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Duel au sommet de olyn



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» Auteur : olyn - Voir le profil
» Créé le 21/09/2012 à 18:03
» Dernière mise à jour le 21/09/2012 à 18:03

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Chapitre 14 : Le poison de la vengeance
Quelqu'un poussa une longue plainte. Un cri d'animal blessé. Atroce, inhumain. Chargé d'une douleur indicible qui n'avait pas sa place en ce monde. Il me fallut plusieurs secondes pour me rendre compte que ce quelqu'un, c'était moi.

Ma bouche était ouverte, renversée vers le ciel, et il en sortait un son inarticulé qui n'en finissait pas, un son qui me brûlait la gorge et me liquéfiait de l'intérieur. Je criais. Encore et encore, sans même reprendre mon souffle. Comme si je pouvais maintenir le reste du monde à distance par la seule force de mes cordes vocales.

Mon hurlement de détresse se termina finalement dans un gémissement sourd. Un petit hoquet me secoua, suivi du seul mot que j'étais en mesure de prononcer :

- ...Léonard...

J'avais l'impression d'avoir été poussée du haut d'une falaise, vicieusement et brutalement, sans aucun avertissement. Sans filet. Et je tombais. En chute libre, sans rien maîtriser.

Ce n'est pas une coïncidence. Il n'existe pas de coïncidences.

Mais c'était moi sans être moi. Je me sentais déconnectée de la réalité. Comme si quelque part, je me trouvais toujours devant l'écran de ma GameBoy, en train d'observer d'un œil détaché les événements du jeu. Je n'arrivais tout simplement pas à croire à ce qui venait de se passer.

C'était impossible.

Tout bonnement impossible.

Léonard ne pouvait pas être mort. Je refusais que ce soit réel. Il y avait eu une erreur quelque part. Forcément. Un bug. Un stupide bug qui avait tout fait dérapé. Oui, voilà. L'univers devait revenir en arrière parce qu'il s'était trompé. L'histoire ne se déroulait pas comme ça.

Jamais.

Alors d'une seconde à l'autre, j'allais me réveiller dans mon lit...

Un jour, tu finiras par comprendre...

D'une seconde à l'autre...

La voix satisfaite du Rocket me retourna les entrailles, faisant voler en éclats mes espoirs :

- Hé bien, hé bien, on dirait que tu y tenais vraiment, au binoclard... Dommage qu'il ne puisse plus t'entendre... Je suis sûr qu'il aurait été très ému par ton effusion de sentiments.

Il eut un rire abrasif. Une lame de rasoir qui m'écorcha l'âme.

Comment pouvait-on être si mauvais ? Ça dépassait mon entendement... Il n'avait strictement rien à gagner en tuant Léonard. Son but avait précisément été de m'atteindre moi. De me faire le plus de mal possible... Ça, c'était déjà impardonnable en soi, mais de s'en vanter ensuite... d'en rire... de me narguer...

Rien n'arrive sans raison.

Quelque chose se brisa en moi. Une cassure nette et sèche, que je ressentis jusqu'au plus profond de mon être. Je ravalai mes larmes, me recentrai sur moi-même, et fermai les yeux. Derrière mes paupières closes, je ne voyais plus rien. Rien que le visage de ce salopard de Rocket dans mon esprit. Je sentis une grimace haineuse déformer mes traits. Tout était soudain très simple.

Limpide.

Ma bouche s'ouvrit, et une voix étrangement monocorde en sortit :

- Vous... Je vous tuerai.

Aucune hésitation. Une certitude glacée, énoncée calmement. Comme un fait.

Silence absolu de la part de ma conscience, elle qui d'habitude se montrait si bavarde. Aucun reproche, aucune petite voix désapprobatrice. Je ne savais pas si je devais en être effrayée ou au contraire m'en réjouir. Mais une chose était certaine : le Rocket allait payer pour ce qu'il avait fait. Une vie pour une vie.

Et tout le reste n'avait aucune importance. Seule ma vengeance comptait. Une rage froide me consumait entièrement, m'habitant de l'intérieur. Je goûtai avec révérence à ce sentiment nouveau. Un véritable poison dans mes veines. Qu'il coule donc... J'allais avoir besoin de sa force.

- Tiens donc, se moqua le Rocket. J'aimerais beaucoup te voir essayer. En fait, je suis même prêt à te dire où je me trouve en ce moment même, et à t'attendre bien sagement. Tu n'as qu'une seule chose à faire en échange.

Une longue pause. À quoi s'attendait-il exactement ? Je n'allais pas jouer à son petit jeu.

- Pose-moi la question, exigea-t-il.

Ou peut-être bien que si.

- Où. Êtes. Vous.

J'avais craché chaque mot comme s'il s'agissait d'une insulte.

- Safrania. 10ème étage du siège de la Sylphe SARL.

Lui aussi s'exprimait laconiquement. Aucune fioritures. Il allait droit au but.

Safrania. La ville de Léonard. Ce n'était donc pas un hasard. Avait-il été le débusquer jusque dans sa propre maison ? Lui avait-il ordonné de m'appeler avant de l'assassiner froidement ? Avait-il eu un sourire moqueur lorsque Léonard m'avait avoué ses sentiments ? Probablement. Les circonstances aggravantes s'accumulaient de minute en minute.

- Pourquoi ? prononçai-je distinctement, toujours saisie de ce calme contre-nature.

J'avais laissé ce 'pourquoi' délibérément vague. De multiples interprétations étaient possibles : 'Pourquoi avoir tué Léonard ?' , ou bien 'Pourquoi me dire où vous êtes ?'. Une question ouverte. Il pouvait y répondre selon l'angle qu'il voulait.

Il choisit de ne pas y répondre du tout :

- À tout de suite, Léa, fit-il d'un ton léger.

Click.

Il avait raccroché. Je me rendis compte que ma main était crispée sur mon portable depuis le début de l'appel, si fort qu'elle en tremblait. Avec un effort de volonté, je relâchai la pression exercée par mes doigts, et observai d'un air détaché le téléphone s'écraser au sol. Il s'ouvrit en deux au moment de l'impact, et des pièces furent éjectées dans tout les sens. Machinalement, je me penchai pour ramasser les morceaux. Je les récupérai dans ma main avec patience, un par un.

Impression fugace de tenir mon cœur en miettes au creux de ma paume...

Lorsque je les eus tous rassemblés, je restai un moment sans bouger, les yeux dans le vide. Je me sentais comme quand j'avais perdu Vivian. Creuse. Sans vie. En un seul geste, en un seul instant où tout avait basculé, le Rocket m'avait renvoyée vers les heures les plus sombres de mon existence. Je ne connaissais Léonard que depuis peu de temps, mais c'était la personne qui comptait le plus pour moi dans cet univers déjanté. Qui avait compté, rectifia la part de moi qui s'occupait de la cohérence des temps, et je la détestai pour ce rappel. Et ces derniers mots qu'il m'avait adressée... 'Je t'aime...' Je savais au fond de moi qu'ils me hanteraient à jamais, ainsi que l'éternel regret de ne pas avoir répondu 'Moi aussi'.

Je me secouai mentalement. Il y avait une énorme différence avec le cas de Vivian : cette fois-ci, je disposais d'un coupable. Un vrai, pas un pauvre jeu qui n'avait rien à voir dans ce qui s'était passé. Blâmer Pokémon pour la mort de mon frère ne m'avait jamais semblé aussi absurde. Non, là, j'allais faire en sorte que le Rocket paie pour son crime. Coûte que coûte.

Il faut que je me rende à Safrania, analysa froidement la partie logique de mon cerveau. Problème : il n'y a pas de route nord qui connecte directement Parmanie à cette ville. Ça me laisse donc le chemin aux pontons ou la piste cyclable. Le premier n'est sûrement pas encore réparé, et il me manque un vélo pour arpenter la deuxième.

