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You don't run things around here (OS) de Eliii



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Informations

» Auteur : Eliii - Voir le profil
» Créé le 19/12/2016 à 20:12
» Dernière mise à jour le 22/12/2016 à 15:19

» Mots-clés :   One-shot   Présence de personnages du jeu vidéo   Slice of life

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Ce qu'ils disaient tous
L'enfance.

Ce que ce mot évoque en moi, ce qu'il réveille, ce qu'il déclenche, ce à quoi il me fait penser, c'est tout et rien, et surtout rien, car au fond je n'ai jamais eu de véritable enfance, n'est-ce pas ? A cinq ans déjà, on faisait venir un grand homme au costume trois-pièces, avec une sacoche de cuir et un beau chapeau, pour qu'il m'apprenne des choses ; les mathématiques et le français, les sciences et les langues étrangères, la musique et le dessin, mais je n'entendais rien à ces choses si futiles et pourtant si importantes aux yeux de tous, car je n'avais d'yeux que pour les Pokémon, et eux n'avaient d'yeux que pour la beauté de la nature, que je ne suis toujours pas capable de saisir aujourd'hui.

On me disait souvent que pour gagner de l'argent, il fallait étudier sans relâche pour ensuite accéder à des écoles prestigieuses et enfin obtenir un métier très rentable qui m'assurerait un avenir prometteur. Mais pourquoi, puisque père me disait toujours que j'hériterais de toute façon de l'entreprise familiale et de tout ce que cela impliquait ? « Il faut connaître la société dans laquelle on vit afin d'être quelqu'un de bien, et donc il faut s'intéresser aux autres et à leur façon de vivre. Ainsi on saisit toute la diversité du genre humain. Nous sommes aussi différents les uns des autres que toutes les espèces de Pokémon les unes des autres, même si cela n'apparaît pas aussi clairement », me disait-il.

Durant les douze premières années de ma vie, jamais je n'avais adhéré aux principes moraux de père, et ce malgré toute l'admiration qui m'animait lorsque je le regardais travailler, penché sur son bureau avec cet air sérieux sur son visage aux traits sévères. J'aimais beaucoup voir cette grande silhouette, dans ses costumes si parfaitement taillés, s'adonner à toutes sortes d'activités intellectuelles. J'aimais beaucoup voir son visage se décorer d'une expression ou une autre à mesure qu'il progressait dans la lecture d'un livre ; il ne lisait pas, il ressentait véritablement les mots qui couraient sous son regard métallique. Il les vivait.

Cette figure bienveillante aux yeux gris si perçants que même l'acier semblait bien peu solide à côté ; cette figure bienveillante aux cheveux bruns qui prenaient des teintes rouquines au soleil ; cette figure bienveillante aux lèvres minces qui rarement s'étiraient en des sourires, mais lorsqu'elles le faisaient, même les sourires des plus belles filles du voisinage étaient dérisoires et manquaient de valeur ; cette figure bienveillante rongée par un virus ou une bactérie sans nom, tuée par un anonyme ; cette figure bienveillante enterrée dans le caveau familial lors d'un rituel lugubre et formel, et personne ne pleurait et tout le monde gardait le visage fermé face à la perte d'un être cher, pour éclater en sanglots à l'abri des regards, puisqu'il s'agissait de ne pas perdre la face devant tous les autres qui vous jugeaient sans raison aucune.

Mon enfance a pris fin à presque treize ans lorsque j'ai perdu mon père, et ma mère a dû reprendre le flambeau de mon éducation, qu'elle aurait sans doute préféré laisser s'éteindre comme cet homme qui me manquait tant. Je lui disais que je ne voulais plus rien faire et que je resterais dans ma chambre jusqu'à avoir fait mon deuil. Elle m'a rétorqué, sur un ton qui ne souffrait d'aucune réplique : « Ce n'est pas toi qui commande ici. »


L'adolescence.

Ce fut bien mieux que l'enfance, mais seulement au bout de plusieurs longues années. Le carcan de l'autorité maternelle cherchait à se resserrer autour de mon cou à la manière d'un Abo déchaîné, mais je parvenais toujours à m'en extirper, avec plus de difficulté à chaque fois ; je me disais qu'un jour, je finirais broyé par ce serpent constricteur et que je ne pourrais rien y faire, que changer mon destin était un doux rêve qui ne se réaliserait jamais, peu importe ce que je faisais pour y parvenir.

Il a bien fallu que je me prenne en main un jour. J'avais dix-huit ans, des solides connaissances théoriques sur tous les sujets qu'on m'enseignait, et une soif d'indépendance qui tiraillait mes entrailles. Que pouvais-je faire sinon sauter sur l'occasion et prendre le premier avion pour une région lointaine ? Ma destination fut Unys, où j'eus l'occasion de suivre un cursus intéressant mêlant droit et sciences sociales. Mais pas assez intéressant pour me dissuader de l'abandonner au bout de quelques mois, pour aller m'intéresser davantage aux routes qui n'attendaient qu'une chose, que je les arpente de long en large.

Ce qui donna lieu à l'un des événements les plus heureux de ma vie, un événement qui me laisse encore un sourire au coin des lèvres lorsque j'y repense. Ce qui arrive assez souvent, en fin de compte. Je marchais sur la route 4, au nord de la capitale qu'était Volucité, animé par la flamme de la jeunesse qui brûlait encore en moi et qui cesserait bientôt d'illuminer mon chemin. Mes chaussures s'enfonçaient dans le sable, je m'en rappelle distinctement ; encore aujourd'hui, en fermant les yeux, je parviens presque à ressentir le sable sous mes pieds, tant ce souvenir m'a marqué depuis lors.

Ma main, placée en visière au-dessus de mes yeux, me permettait de ne pas recevoir de grains de sable à l'intérieur, mais voir m'était difficile, à cause du vent qui emportait ces trombes poussiéreuses comme s'il ne s'était agi que d'air. Au loin, je pouvais même discerner une tempête qui commençait à se former ; des millions, des milliards de grains de sable s'amassaient les uns aux autres, comme attirés par une force étrangère qui les conduisait à faire preuve de cohésion, ce dans le seul but de se séparer de nouveau après face à la force du vent.

Je ne sais même plus s'il faisait chaud ou non ; tout ce dont je parviens à me rappeler ensuite, c'est la silhouette rocailleuse qui émergeait de ce torrent sablonneux, comme un sauveur. Je discernai d'abord une forme imprécise, abstraite, que je voyais avancer vers moi dans des mouvements lents, erratiques. Peu à peu, la chose se précisa, je pus apercevoir des pointes saillantes et, enfin, une paire d'yeux luisants qui semblaient ignorer le sable qui s'insinuait à l'intérieur. Mes connaissances en Pokémon me permirent de comprendre qu'il s'agissait d'une espèce que j'avais déjà vue maintes fois à Kanto. Un Rhinocorne.

Par un heureux hasard, le destin avait fait en sorte que j'achète des Hyperballs ce jour-là, en prévision de capturer un Pokémon de type sol, genre de créatures que j'affectionnais beaucoup depuis toujours ; ils sont les plus proches de la Terre, les plus à même de ressentir le battement régulier de la nature, les mouvements du sol sous leurs pattes, ils sont en parfaite cohésion avec la planète.

Je martelai la créature de ces sphères métalliques au motif jaune et noir, et tandis qu'il ressortait d'une, j'en lançai une seconde par-dessus, et bientôt, son regard soutenant le mien tout du long, il cessa de résister pour se laisser enfermer dans ce qui deviendrait son nouveau foyer. Et moi, je deviendrais sa nouvelle famille ; les souvenirs de mon père parti trop tôt seraient remplacés par ceux de cette créature à la peau rocailleuse.

Les voyages initiatiques n'étaient possibles que jusqu'à seize ans, mais je voulais tenter ma chance, moi aussi ; l'on m'en avait privé durant mon enfance et une partie de mon adolescence, il fallait que j'y remédie en partant moi aussi à la découverte du vaste monde. Le professeur Pokémon que je consultai me rit au nez. Je peux encore l'entendre me dire ces mots si humiliants, ceux que ma mère avait prononcés avant lui, à peu de chose près : « Ce n'est pas à vous de décider, ici, mais à moi. »


Ma vie a toujours été rythmée par un seul désir ; celui de connaître les Pokémon, de les côtoyer et de les comprendre. J'aimais ces créatures, plus que je n'ai jamais aimé ma propre famille, et je pensais que jamais cet amour ni cette fascination ne s'estomperaient avec les années. Je faisais erreur ; plus l'on me répétait que ce n'était pas à moi de décider les choses, plus je voulais changer ça, et plus je commençais à m'éloigner de la vision du monde qui m'était propre. Je devenais un autre, je me laissais tomber pour arborer un nouveau visage.

Le visage de la destruction et du crime, le visage du vol et du mal, le visage de l'argent et de la corruption. Le petit garçon qui aimait les Pokémon est devenu un criminel sans foi ni loi, l'ombre d'une ombre, le reflet distordu d'une réalité effacée. Le Pokémon que j'avais juré de chérir depuis cette rencontre dans le désert a laissé sa place à un autre, plus beau et plus gracieux, un félin aux griffes acérées qui allait de pair avec cette nouvelle image, cet homme cruel qui a pris la place du rêveur.

J'en ai payé le prix et il m'arrive de regretter, mais aujourd'hui, la tête haute, je peux enfin le dire : « C'est moi qui commande, ici. »