pourtant de la défendre avec tant d’efficacité ! Sans compter ce regard entre elles deux, qui l’a tant marquée. Que de douceur au fond du regard rose…
- Tiffany, tu n’as rien ?

La voix de sa mère la rappelle à la réalité. Penchée sur sa fille, l’adulte la couve d’un regard inquiet.
- Mais non maman, je vais très bien !
- Heureusement que Démolosse a réagi vite, merci Eric.
- Pas de problème, pas de problème, rétorque l’intéressé en rajustant son ridicule chapeau de cow-boy.
- Mais elle ne m’avait rien fait cette Branette, ce n’était pas la peine de la blesser ! Tente vainement Tiffany. Elle m’a sauvé des autres spectres !
- Il n’y avait pas d’autres spectres ma puce, fait remarquer son père. Juste ce pokémon, et c’est une espèce très dangereuse à l’état sauvage tu sais ?
- Je t’assure, celle-ci était gentille ! Je me suis perdue, et deux pokémons sont arrivés vers moi, et Branette est sortie de cette rue là-bas pour les faire fuir.
- Quels pokémons ? Demande son grand frère qui paraît vaguement intéressé par l’anecdote.
- Peu importe, ils sont partis, tranche leur mère d’une voix sévère. D’ailleurs puisque nous en parlons, je croyais t’avoir bien dit de ne pas t’éloigner Tiffany !

L’enfant abandonne peu à peu, elle sent bien que les adultes ne la croient pas. Son frère semble plus ouvert à son récit, mais c’est bien le seul. Leur cousine qui accompagne bien entendu la sortie familiale avec l’oncle Eric et la tante Phyllis lui adresse même un sourire goguenard que Tiffany n’a jamais pu supporter. Démolosse reçoit quantité de caresses et de félicitations de la part des adultes, ce que la fillette trouve assez injuste. C’est cette Branette qui devrait recevoir toute cette gratitude. Elle n’a même pas eu le temps de lui dire au revoir.
Tiffany prend la main que lui tend sa mère et se laisse entraîner dans l’avenue qu’elle a quitté par erreur un peu plus tôt. De nouveau les sons, les odeurs, les images l’assaillent.

D’ordinaire elle apprécie cette sortie traditionnelle en famille pour admirer les vitrines de Noël dans le centre-ville. Cette période de l’année devrait être synonyme de joie, les décorations sont superbes et les odeurs de nourriture toujours aussi alléchantes. Leurs parents n’ont que leur plaisir en tête ; ils ont déjà demandé à Tiffany le cadeau qu’elle voudrait.
Si seulement elle n’avait pas passé une telle année.

Cette fois l’enfant ne parvient pas à rester attentive au décor autour d’elle. Le groupe passe devant la patinoire sans qu’elle ne lève le nez, remonte la rue illuminée de sapins chargés de guirlandes clignotantes puis s’immobilise près d’un marchand ambulant de confiseries. Pendant tout ce temps Tiffany est restée les yeux dans le vague, ne réagissant même pas aux odeurs sucrées qui assaillent traîtreusement les narines de tous.
Elle pense encore à Branette. Ce pokémon ne ressemblait pas aux quelques images qu’elle a déjà pu croiser en classe ou dans des livres de contes de mélofée. Les branettes sont toujours les méchants dans ces histoires, représentés en fantômes menaçants avec leurs doigts crochus et leurs sourires malsains. Mais celle de la ruelle était légèrement différente, malgré son corps gris fumée et sa bouche entrouverte dans une plainte douloureuse. Les mains étaient encore plus longues que tout ce qu'elle aurait pu imaginer, mais d'un rose vif semblable à celui du corps. L'apparition en était presque belle, avec ces voiles dansant au vent. Comme une poupée ballerine.
Et il y avait tant de douceur dans ces yeux.
- Tiffany ? Tout va bien ?

Sa mère de nouveau. Rien ne lui échappe jamais, surtout pas le regard fixe que garde sa fille depuis plusieurs minutes.
- Oui maman. Je pensais encore à cette Branette, c'est tout.
- Je sais qu'elle t'a fait très peur, interprète l'adulte compatissante. Mais elle est partie maintenant.
- Elle ne m'a pas...

L'enfant referme la bouche et abandonne la partie. Aucun adulte ne l'a cru la première fois, aucune chance que cela se produise maintenant. Sa cousine Cassy vient en plus de lui fournir une magnifique diversion en hurlant à pleins poumons, le nez collé contre une vitrine débordante de jouets.
- Je la veux je la veux je la veux !

Le choix du petit monstre s'est porté sur un carrosse complet, avec ponytas peints à la main pour le tirer et une famille de quatre personnes à l'intérieur. Un roi et une reine avec deux enfants, eux aussi coiffés de minuscules couronnes. L'ensemble monte à plus de dix mille pokédollars, assurément l'un des objets les plus chers du magasin. Cassy est une habituée de ce genre d'envies, que bien entendu ses parents s'empressent de combler une fois encore. Tiffany n'a pas le souvenir qu'on ait jamais refusé quoi que ce soit à sa cousine.
- Et toi ma chérie, tu as une idée de cadeau pour Noël ?

Sa mère revient à la charge, ne laissant pas sa fille replonger dans son état de rêverie. Cette dernière note également que son père se crispe en entendant la question. Il doit craindre que Tiffany ne choisisse quelque chose dans la même boutique de luxe qui a attirée Cassy, une dépense inenvisageable pour le foyer. La fillette le sait bien, son insupportable cousine déballera comme tous les ans une montagne de cadeaux coûteux dont elle se lassera en quinze jours tandis qu'elle-même et son frère se contenteront de bien moins. Tiffany s'est faite à cet état de faits, mais elle sent que c'est un sujet de tension entre leurs parents.
- Non maman, toujours pas.
- Même après tout ce que nous avons vu ce soir ? insiste la mère. Il doit bien y avoir quelque chose qui te tente...
- Je t'assure que non, pas pour le moment.

Il faut dire qu'elle n'a pratiquement rien vu au fil de leurs déambulations. Un seul sujet occupe encore toutes ses pensées, au point que son père s'en inquiète à son tour.
- Tu es encore perturbée par cet... incident, décrète-t-il. Cela te viendra bien un autre jour.
- T'as vraiment peur pour pas grand-chose, persifle Cassy pendue au bras de la tante Phyllis chargée en plus du volumineux paquet.
- Ah ça, tu ferais mieux de te dégoter un pokémon assez fort pour faire fuir les spectres qui s'en prennent à ta famille Henri ! assène l'oncle Eric avec un rire tonitruant et une grande claque dans le dos de son père.

Ce dernier se rembrunit, mais sur un regard de sa femme il n'insiste pas. Tiffany sait que son père et son oncle, qui est le frère de sa mère, ne se sont jamais entendus. Henri trouve son beau-frère grossier et arrogant, Eric trouve le mari de sa soeur gringalet et vraiment trop peu viril de manière générale. Et le père de Tiffany ne supporte pas qu'on lui mette des claques dans le dos, ce que l'oncle Eric fait systématiquement lorsqu'ils se voient. En revanche, la petite fille ne voit vraiment pas ce qu'il y a à reprocher au Muplodocus de son père, au dernier stade d'évolution depuis des années et toujours aussi efficace en combat. Si l'on compte la tante Phyllis, que sa mère trouve "un peu lente" avec raison selon Tiffany, et surtout la cousine Cassy, les sorties en famille sont de moins en moins appréciées par l'enfant. Elle sent que son aîné partage son opinion, aussi choisit-elle de se rapprocher de lui.
Les décorations de Noël lui laissent un goût amer, cette année.

Quelque chose pour toi

- Pas étonnant que tu n'en aies pas encore trouvé.

Cassy. Encore elle. Cette voix haut perchée insupportable ne peut être que celle de sa chère cousine Cassy.
Tiffany pensait avoir eu droit au pire après les moqueries habituelles de la part des garçons de sa classe, tous facilement une tête de plus qu'elle, mais c'était sans compter sur l'arrivée de Cassy dans son dos.
- Tu leur fais peur, aux pokémons, poursuit la peste sur un ton d'évidence. Tu fais peur à tout le monde. T'es flippante.

Et tout le groupe d'approuver sans broncher. Tiffany en hurlerait bien, si elle ne craignait pas de se tailler une plus mauvaise réputation qu'elle n'en a déjà.
Encore que cela commence à être difficile. Dès l'année dernière, le noyau dur de sa classe a commencé les plaisanteries sur son passage, puis les confrontations plus franches pendant les pauses. Toujours sur le même sujet, son incapacité supposée à se trouver un Premier pokémon. Le voyage initiatique de tout le monde approche à grands pas, l'affaire de deux ans tout au plus à moins que quelqu'un doive recommencer une année scolaire. On ne peut pas se permettre de lâcher dans la nature quelqu'un qui ne maîtrise pas les informations basiques au sujet des pokémons.
Ce n'est pas le cas de Tiffany ; seulement, malgré des notes frôlant l'excellence, pas moyen d'arrêter son choix sur une espèce de prédilection. Cela n'aurait pas dû être un problème avant qu'elle n'envisage son départ de la maison, excepté que pratiquement tous les enfants de sa classe ont déjà un pokémon. Une rareté à leur âge, qui justifie apparemment l'humiliation de la plus fluette d'entre eux qui ne porte pas encore de ball à sa ceinture.
La sortie scolaire du jour dans l'immense parc municipal n'a été qu'un rappel de plus, et donc un prétexte supplémentaire pour des brimades renouvelées dès leur retour dans la cour de récréation. Deux enfants de plus ont trouvé leur Premier à l'occasion de cette promenade en pleine nature, mais pas Tiffany.
- Tu vois, Albert au moins sait lancer une poké ball correctement, poursuit Cassy jamais lassée.

Le garçon ainsi désigné s'empourpre, gêné d'être intégré de force à cette discussion. Il est plutôt gentil avec Tiffany en temps normal, mais pas assez courageux pour prendre sa défense face à la bande des petites terreurs de leur classe. Le garçon bafouille quelques mots, puis reporte avec bonheur son attention sur son Pomdepik fraîchement capturé.
La fillette ne peut pas lui en vouloir, enfin pas vraiment. S'élever contre Cassy serait courir le risque de prendre la place de sa cousine brune, si bizarre, si menue, si muette la plupart du temps. En revanche, perdue pour perdue...
- Et toi, tu saurais en lancer une ? répond Tiffany du tac au tac.
- Comment oses-tu... suffoque la blondinette dans son absurde pull rose fuschia.
- Ta Lippouti, ce sont tes parents qui te l'ont acheté en pension, rappelle sa cousine qui tient son angle d'attaque. Il se trouve que moi, je compte bien capturer mon pokémon.

Profitant de la surprise momentanée de Cassy, qui manque souvent de répartie dès qu'on lui résiste, Tiffany tourne les talons avant la prochaine attaque. Elle ne tarde pas évidemment, à peine s'est-elle éloignée de quelques mètres que les moqueries reprennent, menées cette fois par les garçons qui avaient commencé avant l'arrivée de sa cousine.


Demain elle doit retourner à l'école.
Cette perspective suffit à priver Tiffany de sommeil depuis déjà plusieurs mois, creusant les cernes sombres sous ses yeux qui alimentent à leur tour les persécutions durant la journée. A huit ans, on n'est pas censée avoir cette tête-là, et ses charmants camarades se chargent bien de le lui rappeler.
Elle tourne et retourne dans son lit sans que la fatigue ne vienne. L'angoisse lui étreint la poitrine.
Alors, en attendant de s'endormir, l'enfant laisse ses larmes couler. Elle sanglote le visage tout contre son oreiller, ne voulant réveiller ni son frère revenu pour quelques jours à la maison et dormant dans la pièce à côté, ni ses parents au fond du couloir. De toute façon leur dire ne servirait à rien, elle risquerait même d'avoir davantage de problèmes ensuite.
Au loin, un Cornèbre croasse sinistrement dans la nuit noire.


L'institutrice a le visage fermé, bien droite sur sa chaise.
Les deux parents convoqués n'ont pas réussi à connaître le motif de ce rendez-vous, leur interlocutrice ayant préféré les informer de vive voix. Ils en ont donc été réduits à se présenter à l'heure au rendez-vous, s'asseyant sur deux chaises habituellement destinées aux élèves de la classe.
- Je voulais vous parler de Tiffany.
- Nous nous en sommes doutés, remarque sa mère inquiète. Quelque chose ne va pas avec notre fille ?
- Je crains bien que oui, madame, répond l'enseignante en rajustant ses lunettes sur son nez. Elle n'est pas le problème rassurez-vous, mais nous avons noté des événements inquiétants durant les heures de cours.
- Des événements inquiétants ? répète le père qui semble avoir mal compris.
- En effet, monsieur Dembre. Il se trouve que depuis quelques temps, l'ensemble du corps enseignant remarque des brimades ou au moins des propos blessants qu'auraient les camarades de Tiffany à son encontre durant les temps libres en commun. Au-delà de ce qui peut habituellement se produire entre des enfants de cet âge, j'entends.
- Mais que... mais pourquoi ?
- Quel genre de brimades ?

Les questions des deux parents se sont croisées, posées avec un ton inquiet où couve la colère. L'institutrice s'efforce de répondre à tout, voulant surtout conserver le calme durant l'entretien. Cette famille est aimable, l'une des plus dévouées de l'établissement en ce qui concerne les activités organisées conjointement par les parents et le corps enseignant, aussi la jeune employée savait qu'elle ne courait pas trop de risques en les convoquant. La nouvelle n'est pas plus simple à annoncer pour autant.
- Des plaisanteries sur le fait qu'elle n'ait pas encore de pokémon, ce genre de choses. J'ai cru bon de vous avertir car certains canulars atteignent parfois une cruauté non négligeable. Nous nous efforçons de réguler la situation dès que nous constatons un problème bien sûr, mais il nous a semblé opportun de vous faire prendre conscience de la situation.

Devant la mine atterrée des parents, l'institutrice enchaîne son compte-rendu plus rapidement afin de couper court à ce pénible moment. Elle se doute également que les questions ne sont pas finies.
- Votre fille va mal. Ses résultats scolaires sont toujours aussi satisfaisants, mais je pense que l'école n'est plus un lieu sûr dans son esprit. Il est important de remédier rapidement à cette situation ; comme vous le savez, elle a encore deux années scolaires à passer ici et au sein de la même classe. Nous sommes un trop petit établissement pour constituer plusieurs groupes de même niveau.
- Je vois, souffle le père qui paraît au contraire être perdu. Que pouvons-nous y faire de notre côté ?
- Avez-vous envisagé de lui confier un pokémon, avant son dixième anniversaire je veux dire ? C'est une pratique de plus en plus courante, et si ça ne résoudra sûrement pas tous les problèmes cela peut lui apporter beaucoup de réconfort.
- Nous y avons songé bien sûr, mais Tiffany nous dit qu'elle attend de trouver le bon. Grands Légendaires, elle avait essayé de nous en parler à la rentrée, mais jamais nous n'aurions pensé que c'était si grave...
- Nous avons déjà essayé de l'aider, renchérit la mère abasourdie. Lorsqu'elle s'est confiée, nous avons demandé à sa cousine Cassy qui est dans sa classe de veiller sur elle. Nous espérions que...
- Cassy ? interrompt l'enseignante les yeux ronds.
- Euh... oui. Pourquoi, cela n'a pas fonctionné j'imagine ?

Leur interlocutrice passe de l'un à l'autre quelques instants, ses mouvements de tête accompagnant son regard éberlué. Elle semble ne pas savoir comment reprendre la parole. Finalement, elle recommence à parler d'un ton extraordinairement hébété.
- Il se trouve que mes collègues et moi-même avons constaté qu'apparemment, c'est la petite Cassy qui a pris la tête de ces persécutions envers Tiffany.


- Allez, suis-nous ! Arrête de faire ton roucool mouillé !

La petite blonde trottine devant, attentive à ne pas se laisser distancer par le garçon qui les accompagne. L'autre leader de leur groupe, Manuel, qui ne manque jamais une occasion de se moquer de Tiffany. Ou de suivre Cassy partout comme un gentil rocabot.
La fluette brune les suit de plus loin, beaucoup moins enthousiaste à l'idée de cette promenade en plein sous-bois. Bien que sa cousine l'ait convaincu de participer à l'expédition, et qu'elle n'a pas osé s'y soustraire de peur des réprimandes, Tiffany n'ignore pas qu'elle est bel et bien sans le moindre pokémon dans une partie de nature sauvage. Donc susceptible de se faire attaquer.
- Tu sais ce qu'on raconte ? poursuit Cassy avec nonchalance. C'est demain Halloween, il parait qu'il est plus facile de la voir depuis un mois. Elle sort en plein jour maintenant, et dès la tombée de la nuit elle reviendra en ville pour tout un jour et toute une nuit. Jusqu'à l'aube de novembre.
- Tu as trop lu tes contes de fée, rétorque Tiffany qui essaie de se montrer brave.
- Elle existe ! reprend Manuel toujours d'accord avec sa petite chérie en rose. Et on va la capturer, cette sorcière !

Les enfants avancent d'un bon train dans les sous-bois, l'hélionceau de Manuel ouvrant la marche. La Lippouti de Cassy s'est apparemment endormie dans les bras de sa dresseuse qui ne s'en soucie absolument pas. Les deux enfants ont assuré à Tiffany qu'ils connaissaient la route, mais elle commence à en douter au fur et à mesure qu'ils s'enfoncent.
- On est encore loin ?
- Plus trop, plus trop, assure Manuel.

La marche continue. L'obscurité se fait de plus en plus dense, Tiffany croit distinguer des silhouettes dans toutes les ombres. Au loin, un Cornèbre croasse de façon sinistre.
- C'est le signal, chuchote Cassy qui semble impatiente d'arriver. On est tout près de l'antre de la Sorcière.

Comme s'il s'était agit d'un plan des plus précis, Manuel accélère le rythme dans la direction approximative du cri qui se répète à intervalles irréguliers. Cassy ronchonne à cause des feuilles qui se sont prises dans sa nouvelle jupe pailletée, mais le fait qu'elle ne hurle pas prouve à quel point tout cela est sérieux. Tiffany est de moins en moins rassurée. Sauf que si elle abandonne maintenant et rebrousse chemin, les moqueries seront dix fois pires à peine le pied posé dans la cour.
Ses deux accompagnateurs s'immobilisent soudain au pied d'un petit talus. Manuel grimpe de quelques centimètres, jusqu'à risquer de passer la tête de l'autre côté. Cassy attend son rapport, mais vient le rejoindre dès qu'il indique qu'il n'y a pas de danger. Seule Tiffany hésite.
- Dépêche-toi de monter, on y est ! chuchote sa cousine en constatant qu'elle ne vient pas.

Vaincue par le ton impétueux, la brune menue les rejoint péniblement. Une fois posée en équilibre instable sur le haut du talus, elle constate qu'ils se trouvent aux abords d'une clairière beaucoup mieux éclairée qu'elle ne l'aurait cru. Les arbres sont suffisamment espacés pour que le soleil perce à flots, contrairement au reste des sous-bois. Les rayons tombent directement sur la façade d'une masure pratiquement en ruines, qui devait être la demeure de paysans dans un temps très lointain mais est désormais totalement à l'abandon. Le lierre a totalement étranglé les murs, de pierre ou d'une autre matière impossible de le déterminer, et les fenêtres ne doivent plus laisser passer qu'une semi-pénombre tant elles sont obstruées. Mais c'est bien de cet endroit que viennent les cris de Cornèbre, qu'on entend à présent très distinctement. Le pokémon vol et ténèbres doit se trouver dans l'un des arbres à la lisière de la clairière, ou de l'autre côté de la maison toute verte.
- Voilà, c'est là qu'habite la Sorcière, commente Cassy sans lever le ton. Alors tu entres, et tu nous rapportes une preuve que tu as bien tout exploré. Un objet précieux, ou une de ses potions par exemple.
- Mais c'est dangereux ! lance Tiffany épouvantée.
- Mais non, on l'a tous fait, assure Manuel en levant les yeux au ciel. Si tu veux faire partie de notre club, tu dois prouver que tu mérites d'y entrer.

C'est vrai qu'ils ont promis, si Tiffany mène à bien sa mission les moqueries cesseront. Elle sera intégrée au cercle de sa cousine, et ils seront tous amis. Amis.
- En plus, la Sorcière n'est jamais dans sa maison à cette heure, renchérit Cassy. Il n'y a aucun risque.

La brunette rassemble donc son courage, et s'apprête à glisser le long de la pente pour s'approcher de la bicoque en ruines. Lorsqu'ils entendent quelque chose se briser à l'intérieur, comme si on avait fait tomber de la vaisselle par terre.
Elle est vraiment là.
Tiffany s'apprête à mieux se cacher derrière le talus, lorsqu'elle sent au contraire une poussée dans son dos. Assez forte pour la faire dévaler l'autre versant, et atterrir dans l'herbe du mauvais côté. Le temps de se remettre de la chute et de se relever, elle entend un rire cruel dans son dos puis les deux autres enfants s'enfuir dans la forêt.
- Non, revenez !

Elle a imploré en chuchotant, mais sait très bien que sa chute a de toute façon fait suffisamment de bruit pour alerter n'importe qui aux alentours. La porte s'ouvre déjà à la volée, pour laisser voir dans l'encadrement...
Une silhouette brumeuse, des pieds silencieux sur le sol, une bouche s'ouvrant dans un grincement, et deux yeux... roses.
- Je te reconnais !

Le pokémon sur le seuil hésite un instant, fronce ce qui lui tient lieu de sourcils, puis son visage macabre paraît s'éclairer. Avec un gémissement plaintif qui pourrait passer pour un rire, elle se précipite vers la fillette pour l'aider à se relever. Elle est soit heureuse, soit inquiète que la petite se soit fait mal. Ou les deux à la fois.
Un Cornèbre, celui dont les cris ont guidé le trio jusqu'ici, vient se percher sur le toit de la chaumière. Il penche la tête sur le côté, manifestement perplexe. Un dialogue s'installe entre eux tandis que le pokémon spectre remet Tiffany sur ses pieds, avec une force surprenante. Les croassements de l'oiseau semblent agacer la Branette, qui pourtant ne refuse jamais de lui répondre. La petite humaine a la confuse impression qu'il s'agit d'une sorte de jeu entre eux.
Branette vient finalement se planter en face de Tiffany, avec une expression interrogative sur le visage et les mains sur les hanches. Elles ne peuvent pas se parler, mais le message est clair.
- Tu es vraiment gentille. Merci encore.

Le spectre plein de griffes, de coutures et de bouche noire semble fondre à cette réponse. Elle a manifestement reconnue la fillette sauvée l'année précédente.
Les yeux retrouvent cet océan de douceur qui avait déjà happé Tiffany à l'époque. Pour la première fois depuis de longues semaines, l'enfant sent un vrai et franc sourire se former sur son visage.


- Mais je t'assure, elle n'est pas méchante !

Tiffany a l'absurde impression de rejouer une scène vieille de plusieurs mois. En face d'elle, son frère, apparemment toujours dubitatif, se tient debout à l'entrée de sa chambre. Il a croisé les bras à la manière de son Escroco, qui couve la fillette de son regard mi-tendre mi-moqueur derrière son dresseur.
Elle est toujours ravie de revoir Julien, qui a entamé son voyage initiatique il y a longtemps et ne rentre que rarement dans sa ville natale. Un jeune homme dans la fleur de ses quinze ans, bien parti pour se spécialiser dans le type Ténèbres. Tiffany s'enfonce un peu plus dans la douce fourrure de Pandarbare, qui a enfin évolué après tout ce temps aux côtés d'Escroco. L'enfant adore cet immense ours qui se comporte avec elle comme une peluche.
- Les pokémons spectres altruistes, c'est très rare, reprend Julien. Tu es certaine qu'elle voulait t'aider ?
- Bien sûr que oui, râle sa petite soeur serrée contre le ventre tout chaud. D'ailleurs, j'aurais eu du mal à rentrer sans son aide je pense. C'est Branette qui m'a guidée à travers la forêt, elle n'était pas obligée tu sais.
- Certes. Tu as d'ailleurs fait une sacrée frayeur à papa et maman, en disparaissant comme ça pratiquement un après-midi entier.
- Je n'ai pas vu le temps passer, admet Tiffany. Je ne m'étais plus amusée avec personne depuis longtemps comme ça. D'ailleurs Branette a un ami Cornèbre, très gentil aussi, qui a joué avec nous et...
- Essaie de ne plus y retourner, d'accord ? Je n'ai toujours pas confiance en cette Branette. C'est un pokémon trop puissant pour laisser une enfant de ton âge seule avec elle.
- Là, tu es injuste, grand frère, geint la petite. Je trouve qu'elle a pourtant tout fait pour la mériter, notre confiance !
- Et la première fois que tu l'as rencontré, et qu'elle t'a fait si peur ?
- J'ai déjà dit que ce n'était pas elle, mais personne ne m'a écouté !

L'adolescent soupire, sentant bien que ça ne va pas être simple. Il vient s'asseoir en tailleur sur le tapis de sa soeur, qui a recommencé à jouer avec la fourrure si douce.
- Bon, alors je t'écoute cette fois. Qu'est-ce qui s'est passé l'année dernière, lorsque tu t'es perdue ?
- Pour commencer, je me suis perdue, indique Tiffany d'une logique implacable.
- Merci, j'avais remarqué. Ensuite ?
- Je me suis fait attaquer. Par deux pokémons spectres.
- Ce n'était pas plutôt Branette et Cornèbre, par hasard ?
- Non, c'était deux spectres je t'ai dit ! rétorque la petite fille, de nouveau boudeuse. Un fantominus et un tutafeh. Branette a entendu que je leur demandais de partir, mais ils continuaient de s'approcher de moi. Alors c'est elle qui les a chassé. Je l'ai remercié et je voulais qu'elle reste avec moi, mais vous êtes tous arrivé et oncle Eric a sorti son Démolosse tout de suite. Le temps que j'essaie de vous expliquer, Branette s'était déjà sauvée. Et si elle avait été méchante elle aurait pu rester et se battre, je te signale.
- Certes, admet le jeune homme désormais perplexe.
- En plus c'est ce Démolosse qui est trop violent, reprend l'enfant. Une fois il t'a même brulé quand tu étais petit, tu te souviens ?
- Ah ça ! J'en garde encore la marque, s'amuse Julien. Mais comment tu t'en rappelles, toi ? Tu étais haute comme trois baies.
- C'était marquant, surtout les hurlements de papa après quand il s'est disputé avec oncle Eric.
- Certes, prononce le jeune homme une seconde fois.

Il ne sait plus quoi penser. Les spectres sont des pokémons dangereux et terrifiants, tout le monde le sait. Lorsqu'ils sont domestiques, leurs dresseurs sont souvent mal vus car eux-mêmes effrayants ou au moins très étranges. Sadiques même, parfois.
Oui, mais. Il y a le récit de sa petite soeur.


Le croassement du Cornèbre transperce la nuit noire.
Ou peut-être était-ce le cri d'une grenousse ? Tiffany préférerait que ce soit Cornèbre. Elle a même l'impression d'entendre un battement d'ailes ensuite.
Elle essuie ses larmes presque rageusement. Demain elle doit retourner à l'école, et elle n'est toujours pas endormie. Ceci expliquant d'ailleurs cela. L'enfant tourne et retourne comme à chaque fois, avant de s'arrêter sur le côté. Elle ferme les yeux, elle essaie vraiment de dormir. Ne serait-ce que pour faire disparaître les cernes honteux.
Un grincement, puis un souffle. Elle rouvre les paupières, pour s'apercevoir que sa fenêtre s'est entrouverte. Comment est-ce possible ? Puis elle voit une ombre, une silhouette brumeuse se découper dans l'embrasure. Une tête, puis un corps presque plus fin se dessinent. La créature bondit souplement dans la pièce, se fond dans l'obscurité et vient silencieusement se glisser dans le lit.
- Branette...
- Braaaaa.

L'enfant serre fort le pokémon entre ses bras, comme s'il s'agissait d'une poupée, puis trempe le corps gris de ses larmes. Cela lui fait plus de bien qu'à l'accoutumée, surtout que la créature lui rend rapidement son étreinte. Une main de tissu lui tient le dos et la berce, la seconde caresse les cheveux châtains foncés.
Une sorte de sifflement discret sort de la bouche cousue, comme une berceuse. Tiffany s'endort rapidement dans les bras spectraux.


- Je suis même pas sûre qu'un quelconque professeur voudra bien te donner un pokémon pour tes dix ans.

La conversation a repris sur le même ton qu'à l'accoutumée. Le sujet est toujours le même.
Bien entendu, ni Cassy ni Manuel ne mentionnent une seule seconde qu'ils ont laissé Tiffany seule dans la forêt la veille. Elle envisage l'idée de le dévoiler puis de s'enfuir, avant de décider d'attendre l'instant fatidique. Sa charmante cousine peut faire pire en terme de moqueries, bien pire. Mieux vaut garder une bonne carte dans sa manche.
- Ah au fait, je ne t'ai pas dit, pour mon invitation de ce soir... commence Cassy d'un ton faussement désolée.
- Oui ? soupire Tiffany, qui sait bien qu'elle n'a reçu sa carte que parce que tante Phyllis l'avait mise sur la liste des invités d'office.
- C'est une fête réservée aux dresseurs. Donc toi, sans aucun pokémon, tu ne vas pas pouvoir venir.

La peste blonde enrubannée de partout sait magistralement jouer la contrition, mais ce n'est pas le cas de son parterre d'admirateurs déjà goguenard. Tiffany s'apprête à jouer son atout et retourner se cacher dans un coin tranquille pour manger sa collation, lorsqu'elle aperçoit l'oiseau ténébreux se poser sur une branche non loin. A la surprise générale, un large sourire se peint sur le visage de la cousine bizarre.
- Ne t'inquiète pas Cassy, je viendrais avec mon pokémon.
- Tu n'en as pas ! crache la blondinette qui perd soudain de sa nonchalance feinte.
- Vous avez vu ça ?

Tiffany pointe du doigt le muret d'enceinte de l'école, derrière le groupe de tourmenteurs. Certains croient à une diversion, mais beaucoup se retournent. Et pâlissent derechef.
Une ombre. Perdue dans les brumes, une horrible silhouette se dessine peu à peu. La créature inconnue ne semble pas se soucier des barrières matérielles telles que de vulgaires objets, passant à travers la paroi de briques comme le ferait de la fumée. Emmitouflés dans leurs manteaux bariolés, beaucoup d'enfants reculent déjà. La silhouette s'avance, d'une démarche traînante comme un pantin désarticulé. L'une des jambes grise est traînée derrière le corps, parcourue d'une couture ouverte comme si elle était fêlée. Les mains se tendent vers les bourreaux les plus acharnés de Tiffany, qui trouvent soudain que les beaux yeux de Cassy ne valent pas tant d'efforts. La tête dodeline au rythme des pas lents, la bouche se fend dans un horrible crissement sur un sourire mauvais. Les plus courageux qui pouvaient encore être restés s'enfuient en voyant le regard flamboyant se poser sur chacun d'eux.
Tiffany se retrouve vite seule face à l'ombre. Son sourire s'élargit encore.
- C'est vrai que les spectres reviennent en ville, aujourd'hui, souligne-t-elle.

Elle pouffe en pensant au gentil Halloween qu'elle va passer, et Branette qui avait soigné son entrée mais a désormais retrouvé une apparence plus ordinaire émet un son qui pourrait passer pour un gloussement. La créature spectrale met aussi ses mains devant son immense bouche, comme une enfant taquine prise en faute.
Tiffany a désormais toute la place qu'elle veut pour son goûter. Elle sort donc de son sac deux petites viennoiseries dorées, et tend loyalement la première à Branette qui l'a si bien aidée.
- Tiens, c'est un pain au chocolat. Ma maman trouve que je ne mange pas assez, alors elle me donne toujours plein de choses pour l'école.

La pokémon paraît perplexe face à l'aliment qu'on lui propose, mais le saisit finalement à deux mains. Elle mord avec circonspection dans son pain, se couvre de miettes, savoure sa première bouchée, puis engloutit beaucoup plus rapidement tout le reste. Tiffany rit de nouveau à ce spectacle.


L'enfant blonde semble hésiter à la laisser entrer. Sa cousine a pourtant son invitation à la main, elle s'est même déguisée comme stipulé dans le message. Le chapeau et la robe de sorcière ont été cousus par sa mère, qui l'a aussi maquillée avec beaucoup de soin. Bien évidemment, ce n'est rien face au visage de Cassy qui dégouline littéralement de couleurs criardes, l'enfant transpirant déjà abondamment dans sa robe si encombrante de princesse. Des paillettes partout, tellement de tissu que Cassy est désormais plus large que haute, du rose, du rose, du rose. Et un diadème dorée, avec de fausses pierres précieuses roses, dans les cheveux. Couverts de paillettes.
- Je te l'ai déjà dit ce matin, Tiffany, essaie la peste. Tu ne peux pas venir à ma fête sans pokémon, il en faut au moins un.
- Mais j'en ai une, Cassy, affirme la fausse sorcière qui se pousse pour laisser voir la vraie.

Pour une fois sa cousine est véritablement soufflée. Branette se tient bien droite, légèrement en retrait derrière Tiffany comme tout pokémon bien dressé. Contrairement au matin même, elle apparaît cette fois dans la première forme que lui a connu l'enfant brune. Le corps et les mains sont d'un rose que Cassy elle-même ne renierait pas, les coutures dorées se sont multipliées et la spectre atteint désormais la taille de Tiffany presque au centimètre près.
Avant que sa cousine ne trouve une autre bonne excuse pour la renvoyer chez elle, sa mère se présente à la porte et invite sa nièce à entrer avec de grands gestes. Voir autant d'enfants dans sa maison la réjouit apparemment. Tiffany se laisse embrasser, en précisant bien que Phyllis ne doit pas abîmer son maquillage. La tante reste quelques instants interdite devant Branette, mais ne fait aucun commentaire avant que le duo ne se dirige vers le salon.

La fête y bat déjà pratiquement son plein, entre les enfants presque tous arrivés et les quelques parents venus les accompagner dans la quête de confiseries annuelles. Chacun a son seau vide, on vérifie les accessoires des costumes, on attend les derniers invités. Tiffany a même le courage de parler aux quelques élèves de la classe encore neutres à son égard et sur la liste de Cassy. Un nombre restreint, donc. Branette s'applique à la suivre un moment, provoquant l'admiration chez les enfants les plus enthousiastes et la crainte chez les parents les plus peureux. D'autres élèves, des intimes de Cassy, grommellent de loin en voyant un pokémon évolué suivre de si près leur souffre-douleur.
Cassy elle-même n'entend pas laisser sa cousine s'en tirer à si bon compte. Dès qu'elle n'a plus personne à accueillir sur le perron, elle fonce vers la sorcière et sa pokémon spectre. La cousine désormais rouge de sueur, tant à cause de la chaleur d'une pièce contenant une vingtaine de personnes que de la robe bouffante, se plante sans vergogne devant Branette et l'examine sous toutes les coutures.
- Elle est moche, ta pokémon, assène-t-elle finalement avec dédain. Mais pas aussi effrayante que toi, c'est sûr.

Le groupe habituel reprend ses ricanements favoris, sauf que cette fois Tiffany ne compte pas se laisser faire. Plus jamais. Elle a le pokémon le plus fort de toute la pièce, le seul spécimen évolué de sa classe, et elle a une amie.
- C'est vrai, je suis effrayante. J'ai réussi à convaincre un pokémon de type spectre de me rejoindre, moi je n'en ai pas peur et je vaincrai tous mes adversaires avec elle quand je partirai en voyage. Toi, tu es pathétique. Tu as acheté ton pokémon, ou plutôt tu as fais un caprice pour qu'on te l'achète, parce qu'au fond tu sais très bien qu'aucun d'entre eux ne t'aurait choisi.

La cousine bizarre, aux yeux toujours cernés, quasiment muette la plupart du temps, jette un regard au Lippouti encore dans les bras de sa dresseuse. Le pauvre pokémon est affublé d'un noeud violet au sommet de son crâne, qui jure terriblement avec le rose de son corps. En plus, la minuscule femelle Psy et Glace commence à trembler face au regard de Branette qui se passe une langue fantomatique sur ses lèvres en forme de couture.
- Et ma Branette, elle éclate ta Lippouti en une seule attaque.

L'assertion, prononcée cette fois dans un silence de mort, est très certainement vraie. Entre le type des protagonistes, et l'affrontement entre un pokémon sauvage évolué et un bébé né en captivité, l'issue ne laisse pas beaucoup de place au doute.
Tiffany tourne les talons, certaine cette fois de ne pas être poursuivie par des moqueries. Tant pis pour l'image qu'elle a donné, à Halloween toutes les horreurs sont permises. Plus jamais Branette ne laissera quelqu'un lui manquer de respect de toute façon.
L'enfant dans son costume de sorcière pioche une première friandise sur le buffet au centre de la pièce, la sort de son emballage et savoure son goût de victoire. Le caramel lui colle légèrement aux dents, elle n'en est toujours pas débarrassée lorsqu'elle va jeter le papier dans la poubelle de la cuisine avec Branette et repart. Sans sa pokémon.

Le temps que Tiffany note l'absence de sa protectrice d'un jour, elle est obligée de revenir sur ses pas. Elle retrouve le spectre toujours rivée devant la poubelle, contemplant apparemment la pile d'ordures qui s'y entasse.
- Branette, qu'est-ce que tu fais ?

Le temps qu'elle pose la question, l'enfant a remarqué l'objet que la pokémon tient dans sa main. Derrière elles, le groupe enfin au complet s'agite pour le départ de la tournée des maisons. Tiffany s'approche donc, pressée de comprendre.
- Qu'est-ce tu as trouvé ? Ah ça, je pense que c'est la poupée ballerine que Cassy a reçu pour son anniversaire. Ses jouets tiennent rarement plus d'un mois tu sais.

Branette relève la tête vers l'enfant, lentement, très lentement. Tout simulacre de sourire, toute joie a disparu de ses traits. La bouche est fermée en un trait fixe, cette fois elle ressemble vraiment à un fantôme.
Elle cherche quelqu'un du regard, c'est évident. La poupée spectrale observe un moment puis repère Cassy, voyante dans sa tenue surchargée de paillettes. La main aux griffes rose vif se serre convulsivement autour de la pauvre relique, qui se met à fumer. Les restes de la poupée tombent rapidement en cendres dans la poubelle toujours ouverte.
- Qu'est-ce qu'il y a, Branette ? Raconte-moi, parle-moi !

La voix de Tiffany paraît avoir une sorte d'effet bénéfique sur l'intéressée. Elle parvient à arracher son regard de Cassy, pour plonger ses yeux rougeoyants de colère dans ceux de l'enfant.

- Une poupée princesse !

La fillette sort à toute vitesse le jouet du paquet coloré et plaque sa nouvelle amie contre son coeur. Les yeux de verre sont aussi clairs que les siens, sa chevelure est d'un blond miel presque identique à celle de l'enfant.


Tiffany connait cette enfant. Bien sûr qu'elle la connait. Les yeux bleus, les cheveux blonds. Oh non.

L'enfant court avec sa poupée dans les couloirs de la maison, elle passe trop près d'une poignée de porte. Le jouet est fragile, le choc est violent. Une partie de la robe se prend dans le montant, ouvrant une large déchirure et semant la dentelle. La jambe gauche vient se fracasser contre le métal, laissant une faille béante dans la porcelaine auparavant immaculée.

Cassy fait tourner sa nouvelle poupée princesse, encore toute brillante de la poudre argentée dont l'a parée le vendeur pour les fêtes.
- Tu seras toujours ma meilleure amie, Rosie !

Le pauvre jouet est laissé dans un coin de la chambre tandis que la fillette s'amuse à prendre le thé avec des amies. Deux ou trois peluches sont attablées avec les petites humaines. L'une d'entre elles pointe soudain le doigt vers la poupée en porcelaine.
- Et elle ?
- Tu rigoles, elle est super moche maintenant ! décrète Cassy. Pas assez soignée pour prendre le thé.
- On pourrait la recoiffer, suggère une autre invitée. Elle serait déjà mieux.
- Faut lui enlever ses boucles alors, c'est trop démodé.
- Tu as raison ! Maman se sert d'un fer à lisser pour ce genre de cas, je vais le chercher.

Aussitôt dit, aussitôt fait. Les fillettes laissées pratiquement sans surveillance, n'ont pas de mal à se saisir de l'instrument, le brancher et le faire chauffer pratiquement au maximum. Lorsqu'elles s'en servent sur la poupée, évidemment l'instrument est trop chaud. Au lieu de devenir lisses, les cheveux se détachent à chaque passage jusqu'à ce que le jouet soit pratiquement chauve.

L'obscurité. Rien n'est distinguable dans cette nuit noire.
Il faut un temps infini pour qu'elle ouvre les yeux. Mais elle s'aperçoit enfin que ce sont les étoiles qu'elle voit briller loin au-dessus de sa tête. La princesse se redresse péniblement, sentant véritablement la douleur de sa jambe. Qui macère dans une substance noirâtre qu'elle préfère ne pas identifier. Tout son corps est gris poussière, le vent est perceptible sur son crâne nu, elle bouge.
Autour d'elle s'étend à perte de vue des montagnes d'ordures, investie par les pokémons sauvages les plus répugnants. Le type poison est le plus représenté, mais il est suivi de près par les ténèbreux cornèbres cherchant leur pitance et même, les immondes spectres qui doivent faire si peur à une princesse comme elle.


Tiffany revient à la réalité avec l'impression d'avoir couru pendant des heures. Branette est toujours au comble de la rage, mais c'est parfaitement compréhensible. Elle a reporté son regard sur Cassy à l'autre bout de la pièce.
La pokémon manque de bousculer sa nouvelle amie en se dirigeant vers son ancienne propriétaire.
- Branette, non !

L'enfant, du haut de ses huit ans, s'empare d'une main griffue et tire de toutes ses forces, au point de forcer le spectre à se retourner pour lui faire de nouveau face. Dos au salon, dos à la ridicule princesse étouffant sa Lippouti dans ses bras. Son nouveau jouet, jusqu'à ce qu'elle soit lassée.
- Elle ne te mérite pas. Elle ne t'a jamais mérité.
- Nette ! rétorque le spectre manifestement toujours décidé à passer sa fureur.
- Elle ne mérite pas cette colère ! Ecoute-moi, elle t'a peut-être abandonnée mais je t'ai trouvée ! Et tu as fais plus pour moi qu'elle n'a jamais pu te faire de mal. Alors ne fais pas quelque chose qui t'obligerait à repartir loin des humains, d'accord ? Je veux que tu restes !

La fillette sent les larmes monter, au fur et à mesure qu'elle prend conscience de ce qu'elle dit. Tout est vrai, absolument tout. Branette doit le savoir aussi, au point que le bras tendu en direction du salon une seconde auparavant est désormais mou entre les mains minuscules. Comment savoir si un spectre est ému ?
- Je ne veux pas que tu repartes, répète Tiffany dans un sanglot.

Elle se jette dans les bras de Branette, qui referme les siens autour du corps menu. Une poupée reste une poupée, même toute cassée et abîmée.
- Est-ce que tu ne peux pas rester après cette nuit ?
- Braaaaaa.


L'enfant trottine vers la porte de sa maison, son seau en forme de chaudron plein à craquer de confiseries. Elle n'a pas le temps de l'ouvrir que ses parents, qui l'attendaient, ouvrent.
- Alors ma chérie, cette collecte ?
- Super ! assure Tiffany en exhibant son butin. Et j'ai aussi trouvé une idée de cadeau pour Noël !
- Déjà ? s'amuse la mère. L'année dernière nous avons eu du mal à en avoir une à temps.
- Cette fois je veux une poké ball !

Le couple s'entre-regarde, intrigué. Ils viennent de passer la journée à ressasser leur dernier entretien avec l'institutrice, mais ils n'auraient jamais cru que le sujet reviendrait si vite.
- Et pourquoi donc ? ose finalement le père.

Tiffany soupire comme pour signifier aux adultes qu'ils ont vraiment des questions étranges parfois, tire la créature méga-évoluée de l'ombre et la présente à ses parents éberlués.
- Pour mettre Branette dedans, bien sûr !