À vue de nez, c'était perdu d'avance. Le temps que je parvienne à Safrania, la journée se serait écoulée, et je doutais fortement que le Rocket m'attende jusqu'au prochain lever de soleil. Et ensuite, il faudrait que je le traque, sans aucune garantie quant à savoir où ça allait me mener.

Non, réfléchis, m'exhortai-je. Selon la logique intemporelle des jeux vidéos, je dois bien avoir un objet de quête en ma possession qui doit pouvoir m'aider...

Je passai mentalement en revue les objets reçus récemment, jusqu'à ce que... Bingo. La CS Surf. Je la récupérai dans la pochette de mon sac, y déposant au passage les restes de mon portable, et plaçai le disque bleuté sur la Pokéball de Plouf. Je n'avais pas fait ressortir mes Pokémon après leur petit tour sur la machine guérisseuse, et c'était pas plus mal comme ça. Ce qui venait de se passer était un truc d'humains. C'était même un truc exclusivement entre moi et le Rocket psychopathe.

Le clic qui indiquait que la procédure avait fonctionné se fit entendre. Je rangeai la CS et libérai mon Léviator. Il apparut avec un grondement sourd, me lorgna durant quelques secondes, puis poussa un second grondement, interrogateur celui-ci. Pas bête le Plouf. Il voyait bien que tout n'était pas comme d'habitude - si on pouvait vraiment parler de routine dans l'univers des Pokémon. Faut dire que depuis que j'avais débarqué ici, rien ne s'était passé comme prévu..

- Plus tard, mon Plouf, éludai-je. Pour l'instant on a rendez-vous à Safrania. T'es prêt à battre des records de vitesse ?

- Lévia, fit-il en s'abaissant à ma hauteur.

Je montai sur son dos, vérifiai par réflexe que mes six Pokéballs étaient correctement attachées à ma ceinture, puis signalai le départ.

- Tout droit pour commencer.

Plouf se mit à onduler rapidement, égalant probablement la vitesse d'un cheval au petit galop. Nous retournâmes vers la piste cyclable, là où Poilue avait perdue la vie il y avait à peine une heure. Seulement une petite heure, et il me semblait que deux éternités s'étaient écoulées. Je n'étais plus la même.

Nous passâmes par dessus la barrière qui séparait les terres de la mer, et mon Léviator entra dans l'océan tel un nageur olympique, sans laisser la moindre ride dans son sillage. Le trajet se déroula dans une sorte de brouillard. Je rejouais encore et encore la conversation téléphonique dans ma tête. Se serait-elle passée différemment si j'avais répondu autrement ? Comme dans les jeux où il y avait des dialogues à choix multiples, et sélectionner la mauvaise réponse causait la mort d'un personnage secondaire... Et si je n'avais pas répondu du tout ? Si mon portable avait été éteint ? Je serais dans l'arène de Parmanie à l'heure actuelle... C'était surréaliste, décidément.

Occupée par mes pensées, je ne vis pas le temps passer. Objectivement, je savais que ça avait dû durer au moins une ou deux heures, mais quand nous revînmes sur la terre ferme, j'avais l'impression qu'on venait tout juste de partir.

- Léviator ? s'enquit mon serpent de mer en se dandinant.

Il s'était stoppé au sortir de l'eau et attendait mes instructions. Je levai le regard vers Céladopole qu'on apercevait au loin.

- Continue. Pleine vitesse.

Nous traversâmes la ville sous les regards inquiets ou surpris des badauds.

Mais qui est donc cette fille qui se balade à dos de Léviator ? devaient-ils penser.

Moi, je ne songeais qu'à Léonard et à son meurtrier...

Quelques minutes encore, et les toits dorés de Safrania s'offrirent à nos yeux. Je ne perdis pas mon temps dans la contemplation de la ville. D'autres sujets réclamaient mon attention. Il demeurait un dernier obstacle avant de pouvoir y pénétrer : l'espèce de poste frontière où j'avais été déjà refoulée à deux reprises. Cette fois-ci, j'entrais perchée sur Plouf, prête à en découdre avec le garde... et me retrouvai face à un Rocket.

L'homme en uniforme noir eut un rictus en m'avisant. Un Caninos l'accompagnait, montrant les dents à notre intention. À leurs crédits, ni l'un ni l'autre ne cillèrent face au monstre aquatique qu'était Plouf.

- Fais demi-tour, ou ça va chauffer sévère... me menaça le Rocket. Ce sera ton seul et unique avertissement.

Ma réponse fut très brève :

- Surf.

Plouf trembla sous moi. Je ressentis son grondement silencieux tandis qu'il invoquait le déluge, un grondement qui m'ébranla jusque dans la moelle de mes os et déclencha une résonance agréable avec ma propre fureur. Une immense vague d'eau surgit de nulle part au devant du Léviator, frappant le Rocket et son Pokémon de plein fouet. Ils furent submergés et perdirent pied immédiatement. La lame de fond balaya tout sur son passage, emportant personnes comme meubles, faisant le ménage en un quart de seconde. Le temps de quelques inspirations, le bâtiment se transforma en piscine, puis l'eau reflua progressivement.

La voie était libre. L'attaque avait transporté le Rocket et son Caninos hors du bâtiment. Ils gisaient étendus sur la terre humide, évanouis. Je ne m'attardai pas et fonçai directement vers le grand building tout de verre qui dominait tout les autres d'une tête. Avec son overdose de fenêtres qui lui conféraient un aspect futuriste, j'aurais parié à un contre dix que c'était celui de la Sylphe SARL. Les lettres rouges et blanches qui ornaient sa façade que je distinguai en m'approchant me donnèrent raison. Super voyant, dis donc...

Mais ce qui l'était encore plus, c'était le Rocket à l'entrée.

- Halte là ! La Team Rocket a pris possession des lieux ! Tu...

La queue de Plouf claqua dans l'air tel un fouet. Le Rocket fit un vol plané, heurta le mur, et glissa à terre, assommé.

- Bonne initiative, Plouf, approuvai-je.

Je descendis de son dos et fut saisie d'un doute au moment d'entrer dans le gratte-ciel. Et si le Rocket avait menti ? S'il n'était pas là ? Je fis taire cette pensée. Je n'arriverai à rien comme ça. Au lieu de m'interroger sur des situations qui ne se présenteraient peut-être jamais, je m'employai à organiser la troupe qui allait m'accompagner. Plouf retourna dans sa Pokéball - trop grand, trop gros, sans parler du problème des escaliers - et je renonçai à faire sortir Salade - même raisonnement. J'allais donc devoir me contenter de Teigne, Grignotte, Princesse, et Poilu. Je les libérai un à un, gardant le silence.

- Miaouss ? s'étonna Princesse lorsque je ne fis pas mine de la caresser.

Elle me griffa la jambe, histoire de m'y inciter, puis comme je ne bougeais toujours pas, elle me regarda, dans l'expectative. Grignotte resta immobile, tournant seulement la tête pour examiner les environs, tandis que Teigne grognait en guise de bonjour. Quant à Poilu, il parut surpris de se trouver en dehors de sa ball et partit se cacher derrière une poubelle.

- Singe ! le rappela sèchement Teigne.

Il ressortit illico de sa cachette et rejoignit le groupe l'air penaud, ses grandes antennes se balançant au rythme de sa marche.

Je me raclai la gorge.

- On s'apprête à affronter des Rockets, annonçai-je à mes Pokémon. Sûrement beaucoup, même s'il n'y en a qu'un seul en particulier qui m'intéresse. Celui du mont Sélénite, ajoutai-je à l'intention de la Colossinge.

Elle frappa ses deux poings l'un contre l'autre en entendant ça. Je savais que je pourrais compter sur elle le moment venu. Ce salopard avait tort sur un point. J'étais tout à fait capable d'ordonner à la Colossinge de le tabasser, à présent. Et ensuite, je le tuerai de mes propres mains.

Je ravalai ma salive à cette perspective.

- Allons-y.

Je pénétrai dans le bâtiment, et mes Pokémon m'emboîtèrent le pas sans demander d'explications supplémentaires. Tant mieux. Même Poilu suivit la cadence, bien que de façon un peu hésitante. Mes chaussures couinèrent sur le carrelage lisse du hall d'entrée. Une fontaine en marbre blanc occupait l'espace central et diverses plantes exotiques agrémentaient les lieux de leurs couleurs. Un décor luxueux sans pour autant être trop tape-à-l'oeil. Je n'accordai qu'une attention toute relative à ce dernier, plus intéressée par les personnes que je pourrais rencontrer. Le rez-de-chaussée se révéla désert.

J'empruntai l'escalier sans plus attendre, et tombai sur mon premier Rocket.

- Toi, je sais pas ce que tu fais là, mais tu vas le regretter, m'interpella-t-il en faisant signe aux deux Rattatac qui l'encadraient d'engager le combat.

Teigne réagit au quart de tour. Elle sauta sur un des gros rats mal peignés, lui empoigna la queue et s'en servit pour le balancer dans les escaliers. Un bruit de dégringolade et deux ou trois couinements s'ensuivirent, puis plus rien. Peu orthodoxe comme méthode, mais du moment que ça marchait... Entre-temps, le Rattatac restant avait bondi sur Grignotte. Ce dernier ne se laissa pas intimider et infligea une double balafre à son adversaire avant qu'il ne le percute. Les deux Pokémon roulèrent au sol dans un mélange de poils et d'écailles osseuses, chacun cherchant à prendre le dessus.

- Continue avec tes Tranches, lançai-je à Grignotte. Princesse, j'ai dit non, ajoutai-je immédiatement.

La Miaouss miaula de déception. Elle avait été à deux doigts de se jeter dans la bagarre. À ma demande, elle recula de mauvaise grâce et s'assit, enroulant sa longue queue autour de ses pattes. Si elle mourait d'envie d'entrer dans l'action, c'était tout le contraire pour Poilu : le Mimitoss avait gonflé ses poils, ce qui lui donnait l'air d'une peluche survoltée, et se tapissait littéralement contre le plancher comme s'il avait voulu s'y fondre.

Clac ! Les dents du rat se refermèrent dans le vide à un cheveu de l'oreille droite de Grignotte. Le Sablaireau répliqua par un coup de griffes qui éclaboussa de rouge le museau du rongeur. Il siffla de douleur et tituba, sonné par l'attaque. Grignotte en profita pour réitérer son geste, ce qui acheva de mettre KO le Rattattac.

Le combat s'était terminé rapidement, ce qui eut l'air de surprendre le Rocket. Il lança un coup d'œil vers les escaliers, comme s'il s'attendait à voir l'autre Rattattac émerger de son inconscience. Quant à moi, je jetai un regard à Teigne. Elle me comprit et empoigna l'homme par le devant de son uniforme pour le secouer comme un prunier. Il était temps de vérifier que je ne faisais pas ça pour rien.

- Où est-il ? demandai-je d'une voix dure.

Une lueur de panique brilla dans les yeux de l'homme.

- Qui... qui ça ?

Je me rendis compte que je ne connaissais toujours pas son nom. J'avais des surnoms pour lui. Salopard, ordure, connard. Mais pas son nom. Pas grave. Je pouvais contourner cette lacune.

- Le mec qui trouve que s'excuser, c'est pour les faibles.

Quoique connaissant les Rockets, c'était probablement une opinion partagée par la plupart d'entre eux. Mais ma description fit mouche, et le type balbutia une réponse :

- Tout en haut, avec le boss... Y supervisent les opérations.

Il fut récompensé par une taloche de la part de Teigne qui l'envoya dans les vapes. Bien bien. Je n'avais plus qu'à monter dix volées d'escaliers. Je revins sur mes pas pour commencer l'ascension, et posai le pied sur une dalle plus claire que les autres sans trop y faire attention. Et là, le monde partit à la renverse. J'eus l'impression d'effectuer une culbute alors que mes deux pieds restèrent en contact avec le sol, et après un instant nauséeux, je débarquai ailleurs.

Hein.

De ce que je pouvais en juger, j'avais complètement changé d'étage. Pas de bâtiment par contre, à moins qu'il en existe un autre quelque part avec ce sol hideux couleur d'avocat pourri, mais j'en doutais fortement. Mais comment... ? Je baissai les yeux. Dalle claire. Une petite idée fit son bonhomme de chemin dans mon cerveau.

Des téléporteurs ?

Malgré les circonstances, j'esquissai un demi-sourire. C'était quand même vachement cool comme technologie... Enhardie, je m'aventurai un peu, histoire de voir ce qu'il y avait à cet étage-là, et battis aussitôt en retraite à peine passée le coin du couloir. Trois Rockets en faction bloquaient le passage, et mes Pokémon ne m'avaient pas suivi dans ma petite escapade.

Je remarchai sur la dalle vert pâle, ordonnant à mon estomac de garder son contenu, ce qui me ramena selon la bonne vieille logique à mon point de départ.

- Singe !

Ce commentaire énervé de Teigne suggérait que je n'avais pas intérêt à leur refaire le coup de la disparition instantanée. Princesse se rua sur moi en miaulant à tout va, tel un vulgaire chien n'ayant pas vu ses maîtres depuis deux mois. Je l'autorisai à monter sur mes épaules, et elle s'y installa avec satisfaction.

- Ça va, les rassurai-je. Ce sera sans doute pas aussi facile que prévu, c'est tout.

Cette phrase résumait à elle seule tout ce qui m'était arrivé depuis que j'avais débarqué dans le monde des Pokémon.

Je continuai mon exploration du bâtiment, tout en prenant soin d'éviter les dalles de téléportation. Un tour dans l'ascenseur fut suffisant pour constater l'absence de bouton menant au 10ème étage. De même, pas d'escalier ascendant lorsqu'on se trouvait au 9ème. Ça ne pouvait signifier qu'une chose : le dernier étage n'était accessible qu'à partir d'une de ces maudites dalles. Comme si cet endroit ne ressemblait pas déjà assez à un niveau diaboliquement chiant dans un jeu vidéo, des portes magnétiques bloquaient l'accès à certaines pièces, et donc, à certaines dalles. Un vrai puzzle version Zelda... Trop la joie

Et bien entendu, ça grouillait de Rockets. Je perdis le compte du nombre de 'hé, gamine' que j'essuyais tandis que j'écumais les étages les uns après les autres, flanquée de mes monstres, à la recherche de la bonne dalle.

- Hé, gamine !

Seize.

Bon, ok, je n'avais pas vraiment perdu le compte... Je foudroyai du regard le Rocket qui s'était permis cette interpellation décrochant la palme de l'originalité. Il s'avança vers moi d'une démarche assurée, Pokéball en main.

- On s'est perdu sur le chemin du jardin d'enfant ?

Je lui retournai un rictus froid.

- C'est tout ? C'est ça votre entrée en matière ?

Il haussa les épaules et libéra un Kadabra. Je choisis de lui opposer Grignotte, une fois encore. Lui et Teigne faisaient un carnage contre les Rockets depuis le début. Cependant, Poilu en décida autrement. J'avais remarqué que cela faisait déjà quelques combats qu'il observait les événements avec un intérêt grandissant, et il avait semble-t-il décidé qu'il allait participer à celui-là. Il s'avança, dépassant Grignotte pour faire face au Kadara. Je ne le rappelai pas à l'ordre. Il fallait bien que le Mimitoss entre dans la danse à un moment ou à un autre. J'allais le laisser débuter le duel, puis Grignotte prendrait le relais.

- OK, Poilu, on y va doucement. Ultrason.

- Un Pokémon insecte ? Ça c'est une belle erreur, gamine. Décidément j'comprendrais jamais pourquoi on laisse des enfants élever des Pokémon... Rafale Psy, Kadabra.

Avant même que Poilu ait pu bouger ne serait-ce qu'une antenne, une lance d'énergie violette jaillit des yeux du Kadabra. Elle zigzagua, transperça l'air sans le moindre bruit, et vint frapper le Mimitoss dans un rayonnement pourpre qui fit grésiller sa fourrure. Il ne poussa pas un cri, basculant simplement en arrière. Juste comme ça.

Je regardai Poilu s'effondrer. Stoïquement. Sans rien ressentir.

- On dirait bien que ton Mimitoss s'est fait écraser comme une mouche, s'esclaffa le Rocket.

Même sa remarque vicieuse ne m'atteignit pas. J'étais blasée. Un mort de plus, et ça ne me faisait rien. Rien. Une bile amère et brûlante monta dans ma gorge, je la ravalai machinalement. Était-ce ça que le destin me réservait ? Une vie où j'étais condamnée à voir mourir tous ceux qui s'approchaient de moi ? Une vie où j'allais finir comme ce salopard de Rocket, dépourvue de toute compassion, de toute humanité ?

Non. Non, jamais.

Je serrai les dents et rappelai Poilu.

- Désolée, bonhomme, murmurai-je à la Pokéball au sommet grisé.

Mais le pensais-je vraiment ?

- Mia, miaula Princesse à trois centimètres de mes oreilles, stoppant ma séance d'auto-flagellation.

Sur cette syllabe lancée comme un défi, elle sauta au sol et marcha calmement vers le Kadabra, comme si son comportement allait de soit. Je la retins d'une voix rauque :

- Non.

Elle se retourna vivement et planta ses yeux de chat d'un jaune impossible dans les miens.

Si, disaient-ils.

- Princesse...

Son regard vrilla le mien. Implacable.

Il est temps. Tu m'as assez protégée.

- On vient de perdre Poilu à cause d'une stupide prise de risques, et tu veux refaire exactement la même chose ?

Mais elle avait réponse à ça aussi :

Je suis plus forte que tu ne le crois. Fais-moi confiance.

Je soufflai par le nez, vaincue.

- D'accord. Mais Grignotte couvre tes arrières.

- Blai, confirma le Sablaireau.

Pour tout le bien que cela avait fait à Poilu... J'écartai cette pensée.

- C'est pas un mignon petit Miaouss qui va venir à bout de mon Kadabra, se moqua le Rocket. Rafale Psy !

- Commence par une Onde de choc et reste en mouvement ! répliquai-je.

Sa rapidité était son seul et unique avantage. Un bien maigre atout, mais j'espérais que ce serait suffisant. Les deux Pokémon attaquèrent en même temps, et la ligne acérée d'énergie violette croisa le zigzag électrique. La fourrure du Kadabra se dressa sous l'effet du courant lorsque l'Onde de Choc le toucha, tandis que Princesse encaissait le coup psychique. Elle resta immobile quelques secondes alors que le joyau sur le front brillait brièvement, puis elle se remit en mouvement, cherchant à se soustraire au regard de son adversaire.

Le Kadabra se tourna et se retourna tandis que la Miaouss effectuait des cercles autour de lui, restant constamment dans son dos. Tout à coup, elle bondit sur le Pokémon Psy, exhibant une gueule remplie de crocs plus acérées qu'il n'y paraissait. Le Kadabra en fit l'expérience lui-même lorsque les dits crocs se refermèrent sur son bras. Simultanément, les pattes de Princesse lui labourèrent le ventre, creusant des sillons ensanglantés dans sa fourrure jaune.

Hé bien. La Miaouss était plus rapide et précise que ce à quoi je m'attendais... La chipie avait-elle appris par procuration en regardant mes autres Pokémon combattre ? Au fond de moi, je connaissais la réponse. Je savais qu'elle avait des capacités guerrières qui ne demandaient qu'à s'épanouir. Pourquoi aurais-je pris la peine de lui apprendre Onde de Choc autrement ? Je n'avais juste jamais voulu le reconnaître en face.

Le Kadabra riposta par un Choc mental, ses yeux étincelant d'énergie psychique, mais Princesse demeura accrochée à son bras malgré tout, feulant et crachant à tout va. Le Pokémon Psy se secoua en vain, jusqu'à ce que finalement il lui cogne la tête contre le mur. La Miaouss lâcha prise et chuta, retombant sur ses pattes d'extrême justesse.

Il était temps qu'elle passe le relais.

- Grignotte.

Le Sablaireau s'élança. Un coup de Tranche et le Kadabra fut mis hors de combat. Le Rocket, visiblement à court de Pokémon, recula contre le mur, se passant nerveusement la langue sur les lèvres. Il suffit à Teigne de faire un pas dans sa direction pour qu'il déguerpisse. Quant à Princesse, elle revint vers moi l'air satisfaite mais épuisée. Je la félicitai et lui administrai une super potion avec double ration de grattouilles derrière les oreilles.

La recherche de cette putain de dalle se poursuivit. Au 5ème étage, je tombai sur une salle remplie d'otages. Après avoir fait fuir les Rockets, avec l'aide de Plouf et Salade pour l'occasion, j'interrogeai les scientifiques de la SARL concernant la mystérieuse dalle.

- Elle est juste un étage au-dessus, m'informa l'un d'entre eux, mais il faut un pass pour y accéder. Tenez, prenez le mien. C'est le moins que je puisse faire.

Je refermai mes doigts sur la carte plastifiée qu'il me tendit. J'y étais presque.

- Et la police ? Vous avez prévenu la police ? s'exclama une femme en blouse blanche. Vous n'allez jamais réussir à libérer l'immeuble à vous toute seule !

En voilà une qui n'a jamais vu 'Die Hard'...

Une autre femme me posa une main sur le bras.

- Merci, me dit-elle simplement.

Je me dégageai, gênée.

- Je ne fais pas ça pour vous.

- Peu importe vos raisons. Vous êtes là, c'est ça qui compte.

À mes yeux, seul le Rocket comptait, mais je m'abstins de toute réponse. Je laissai les scientifiques se débrouiller et suivis les indications qu'on m'avait données, montant d'un étage. Le renfoncement sur la droite, avait-il dit. La porte qui me faisait obstacle s'ouvrit avec un clic lorsque je passai la carte magnétique devant le lecteur. Derrière, un bureau comme tous les autres, plantes vertes et ordinateurs compris. Un mec en blouse blanche me tournait le dos, assis à une table. Durant un instant stupide, je crus que c'était Léonard - même couleur de cheveux, même carrure. Puis il se retourna et l'illusion fut brisée.

- Mmh, fit-il. On m'avait prévenu qu'une gamine risquait de s'immiscer dans nos affaires. J'espérais que je n'aurais pas à faire ça, mais les ordres sont les ordres.

Il y eut le bruit caractéristique d'une Pokéball qui s'ouvrait et un Électrode apparut au milieu de la salle. Je fis un pas en arrière. Le Pokémon électrique était d'une taille massive, bien plus gros qu'un Voltorbe, et il avait l'air plus que dangereux. Des petits arcs électriques couraient à la surface de son corps, grésillant. Il me fallait quelqu'un qui puisse lutter à armes égales contre lui.

- Salade, décidai-je en le libérant.

Mon Florizarre écrasa un pot de fleurs en se matérialisant, et rugit en direction de l'Électrode, ses lianes frémissant d'impatience. La voix laconique du scientifique emplit mes oreilles :

- Destruction.

La masse de Salade fut la seule chose qui me protégea du souffle monumental de l'explosion. Je me recroquevillai par instinct, les mains sur mes oreilles, tandis que l'Électrode dévastait les alentours dans son attaque suicide. Les griffes de Princesse percèrent douloureusement la peau de mon cou quand la Miaouss se pressa davantage contre moi. Mon cœur qui battait la chamade semblait se moquer de moi.

Toi, tu ne mourras jamais Léa. Tu n'as rien à craindre, tu resteras en vie quoi qu'il arrive. Mais tout les autres... tout ceux que tu aimes... tout ceux qui croisent ta route... Eux n'auront pas cette chance. Oh non.

Et puis soudain, le silence. C'était terminé. Les débris du blast retombaient tout autour de nous, une pluie de cendres qui n'en finissait pas. Je clignai des paupières pour chasser les larmes de mes yeux et relevai la tête. La gorge nouée. Pas Salade... Pas lui aussi... Je priai intérieurement. Je m'étais cru blasée. Endurcie jusqu'à la moelle. De toute évidence, j'avais eu tort. Je scrutai Salade des yeux. Respirait-il ?

Je m'humectai les lèvres et posai la question qui mettrait fin au suspens. Ou à l'espoir.

- Salade ?

Lentement, très lentement, mon bulbe vert tourna la tête et m'adressa un regard victorieux.

On ne se débarrasse pas de moi aussi facilement, semblait-il dire.

Je posai une main sur son flanc granuleux, soulagée au-delà des mots. Considérant les dégâts que l'attaque de l'Électrode avait causé, Salade avait eu de la chance de s'en tirer vivant. Les murs avaient été complètement noircis par l'explosion, les plantes s'en étaient trouvées carbonisés, les ordinateurs cramés... et aucune trace du scientifique. Je jetai un coup d'œil inquiet à la dalle qui menait au 10ème étage selon les dires de l'employé. Intacte. Ouf.

Une super potion remit Salade d'aplomb, puis il réintégra sa ball, tout comme le reste de ma petite troupe. Il ne me restait plus qu'à poser le pied sur cette fameuse dalle.

Ce que je fis sans hésitation.

Un bref instant de vertige, et je me retrouvai dans une petite salle qui n'avait rien de spécial. L'employé m'avait-il menti ? Je fis quelques pas, examinant les environs. Des câbles couraient le long des murs, reliant entre elles des machines avec plein de lumières clignotantes. Une pièce de stockage pour les données informatiques, peut-être ?

Je m'approchai d'une des machines et tombai nez-à-nez avec un mec caché derrière en position accroupie. Il parut plutôt surpris de me voir.

- Vous... vous n'êtes pas avec les Rockets ? me demanda-t-il en se redressant.

- Non, confirmai-je.

Le soulagement s'inscrit sur ses traits.

- Ha, bien... les secours arrivent bientôt ?

- J'crois bien que vous les avez juste en face de vous, dit une voix dans mon dos.

Une voix que je connaissais bien. Je fis volte-face.

- Zack. Je peux savoir ce que tu fais là ?

Il me décocha un sourire dégoulinant d'arrogance et avança d'un pas. Je notai distraitement qu'il était arrivée ici via une dalle - la deuxième dans la salle, celle qui menait sans doute au 10ème étage.

- Je t'attendais, annonça-t-il. Dès que j'ai su que les Rockets avait pris en otage la Sylphe SARL, j'ai tout de suite deviné que tu finirais par t'y pointer.

Je retournai sa phrase, la considérant sous tous les angles, mais n'y trouvai qu'un seul sens.

- Tu es là juste pour moi ? clarifiai-je, incrédule.

- On est rivaux, non ? Il faut bien que je te mette la pression de temps en temps. Et les Rockets j'en ai rien à foutre, personnellement.

- Et tous ces gens pris en otage ? Tu n'en as rien à foutre d'eux non plus ? Tu aurais pu les aider, avec tous tes Pokémons !

Il haussa les épaules.

- Je te l'ai dit, c'est pas mon problème... et c'est pas pour ça non plus que t'es venue, n'est-ce pas ? Y a quelque chose de changé chez toi. Je le vois dans tes yeux. T'as la rage. Qu'est-ce qui s'est passé, t'as perdu un autre de tes Pokémon ?

Il me lisait comme un livre ouvert. Autant lâcher le morceau.

- Léonard est mort.

Son expression ne changea pas.

- Qui c'est ça, Léonard ?

Évidemment. Il l'avait croisé une fois durant cinq minutes, un mois plus tôt. Pas de raison qu'il se souvienne de lui.

- Le mec qui m'accompagnait à Azuria quand je suis arrivée pour notre duel, expliquai-je le plus succinctement possible. Les Rockets l'ont tué.

Un Rocket. Un seul, rectifia la voix dans ma tête.

Mais ça, je le gardai pour moi.

- Et c'est ça qui t'enflamme ? rétorqua-t-il sans paraître ému. C'est de sa faute, il avait qu'à faire gaffe. Quand on est intelligents on ne cherche pas des noises aux Rockets, ou alors on s'arme de bons Pokémon. C'est pas compliqué, quand même.

- Il est mort ! martelai-je. Mort !

Silence.

- Tu tenais tant que ça à lui ? dit-il finalement, et je lus une certaine hésitation dans son regard.

- Apparemment, répondis-je simplement.

Je n'avais pas envie d'étaler mes sentiments devant Zack.

Nouvel instant de silence. Ses yeux étaient plantés dans les miens et ça aurait été mentir de dire que je n'étais pas suspendue à ses lèvres.

- Et donc t'es venue pour le venger. C'est ton droit.

C'est seulement lorsqu'il prononça ces mots que je me rendis compte que je voulais quelqu'un qui valide mon comportement. Quelqu'un qui m'affirme que j'avais raison de faire ce que je faisais. Même si ce quelqu'un était Zack.

- Mais les Pokémon des Rockets sont puissants, poursuivit-il. Crois-moi, je viens de les voir en action. Et les tiens sont pas à la hauteur. (Il secoua la tête). Je ne suis même pas certain que les miens le soient.

Si Zack devenait humble, c'était vraiment que la situation était sérieuse. Mais :

- C'est pas à toi de décider de ça. Hors de mon chemin.

- Pas question, refusa-t-il. Il y a une différence entre le courage et le suicide.

Je brandis la Pokéball de Plouf.

- Hors de mon chemin, répétai-je, la menace claire dans mon ton.

- Non, répliqua-t-il sèchement en s'emparant d'une ball à son tour.

On était dans l'impasse. Et encore une fois, tout allait se régler par un duel Pokémon. Nous nous affrontâmes du regard pendant encore quelques secondes, puis libérâmes nos monstres en même temps. L'étroitesse de la pièce obligea Plouf à se courber à peine sorti de sa ball, lui arrachant un grognement d'irritation, tandis que le Roucarnage de Zack était quand à lui forcé de rester au sol.

- Dernière chance, me lança Zack. On ne retiendra pas nos coups.

Belle tentative de me culpabiliser. Renonce, Léa, ou tes Pokémon mourront à cause de ton obstination. Un tout autre jour, sa tactique aurait sûrement fonctionné. Mais pas aujourd'hui.

- Plouf. Morsure.

- Tu l'auras voulu. Cru-aile, contra-t-il en reportant son regard sur son Roucarnage.

Je me plaquai au mur afin de laisser le maximum de place à Plouf. Mon Léviator s'ébranla, ses écailles crissant contre le sol. Il enroula son corps autour de l'oiseau, lui coupant toute possibilité de retraite sans toutefois le toucher, puis abaissa sa tête d'un mouvement vif alors que son adversaire ouvrait ses grandes ailes. Je ne vis pas le reste, car la queue serpentine de Plouf bloquait ma vue, mais j'entendis le bruit de la chair meurtrie par des crocs et le cri strident du Roucarnage.

Quelques secondes plus tard, une forme ailée s'échappa de la prison d'écailles bleues. Le Roucarnage tournoya au ras du plafond tout en battant furieusement des ailes, évitant avec grâce les mâchoires de Plouf qui s'obstinait. Un coup de vent frappa brusquement le Léviator, puis un autre le gifla brutalement en sens contraire, et enfin un troisième envoyé par en-dessous lui fit se cogner la tête contre le béton du plafond. Je devais admettre que Zack avait bien entraîné son Pokémon : il exploitait sans scrupule les faiblesses du mien - sa grande taille, son manque de manœuvrabilité. La queue de Plouf claqua en représailles, et manqua sa cible. Au lieu de toucher le Roucarnage, elle s'enfonça dans une des machines, déchirant sa coque en métal et répandant ses entrailles électroniques sur le sol. Les circuits électriques mis à jour grésillèrent, lâchant de petites étincelles.

L'employé de la Sylphe SARL décida sagement qu'il était temps d'aller voir ailleurs et se jeta sur le téléporteur comme un mec en train de se noyer sur une bouée de sauvetage. D'ailleurs...

- Surf, déclarai-je.

- Reste en l'air, Roucarnage ! hurla Zack alors que le grondement de l'eau en furie se faisait entendre.

Une immense vague prit naissance devant Plouf et balaya la salle entière, nous manquant de peu. Le Roucarnage fit de son mieux pour résister, mais il fut emporté par les flots et disparut durant quelques secondes. Le mini tsunami vint s'échouer contre le mur opposé, et la pièce se changea en pataugeoire, l'eau atteignant nos chevilles. Et un point pour moi : le Pokémon oiseau gisait sur le dos, les plumes mouillées et la tête dodelinante. Le courant le ramena jusqu'aux pieds de Zack. Ce dernier ne fit aucun commentaire en rappelant son Pokémon KO, et libéra ensuite son Léviator.

Nos deux serpents de mer se retrouvèrent littéralement entremêlés, collés l'un contre l'autre tels de vulgaires sardines en boîte.

- C'était pas une bonne idée, ça, grognai-je alors que j'étais pressée contre le mur par un des deux Léviators - impossible de savoir lequel.

- Fais-nous de la place, ordonna Zack.

Un double sifflement retentit, suivi de deux craquements jumeaux, et boum. Plus de cloison, ni à droite, ni à gauche. Les murs s'étaient écroulés sous la force des coups de boutoir du serpent géant. L'eau s'écoula aussitôt, envahissant l'étage tout entier. Zack recula dans la pièce d'à côté tandis que nos deux Pokémon s'éloignaient l'un de l'autre. Je repris mon souffle et surveillai les environs du regard. Personne en vue. Il faut dire que le début de notre duel avait dû s'entendre. Moi aussi j'aurais déguerpis à la place des employés de la Sylphe SARL.

- Mieux ? me demanda Zack, l'air narquois.

- Mieux, acquiesçai-je, avant d'échanger Plouf avec Teigne.

La Colossinge surgit de sa ball, et bondit aussitôt vers son adversaire. Inutile de préciser qu'elle avait le poing droit fermé et comptait le faire entrer en contact avec une des parties du corps du Léviator. Zack roula des yeux - quoi, il n'aimait pas Teigne ? - et répliqua par quelque chose que je ne compris qu'à moitié parce que Teigne avait atteint son but. Le Léviator mugit quand la Colossinge le frappa juste au milieu du front, et riposta derechef. Une lame d'air repoussa Teigne, lui coupant une bonne partie des poils de son flanc droit au passage. Elle évita la suivante et se réceptionna au sol en grognant, mais avant qu'elle ne puisse réagir, un tourbillon se forma autour d'elle. Les vents prirent de la vitesse et atteignirent rapidement une allure phénoménale, brinquebalant la Colossinge comme si elle n'avait été qu'une poupée entre les mains d'un géant. Je m'agrippai à un pan de mur pour rester sur mes pieds alors que divers débris rejoignaient la tempête.

Teigne donnait des coups de poing dans tout les sens pendant qu'elle s'élevait dans les airs et se faisait rejeter au sol plusieurs fois d'affilée.

- Arrête de dépenser ton énergie pour rien ! lui hurlai-je, mais elle ne m'entendit pas.

J'avais l'impression que j'allais finir par être emportée moi aussi, mais l'ouragan finit par se calmer et le calme revint. De nouveau campée sur ses jambes, Teigne jeta un regard par-dessus son épaule. Nos yeux se croisèrent. Elle me demandait de lui faire confiance. Je hochai la tête, et elle s'élança à l'assaut.

- Ne la laisse pas s'approcher ! s'écria Zack.

Plus facile à dire qu'à faire. Le Léviator recula alors que Teigne déboulait sur lui, et tenta de s'écarter au dernier moment. Trop lent. L'attaque favorite de la Colossinge le toucha en plein sous la mâchoire, et je vis une dent s'envoler sous la violence de l'impact. Malheureusement si Teigne disposait d'une formidable potentiel offensif, il était contrebalancé par sa vulnérabilité après avoir porté un coup, et le Léviator n'eut aucun mal à refermer sa gueule ensanglantée sur une de ses jambes.

Craquement d'os brisé. Atroce.

Je serrai les poings. Le Léviator rejeta sa proie à terre et Teigne demeura couchée sur le côté, les yeux fermés.

Fais-moi confiance ?

Ma main effleura sa Pokéball.

- Achève-la, asséna Zack.

Les oreilles de Teigne frémirent. Je laissai retomber ma main.

Le Léviator se dressa au-dessus de la forme prostrée de la Colossinge, prenant son temps pour mieux frapper. Il rugit sa victoire et ouvrit sa gueule, du sang gouttant sur la fourrure de Teigne. Plongea sur elle. La suite alla trop vite pour que je distingue ce qui se passait. Il y eut un mouvement flou, puis le sol trembla une fois, et le plafond s'écroula sur le Léviator. Une pluie de débris arrosa ses écailles, et un gros morceau de béton le heurta à la tête, ce qui fut suffisant pour l'assommer.

Teigne sortit en rampant de l'éboulis, laissant une traînée de sang dans son sillage.

- C'est pas une stratégie, ça, lui fis-je remarquer. C'est du suicide.

- Singe, protesta-t-elle. (Ouais mais ça marche.)

- On se demande de qui elle tient, ricana Zack.

Nous échangeâmes un regard.

- Deux à zéro pour moi, déclarai-je. Tu renonces ?

Je reçus un sourire en guise de réponse. Son Pokémon suivant était un Noeunoeuf, ce qui me surprit. Il avait dû le capturer au parc Safari... Je choisis Grignotte pour le combattre, et réprimai une grimace en me rendant compte que je n'avais plus beaucoup de Pokémon valides. Plouf avait déjà donné, Teigne itou, et si la composition de son équipe n'avait pas changé, je pouvais oublier Salade, qui ne serait efficace ni face à son Kadabra, ni contre son Dracaufeu.

- Commence par un Tranche, suggérai-je à Grignotte.

- Paralyse-le et enchaîne avec Choc mental, lança quant à lui Zack.

Mon Sablaireau se précipita sur son ennemi, griffes en avant. Alors qu'il allait l'atteindre, le Noeunoeuf expulsa une poudre violette de ses multiples bouches, poudre qui enveloppa entièrement Grignotte. Il toussa et trébucha, l'une de ses pattes arrière se dérobant sous lui. Les yeux du Noeunoeuf étincelèrent de satisfaction... et s'emplirent de stupeur lorsque trois griffes vinrent crisser contre sa coquille, juste avant que Grignotte ne roule hors de portée.

Il se releva avec difficulté à quelques mètres de distance, et frissonna en rencontrant le regard de son adversaire. Ça, ça devait être le Choc mental.

- Éboulement, décidai-je.

Grignotte bondit tant bien que mal ; un énième craquement résonna dans l'air. Les œufs qui constituaient le Noeunoeuf s'éparpillèrent, mais deux ne furent pas assez rapides et ne purent éviter les morceaux de plâtre qui tombèrent du plafond. Le Pokémon amputé d'une partie de sa force répliqua d'un Choc mental, un éclair agressif au fond des prunelles. Grignotte tituba, poussa un couinement étrange, et trouva la force de se rapprocher du Noeunoeuf pour lui infliger un dernier Tranche, ce qui mit fin au combat.

Là-dessus, il s'écroula sur son derrière, visiblement crevé. Je profitai du changement de Pokémon du côté de Zack pour le rejoindre et le soigner. Il m'interrogea du regard alors que la potion de guérison faisait son effet.

- Encore un peu, Grigri. Ensuite tu pourras te reposer.

- Blai, acquiesça-t-il.

Tout à coup, les plaques écailleuses de son dos se dressèrent et il émit un sifflement de défi. Je relevai la tête. À quelques pas de là, un Alakazam nous toisait, immobile. Ses prunelles d'or se focalisèrent sur Grignotte. Terrifiantes de froideur. Je me souvins que le Sablaireau et lui étaient de vieilles connaissances. Leur affrontement dans les couloirs de l'Océane avait été brutal et sanglant. Le Pokémon psy avait une revanche à prendre...

- Continue avec tes Tranches, chuchotai-je à Grignotte avant de m'éloigner.

Il brandit ses griffes et se mit à tourner autour de l'Alakazam, décrivant un large cercle qui se resserrait petit à petit. Zack n'avait donné aucun ordre à son Pokémon, ce que je trouvais étrange. Et puis la solution m'apparut : inutile de le faire à voix haute avec un Pokémon psychique. Il devait certainement être capable de lire les pensées de son dresseur. Que des avantages avec ce type, décidément...

Une aura dorée apparut autour de lui, accentuant encore davantage son aspect surnaturel. Grignotte s'écarta quelque peu, anticipant une attaque. Mais l'Alakazam resta sans bouger, campé sur ses longues jambes, dans une position qui suintait l'assurance. Profitant de l'inaction de son adversaire, le Sablaireau se jeta alors sur lui et lui laboura le ventre de ses griffes. Elles s'enfoncèrent jusqu'au sang, et pourtant l'Alakazam ne cilla même pas.

Un instant de flottement.

Ce fut seulement lorsque je vis Grignotte vaciller que j'en compris la raison. Le Pokémon psy avait dû réussir à placer une attaque mentale. Coup de griffes rageur de la part de Grignotte, qui manqua largement sa cible. L'Alakazam le repoussa du pied et concentra son regard sur lui alors que Grignotte basculait sur le dos. Un Choc mental fit vibrer l'air entre les deux adversaires. Grignotte lâcha un couinement de douleur qui me fit crisper les poings, puis tenta de se relever... sans y parvenir. Les yeux de son adversaire étincelèrent. Il leva sa cuillère...

... et la rabaissa lorsque Grignotte disparut dans un rayon de lumière rouge.

Pas de prise de risque.

Évidemment, ça c'était la théorie. En pratique, il me restait Plouf ou Princesse, et choisir l'un comme l'autre serait également risqué.

- Alors ? s'impatienta Zack tandis que je tergiversais.

- Princesse, déclarai-je finalement.

Elle s'était bien débrouillée contre le Kadabra un peu plus tôt, et je la pensais plus rapide que l'Alakazam. Zack eut une moue amusée lorsque la Miaouss sortit de sa Pokéball.

- T'as pas mieux que ça ? me nargua-t-il.

- Onde de Choc, rétorquai-je, estimant que Princesse ferait ses preuves par l'action.

L'Alakazam considéra un instant la Miaouss, puis ferma les paupières, comme si elle ne valait même pas la peine d'être gardé à l'œil. Le poil de Princesse se hérissa de colère. Elle détestait qu'on l'ignore. Une flèche d'électricité jaillit de son joyau frontal et crépita dans les airs jusqu'à venir frapper le Pokémon psy, qui tressaillit sans toutefois daigner rouvrir les yeux. La Miaouss bondit aussitôt derrière les débris d'une table, afin d'éviter les représailles.

Rien.

L'Alakazam demeurait immobile.

- OK, Morsure, indiquai-je à Princesse, pas trop sûre de savoir ce qui se passait.

Elle sauta hors de son abri et courut droit sur l'Alakazam, bondissant d'une belle détente pour aller planter ses dents pointues dans le bras qui tenait la cuillère. Le Pokémon psy ne réagit pas davantage, se contentant d'encaisser l'assaut. Il y avait quelque chose qui clochait... E ça semblait prévu, car Zack souriait.

- Princesse, reviens, décidai-je.

Trop tard. Les yeux du Pokémon psy s'ouvrirent brusquement et il fixa la Miaouss de toute la force de son regard. Ses prunelles où brûlaient un étrange feu intérieur transpercèrent Princesse de part en part. Elle se raidit sous le coup, puis sa gueule s'ouvrit d'elle-même et elle dégringola, s'écrasant au sol de façon bien peu féline.

Une seconde plus tard, elle était en sécurité dans sa Pokéball.

Sommet rouge.

Je soufflai mentalement. Tout allait bien. Grignotte prit sa place, et je lui transmis ce que j'espérais être mes dernières instructions :

- Tranche. Mets-y toutes tes forces.

Il opina, puis se retourna pour faire face à son ennemi. L'Alakazam paraissait à nouveau intéressé maintenant que le Sablaireau était revenu dans la danse. Il y avait une vraie rivalité entre ces deux-là... Les deux Pokémon se regardèrent dans le blanc des yeux durant quelques instants, avant que Grignotte ne se mette en mouvement. Il se rua sur l'Alakazam, ses pattes courtaudes le propulsant rapidement. Alors qu'il n'était plus qu'à un mètre, le Pokémon psy tendit le bras... ou plutôt, voulut tendre le bras. Un grésillement jaune courut le long de son corps, le paralysant quelques secondes - un cadeau de l'attaque électrique de Princesse.

Quelques secondes seulement, mais c'était tout ce dont Grignotte avait besoin. Il frappa des deux pattes avants, ses griffes creusant un X sanglant dans le ventre exposé de l'Alakazam. Ce dernier s'affaissa, puis s'écroula en arrière, sa cuillère roulant hors de sa main. Grignotte s'approcha jusqu'à ce que son museau ne soit plus qu'à deux centimètres de celui du vaincu, et émit un 'Sablaireau' victorieux. Plus si timide que ça, lui...

- Beau boulot, Grignotte.

Zack maugréa quelque chose que je ne compris pas. Il commençait à comprendre que la situation ne tournait pas en sa faveur : plus qu'un seul Pokémon de son côté, et je savais lequel. En conséquence, je fis appel à Plouf pour ce dernier affrontement. Mon Léviator déplia son long corps en entier, et attendis de voir quel serait son adversaire cette fois.

Zack libéra son tout premier Pokémon. Lui aussi avait évolué : fini le dinosaure bipède, et bonjour le dragon enflammé aux ailes immenses. Question intimidation, il valait bien Salade, avec son air féroce de prédateur. Et question majesté, là y avait pas photo, mon gros bulbe vert était largement surclassé. Tout à coup, je n'étais plus aussi sûre de ma victoire.

Autant essayer d'en finir au plus vite.

- Surf, mon Plouf, lui dictai-je en me sentant quelque peu coupable d'exploiter cette faiblesse..

Un rideau aquatique monta à l'assaut du Pokémon feu. Un coup gagnant dans bien des cas... mais tous les Pokémon de Zack étaient coriaces, et celui-là ne faisait pas exception. Alors que la vague d'eau allait l'atteindre, il déploya ses ailes gigantesques et bondit. Elles le portèrent jusqu'à l'étage au-dessus, et il s'en tira avec juste le bout des pieds mouillés.

Si Teigne n'avait pas fait s'écrouler le plafond... songeai-je machinalement.

Mais il était trop tard pour les regrets.

- Dracaufeu, Brouillard.

Je vis sa gueule s'ouvrir et il se mit à cracher de la fumée. Une épaisse purée de pois d'un vert caca d'oie qui envahit la pièce en un rien de temps, réduisant la visibilité à néant. Mes yeux me piquèrent et une quinte de toux me secoua alors que je respirais cette saleté.

- Draco-rage ! hoquetai-je à l'intention de Plouf.

En espérant qu'il n'allait pas nous cramer, Zack ou moi... Je distinguai un jet de flammes bleues-violettes au-dessus de ma tête, mais n'entendit rien qui indique que Plouf ait touché sa cible. Où était-il, d'ailleurs ? Je plissai les yeux, cherchant mon Léviator à travers le brouillard. C'était quand même ironique de perdre de vue un aussi grand Pokémon. Tout à coup, un coup de vent dissipa la brume un instant, et j'entrevis le Dracaufeu qui battait des ailes face à Plouf. Le Léviator beugla, et fonça sur son adversaire qui effectua une manœuvre bizarre. Il y eut un appel d'air et je me retrouvai à nouveau aveugle. J'entendis néanmoins une paire de mâchoires claquer dans le vide - celle de Plouf, probablement. Bordel.

Quelque chose m'effleura le dos. Je me retournai et faillis mourir d'une attaque cardiaque. Le Dracaufeu de Zack me dominait de toute sa taille, la gueule à moitié entrouverte. Une gueule au fond de laquelle rougeoyait les flammes de l'enfer. Je déglutis et fis un pas sur le côté. Le Dracaufeu gronda et sa queue au bout enflammé s'enroula autour d'une de mes jambes. J'aurai protesté si son regard de prédateur ne m'avait pas paralysé des pieds à la tête.

Un rugissement sourd s'éleva derrière moi. J'en reconnus le timbre : Plouf. Le Dracaufeu rugit en retour et ouvrit sa gueule complètement. Une étincelle, et l'enfer se déchaîna. Je plongeai à terre juste à temps tandis que le Pokémon dragon déversait un torrent de feu sur Plouf, à bout portant. La chaleur intense du jet de flammes me brûla le visage. Je restai collée au sol un instant, puis risquai un coup d'œil vers le haut en entendant Plouf mugir. Le Dracaufeu ne s'arrêtait pas, poursuivant son attaque incendiaire. Dévastatrice.

Je retrouvai ma voix :

- Surf !

Mais Plouf avait anticipé mon ordre et une montagne d'eau me frappa en plein visage à la première consonne. Sonnée, je me sentis perdre pieds et fut emportée par la vague gigantesque. Je me débattis, aspirai une goulée d'air, et percutai soudain un truc mou. Quelqu'un débita un chapelet de gros mots tout près de mon oreille. Puis la gravité reprit ses droits et je me retrouvai à plat ventre sur le carrelage à cracher de l'eau par le nez.

- Je hais... ce coup-là, fit la voix de Zack tout près.

Je tournai la tête et découvris que lui aussi avait bu la tasse. Un rapide tour d'horizon établit un bilan plus complet : l'étage entier était inondé, un foutoir total pour rester polie, Plouf observait les dégâts d'un air satisfait, et le Dracaufeu gisait immobile sur le flanc pas très loin de nous. Je pris le temps de m'assurer que sa flamme caudale était toujours là.

- J'ai gagné, constatai-je en me redressant à moitié.

Zack répondit d'un grognement. Il se mit sur les genoux à son tour. Nos regards se croisèrent malgré moi. Il y avait quelque chose dans le sien qui me mit mal à l'aise. Beaucoup trop intense. Je détournai les yeux et voulus me relever, mais il me retint par le poignet.

- Lâche-moi, exigeai-je d'une voix neutre.

- N'y va pas, Léa.

Son ton flirtait avec le 's'il te plaît'. Pas du tout son style.

- Pourquoi ?

Une lueur d'hésitation brilla dans ses yeux, puis :

- Les sbires Rockets, c'est une chose, mais leur boss et son bras droit... Ils ne jouent pas, eux. Ils vont te tuer.

- Tu tiens tant que ça à moi ?

Il eut sourire désabusé.

- Apparemment.

Silence.

- Il faut que j'y aille, tentai-je de lui expliquer. Il le faut, parce que si je reste sans rien faire je ne pourrais plus jamais me regarder dans le miroir. Et c'est peut-être ma seule chance. Si je laisse passer l'occasion, si je le laisse s'enfuir... je...

- Je sais, me coupa-t-il.

Il me lâcha, passa la main dans ses cheveux détrempés, et eut un sourire en coin.

- Après tout, si y a quelqu'un qui peut détruire la Team Rocket, c'est bien toi.

Je n'en croyais pas mes oreilles. Venait-il de me faire un compliment ?

- Va donc leur botter les fesses. Et ensuite on se retrouve à la Ligue Pokémon pour que je te botte les tiennes.

Il se releva et accompagna sa deuxième phrase d'une main tendue.

- Rêve toujours, répliquai-je en la saisissant.

Encore ce sourire narquois comme réponse. Comment faisait-il ça ? Je venais de le vaincre et j'avais toujours l'impression qu'il m'était supérieur. Le problème devait venir de moi, conclus-je en le regardant rappeler son Dracaufeu. Il vérifia que le sommet de la ball était bien rouge, puis fit ressortir son Alakazam. Le Pokémon psy posa un genoux à terre en se matérialisant ; il semblait à peine conscient.

- Parmanie, lança Zack à son intention, et il m'adressa un salut avant de disparaître dans un éclair violet.

Il était à peine parti que je lâchai un long soupir. Le plus dur restait à venir. Je rassemblai ma troupe de monstres et leur prodiguai tous les soins que je pus grâce aux réserves que je trimbalais dans mon sac. Lorsque je fus satisfaite de leur état, ils retournèrent dans leurs balls, exceptée Teigne que je gardais en guise d'assurance. Puis je m'attelai à retrouver la dalle qui menait là où je souhaitais être, et l'empruntai.

De l'autre côté, je fus accueillie par de la moquette. Je me trouvai dans un long couloir désert qui bifurquai à droite tout au bout. Ça devait être ça... Vu le luxe - des tableaux très moches décoraient les murs - j'aurai parié que le bureau du PDG n'était pas loin.

- On y va, chuchotai-je à Teigne.

Elle me suivit dans le corridor, encore plus silencieuse que moi. Des bribes de voix parvinrent à mes oreilles :

- ...jamais... négocie pas avec des monstres...

Celle-là m'était inconnue.

- ...passé l'heure des négociations, M. De Bellevue... Ou peut-être vous faut-il un autre cadavre pour...

Giovanni.

- ...s'arranger assez facilement... croit savoir... ...aussi une fille, non ?

Et lui.

Je me mis à trembler. Rage ou peur, je n'en savais rien.

Le couloir menait à une unique porte. Fermée. Je bloquai ma respiration, posai la main sur la poignée, et l'abaissai. Clic. La porte s'ouvrit en douceur. La pièce s'offrit à ma vue.

Et je sentis mon cœur s'arrêter face au spectacle.

Un homme d'une cinquantaine d'années était assis dans un sofa poussé contre le mur. Ce fut lui qui me vit en premier, car Giovanni et le Rocket me tournaient le dos. Sa bouche s'ouvrit sous le coup de la surprise, et les deux malfrats se retournèrent, alertés. Mais rien de tout ça ne retint mon attention.

Non.

Oh, non.

Je n'avais d'yeux que pour Léonard. Ils l'avaient abandonné sur une chaise, comme une chose inutile. Un trou obscène marquait sa poitrine, juste à l'endroit du cœur. