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Duel au sommet de olyn



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» Auteur : olyn - Voir le profil
» Créé le 17/08/2012 à 19:57
» Dernière mise à jour le 17/08/2012 à 19:57

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Chapitre 13 : Le glas du destin
Si on pouvait reconnaître une qualité à la route qui reliait Lavanville à Parmanie, c'était qu'elle était drôlement agréable à arpenter. Enfin, quand je dis route. C'était plus une série de pontons qui surplombaient la mer, s'étendant vers le sud à l'infini. Et il s'agissait bien de la mer et non pas d'un lac, j'avais testé personnellement. Les embruns salés venaient me fouetter le visage de temps à autres, et lorsque je m'étais penchée un peu plus tôt pour m'humecter la figure et le cou histoire de me rafraîchir, j'avais eu la surprise de découvrir de l'eau salée.

La route gagnait donc le prix de l'originalité parmi toutes celles que j'avais déjà empruntées, et elle se défendait tout aussi bien question paysage. Sur ma gauche, une ligne de gros rochers située à quelques centaines de mètres marquait la limite de la crique, et derrière, c'était le grand large. De petites vagues venaient périodiquement lécher les pilotis. Ne manquait plus que du sable et on se serait cru à la plage... De mon point de vue, tout ça battait largement la piste cyclable.

J'avais laissé sortir Plouf et il s'était tout de suite jeté à l'eau, en gros poisson typique. Mes autres Pokémon cheminaient sur le ponton avec moi, sauf Souris qui bien entendu planait au-dessus de ma tête. Le soleil tapait fort, comme pour se faire pardonner de son absence du matin, et je regrettai déjà de n'avoir emporté qu'une petite bouteille d'eau. S'il y avait bien un truc qui m'horripilait (en dehors d'une certaine personne nommée Zack), c'était d'avoir soif - surtout si je devais fournir des efforts physiques.

Je fus donc assez contente de tomber sur un bâtiment au bout d'un quart d'heure, un gros truc en pierre construit en plein milieu de la route, et qui constituait apparemment un passage obligé avant de pouvoir ressortir de l'autre côté (à moins de descendre dans l'eau et le contourner à la nage... mais très peu pour moi).

- On se retrouve tout de suite, Plouf.

Le Léviator m'adressa un grondement affirmatif et trouva utile de m'éclabousser en prime. Je lui fis les gros yeux (ouais, comme si ça servait à quelque chose), puis entrai dans la bâtisse. À l'intérieur, une fraîcheur bienvenue inonda mes sens. Je soufflai de soulagement. Le rez-de-chaussée était complètement dépourvu du moindre meuble ; en fait, il se présentait sous la forme d'un long couloir plutôt large qui débouchait sur l'extérieur. Quel intérêt de concevoir un truc pareil ? L'ombre ? On pouvait faire tout aussi bien avec un bête parasol.

Le mystère fut résolu lorsque je m'aperçus qu'il y avait un escalier près de l'autre sortie. L'utilité du bâtiment devait résider dans son second étage...

- Souris, tu peux aller prévenir Plouf que ça va prendre plus long que prévu ? demandai-je à la Nosferalto qui s'était posée sur la tête de Teigne.

- Altooo, fit-elle de sa voix gutturale avant de prendre son envol.

Cette précaution prise (manquerait plus que Plouf panique et détruise quelques pilotis en ne nous voyant pas revenir), je montai l'escalier. Arrivée en haut, je constatai d'emblée que l'étage supérieur était autrement plus fourni que celui du bas. De la moquette grise si épaisse que mes chaussures s'y enfonçaient de deux bons centimètres recouvrait le plancher, les recoins étaient agrémentés de plantes vertes, et deux tables en verre assortis de chaises aux couleurs de l'arc-en-ciel occupaient le centre de la pièce.

Mais le plus impressionnant restait la baie vitrée qui prenait un côté tout entier. Elle donnait sur le littoral et permettait d'observer le panorama. La mer ourlée de blanc venait s'écraser sur la côte rocheuse dans un éternel va-et-vient, tandis que dans le ciel, le soleil brillait au zénith. Magnifique. De là où j'étais, je voyais aussi que le ponton s'étendait sur plusieurs kilomètres et se poursuivait jusqu'à l'horizon. Quelques personnes se promenaient dessus, petites tâches roses perdues dans l'immensité bleue. Sur la droite, une rangée de grands arbres à larges feuilles se profilait, courant le long de la côte. En plissant les yeux, je crus même distinguer le Ronflex qui bloquait la route menant à Carmin-sur-Mer là-bas au loin (ou alors c'était vraiment un très très gros rocher).

Il y avait une paire de jumelles montées sur trépied à disposition, si l'on voulait approfondir les choses. Je les réglai à ma hauteur et y jetai un coup d'œil. Le bleu sombre de la mer... Celui plus clair du ciel... L'éclat du soleil. Aïe. Je les réorientai au hasard - tout sauf le soleil -, et reçus un choc à ce que je vis ensuite. Un oiseau à l'envergure démesurée et au plumage bleu scintillant volait vers le large. Sa queue se déroulait dans son sillage tel un ruban de saphir, et semait des cristaux de glace étincelants dans l'air. Le soleil accrocha un instant sur ses serres recourbées, comme pour souligner que sa beauté cachait des atouts redoutables. L'élégance incarnée.

Waouh. Quel Pokémon ça pouvait bien être ? Il était trop loin pour que mon Pokédex puisse m'apporter la réponse.

Tout à coup, le fond d'une gueule noire garnie de crocs occulta la vision de l'oiseau.

- Plouf ! m'exclamai-je.

Le Léviator dressé de tout son long pour mettre sa tête pile dans ma ligne de mire eut le culot d'essayer de paraître innocent. Souris voletait autour de sa tête, et je devinai à son air énervée qu'elle se désolait du manque de patience de son camarade.

- Toooorrr ! rugit Plouf d'une voix qui fit trembler les vitres.

- C'est bon mon gros, j'arrive, j'arrive... capitulai-je.

Je redescendis au pas de course, suivie par environ 100 kilos de Pokémon. Cavalcade dans les escaliers. Heureusement, l'architecte les avait conçu solide, anticipant sûrement que des Pokémon allaient le dévaler dans les deux sens.

Au dehors, Plouf m'attendait calmement, comme si de rien n'était.

- Bah alors ? lui lançai-je. Tu sais, c'est pas parce que tu ne me vois pas que j'ai disparu !

- Léviator ! me contredit-il.

- Et puis, on est pas pressé. Enfin, ouais, j'aimerai arriver avant Zack, mais on peut quand même prendre le temps d'admirer le paysage, non ?

- Toor, tor ! fit-il en secouant la tête comme pour me signifier que j'avais tort (mes Pokémon étaient doués pour parler français avec leur bout de noms, quand même... Salade avec son 'bizarre' ce matin, et maintenant Plouf avec son 'tort').

Je renonçai à lui faire la leçon et nous continuâmes notre route dans la joie, la bonne humeur et le bruit. Mes Pokémon appréciaient de se retrouver en liberté tous ensemble, et n'hésitaient pas à converser entre eux, émettant des commentaires sur le paysage, les agissements de chacun, le temps qu'il faisait, et que sais-je encore. Princesse ouvrait la voie, trottinant pour rester à hauteur de Plouf qui nageait en avant. Ensuite venaient Grignotte, puis Salade qui cheminait à mes côtés, et enfin Teigne qui fermait la marche. Souris, elle, effectuait des allers retours au-dessus de nous, se posant occasionnellement sur Teigne le temps d'une minute ou deux.

Notre petite procession demeura en l'état jusqu'à ce que nous croisions notre premier dresseur de l'après-midi, un mec qui pêchait sur le bord de la route. Et là, télescopage. Princesse se stoppa net, le dos hérissé, et Grignotte qui ne regardait pas devant lui, lui rentra dedans. Je m'arrêtai à temps pour ne pas aggraver la situation, mais Teigne n'eut pas ce réflexe.

Boum. (Le bruit d'un Colossinge percutant mon arrière-train.)

- Singe ! se plaignit-elle en reculant précipitamment.

- Stop ! m'écriai-je. Que plus personne ne bouge !

Mes Pokémon se figèrent, certains dans des poses quelque peu ridicules (Grignotte et Salade, pour ne pas les citer). Même Plouf s'immobilisa, sa tête gouttant d'eau de mer juste au-dessus de Princesse. La Miaouss supporta l'averse trois quarts de seconde avant de se déplacer en crabe sur la droite, genre 'non mais je n'ai pas bougé hein'.

- Crévindiou, vlà qui vous fait beaucoup de Pokémon s'promenant en dehors d'leurs balls, mam'zelle, fit le pêcheur, l'air ahuri. Devriez ptet songer à en rappeler deux ou trois...

J'hésitai. Nan, on avait juste besoin d'un peu de coordination, et tout irait bien. J'en fis la remarque à voix haute. Le pêcheur haussa les épaules.

- C'est vous qui voyez... Dites, tant qu'vous êtes là, ça vous dirait un ptit duel ?

J'acceptai sa proposition d'un hochement de tête. Mes Pokémon avaient bien besoin de se défouler, et soyons honnêtes, il fallait aussi que je les entraîne. Tous, sauf ma Princesse. Je fis signe à la Miaouss de rester à l'écart quand mon adversaire du moment fit appel à son premier Pokémon. C'était un Poissirène de belle taille qui fit 'plouf' en atterrissant dans l'eau.

Tiens, en parlant de Plouf, il allait ouvrir le bal.

- Vas-y mon grand, l'encourageai-je. Aucune attaque aquatique, mais pour le reste fais comme tu veux.

Le pêcheur, lui, ordonna à son Poissirène de lancer un Ultrason. Son Pokémon fit preuve de plus de rapidité que le mien, et tira une salve d'ondes déstabilisantes sur mon gros pataplouf. Secouant sa tête et grognant, le Léviator réagit par un coup de queue. Son appendice frappa la surface de la mer avec une force phénoménale, soulevant des gerbes d'eau qui nous aspergèrent, le pêcheur et moi. Niveau rafraîchissement, c'était top. Par contre, niveau précision, que dalle : le Poissirène n'avait eu aucun mal à éviter l'attaque.

- Koud'Korne, Bubulle, énonça le mec.

Je perdis une poignée de secondes à essayer de déterminer lequel des deux mots était le surnom de son Pokémon et lequel était le nom de l'attaque, avant de me reconcentrer sur le combat. Le poisson fonça droit sur Plouf, la corne sur sa tête fendant les flots. Le Léviator ouvrit une gueule béante et rugit de toute la puissance de ses cordes vocales (ou tout du moins, ce fut l'effet que ça me fit).

Tout à coup, le Poissirène bondit et replongea gracieusement, disparaissant sous l'eau. Plouf l'imita en balançant des trombes de flotte partout. Le silence revint tandis que la surface de la mer retrouvait son calme plat. Je me penchai au-dessus de la rambarde du ponton pour essayer de les apercevoir. Rien. L'eau n'était pas franchement claire, impossible d'y voir plus loin que le premier mètre environ.

Trente secondes s'écoulèrent encore avant que Souris ne pousse un cri d'avertissement. Je me jetai en arrière juste à temps pour éviter Plouf qui resurgit des profondeurs tel un Léviator monté sur ressort. Il tenait dans sa gueule à demi-entrouverte le Poissirène qui gigotait faiblement.

- Ne mords pas, hein, mon Ploufi, lui enjoignis-je.

Le Poissirène n'avait déjà pas l'air bien vivace, davantage de pression de la part des crocs du Léviator lui serait sans doute fatal.

- J'vous abandonne c'te manche, déclara le pêcheur en rappelant son Pokémon.

Pour la manche suivante, il envoya un Pokémon aquatique à la bouille trognogne. Il ressemblait plus ou moins à un gros têtard tout bleu, avec de grands yeux noirs et une bouche bien rose. Sur son ventre se trouvait une spirale d'un noir d'encre au dessin hypnotique. Pour terminer son physique de bouboule, il disposait également d'une queue ovale complètement transparente. D'après le cri qu'il poussa en se matérialisant, c'était un Ptitard (quoique moi j'aurais bien vu cette espèce porter le nom de Ptitchoupi).

- Souris, à toi.

Ma Nosferalto vint se poser en face du Pokémon aquatique. Elle passa sa grosse langue baveuse sur des canines, cherchant à intimider son adversaire. Le Ptitard demeura de marbre. Petit, mais courageux.

- Allez Guignol, balance tes Torgnoles.

- Morsure, indiquai-je à Souris.

Le Ptitard se dandina tranquillement jusqu'à la Nosferalto, et utilisa ses petits poings pour la frapper à plusieurs reprises. Tchac. Tchac. Tchac. Le bruit des petites mains du Ptitard qui s'écrasait contre la peau membraneuse de Souris m'évoqua celui d'un élastique en caoutchouc qu'on aurait forcé à se tendre, pour ensuite le relâcher brusquement. La Nosferalto supporta bravement le traitement, l'air de s'ennuyer un peu, puis pencha la tête et referma ses crocs sur la queue du Pokémon aquatique qui avait tardé à battre en retrait. Ce dernier glapit et courut se mettre hors de portée.

Souris l'imita, s'envolant d'un puissant battement d'ailes.

- Bonne idée, approuvai-je. Termine le avec un Cru-Aile.

- Lance un Écume, Guignol ! Pleine puissance !

Le Ptitard se gonfla comme une baudruche et un filet de bulles d'eau jaillit de sa bouche. Elles filèrent vers Souris, ignorant la gravité comme c'était pas permis, et la touchèrent à l'aile droite. La Nosferalto fut déséquilibrée un instant et dût se remettre en position avant de contre-attaquer. La bourrasque qui naquit au creux de ses ailes plaqua le Ptitard sur les planches du ponton, puis le fit rouler jusqu'à ce qu'il rebondisse contre un des pilotis. Sa tête frappa le bois et il resta prostré, assommé.

- Ah, bah ça alors ! s'exclama le pêcheur. Guignol n'avait encore jamais perdu un combat !

- Ha bon ? m'étonnai-je. Il est tellement mignon, je pensais que c'était une de ses premières batailles...

- Pour sûr que non ! L'est djà bien aguerri, et j'compte bien en faire une bête de compèt !

Mon regard dériva vers Princesse. Elle avait observé le combat d'un air intéressé. Je me surpris à réexaminer une nouvelle fois ma décision de ne pas faire de la Miaouss une combattante. Elle m'avait déjà prouvée qu'elle pouvait se montrer toute aussi féroce que ce Ptitard... Mais décidément, non, je préférais la boule de poil en tant que compagnon... pas en tant que guerrier.

- T'nez mamz'elle, fit le pêcheur en me tendant une poignée de Pokédollars.

- Euh, vous auriez pas de l'eau plutôt ?

- Béh bien sûr ! J'vais jamais pêcher par une chaleur pareille sans un bon litre d'flotte potable !

Oh, dieu merci. En lieu et place des Pokédollars, je lui demandai de remplir ma bouteille, et nous fûmes quittes. Après avoir fait boire tout le monde (Plouf excepté, mais ai-je vraiment besoin de le préciser ?), nous reprîmes la route. L'entraînement se poursuivit sous un soleil de plomb au fur et à mesure de chacun des dresseurs que nous croisions. Il s'agissait pour la plupart de pêcheurs avec leur lot de Pokémon aquatiques, ce qui excluait Grignotte des combats. Mes autres Pokémon ne rencontrèrent aucune difficulté particulière en faisait face aux Poissirène, Magicarpe, et autres Psykokwak - très étrange d'ailleurs, cette espèce-là, avec leurs tronches de débiles mentaux.

Progressant lentement, nous arrivâmes au croisement qui menait à Carmin-sur-Mer, et je pus constater que le Ronflex était bien là. Tout aussi imposant que celui que j'avais vu près de la piste cyclable (sinon plus), il bloquait la bifurcation de sa masse. Le ponton où il roupillait avait été renforcé d'une dalle de béton, ce qui expliquait qu'il puisse supporter son poids.

Qu'est-ce que ce Pokémon faisait là, n'empêche ? Vu le temps, le printemps avait débarqué depuis belle lurette, ce n'était plus le moment d'hiberner là !

Bon, j'allais régler ça. Avec mille précautions, je sortis l'arme de destruction massive - pardon, la flûte - de mon sac à dos.

- Bouchez-vous les oreilles, prévins-je mes Pokémon.

Comment on faisait un la, déjà ? Mes souvenirs remontaient à quelques années... Je positionnai mes doigts comme je pus et soufflai dans l'instrument. Une fausse note s'en échappa. Je vis les oreilles du Ronflex remuer. Encouragée par cette réaction, si minime soit-elle, je continuai à jouer de la flûte, produisant des sons que seul quelqu'un de vraiment très très tolérant aurait pu qualifier de musique. (Ou alors peut-être Léonard, pour me faire plaisir. Zack, lui, se serait foutu de ma gueule et il aurait eu entièrement raison. Et qu'est-ce que c'était que cette manie que j'avais de toujours les comparer, ces deux-là ? Il fallait que j'arrête ça.)

La torture se prolongea. Mais peu importait mes oreilles en miettes, car au bout d'une minute de ce traitement intense, le Ronflex s'ébranla et je criai victoire. Le gigantesque Pokémon se redressa pesamment (tiens, il pouvait se tenir sur deux jambes seulement ?), tournant ses yeux en amande dans ma direction. Il leva une patte (plus grosse qu'une poële à frire et munie de griffes qui rivalisaient en taille avec des couteaux de cuisine, la patte, au passage) et s'avança vers moi.

Sortir de son sommeil un Pokémon capable de m'écrabouiller comme une souris et qui sera sûrement de mauvaise humeur ? Mais quel plan génial...

- Souris, désoriente-le avec des Ultrasons ! Grignotte, au corps-à-corps, sers-toi de tes griffes !

Un son autrement plus désagréable que tous ceux qu'avaient produit mes essais avec la flûte retentit. Le Ronflex y répondit par un grognement interrogatif. Ça n'avait pas l'air d'avoir beaucoup d'effet... Grignotte, heureux de pouvoir enfin entrer en action, se rua sur sur le gros Pokémon et lui infligea deux griffures jumelles, une à chaque jambe. Ses griffes labourèrent profondément la chair du Ronflex, et le sang gicla aussitôt, dégoulinant en rigole des blessures béantes.

Déséquilibré, le gigantesque Pokémon tituba, vacilla quelques instants entre avant et arrière, puis retomba finalement sur le dos dans un fracas de tous les diables. Les planches du ponton se courbèrent, tentant d'absorber l'impact. Le bois torturé hurla... pour finalement craquer sous la pression. L'assemblage entier se délita, et je perdis pieds, amorçant une dégringolade à la destination très mouillée. La dernière chose que je vis clairement fut la dalle de béton qui se fendillait.

Ma chute fut brève. Je heurtai l'eau les pieds les premiers, le choc glacé chassant momentanément toute pensée de mon esprit. Je m'attendais à toucher le fond, voire à me faire très mal s'il y avait des cailloux, mais ce ne fut pas le cas. La mer à cet endroit était bien plus profonde que ce que je pensais. Je m'efforçai de remonter, battant des jambes avec vigueur et luttant contre le poids de mon sac à dos. Ce que ce truc était lourd... pourtant j'avais fait mon possible pour l'alléger dernièrement.

Au bout de quelques secondes de lutte, la panique me gagna. J'ouvris les yeux pour jauger de la distance par rapport à la surface et le sel m'éclata la rétine. C'était trop loin... J'avais beau tendre les bras, ils ne sortaient même pas de l'eau. (Réflexe stupide d'ailleurs. Qu'est-ce que j'espérais au juste, que des poumons me poussent sur les mains ?) Je redoublai d'efforts sans avoir l'impression de bouger d'un pouce. Mes poumons me brûlaient et je commençai à manquer d'air...

Soudain, mes pieds trouvèrent un appui. Hein ? L'instant d'après, je refaisais surface en crachant de l'eau de mer par le nez, perchée sur la tête de Plouf, le sauveteur des mers.

- Merci mon gros, soufflai-je.

Je gigotai pour obtenir une position plus confortable, et le regrettai aussitôt, car ses écailles glissaient à mort. Du coup, je résolus de rester immobile, n'osant pas esquisser le moindre mouvement de peur de retomber à l'eau. Plouf comprit mon dilemme et se tourna de manière à ce que je me trouve face au ponton. Ou face à l'ancien ponton, devrais-je.

Et merde. J'avais cassé la route. La dalle de béton s'était carrément ouverte en deux, et il manquait au moins deux mètres de planches de bois pour compléter le chemin. Le tout gisait probablement au fond de l'océan.

Je constatai aussi que mes Pokémon s'en étaient beaucoup mieux tirés que moi. Teigne avait réussi à se raccrocher au ponton intact de l'autre côté, et tenait d'une main la jambe de Grignotte qui se retrouvait la tête en bas. Princesse, elle, s'évertuait à escalader les jambes de la Colossinge tout en miaulant de terreur. Quant à Salade, il jouait au Pokémon oiseau, accroché par ses lianes au ventre de Souris.

Mais où était passé le Ronflex ? Je baissai les yeux et distinguai une masse sombre sous l'eau. Elle rétrécissait à vue d'œil... C'était amphibie, ces bestioles ? À moins qu'il ne remonte pas parce qu'il ne savait pas nager... Au diable l'hésitation. Si je pouvais le sauver, j'avais le devoir de le faire, et s'il s'avérait qu'il voulait conserver sa liberté, je pourrais toujours le relâcher.

Avec des gestes précautionneux et mesurés, je récupérai une Superball de mon sac et la lançai dans l'eau. Mmmh. Allez savoir si ça allait marcher. Je la suivis des yeux jusqu'à ne plus la distinguer. Quelques secondes s'écoulèrent, puis il y eut un flash qui illumina les profondeurs, et la masse sombre disparut. Quelle technologie de fou. Ça fonctionnait même sous l'eau, à je ne sais combien de mètres sous la surface.

À ma demande, Plouf me déposa sur le ponton. Je retrouvai la terre ferme avec bonheur.

- Lévia ? s'enquit-il.

- Ouais, va la chercher, lui répondis-je.

Il s'enfonça sous l'eau avec moult éclaboussures. Pendant ce temps-là, mes Pokémon m'avaient rejoint, tous plus ou moins en parfaite santé. Seule Princesse faisait la tête, car elle avait le bout de la queue mouillée et c'était apparemment la fin du monde. Je lui fis la remarque que quand il pleuvait elle adorait gambader sous l'averse, et reçus en retour un 'Miaouss' supérieur. Pauvre petite humaine que j'étais, je ne pouvais pas comprendre l'état d'esprit de la divine Princesse.

Sur ces entrefaites, Plouf revint avec la Superball dans la gueule. Il me la recracha dans les mains, et je m'empressai de l'essuyer... avec mon tee-shirt dégoulinant d'eau de mer. Ouais. Bon, c'était mieux que rien. Je sortis mon Pokédex qui marchait toujours à merveille, et j'appris ainsi que ce Ronflex était un mâle. Je le baptisai Pleind'soupe, de son prénom Gros (mais vous aviez compris), avant qu'il ne soit expédié dans les entrailles du système de stockage des Pokémon. C'était Maman qui allait être contente.

Après une séance de séchage sponsorisée par les coups de vents de Souris, nous reprîmes la route. Je notai mentalement d'avertir les autorités compétentes de l'état du ponton dès que je parviendrai à Parmanie. J'allais sûrement devoir mettre la main à la poche pour les dégâts occasionnés, mais c'était mérité.

Au bout d'une demi-heure de marche, le paysage se mit à changer, et les personnes que nous rencontrâmes également. On quittait le bord de mer pour s'enfoncer dans les terres, et la végétation se faisaient plus drue. Quant aux dresseurs, ils possédaient des Pokémon de types plus divers, et préféraient flâner ou bronzer (pour certaines) plutôt que de s'adonner à la pêche.

- Hé !

Je rendis son signe de la main à la fille qui venait de m'interpeller.

- Moi, c'est Léa ! Et je te défie en duel ! s'exclama-t-elle.

Tiens, j'avais un double dans le jeu ? Marrant, ça...

- OK, allons-y...

- Allez, Rabougri ! fit-elle en envoyant un Rattatta plus petit que la moyenne au combat.

Je choisis Grignotte et lui conseillai de retenir ses coups, mais même en bridant sa force, le Rattatta resta au tapis dès la première attaque reçue. La fille tapa du pied.

- Oh non, Rabougri ! Foudre, venge-le !

Un Pikachu surgit de la Pokéball qu'elle brandissait. J'indiquai à Salade que c'était son tour. Léa cria à son Pikachu de lancer un Tonnerre, tandis que j'optai pour un Poudre dodo. Un choix qui porta ses fruits, car le Pokémon électrique succomba aux spores blanchâtres lancées par Salade, piquant du nez dans l'herbe.

- Et termine avec un Tranch'herbe, complétai-je.

Salade obtempéra et le Pikachu se retrouva hors de combat. Forcée de constater sa défaite, l'autre Léa perdit son calme :

- Oh ! Toi... toi... tu n'es qu'une sale teigne !

- Singe ? réagit l'intéressée en entendant son si doux surnom.

- Non, pas toi, la détrompai-je. Mais merci, j'apprécie le compliment, ajoutai-je à l'intention de la dresseuse.

Elle se retourna vivement alors que le vent jouait dans ses longs cheveux bruns, mettant un terme à la conversation.

- Zaaaare... s'exclama Salade d'une voix pas comme d'habitude.

- Quoi, qu'est-ce qu'il y a... Oh.

Il brillait. Vraiment, vraiment beaucoup. Je retins mon souffle tandis qu'il grossissait et grossissait à n'en plus finir. Tous mes Pokémon reculèrent pour lui laisser la place nécessaire. Euh, dites, il allait s'arrêter de grandir quand même ? Il m'avait déjà dépassé en taille, et là ça continuait...

Finalement, la lueur faiblit et son apparence se stabilisa. Les yeux écarquillés, je contemplai mon Salade. Il avait grossi et forci, avoisinant désormais les deux mètres et les 200 kilos, à vue de nez. Une immense fleur aux pétales pourpres s'étalait sur son dos, entourée de quatre feuilles, chacune de la taille d'une nénuphar bien costaud. La peau au niveau de ses pattes s'était couverte de drôles de petites excroissances qui me faisaient penser aux verrues d'un crapeau, et sa bouche avait gagné des canines. Le nombre de ses lianes avait également augmenté, passant de quatre à six.

- Florizarre ! jeta-t-il en ouvrant sa bouche (bouche dans laquelle j'aurais pu m'engouffrer toute entière).

Mais c'était quoi ce monstre ? Heureusement qu'on n'était plus sur le ponton, sinon, il y aurait eu un deuxième trou...

- Dis donc mon Salade, j'espère que c'est la dernière fois que tu évolues, parce qu'autrement tu vas plus pouvoir rentrer dans ta Pokéball...

- Zarre !

- Mais non, je ne dis pas que tu es gros... enfin, un peu... bon, on repart ? conclus-je vite fait, peu désireuse de vexer le gigantesque Pokémon plante.

- Nosferalto, lança Souris depuis les hauteurs. Too, too, continua-t-elle en s'éloignant.

- Souris, attends ! Tu vas dans la mauvaise direction !

Je la suivis en courant. Elle me mena à un petit champ d'herbes hautes caché entre quatre haies, puis se posa en plein milieu pour nous attendre.

- Ha, bonne idée, la félicitai-je. Attends que je vérifie ça.

Je sortis mon Pokédex et jetai un coup d'œil à la carte intégrée. Verdict : on se trouvait bien sur une nouvelle route, indépendante de celle où j'avais capturé Pleind'soupe. Bien, bien, bien. Une main en visière, je m'attelai à scanner les environs. Je n'eus pas à attendre longtemps : Souris poussa un 'Nosferalto !' retentissant et un Roucool sortit en piaillant d'un bosquet pour chasser l'intruse.

- Salade, sers-toi de tes lianes pour l'immobiliser.

- Florizarre ! grogna mon géant vert.

Le Roucool tourna la tête, aperçut le Godzilla version plante verte, et détala aussitôt, battant des ailes furieusement. Il déclencha un cyclone miniature, profitant de la confusion pour s'envoler et nous échapper. En quelques secondes, le Pokémon oiseau n'était plus qu'un point noir à l'horizon.

Je secouai la tête, dépitée.

- Bon, tant pis. On y va ?

Aussitôt dit, aussitôt fait. Quelques minutes plus tard, nous arrivâmes dans une plaine toute plate où quelqu'un s'était amusé à créer un labyrinthe avec des barrières. Difficile de deviner par où passer pour ne pas se retrouver dans un cul-de-sac. La première fois que cela se produisit, je chargeai Souris de partir en éclaireuse. Elle revint ensuite à intervalles réguliers nous indiquer le chemin à suivre, s'amusant à raser la tête de Teigne une fois sur deux.

Ici, c'était le domaine des dresseurs de Pokémon oiseaux. Nous en affrontâmes toute une ribambelle, et mon Pokédex gagna deux ou trois nouvelles entrées. Au sortir de cette plaine bizarre, tous mes Pokémon commençaient à fatiguer. Salade et Teigne étaient particulièrement vulnérables aux attaques de type vol (surtout Teigne qui elle avait la résistance d'un mouchoir mouillé) ; du coup c'était Plouf, Grignotte et Souris qui s'y collaient. J'utilisai mes potions avec parcimonie, cherchant à les économiser car Parmanie n'était toujours pas en vue.

- Le dresseur embusqué fond sur sa proie qui ne se doute de rien, et son Pokémon surprend la jeune fille insouciante... déclara quelqu'un derrière moi.

La seconde d'après, un rayon rouge passa au-dessus de ma tête et un Roucoups se matérialisa, me barrant le chemin. Je fis volte-face. Un mec habillé tout de blanc était perché (oui, oui, perché) en équilibre sur une des barrières, les bras tendus comme pour imiter les ailes d'un oiseau. Il m'adressa un sourire.

- Bien le bonjour, chère collègue dresseuse, fit-il en inclinant la tête. Je suis l'ornithologue fou et tu vas goûter à la puissance de mes Pokémon oiseaux.

- L'ornithologue fou ? relevai-je.

- Un surnom dont m'ont affublé les autres dresseurs d'oiseaux, dans le but de me rabaisser. Je le trouvais approprié alors je l'ai adopté, et maintenant c'est moi qui ricane sur leur passage.

Je restai silencieuse. Que voulez-vous répondre à ça ?

- Je vois que tu n'as qu'un seul Pokémon de type vol... constata-t-il en observant mon équipe. Choisis-le donc, et volons-nous dans les plumes !

Pourquoi pas ? Je fis un signe à Souris, qui se reposait sur la tête de Teigne. Elle sauta à terre et vint se placer face au Roucoups.

- Le Roucoups aux serres aiguisées surprit son adversaire par une fulgurante Vive-Attaque ! annonça l'ornithologue fou.

Un peu spéciale comme façon de donner ses ordres... mais j'avais vu pire.

- Souris, esquive et riposte avec une Morsure.

Hélas, le Roucoups fit preuve de trop de rapidité pour que la Nosferalto évite son attaque. Le bec du volatile lui piqueta violemment la membrane fragile des ailes, tandis que ses serres traçaient une ligne sanglante sur son ventre. Souris supporta stoïquement l'attaque, et réagit alors que le Roucoups cherchait à s'envoler. Les mâchoires de la Nosferalto stoppèrent net ses projets. Les crocs redoutables s'enfoncèrent au niveau de son poitrail, disparaissant presque entièrement dans les plumes blanches qui se teintèrent de sang.

Le bec du Roucoups s'ouvrit sur un cri qui resta coincé dans sa gorge. Lorsque Souris desserra les mâchoires, l'oiseau demeura au sol, gisant sur le côté.

- Et le vampire des cieux eut raison de son adversaire... lança le dresseur en rappelant son Roucoups. À présent, le vampire des cieux va devoir se mesurer au terrible... Doduo ! poursuivit-il.

Je commençai à comprendre d'où venait son surnom d'ornithologue fou.

Le Doduo se révéla être un Pokémon aux airs d'autruche qui, curieusement, disposait de deux têtes. Je me rappelai en avoir déjà observé de loin dans les champs près de Céladopole. Chose bizarre pour un Pokémon oiseau, il était dépourvu d'ailes. Un type vol incapable de voler ? On rencontrait vraiment de tout dans le monde des Pokémon...

Le Doduo gratta la sol de ses grandes pattes, fixant Souris de ses quatre yeux. La Nosferalto demeura au sol, mais j'ignore si c'était parce qu'elle voulait se battre à armes égales ou simplement pour conserver ses forces.

Le premier round consista en un échange très simple : coup de becs contre coup de crocs. Souris demeura de marbre quand les becs jumeaux du Doduo s'enfoncèrent en biais dans son ventre, et le Pokémon oiseau ne broncha pas davantage lorsque les quatre aiguilles pointues qu'étaient les crocs de la Nosferalto percèrent une de ses pattes. Puis les deux Pokémons reculèrent, en attente de nos ordres.

- Le Doduo dodu utilisa alors sa technique secrète, la terrible Triplattaque...

- Cru-Aile, Souris !

La Nosferalto amorça son essor de façon pesante. Elle, elle allait avoir droit à une potion dès la fin du combat...

Je surveillai le Doduo, guettant la Triplattaque. Ce n'était pas un coup qui m'était familier et je le redoutai un peu. Trois orbes de couleurs différentes apparurent soudain devant l'oiseau : une rouge, une bleue, une jaune. Elles tourbillonnaient sur elles-même, abritant chacune un cœur en fusion qui jetait des éclairs. Le Doduo claqua son bec, et les orbes fusèrent brusquement vers Souris en crépitant. La Nosferalto battit des ailes pour repousser les projectiles. Je crus un moment qu'elle allait y parvenir. Mais non : elle ne réussit pas à produire des bourrasque suffisamment puissantes pour les faire changer de trajectoire.

La première des orbes, la rouge, s'écrasa sur Souris dans une gerbe de feu qui enveloppa entièrement une de ses ailes. Une odeur de chair brûlée emplit l'air instantanément. Puis une fraction de seconde plus tard, la boule bleutée la percuta à son tour, explosant en une multitude de grêlons. Les éclats de glace retombèrent en pluie au sol alors que la dernière orbe atteignait Souris dans un flash. Grésillement électrique. La Nosferalto se convulsa sous l'effet du courant.

Et tomba comme une pierre.

Mon sang se glaça.

J'avais compris. J'avais enfin compris. Mais c'était trop tard.

J'aurais dû le savoir. J'aurais dû m'en douter. Souris ne montrait pas ses émotions, ne se plaignait jamais à propos de quoi que ce soit, et cela incluait la fatigue qu'elle ressentait. Tout comme les blessures graves qu'elle avait déjà reçues. J'aurais dû en tenir compte. J'aurais dû m'apercevoir qu'elle n'avait pas les forces nécessaires pour combattre le Doduo. J'aurais dû la rappeler dans sa ball, ou à tout le moins lui donner une potion.

J'aurais dû. J'avais échoué à le faire, et elle en avait payé les conséquences.

Je m'approchai de son corps prostré, une boule dans la gorge et les jambes tremblantes. J'avais perdu Touffu juste hier. Aujourd'hui, je perdais Souris. Je posai une main sur son flanc immobile. La voix de Teigne retentit dans mon dos.

- Singe ?

- Elle est partie, lui répondis-je dans un murmure.

- Colossinge ! s'énerva-t-elle, et je devinai plus que je ne vis son bond vers le Doduo.

Ma voix claqua dans l'air, sèche.

- Non !

Puis, un ton plus bas :

- Non, Teigne. Si tu dois être en colère, c'est contre moi, et tu le sais très bien.

Je l'entendis s'approcher, puis sa grosse main se superposa à la mienne. Ses yeux trouvèrent les miens, et je fus soulagée au-delà des mots de ni lire aucun reproche. Aucune accusation. Je ne méritai pas son amitié. Ne voyait-elle donc pas que c'était moi la responsable ?

- Merde...

Ça, c'était l'ornithologue. Je levai la tête et constatai que son visage avait blanchi. Il était descendu de son perchoir et se tenait droit comme un I aux côtés de son Doduo.

- Merde, répéta-t-il. Je suis désolé, c'était un accident...

- Je sais, opinai-je. Un simple accident.

Rien à voir avec la mort de Touffu. Et pourtant ça faisait tout aussi mal.

- Tu...

- Je déclare forfait, le coupai-je. (Je m'emparai d'une partie de mon pactole et pris une poignée de billets que je comptai sommairement.) Mille Pokédollars, c'est honnête, nan ?

L'autre parut gêné.

- C'est pas nécessaire...

- J'insiste.

Ma voix sortit de façon plus coupante que ce que je visais. L'ornithologue accepta finalement mon argent, puis rappela son Pokémon et s'en fut, non sans s'être excusé encore une fois. Entre temps, Teigne avait saisi Souris dans ses bras et mes Pokémon s'étaient rassemblés autour de nous. Tous étaient amochés, et portaient les traces des combats de l'après-midi. Je leur administrai chacun une potion, leur murmurant des encouragements à mi-voix. Des encouragements que je n'aurais plus jamais l'occasion de prodiguer à Souris.

J'en avais marre. Marre de perdre des amis. Marre de faire des erreurs. Marre, marre, marre. Et Teigne qui pour la deuxième fois avait le cadavre d'un Pokémon ailé dans les bras...

Pourquoi ? Pourquoi doivent-ils mourir ? Pourquoi doivent-ils me quitter ?

Je ne possédais pas la réponse. Mais j'étais certaine d'une chose. Il fallait que je continue. Malgré mes doutes et mes faiblesses. Malgré les obstacles qui m'attendaient et les larmes que j'allais verser. Malgré tout, il fallait que j'aille jusqu'au bout. Je devais bien ça à mes Pokémon.

Je me relevai lourdement, et rappelai Souris dans sa ball une ultime fois. Elle se grisa et devint toute légère, à présent creuse et sans vie. Et pourtant, lorsque je la replaçai à ma ceinture, elle me sembla peser tout le poids du monde. Un nouveau fardeau à porter.

Nous poursuivîmes le voyage en silence. Grignotte marchait devant, en compagnie de Teigne. La Colossinge avait l'air perdue dans ses pensées. Plus aucune trace de colère dans sa démarche, juste de la tristesse mêlée de résignation. Elle apprenait à gérer le deuil... tout comme sa dresseuse, d'ailleurs. Salade et Plouf m'encadraient, un bestiau monstre de chaque côté. Quant à Princesse, elle était pelotonnée autour de mon cou en mode écharpe et ronronnait malgré ce qui venait de se passer.

Nous suivions un petit chemin de terre, bordé de haies en fleurs et de grands arbres. Les environs pullulaient de dresseurs. Certains s'affrontaient, d'autres jouaient avec leurs Pokémon ou bien discutaient entre eux. Aucun ne m'adressa la parole lorsque je passai parmi eux. Il faut dire que mon visage fermé et la présence de Salade et Plouf n'avaient rien d'encourageant. Je demeurai donc seule dans ma bulle, ressassant mes pensées, songeant à l'avenir et regrettant le passé.

Du moins ce fut le cas jusqu'à ce que notre route croise celle d'une bande de motards. Que des mecs, blousons de cuir et tatouages ultra voyants, juchés sur leur bécane en plein milieu du chemin, qui parlaient fort et riaient beaucoup. Je les contournai, mais l'un d'entre eux me repéra et m'apostropha :

- Hé, la miss, t'enfuis pas ! T'as pas envie d'un petit duel avec moi ?

- Non, répondis-je d'une voix morne sans prendre la peine de me retourner.

Le moteur de sa moto vrombit lorsqu'il l'enclencha pour me rattraper.

- Allez, quoi... insista-t-il en se portant à ma hauteur.

- J'ai dit non, répétai-je, toujours sans le regarder.

- T'aimes jouer les difficiles, on dirait...

Il me dépassa en trombe et stoppa sa moto au milieu du chemin en effectuant un dérapage contrôlé qui fit voler les gravillons.

- Maintenant, t'as plus le choix, fit-il en me toisant triomphalement. Si tu veux passer, tu m'affrontes !

Je contrai sa proposition d'un seul mot.

- Salade.

- Hein ? Qu'est-ce que tu racontes... Haaa !

Il cria de façon fort peu virile quand les lianes de Salade le soulevèrent lui et sa moto pour les reposer près du bas-côté, là où ils ne gêneraient personne, et surtout pas moi. En reprenant mon chemin, je l'entendis hurler une insulte à mon encontre, que je ne répéterai pas (pour les curieux, sachez simplement qu'elle commençait par un S).

Quelques minutes plus tard, nous nous trouvâmes de nouveau accosté par un intrus. Cette fois cependant, je n'en fus pas mécontente. Explication : l'intrus en question était une petite boule de poil haute de trente centimètres. Elle bondit sur la queue de Plouf depuis les hautes herbes avec un glapissement strident.

- Miiii !

Se voyant ainsi attaqué, Plouf ramena son appendice caudal devant lui, histoire d'identifier ce qui le chatouillait.

- Léviator ? s'enquit-il en louchant sur la bestiole.

- Mimiii ! répondit la boule de poil qui par un phénomène inconnu demeurait scotchée à Plouf.

Le Léviator secoua sa queue pour essayer de déloger l'intrus. Droite, gauche, droite, gauche. Haut, bas. Re droite, gauche. Rien n'y fit, la boule de poil refusait d'en descendre et semblait même beaucoup s'amuser sur cette balançoire improvisée.

- Léviaaa, fit plaintivement Plouf à mon intention.

- Tu veux de l'aide, mon Ploufi ? Toi qui es si fort et si puissant, tu n'arrives pas à te débarrasser tout seul d'une petite bête haute comme trois pommes ? me moquai-je gentiment.

- Léviatooor, souffla-t-il.

Il gronda sur la bête en question, un rugissement sauvage et rauque qui terrifia jusqu'à mes doigts de pieds. Il y eut une seconde de silence, puis elle répondit par de petits cris enthousiastes. Genre 'oh, toi aussi tu produis des sons ? Youpi, produisons des sons ensemble !' Le redoutable guerrier des mers avait trouvé un adversaire à sa taille, semblait-il.

Par habitude, je m'emparai d'une Superball, puis hésitai au moment de la lancer sur le pot de colle poilu. Pas par respect des règles de la Ligue, non. Je savais que nous avions changé de route depuis le fiasco du Roucool, car j'avais vérifié sur le Pokédex tout à l'heure - par habitude également. J'avais donc le droit de capturer un nouveau Pokémon. Mais le voulais-je vraiment ? Il ne pourrait jamais remplacer Souris, ça j'en étais consciente. Personne ne pourrait jamais remplacer ma Souris.

Et puis, à quoi bon m'attacher à une nouvelle petite créature si c'était pour la voir mourir ensuite ? Ça n'en valait pas la peine. Elle était bien mieux ici, dans son milieu naturel. J'abaissai mon bras. Teigne sanctionna mon action d'une voix dure :

- Colossinge.

Je croisai son regard, et reçus comme une décharge électrique. Ses yeux ne me criaient qu'une seule chose :

N'abandonne pas. N'abandonne jamais.

Impression fugace d'avoir raté une marche dans le noir. Nouvelle prise de repères, sensations qui se dédoublent et se dissocient. Je sentis quelque chose éclore en moi, un sentiment qui mélangeait fierté et regret. Chagrin et tristesse. Un sourire affleura sur mes lèvres. Stupide, stupide Léa. Évidemment que ça valait le coup. Dire que c'étaient mes Pokémon qui me donnaient des leçons.

Je remerciai Teigne d'un hochement de tête silencieux et lançai la ball. Elle s'ouvrit en percutant la fourrure noire de la boule de poil, l'aspira, puis retomba en un équilibre précaire sur la queue de Plouf. Belle trajectoire. Ça aurait sans doute valu beaucoup de points s'il avait existé un championnat du monde de lancer de Pokéballs. La ball en question se dandina en rythme. Droite, gauche, droite, gauche. Décidément, ce Pokémon adorait se balancer. Il devait également apprécier l'intérieur de sa nouvelle maison gracieusement offerte par votre serviteur car il décida d'y rester.

Plouf me remit solennellement l'orbe rouge et blanche tandis que je dégainai mon Pokédex.

- Spécimen identifié : Mimitoss, ânonna-t-il. Sexe : femelle. Les Mimitoss vivent à l'ombre des arbres et sont attirés par la lumière.

Ha, voilà qui expliquait son intérêt pour la queue de Plouf : les écailles du Léviator brillaient vachement au soleil, jusqu'à en devenir éblouissantes par moment. Bon, comment allais-je la surnommer ? Elle était assez mignonne en son genre, avec tout ses poils et sa capacité pot de colle... On pouvait même dire qu'elle était aussi poilue que collante. Tiens, c'était une idée, ça...

- Poilue, annonçai-je. Poilue la Mimitoss.

La ball remua légèrement dans ma main. Apparemment, ça lui plaisait. À ma grande surprise, Poilue ne fut pas transférée vers le PC et le Pokédex n'émit aucun commentaire sur la présence de ce septième Pokémon. Puis je tiltai. La ball de Souris ne comptait pas. Ne comptait plus, rectifiai-je mentalement.

J'effleurai d'une caresse la Pokéball grisée, puis remisai Souris dans un coin de mon esprit et m'adressai à mes Pokémon :

- On va avoir une petite nouvelle dans l'équipe, les amis. Soyez sympas avec elle.

Une pression d'un bouton fit apparaître la boule de poil à mes pieds. En la voyant comme ça de près, je me rendis compte que sa fourrure que je croyais noire était en fait d'un violet foncé. Je la détaillai davantage du regard, afin de mieux faire connaissance. Elle possédait des petites mains toutes trognonnes qui ressemblaient à celles du Ptitard croisé plus tôt dans l'après-midi, un nez rose sous lequel se situait une bouche ornée de deux pinces, et des yeux à facettes rouges qui n'étaient pas sans me rappeler ceux de Ficelle. Sur sa tête se dressaient deux longues antennes blanches que le vent faisait ployer.

- Miii ? fit-elle en levant les yeux vers moi.

- Tout va bien, la rassurai-je. Ça te dit de faire un bout de chemin avec nous ? Les autres vont t'expliquer comment ça se passe...

- Zarre, approuva Salade en tendant une liane amicale vers la Mimitoss.

Il se lança dans ce que je supposais être une longue description des principes du duo dresseur/Pokémon. Comme quoi le dresseur offrait amitié, nourriture et papouilles (au choix suivant le Pokémon) en échange de quoi ce dernier l'aidait à atteindre son but (vaincre la Ligue dans mon cas, si l'on voulait être gentil et m'attribuer un but potable). Enfin, j'espérais que c'était ce qu'il racontait. Si ça se peut, il plaignait Poilue car elle venait de se faire capturer par une dresseuse totalement nulle, et l'avertissait qu'elle allait sans doute claquer très prochainement.

- Singe, intervint Teigne, ajoutant son grain de sel au discours de Salade.

- Léviaator, contra Plouf. Lévia, lévia.

Princesse sortit un instant de sa torpeur pour miauler un simple petit 'Miaouss' que je fus bien en peine d'interpréter, puis elle se rendormit.

- Saaaa, sablai...

Si Grignotte s'y mettait lui aussi...

- Vous aurez le temps de parler tout votre soûl d'ici à ce qu'on arrive, décrétai-je. En attendant, ne restons pas là.

À mon signal, nous repartîmes vers Parmanie, pressant le pas. Le soleil déclinait dans le ciel, signe que la journée allait bientôt se terminer. L'air commençait d'ailleurs à franchement se rafraîchir (bon ça, ça faisait du bien après la séance de cramage intensif auquel je venais de me soumettre), et je ne tenais pas spécialement à devoir camper à la belle étoile. L'idéal aurait été d'arriver avant l'heure du dîner, c'est-à-dire il y a une heure de cela. Comme je ne disposais pas encore de la technologie pour voyager dans le temps, c'était râpé. Je me rabattis sur 'avant l'heure d'aller se coucher' et réglai l'allure sur vive, saluant les personnes croisées d'un simple hochement de tête, tandis que mes Pokémon me suivaient tout en bavardant bruyamment. Leurs interactions donnaient parfois des résultats bizarres qui m'arrachèrent un sourire ou deux (par exemple, une combinaison de Plouf et de Salade qui produisit le mot 'Lézard').

Quelques minutes s'écoulèrent ainsi, avant qu'une ville ne se dessine au loin, récompensant mes efforts. Je distinguai des bâtiments courts sur pattes aux toits d'une couleur à mi-chemin entre le rose et le rouge, nichés entre les collines. Aucun gratte-ciel dans le genre de ceux de Céladopole, mais ça ne m'étonna pas outre mesure. Je sentis mon moral remonter à cette vision. Nous y étions finalement parvenus, en dépit de tous les obstacles rencontrés.

Je redoublai la cadence de ma marche.

- Allez les cocos, on y est ! m'exclamai-je en guise d'encouragement pour mes Pokémon (ce qui était un peu un mensonge parce qu'on en avait encore pour un bon quart d'heure, minimum).

Nous étions presque arrivés quand Plouf émit un grondement ennuyé. Je jetai un regard dans sa direction, et reçut une forte impression de déjà vu. Sa queue ramenée devant lui, le Léviator louchait sur la boule de poil qui s'y trouvait suspendue.

- Poilue, arrête d'embêter Plouf, déclarai-je.

- Miii ? fit une voix dans mon dos.

Je me retournai, et découvris la petite Mimitoss. Elle attendait sagement à côté de Salade, qui émit un 'Zarre' amusé face à ma méprise. Ha. Plouf avait donc à nouveau appâté un Mimitoss. C'est que je n'avais pas encore la finesse du vieil homme de la pension lorsqu'il s'agissait de différencier deux Pokémon appartenant à la même espèce, moi.

Un coup d'œil au Pokédex, et ma décision était prise. J'allais le capturer lui aussi : ça ferait un copain à Poilue. Sauf que c'était plus facile à dire qu'à faire. La première Superball que je lançai rebondit contre les écailles de Plouf. Je ratai mon coup avec la deuxième, et elle se perdit derechef dans les hautes herbes. Idem pour la troisième. Pendant ce temps, la bestiole violette mordillait la queue de Plouf à grands renforts de bruits pas très ragoûtants (dans le genre shrrrpmfflll, grrrouuuf, ou encore krrllllmmbbm).

Finalement la quatrième fois fut la bonne, et le Mimitoss se trouva enfin dématérialisé. Lui non plus ne remua pas des masses dans la ball, et après deux trois mouvements de balancier, elle s'immobilisa définitivement. Celui-là était un mâle, d'après mon Pokédex.

- Toi, ce sera Poilu.

Y avait pas de raison ! Par contre, ça allait être galère si un jour je les avais tous les deux dans l'équipe... Mais on verrait bien quand on serait là. Pas de raison de s'inquiéter pour quelque chose qui ne se produirait peut-être jamais.

Après tous ces événements, laissez-moi vous dire je ne fus pas fâchée d'entrer dans Parmanie. Bien au contraire. La campagne, ça allait un moment, mais moi j'étais une fille citadine. Je retrouvai le bitume avec plaisir, et pris mon temps en traversant la ville, observant les bâtiments tout en tentant de mémoriser le chemin que j'empruntais. Je notai que beaucoup de maisons possédaient un petit jardin avec un étang, une caractéristique qui tout compte fait coulait de source dans un monde où se baladaient des Pokémon. Y avait l'air d'avoir pas mal de choses à visiter par ici, ce qui me réjouissait. La route principale longea même une sorte de zoo en plein air à un moment. Enfin j'étais trop loin pour en avoir la certitude, mais ça ressemblait fort à des enclos et des mares, le tout délimités par des barrières.

Finalement, je contournai un gros amas de rochers rectangulaire et parvins au centre Pokémon. J'entrai et m'écroulai sur le canapé le plus proche, les jambes sciées. Ouf. Je fermai les yeux, et prétendis durant quelques minutes que j'étais de retour chez moi, sur le divan de la maison familiale. Malheureusement j'avais fort à faire pour ignorer la réalité car Princesse me ronronnait dans l'oreille et mes Pokémon avaient décidé de poursuivre leur discussion juste en face de moi - à voix basse, certes, mais quand même.

Je laissai donc tomber ce rêve chimérique et me contentai d'apprécier la moelleusité du canapé. J'aurais bien dormi ici, tiens. Non, ça n'aurait pas été raisonnable. Je puisai la force de me lever dans je ne sais quelle réserve cachée et me présentai à l'accueil.

- Bonsoir, me sourit l'infirmière.

Je lui répondis plus ou moins intelligiblement (c'est à dire 'choi', le résultat d'une tentative de prononcer 'soir' tout en étouffant un bâillement), puis m'adressai à mes Pokémon.

- Allez tout le monde, c'est l'heure de dormir...

Personne n'émit d'objection, et Princesse ronronna même plus fort dans mon cou. Je fis donc rentrer mes Pokémon dans leurs maisons et les donnai à la dame. Un petit tour sur la machine miracle et elle me les rendis.

Je me détournai, ayant pour idée de me rendre au dortoir en sous-sol, avant de m'apercevoir que j'avais oublié quelque chose.

- Euh... commençai-je.

Bon, allez, lance-toi, Léa.

- Si je voulais vous signaler que le ponton de la route 12 s'était brisé, à qui devrais-je m'adresser ?

- Oh, je suis sûre qu'ils s'en sont aperçus à l'heure qu'il est, mademoiselle, me répondit-elle, souriant toujours. La police de Carmin-sur-Mer patrouille régulièrement dans ce secteur. Vous disposez d'informations concernant la façon dont c'est arrivé ?

Qu'il était tentant de répondre 'Non, je n'en ai pas la moindre idée' et d'en rester là. Je chassai cette vilaine pensée.

- C'est moi qui l'ai cassé. Enfin, non. Enfin si, mais indirectement. En fait c'est le Ronflex qui l'a cassé en tombant, mais c'est moi qui l'avait réveillé, alors...

L'infirmière m'avait écouté me contredire avec un amusement grandissant. Alors que j'allais me lancer dans des explications plus détaillées, elle m'arrêta d'un geste.

- Allez dormir, mademoiselle. Vous ne tenez plus sur vos jambes. Nous reparlons de cet incident demain matin.

Oh. Dormir. Bonne idée.

Je me traînai jusqu'au dortoir en mode zombie et m'effondrai sur le premier lit de libre.

***

Au bord du gouffre, le vide me tend les bras. Le vent dans mon dos souffle fort, menaçant mon équilibre.

Une voix désincarnée résonne tout autour de moi.

- As-tu peur, Léa ?

Le précipice m'attend. Il suffirait d'un pas.

- As-tu peur de la mort ?

Un seul pas et je sombre.

- Ce n'est que naturel, poursuit la voix. Notre instinct fait tous pour nous garder en vie, tandis que notre esprit logique, lui, s'échine à trouver mille raisons de vivre, et nos sensations nous affirment à chaque instant que vivre est un plaisir... Ta peur est justifiée.

Ce serait si facile. Aucun effort à fournir.

- Mais ne te laisse pas définir par cette peur... accepte-la, sers t'en. Qu'elle soit ton outil et non ton maître.

Je n'en vois pas le fond... une chute sans fin dans les ténèbres. Sans espoir.

- Une arme que tu utiliseras contre tes adversaires. Qu'ils te craignent, et tu goûteras la victoire.

La voix martèle une dernière phrase :

- Rien n'arrive sans raison.

J'écarte les bras et me laisse tomber, m'offrant toute entière au néant.


***

Réveil en douceur. Je chassai les débris d'un rêve qui flottaient dans mon esprit et me redressai sur ma couche en m'étirant. Waouh. J'avais bien dormi. Trop dormi, même. L'horloge digitale du Pokédex indiquait 12h47. Bonjour la Ronflex.

Grruiik.

Je sursautai. Quel monstre pouvait bien avoir produit ce bruit ? Un alien venu de l'espace ? Ha non, c'était tout simplement mon estomac. Je me mis en devoir de l'apaiser, et après un rapide passage dans la salle de bains commune histoire de me décrasser, j'allai prendre le petit-déjeuner à la cafétéria. Elle était blindée de chez blindée - Parmanie devait être une ville très touristique. La plupart des gens déjeunaient, mais je repérai un ou deux retardataires comme moi qui en étaient encore à la combo tartine + beurre.

Je me composai un plateau comprenant des petits pains aux graines de sésame, du beurre, de la confiture, et du jus de fruits - pamplemousse, miam -, puis je m'installai en bout de table, les fesses à moitié posées sur le banc. Vu le manque de place, impossible de faire sortir toute ma petite troupe. J'en choisis donc deux : Princesse, car je savais qu'elle allait me faire la gueule ensuite si je la laissai dans sa ball, et Poilue, parce que je voulais l'habituer à sa nouvelle vie.

- Miaousss, miaula la boule de poil en sautant immédiatement sur mes genoux, ne doutant pas une seule seconde d'y être la bienvenue.

- Miii ? fit la seconde boule de poil en levant les yeux vers moi.

- Coucou, toi, lui dis-je tout en avançant une main prudente vers elle.

Elle ne broncha pas quand j'effleurai ses antennes, et resta immobile quand je lui caressai la tête.

- Derrière l'oreille, lança un garçon assis en face de moi. Les Mimitoss adorent ça.

Je suivis son conseil et Poilue ne tarda pas à se frotter contre ma main, réclamant des grattouilles. Je remerciai le dresseur d'un sourire puis m'attaquai à mon repas. Princesse préleva sa part sur mes petits pains d'un coup de patte, pendant que Poilue, elle, léchait le couteau couvert de beurre - elle en redemanda même, la morfale. Mordant dans ma tartine, je songeai à ce que j'allais faire aujourd'hui. Il y avait la situation avec le Ronflex à régler... et le truc du ponton, aussi. Et puis pourquoi ne pas faire un peu de tourisme, tant que j'y étais ? L'arène, ça serait pour plus tard. Sans compter qu'il fallait que j'entraîne Poilue afin de faire d'elle une membre de l'équipe à part entière.

Mon petit-déj terminé, je remontai dans la salle principale. Au terminal du PC, j'échangeai Poilue contre Pleind'soupe. Je connus un instant d'hésitation lorsque je réalisai que je pouvais, si je le voulais, stocker la Pokéball de Souris. Un bref instant durant lequel j'oscillai entre passé et futur. Je relevai la tête. Non. C'était mon fardeau, et j'allais le porter jusqu'au bout.

Cette question réglée, je sortis à l'extérieur pour libérer le Ronflex (ça valait mieux si l'on voulait éviter de la bouillie de dresseurs dans le centre). Sa grosse masse apparut, me bloquant complètement la vue de la mer qu'on apercevait au loin. Il resta allongé par terre, ronflant légèrement. Ha. Pas étonnant, remarque. Je lui donnai une tape sur le flanc.

- Pleind'soupe ? Tu m'entends ?

Une paupière se souleva et un œil de la taille d'une grosse assiette s'ouvrit et se tourna vers moi.

- Ron... flex ?

- Tu veux faire quoi, mon gros ? Ça te dit de rester avec moi ou bien tu veux retourner dans la nature ?

- Ron... flex...

L'œil se ferma, et un ronflement se fit à nouveau entendre. Il s'était rendormi.

- Il a dit quoi ? demandai-je à Princesse

- Miaouss. Mia, miaouss, répliqua-t-elle.

Le tout dit sur un ton neutre, sous-tendu par un soupçon de perplexité. Elle non plus ne savait pas quoi du penser du patapouf. Bon, j'essayerai plus tard... Retour dans sa ball pour Pleind'soupe. Alors que je rentrai dans le centre, l'infirmière à l'accueil me fit signe. Je la dévisageai une seconde, tentant de déterminer si c'était la même que celle à qui j'avais parlé hier soir. Pas sûr. Les cheveux roses fushia étaient bien là, mais son visage n'était-il pas plus fin ? Et ce grain de beauté sur la joue gauche, l'autre ne l'avait pas, non ? Pfff... J'abandonnai. De toute façon, elles se ressemblaient toutes.

- Mademoiselle... j'ai parlé au commissaire de Carmin-sur-Mer, poursuivit-elle. Le procès verbal est ici, si vous désirez le consulter.

- Dites-moi juste combien il faut que je paye.

- L'amande pour destruction de biens publiques s'élève à 5000 Pokédollars. Elle tient compte des circonstances atténuantes et de votre jeune âge.

Moins cher que ce à quoi je m'attendais... C'était environ la totalité de la somme que j'avais gagnée hier. Je payai directement l'infirmière, la chargeant d'acheminer l'argent jusqu'à Carmin-sur-Mer, puis récupérai Poilue. Je me tartinai ensuite de crème solaire, fis le plein de bouteilles d'eau, et vérifiai la batterie de mon portable. Et voilà ! J'étais fin prête pour partir en expédition dans la ville.

Je commençai par longer la barrière rocheuse qui séparait le centre Pokémon du reste des habitations, passant devant l'arène au passage. Les portes étaient grandes ouvertes ; je jetai un bref coup d'œil et entrevis une pièce plongée dans l'ombre. Un petit frisson désagréable me chatouilla la nuque. J'en fis abstraction et continuai mon chemin. Me laissant guider par mon humeur, je me retrouvai à flâner dans les rues résidentielles, avec mes deux boules de poils pour toute compagnie. Les maisons ici avaient un certain style, et l'agencement de certains jardins relevaient tout simplement de l'art. Je me penchai plus d'une fois au-dessus des clôtures pour admirer les parterres de fleurs colorées, les mares qui reflétaient le ciel d'été, ou encore des haies taillées pour ressembler à des Pokémon.

J'étais justement en train d'essayer de voir de plus près une de ces haies car je ne reconnaissais pas le Pokémon - c'était quoi, un genre de taureau ? - quand une voix me fit sursauter :

- Bonjour !

Un homme que j'avais complètement zappé jusque là me faisait coucou. Il était installé sur un tabouret près du plan d'eau et tenait une canne à pêche.

- Bonjour... répondis-je avec un temps de retard.

Mes joues s'empourprèrent. Le mec venait de me surprendre en train de zyeuter son jardin. Léa la voyeuse... Vite, trouvons un truc pour meubler la conversation.

- Ça mord ?

Brillant, Léa. Ta capacité à manier la rhétorique est décidément sans limite.

- Pour sûr ! s'exclama néanmoins l'homme, l'air enthousiaste. Vous voulez essayer ?

- Euh...

- Mais si, allez !

Bon, après tout, pourquoi pas... Je sautai par-dessus le muret et rejoignis l'homme. Tout sourire, il me plaça la canne à pêche dans les mains tout en me prodiguant de nombreuses explications bien trop techniques dont je ne retiens absolument rien. Moi, je me limitais à : si ça tire, je tire. Du haut niveau.

Je découvris vite que pour pêcher, il fallait disposer d'une qualité cruciale dont je manquais cruellement. La patience. Au bout de cinq minutes, j'en avais déjà marre. Je me dandinai d'un pied à l'autre, bougeant la ligne de temps en temps, tout en élaborant des stratégies pour fausser compagnie au mec sans paraître malpolie. J'entendais mes Pokémon qui s'amusaient derrière moi, et le bruit de leurs course-poursuites m'envoyaient des démangeaisons dans les jambes.

Tout à coup, alors que j'avais perdu tout espoir, la canne ploya entre mes mains. Surprise, je m'arc-boutai pour faire contrepoids, tirant sur la ligne. Bon sang, il était maousse costaud ce poisson ! Mes bras commençaient déjà à fatiguer, alors je rassemblai mes forces et donnai un dernier coup. Ma tactique fonctionna et je ramenai sur la terre ferme un gros poisson orange et noir, avec des nageoires bordées de corolles et une corne sur la tête.

- Un Poissoroy ! s'écria l'homme. Z'avez d'la chance pour une première fois...

- Roy ! confirma le Pokémon d'un ton plaintif.

Je grimaçai à la vue de l'hameçon planté dans sa bouche. C'était la première fois que je capturais un Pokémon en lui faisant mal moi-même.

- Viens par là mon bonhomme...

Je lui jetai une Superball dessus (bon, le plus délicatement possible, hein). Elle tient bon dès le premier coup, et je constatai que la canne à pêche et son hameçon, eux, étaient restés au sol. Pratique. Mon Pokédex m'informa que je venais de pêcher une femelle Poissoroy. Je décidai de la surnommer Croustibat (moi, influencé par la pub ? mais non).

Le pêcheur décidément très amical me tapa dans le dos.

- Bien joué, gamine ! Tu sais quoi, pour fêter ça, j't'offre la canne à pêche aussi !

Je le remerciai, puis pris congé. Il y avait des gens sympas ici... Mise de bonne humeur par cette rencontre inopportune, je m'aventurai vers des endroits plus fréquentés, me fondant dans la masse d'un groupe de touristes qui visitaient la ville. La femme qui leur servait de guide s'arrêtait souvent pour commenter tel ou tel bâtiment, soit pour donner des informations à caractère historique, soit pour raconter des petites anecdotes amusantes, et parfois les deux. C'est ainsi que j'appris que Gaston Fourretout, l'inventeur de la Pokéball, était né et avait grandi à Parmanie, et qu'il était malencontreusement décédé lorsque son Pokémon préféré, un Excelangue, s'était assis sur lui.

Je suivis le groupe jusqu'à ce qui semblait être l'attraction principale de la ville, un truc dénommé le Parc Safari. Apparemment, le parc était la partie immergée de l'iceberg que constituait le zoo que j'avais aperçu hier soir, et s'étendait sur quinze hectares sauvages où vivaient plus de vingt espèces de Pokémon en liberté (dixit la guide). Je payai l'entrée, seulement 250 Pokédollars (vive les tarifs de groupe, niark niark), et reçus en échange un sac d'appâts et des Pokéballs spéciales. Munie de ces deux indispensables atouts si par ailleurs je voulais choper un Pokémon au lieu de simplement les regarder, je pénétrai dans le parc.

Oh mon dieu, pitié, tuez-moi.

Laissez-moi corriger ça : dans le four. Au premier pas, la chaleur m'avait frappé sans pitié, avant de m'assommer puis de me traîner par terre tout en criant victoire. Chancelante, je cherchai mon souffle tel un poisson hors de l'eau. Il devait bien faire 40°. 40° à l'ombre, j'entends. L'environnement me rappelait la savane : un sol de terre sableuse sous mes pieds, recouvert d'une herbe drue, plus une étendue d'eau pas très loin... Aucun Pokémon en vue pour l'instant.

Le groupe demeura vers l'entrée tandis que la guide se lançait dans un discours sur les conditions de vie des Pokémon ici. Je les plantai là et partis toute seule. Enfin, aussi seule que je pouvais l'être avec mes Pokémon. Je libérai tout le monde, et souris en les voyant faire les fous.

- Profitez-en, les enfants ! Aujourd'hui, c'est vacances.

Je suivis mon propre conseil et savourai le soleil sur ma peau tandis que je marchais. J'avais choisi une destination au hasard, et me contentai d'admirer le paysage, cherchant à apercevoir les Pokémon du parc. Aucun dresseur à combattre, pas de souci à se faire... La vie était belle.

Les deux premières heures de ce long trek dans la savanes se déroulèrent sans encombres. Mes Pokémon s'en donnaient à cœur joie, se défoulant comme jamais. Un observateur non averti aurait pu croire que je les avais gardé un an enfermé dans leurs balls. Princesse se cachait dans l'herbe et faisait peur à Poilue, qui elle suivait Plouf dans le moindre de ses déplacements, toujours très intéressée par sa queue. Même lorsque le Léviator plongea dans un petit lac qui se trouvait sur notre chemin, la Mimitoss le suivit, poussant un glapissement suraiguë. Mon Salade, lui, se gorgeait de soleil, la fleur sur son dos dégageant un parfum entêtant, tandis Teigne et Grignotte discutaient. Voir ces deux-là ensemble était assez inhabituel, et je me demandai bien de quoi ils pouvaient parler.

- Zarre, lança soudain Salade alors que nous venions de contourner un gros rocher.

Il m'indiqua d'une liane le gros Pokémon qui venait d'apparaître, une précaution superflue car il aurait été difficile de le manquer, celui-là. Mesurant environ un mètre, il ressemblait à un crabe qui portait sur son dos un gros champignon génétiquement modifié. L'énorme chapeau rouge strié de jaune cachait tout le reste du corps du Pokémon. Ses pattes avaient l'apparence de longues pinces, et se ployaient sous le poids de son fardeau. Comme si ça ne suffisait pas, ses yeux n'étaient que deux billes complètement blanches, poussant la bizarrerie à son summum.

- Gentil, gentil... fis-je en prenant ma voix la plus douce pour l'amadouer.

Il ne bougea pas, m'observant de ses yeux de zombie. Je lui balançai un appât, qu'il engloutit aussitôt. C'est ça, mange... Estimant que j'avais mes chances, je tentai alors de le capturer avec une Safari Ball. Il s'en échappa en moins de temps qu'il ne me fallut pour cligner des yeux, et réapparut. La nourriture devait être à son goût car il s'approcha de moi, ses pinces cliquetant. Je lui jetai un deuxième appât. Il termina dans son estomac aussi vite que le premier. Mon second essai avec les balls échoua de la même manière. Et ce petit manège se poursuivit comme ça pendant un bon bout de temps. Ces foutues Safari Balls ne tenaient pas ! Ils m'avait refilé de la camelote... Logique. Moins ça marche plus tu payes pour que ça marche...

Au final, le Pokémon se fit la malle une fois qu'il eût mangé tout son content. Hé bah. C'était bien la peine. Je fis contre mauvaise fortune bon cœur et distribuai le reste du sac d'appâts aux Pokémons que nous croisâmes par la suite - la plupart de la famille des Nidorans.

Vers 17 heures, nous fîmes halte au bord d'un plan d'eau pour remplir nos estomacs. Snacks pour moi, boulettes et croquettes au fumet contestable pour mes Pokémon. Je croquai dans mon gâteau sablé, surveillant Princesse et Poilue du coin de l'œil. La boule de poil number 1 avait tendance à entraîner la boule de poil number 2 dans des bêtises toutes plus imaginatives les unes que les autres.

Salade émit soudain un 'Florizarre' d'avertissement. Je me retournai et me retrouvai nez à nez avec un Kangourex. Oups. Je me figeai, n'osant plus faire un geste. Les lianes de Salade vinrent former un écran de protection devant moi, tandis que Teigne s'approchait pour se placer entre la menace et moi.

- Kangou ? s'enquit le kangourou mutant, les yeux fixés sur mes réserves de nourriture pour Pokémon.

- Zarre ? s'étonna Salade.

- Kangourex. Kangou, kangou, kangourex, précisa l'autre.

- Zaaarre...

Salade retira ses lianes et m'adressa un regard qui signifiait qu'il n'y avait rien à craindre. Teigne lâcha un simple 'Singe', puis s'en retourna discuter avec Grignotte. Aucun danger, donc ? Encore un peu sceptique, je m'emparai d'une boulette puante et la tendis au Kangourex.

- Gou ?

Ce glapissement n'avait pas été proféré par le Kangourex, mais par la peluche miniature sortie de la poche ventrale du grand Pokémon.

- Owww qu'il est mignon...

Et ça, c'était moi, en train de fondre devant le bébé Kangourex. Il poussa un petit cri tout joyeux en avisant la nourriture que lui tendait sa maman et se jeta dessus, se baffrant de la façon la plus mignonne qui soit.

- Kangou ? réitéra la maman.

- Oui, tiens, tu peux avoir le reste, ne te gêne pas... lui répondis-je.

Elle s'empara de quelques boulettes de plus et s'éloigna à petits bonds. Et moi qui m'était imaginée devoir la combattre... Contrairement aux deux autres Kangourex au comportement sanguinaire que j'avais rencontrés jusque là, celle-ci était douce comme un agneau.

La pause goûter terminée, mes Pokémon et moi explorâmes plus avant le parc Safari. Nous nous enfonçâmes dans les recoins les plus isolés, là où personne ne se promenait jamais. Toute présence humaine se faisait rare, et en contrepartie, la quantité de Pokémon au mètre carré montait en flèche. Nous croisâmes d'autres Kangourex, des Tauros, et une quantité impressionnante de Nidoran et Nidorina. J'entrevis même à un moment l'ombre d'un Pokémon entièrement vert doté de lames impressionnantes en guise de bras.

Le soir tombait lorsque j'arrivai dans un endroit étrange, coupé du reste du parc par deux barrières rocheuses. Je m'arrêtai et contemplai les environs. Ici il n'y avait ni herbes hautes ni Pokémon, et un chemin de dalles blanches menait à une maisonnette au bord d'une mare.

Des griffes effleurèrent ma jambe nue. Je baissai les yeux vers Grignotte. Pour une raison connue de lui seul, il n'attirait jamais mon intention à voix haute.

- Oui, Grignotte ?

- Blai.

Il ouvrit la bouche et déposa un truc tout gluant à mes pieds. Je me penchai. Mais... je rêvais ou il s'agissait bien d'un dentier ? Un dentier en or, même. Berk. Je le pris prudemment avec deux doigts et récupérai un vieux sac plastique au fond de mon sac pour l'y enrouler dedans.

- Blaireau ?

- Oui, oui, tu as bien fait de me le rapporter, lui assurai-je.

- Blaireau ! se vanta-t-il en retournant près de Teigne.

'Tu vois, elle en a voulu finalement', semblait-il dire. Teigne secoua la tête, sans doute perplexe face à mes goûts en matière de cadeau.

- Allez, venez. On va voir ce qui se cache dans cette maison, déclarai-je.

En m'approchant, je m'aperçus que la porte était entrouverte. Elle grinça affreusement lorsque je la poussai.

- Bonjour... Y a quelqu'un ? lançai-je, momentanément aveuglée par le passage soudain de la lumière à l'ombre.

- Bravo ! s'écria une voix masculine.

Je clignai des yeux et m'aperçus qu'elle appartenait à un mec ultra bronzé, qui me souriait de toute la blancheur de ses dents.

- Tu as trouvé la cabane secrète ! continua-t-il. Admire ta récompense, jeune fille ! (Il brandit un disque bleuté.) La CS Surf ! Avec elle, tes Pokémon aquatiques te porteront sur l'eau, fendant les flots avec grâce et agilité !

J'avais le cul bordé de nouilles, moi, dis donc.

- Fais-en bon usage ! termina le mec en me l'offrant.

Je le remerciai et rangeai le disque dans mon sac. Hop, pour Plouf celle-là.

Cette découverte fortuite conclut la journée en beauté, et je sortis du parc, crevée et coup-de-soleillée à mort, mais heureuse. En passant devant le guichet, je me rappelai du dentier et le remis à l'employé en précisant que je l'avais trouvé par terre. Il y avait à peine jeté un coup d'œil qu'il s'exclama :

- Oh bah ça alors, le dentier du vieux Gilles ! Ha merci, gamine, on va enfin pouvoir comprendre ce qu'il raconte ! Tiens, pour ta peine, prends ça ! Ça fait des années que cette CS moisit dans la boîte aux objets trouvés, et personne n'est jamais venue la réclamer ! Je crois qu'elle contient Force...

Non, là ce n'était pas possible d'avoir autant de chance. Soit le destin avait définitivement pété un câble, soit un truc pas sympa du tout allait bientôt me tomber sur le coin du nez pour compenser... Chassant cette pensée décidément très optimiste, je retournai au centre Pokémon. L'infirmière m'adressa un sourire en me voyant entrer.

Est-ce que c'est la même que celle de ce matin ? me demandai-je, avant de me foutre une tape mentale. Ha non, tu vas pas recommencer, hein...

Après un dîner léger, je passai la soirée à discuter avec un dresseur qui possédait un Miaouss tout comme moi. Nous échangeâmes quelques techniques pour contrôler nos petits félins - 'monstres' aurait été un mot plus approprié -, puis je partis dormir, les jambes en compote et l'esprit bouillonnant d'hypothèses.

Le lendemain, je choisis de débuter la journée par un peu d'entraînement. L'arène, ce serait pour cet après-midi, si je me sentais de taille. Je partis vers la piste cyclable, histoire de voir à quoi elle ressemblait à ce bout-là. Il s'avéra qu'il n'y avait pas grand chose à voir : de l'herbe, un chemin de terre en pente qui remontait vers le nord, et c'était tout. Par contre, je découvris un petit coin un peu avant la piste qui regorgeait de dresseurs et de Pokémon sauvages. Parfait.

- Hé toi là-bas ! fis-je en apostrophant un dresseur au hasard. Ça te dirait un duel ?

Le mec parut surpris, puis hocha la tête. Pour une fois que c'était moi qui prenait l'initiative... Il libéra ses Pokémon - des oiseaux -, tandis que j'envoyai Teigne au combat, avec Poilue comme suppléante. Malgré son désavantage en type, la Colossinge ne mit pas longtemps à se débarrasser des bêtes à plumes.

- Singe, proclama-t-elle en se frottant les mains.

- Je sais que t'es forte, ma grande, lui dis-je en acceptant les Pokédollars que le vaincu me tendait. Mais on est là avant tout pour Poilue.

- Miii ?

- Oui, toi. Allez, on continue !

J'alternai chacun de mes Pokémon en duo avec Poilue contre les dresseurs suivants. Salade montra l'exemple aux autres, laissant la bouboule placer un Choc Mental alors que le Doduo adverses titubait, avant de le terminer d'un coup de liane sur le bec. Plouf l'imita, affaiblissant les Pokémon ennemis et permettant à Poilue de porter le coup de grâce. Grignotte, lui, poussa même le jeu plus loin et se contenta de les déstabiliser, tandis que Poilue devait pratiquement faire tout le boulot.

Malgré la charge de travail plutôt conséquente, la boule de poil ne se démonta pas et continua courageusement à faire face. Je surpris le regard envieux de Princesse posé sur elle. La Miaouss sortait et rétractait ses griffes au rythme des combats, désireuse de se joindre à la bagarre. Je soupirai discrètement. Je n'allai sans doute pas pouvoir le lui interdire pour encore très longtemps...

Lorsque midi sonna, Poilue était en nage, ses poils tout collés de sueur. Je décrétai une pause, et nous prîmes la route du centre Pokémon pour aller manger. Nous étions quasiment sortis des hautes herbes quand un Doduo sauvage nous barra le chemin.

- Miii !

Poilue lui fonça dessus, et lança un Choc Mental avec confiance, comme nous l'avions répété toute la matinée. Le Doduo se raidit puis secoua ses deux têtes, avant de répliquer rageusement par une Tripleattaque. Mon sang ne fit qu'un tour et l'image de Souris flasha dans mes yeux. Les orbes triples s'écrasèrent toutes ensembles sur la Mimitoss, créant un maelström de feu, de givre, et d'éclairs. J'entendis Poilue gémir, puis il y eut un craquement étrange, et la glace l'enserra toute entière, l'empêchant de de bouger.

Ça suffisait. Je brandis sa Pokéball pour rappeler la Mimitoss, mais le Pokémon oiseau fut plus rapide. Il se précipita sur elle et lui asséna un violent coup de bec qui fit éclater sa cage de glace. Le rayon rouge de la Pokéball toucha la boule de poil une fraction de seconde après.

Je serrai la ball jusqu'à en avoir mal à la main.

Je savais que c'était trop tard. Une fraction de seconde trop tard, mais trop tard quand même. Je le savais.

À quoi bon retarder le moment ? Je baissai les yeux sur la Pokéball de mon petit monstre poilu. Son sommet était grisé. Un nouveau Pokémon, si vite disparu. Ce n'était pas aussi cruel que Ficelle ou Souris, et pourtant cela m'atteignait tout autant.

- Grignotte... Fais-le fuir.

Le Sablaireau chassa le Doduo proprement. Je restai immobile, le poing serré sur la ball de Poilue. Mes Pokémon s'agglutinèrent autour de moi. Princesse se frotta contre mes jambes, Grignotte posa sa tête contre ma main, Plouf m'érafla l'épiderme avec ses écailles, Salade recouvrit mes épaules de ses lianes, et Teigne m'adressa un long regard, ce qui pour elle équivalait à un contact physique. Je pris une grande inspiration et la relâchai.

- Allez... on rentre.

Nous retournâmes au centre Pokémon en silence. J'avais perdu mon appétit, et sautai le déjeuner. Mes pas me menèrent tout naturellement vers l'un des PC en libre-service. Comme dans un rêve, je glissai avec respect la ball grisée dans mon sac, tout contre celle de Souris, puis retirai Poilu des entrailles numériques de l'ordinateur. J'étouffai un petit rire triste en me rappelant qu'il y avait deux jours à peine je m'étais inquiété de savoir comment je me débrouillerais si je venais à avoir les deux Mimitoss ensemble dans l'équipe.

Une malédiction semblait s'acharner sur les filles de l'équipe. Teigne était la seule survivante. Et puis il y avait Princesse, évidemment, mais je ne m'étais jamais servie d'elle en combat...

Je soignai mes Pokémon, puis ressortis du centre. Inévitablement, mon regard fut attiré par l'arène. Elle se trouvait juste sur la droite, et je n'avais qu'à faire trois pas pour m'y rendre.

Un.

Mais t'es folle, qu'est-ce qui te prends ?

Deux.

Tu viens de perdre un Pokémon, et tu veux te jeter dans la gueule du loup ?

Trois.

J'abandonne. De toute façon tu m'écoutes jamais.

Ma pauvre conscience tourna les talons et me laissa seule face à mes erreurs. L'entrée de l'arène s'offrait à moi, l'obscurité qui régnait à l'intérieur m'attirant inexorablement. Plus qu'un ultime pas en avant, et j'y serais. Je levai le pied...

...et la sonnerie de mon portable retentit.

- Allô ?

- Léa ?

Je reconnus la voix paniquée de Léonard à l'autre bout du fil. Tout mon être se tendit aussitôt comme une corde d'arc.

- Qu'est-ce qui se passe ?

- Léa... continua-t-il, et je devinai son stress à la façon dont il accentuait mon prénom. Tu sais, il y a quelque chose qu'il faudrait que tu saches à propos de moi. Quelque chose que je voulais te dire depuis longtemps, mais l'occasion ne s'est jamais présentée... Alors, voilà, je vais te le dire maintenant, juste au cas où...

- À quoi tu joues, Léonard ? Merde, dis-moi ce qui se passe !

Son ton me laissait craindre le pire.

- Je... Je t'aime, Léa.

J'en restai bouche bée. Quoi ? Qu'est-ce qui pouvait bien le pousser à m'avouer ça ?

- Léonard, je...

Il y eut de l'agitation à l'autre bout de la ligne.

- Donne-moi ça, joli cœur, fit une autre voix masculine, plus étouffée.

Malgré la distorsion due à la distance, je la reconnus. Elle ne pouvait appartenir qu'à une seule personne. Lui. Mon cœur fit un bond dans ma poitrine, et repartit à cent à l'heure.

- J'ai cru comprendre que tu avais un petit faible pour ce garçon, annonça ce salopard de Rocket en guise de bonjour.

J'avais envie de hurler. Au lieu de ça, je me forçai à ravaler ma salive et à conserver mon calme.

- Laissez-le tranquille, grondai-je entre mes dents serrées.

Ma réplique lui arracha un rire.

- Tu vois, l'expression 'avoir un faible' est très adaptée, s'amusa-t-il. L'amour est une faiblesse. Et tu ne peux pas te permettre d'être faible, Léa.

Ma gorge s'assécha. Je me mordis les lèvres.

- Où vous voulez en venir ?

- Laisse-moi te faire une faveur.

Le cliquetis désormais familier d'une arme à feu résonna. La façade de calme que je m'étais construite éclata en mille morceaux.

- Non ! hurlai-je, comprenant enfin. Non, pitié, pas ça ! Il n'a rien à voir là-dedans, c'est après moi que vous en avez !

- Exactement, confirma le Rocket, atrocement impassible. Et ça, c'est cadeau.

Le coup de feu retentit tel un couperet qui tombe.

***

*toussote* Pas taper, hein... *sort son bouclier*

Bon, sinon, que dire... Le chapitre 13, le chapitre maudit... Deux morts, donc. Pour Souris, je plaide coupable. J'essayais d'économiser mes potions car il me restait encore pas mal de dresseurs à battre, et le Dodrio a fait un coup critique. Pour Poilue, c'était un bête accident lors d'une séance d'entraînement. Elle était pourtant d'à peu près le même niveau que le Doduo... ça n'a pas suffit.

Je n'ai pas inventé la fille qui s'appelle Léa sur la route 13, pas plus que son commentaire qui traite le joueur de teigne... Sympa comme coïncidence, non ? :p

Voilà, j'ai rattrapé ma partie en cours au niveau écriture. (Ce qui explique pourquoi ce chapitre est un monstre de 23 pages, au lieu des 13-15 habituelles, je voulais tout boucler avant de recommencer à jouer.) Maintenant va falloir un petit moment avant le prochain. :)


Équipe actuelle :
SaladeTeigneGrignottePloufPrincessePoilu

Cimetière :
FicelleTouffuSourisPoilue