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Vagues à l'âme [O-S] de Kitsuninu



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Informations

» Auteur : Kitsuninu - Voir le profil
» Créé le 24/09/2017 à 00:37
» Dernière mise à jour le 24/09/2017 à 00:58

» Mots-clés :   Absence de combats   Hoenn   One-shot   Présence de personnages du jeu vidéo

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Vagues à l'âme
........Alors que l’astre solaire, tel l'auréole d'une divinité curieuse, penchait ses mèches de feu sur l’océan latent, les portes de l’horizon s’ouvrirent sur un vaisseau rutilant de crépuscule. Les flots se fendaient à son approche ; l’œil brûlant du soleil lissait sa coque de chêne. Toute verticalité semblait s’éclipser à sa venue : les moutons d’écume campaient dans leurs prairies, les lèvres marines couvraient leurs dents de roc. Seule présence en ces lieux, pas une âme, pas un corps. Il régnait en despote.
....Face à un tel tableau, toutefois, le regard du spectateur est aisément floué ; dans un souci de réalisme, il convient donc de laisser de côté lumières et paysages afin de se fixer sur le centre, l’ultime sujet de notre épopée : le vaisseau.
....En fait de vaisseau, il s’agissait plutôt d’un navire. Voire, maintenant qu’on l’observait sans fioritures, d’un bateau. Dont le chêne précieux semblait un peu plus terne, et que les vagues paraissaient ballotter légèrement…

......Un tout petit bateau.

..Qui grinçait en rythme, quoique tenant le cap. Emporté par le vent...

......Tout petit…

..Seul face aux éléments, mais vaillant… ?

......Riquiqui…

.....

....… En clair, un esquif. Une barque, un canot, un rafiot qui se faisait fendre par les flots plutôt que l’inverse, et ne détenait en guise de passagers qu'un jeune écervelé plein de hargne - qu'il déversait par ailleurs sur les pauvres rames innocentes de notre malheureuse chaloupe. Bien loin de conquérir les sept mers, le garçon semblait, au contraire, se hâter de laisser quelque chose derrière lui. Une terre ? Une famille ? Des regrets ? Lui seul était en mesure de le savoir, ainsi que, peut-être, le carnet de cuir noir qui dépassait de sa poche.

*
*.....*

........« Ô Lavandia Sea, au petit matin tu te dresses... »

....Au son de notre hymne, mes yeux s’écarquillent, comme si ma nuit de sommeil n’avait duré que quelques secondes.
..Je me redresse en m’étirant. Ce n’est peut-être pas si éloigné des faits que ça, à bien y réfléchir ; je me suis tourné et retourné en boucle dans ma couchette sans parvenir à m’endormir, pendant ce que j’estime avoir duré plusieurs heures.
..Un soupir m’échappe alors que je lève les yeux vers le calendrier. 24 septembre : dernière journée de travail à bord du Lavandia Sea pour le chef de section Marius Kosmo…

........« … Notre fierté, notre forteresse… »

....Deux bonnes minutes s’écoulent pendant lesquelles je fixe le mur d’en face avec des yeux éteints. Je n’arrive pas à réaliser que dans quelques heures, il me faudra plier bagage et quitter le bâtiment, à tout jamais. Le Lavandia Sea est devenu comme une seconde maison pour moi - enfin, pour être tout à fait honnête, ma résidence principale -, et l’avenir sans ce travail, sans cet univers me semble vide et dénué d’intérêt.
..Oh, j'ai une famille, bien sûr, mais…

........« Règle d’or n.10 : Ne pas réfléchir ; travailler. »

........Je secoue vivement la tête, agacé par mes propres jérémiades. C'est le dernier jour, il faut en profiter, et le travail n’attend pas. Ma mélancolie ne peut pas ralentir tout le groupe… d’autant que tout le monde se trouve dans le même état.

........« Ô Lavandia Sea… »

........Je me lève, me rends présentable en l’espace de quelques minutes et sors de la cabine en claquant la porte.

........« … Donne-nous ton énergie. »

*
........Archibald Kosmo grimace en relisant les anciens rapports d'investigation de son agent. Il avait réagi trop tard. À l’époque, ç’aurait été simple, oh, si simple de se débarrasser discrètement du gêneur ! Et on n’en serait pas là, à adresser des sourires forcés aux copains tout en sachant très bien que ce soir, chacun s’en ira la tête basse et le cœur lourd, dans un foyer qui a, depuis longtemps, cessé de l'attendre pour subsister. Il avait toutes les cartes en main. Alors, bon Arceus, qu’est-ce qui avait bien pu l’empêcher d’agir ?
....Le papier à lettre se froisse entre ses doigts parcheminés. Au fond, il sait très bien pourquoi. Jamais le vieil Archi n’aurait voulu décevoir Poupe, jamais il n’aurait osé aller au bout de la chose, même si ça signifiait tirer une croix sur ce bel idéal qu’est le Lavandia Sea. Et pourtant, il avait repris contact avec ses vieux “camarades”.
....Finalement, tout ça n’aura servi à rien. Le projet du LS, la magnanimité de Poupe… Du vent.
....Dans un mouvement de rage, Archi Kosmo précipite le dossier “CONFIDENTIEL” au fond d’une armoire qu’il ferme à double tour. Les poings serrés, il garde les yeux rivés sur la porte en métal, des yeux qui fusillent, des yeux coupables. Archi Kosmo est un incapable.

........La porte s’ouvre brusquement sur Marius et lui arrache un sursaut. Un sourire vient étirer les lèvres du vieil homme, mais son fils ne s’y méprend pas : il lit toute la tristesse de son paternel dans ses yeux ternes, ses épaules courbées, ses soupirs silencieux. Si la fermeture de l’endroit cause un deuil général, pour l’ancien, c'est une part de son âme qui s’éteint. Ce projet, c'était sa rédemption, son espérance, sa renaissance ; et voilà que le fondateur même de sa nouvelle maison l’étouffe en plein essor !
....Kosmo senior prend un air pensif. Il lui semble bien que le cap'taine voulait s’entretenir avec lui à ce sujet. Bien qu’il ne voie pas trop quoi rajouter ni ne souhaite de réconfort - on n’est plus à ça près -, il redresse sa carcasse rouillée et s’approche de la porte. Puis semble se rappeler quelque chose d’important, se retourne à demi.

....« Tu félicit’ras Vulnus de ma part en passant dans l’secteur du 1, hein ? »
....Il marque une pause. « Pis, oublie pas d’envoyer le caillou au gosse. Et attention aux algues. »

........Avant que l’intéressé puisse répondre, il disparaît derrière la porte.

*
........Je secoue la tête et soupire en souriant. Ça faisait déjà un bail que j’avais fait livrer la petite météorite à Hippolyte, mais le vieux bouc n’écoute qu’une fois sur deux. Il serait bien incapable de se souvenir du nom de son propre petit-fils...
....Tout en me préparant un café, je repense à la dernière phrase de mon père. “Fais attention aux algues”, c'était une vieille blague entre nous, qui datait du jour où, petit, j’étais parti à la pêche et avais accroché mon hameçon dans un amas d’algues que j’avais pris pour un Pokémon. Sans que je m’en rende compte, le moulinet avait commencé à remonter la ligne tout seul, ce qui faisait que les plantes se rapprochaient doucement ; d’abord intrigué, j’ai commencé à reculer, puis, comme les algues se rapprochaient sans cesse, à courir ; évidemment, elles suivaient mon rythme, mais j'étais incapable de le comprendre et avait atteint dégoulinant de larmes le ponton où mon père révisait son canot. Celui-ci m’avait d’abord dévisagé d’un air incrédule, avant de remarquer les plantes qui flottaient derrière moi ; sur quoi il était parti d’un grand rire et m’avait gentiment taquiné. Depuis, il me ressort cette phrase à la moindre occasion. Ici, c'était probablement sa manière à lui de m’avertir qu’il ne fallait pas que je rumine trop mon licenciement...

........« Règle d’or n.3 : Pénalités de retard, bonus d’heures sup. »

........Je quitte la pièce avec un soupir et ma tasse de café.

¤
........Après m’être assuré que tout se passait bien pour le groupe d’Excavation, je suis monté sur le pont, histoire de me changer les idées. J’y ai retrouvé le capitaine - qui ne m’a pas remarqué tout de suite, lui, puisque son attention était concentrée sur la cloche d’apparat du bâtiment, à laquelle je n’avais jamais prêté grand intérêt par ailleurs. Fasciné comme il l’était par son tintement, j’ai longuement hésité à l’interpeller.

........« Bien le bonjour, Marius », qu’il m’a lancé.

........Trop surpris pour répliquer, je suis resté un instant sans piper mot. « Venez voir un peu ça. »

........Avec déférence, j’ai obéi et relevé le menton dans la direction qu’il m’indiquait. Un arc-en-ciel plus saturé que tous ceux qu’il m’avait été donné de voir jusqu’ici enjambait l’horizon ; plus la cloche résonnait, plus il semblait se détacher du pastel des nuées. Tout proche de lui, à deux heures, on aurait dit que le ciel scintillait…

........« C’est magnifique », ai-je lâché dans un souffle.

........Le capitaine a esquissé un sourire et son regard s’est redressé vers le glas transparent, que la lumière - était-ce un effet de l’arc-en-ciel ? - ornait d’un reflet diapré. Il a parlé de bon présage ; interloqué sans bien savoir par quoi, je suis resté à fixer la cloche jusqu’à ce qu’elle cesse de tintinnabuler. Quand je suis redescendu sur terre, le capitaine avait mis les voiles.

¤
........Vulnus est venu me rejoindre sur le pont pendant sa pause. Je me suis senti un peu coupable de le voir en sueur à côté de moi, frais et dispos, qui n’avais jusqu’ici pas beaucoup donné pour mon dernier jour de boulot. Au lieu, de ça, je rêvassais… et lui tissait des rimes sur le travail au LS.
....Je l’ai félicité pour sa victoire au concours de poésie. On a fumé un peu.
....Il est reparti.

¤
........« Règle d’or n.9 : Travail sans vacances jusqu’à la retraite. »

....J’ai planché sur l’examen des matériaux récoltés pendant des heures et des heures. Je suis lessivé, mais c’est positif ; tout le monde a l’air de meilleure humeur en se livrant corps et âme à sa tâche.
....Un rai de lumière rosée me tombe dans l’oeil. Mon matériel rangé, je décide d’aller admirer le soleil couchant pour la dernière fois.

........C’est un océan en feu qui s’ouvre devant moi lorsque je m’accoude, petit être insignifiant devant la fenêtre du monde, à la rambarde du Lavandia Sea. L’arc-en-ciel a disparu depuis longtemps ; le son de la cloche, également. En apercevant l’étoile du berger se dévoiler déjà à l’horizon, je repense à mon fils. Lui qui aime tant observer le cosmos…
....Mon regard se perd parmi les nimbus. On dirait des bateaux…
....Petit soupir. Ma femme déteste les bateaux. On peut même dire qu’elle les exècre. « Tu n’es jamais à la maison ! », c’est le reproche qu’elle préfère ; évidemment que non, bêtasse ! comment crois-tu que les études de ton fils sont financées ?
....Elle a un bon travail, ceci dit, mieux payé que le mien. Je suis surpris qu’elle n’ait pas encore rompu. C’est peut-être pour Hippolyte.

........Des embruns chatouilleux viennent me distraire de ces préoccupations. Je réalise que je n’ai pas mangé de la journée et extirpe un sandwich de ma sacoche, puis retourne à ma contemplation tout en le mastiquant. On n’aperçoit plus qu’une lamelle de soleil, qui se répercute de vague en vague jusqu’au bateau. La mer est si belle, ce soir…
....C’était quoi les vers de Vulnus, déjà ?...

« Nature sans tache… »
........Soudain, mes yeux se plissent. Non, la nature n’est pas sans tache. Entre le soleil et la mer, il y a ce filet sombre, mince, mais bien présent. Ma main en visière ; qu’est-ce que c’est ? On dirait que ça bouge !
....Je continue de fixer la traînée noire, indécis. Effectivement, elle avance vers nous. Mais trop lentement ; juste en flottant ? Serait-ce une marée noire ?
....La tache se rapproche trop vite pour simplement dériver, et je distingue des irrégularités dans sa formation. Ce n’est pas liquide, mais parfaitement solide, et plus brunâtre que noir. C’est un enchevêtrement bien serré, mais il ne s’agit pas d’un filet… Non… On dirait plutôt…

........Des algues.

........Ma mémoire tire le signal d’alarme. Pris d’une angoisse stupide, je me rue vers les escaliers ; il faut prévenir quelqu’un !
....J’essaie de les chasser, mais les mots de mon père tournent en boucle dans mon esprit, fais attention aux algues, fais attention aux algues !, et j’appelle le groupe 3 à en perdre la voix, parce que ce ne sont pas juste des algues, une algue ça n’avance pas comme ça, une algue, ça ne poursuit pas !
....Et au milieu des mes collègues qui me regardent passer comme si j’étais un fou, mes mains se précipitent vers le premier sonar, le dirigent fébrilement vers la tache qui menace.

....Ce ne sont que des algues…
....… Des algues avec yeux.

*
*.....*

........« Ô, Lavandia Sea… »

........… nuit du 24 septembre, le dernier-né de la société Grand Lavandia, le Lavandia Sea, a sombré au nord du chenal 108 où il … dernière journée d’excavation avant sa fermeture…
....… décharge puissante d’acide a fait fondre la coque, entraînant son naufrage et la mort de la quasi-totalité des employés… … court-circuit… carburant a pris feu. Une immense colonne de flammes… …

........« … en pleine nuit, tu illumines… »

........… Voltère, instigateur du projet et de son arrêt, a accepté de s’exprimer devant nous sur cet incident--


........Le jeune homme expulsa la vieille cassette audio de son lecteur portable et examina la bobine. Elle était tachée.
....Dans un mouvement d’humeur, il l’expédia au fond de la barque humide, tout près du carnet noir. Alors, c’est comme ça qu’ils étaient tous morts…

........Il décroisa les jambes, serra entre ses doigts son caillou fétiche, dirigea son regard vers le soleil disparu. Sa consœur avait pris sa suite, entourée de sa cour d’étoiles scintillantes. Il aurait pu toutes les nommer.
....Bercé par le roulement des vagues, le garçon ne se rendit pas compte tout de suite que son embarcation avait dérivé ; ce n’est qu’une fois tout souvenir dissipé qu’il s’aperçut que la lueur des flotteurs s’était évanouie.

........Plus de flotteurs.

........Plus de flotteurs, ça voulait dire qu'il avait dépassé les limites du chenal. Il se contorsionna dans l’espoir de distinguer, ici ou là-bas, un pic rocheux, une petite île, n’importe quoi qui puisse lui permettre de mieux se repérer…
....La lune lui montra une épave.

........La gorge du garçon se serra. Lugia se fichait donc de lui ? Il ne voulait pas en arriver là ! Il voulait oublier !
....De petits remous vinrent secouer la chaloupe comme en réponse à ses protestations. Puis ce furent de gros remous.
....Son regard se porta instinctivement vers le reflet de la lune sur l’épave. Il y avait une tache...
....Pris de panique, le fuyard se précipita sur les pagaies et commença à ramer, ramer, mais son appareil bipait, bipait…
....Il y eut une explosion d’acide…

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<< Venalgue, le Pokémon Simulalgue. Sa ressemblance avec le varech pourri est confondante. Il se cache parmi les algues en décomposition pour mieux approcher ses proies, qu'il achève en les aspergeant de poison, et se soustrait à l'attention de ses ennemis en attendant de pouvoir évoluer en Kravarech. Celui-ci asperge tous ceux qui osent pénétrer sur son territoire d'un poison assez corrosif pour dissoudre la coque d'un pétrolier ; il paraît que les navires qui s'aventurent dans ces eaux ne reviennent jamais de leur périple.
Ces Pokémon ont été aperçus pour la première fois à Hoenn dans le chenal 108. >>

Biiip… biiip…
Bip…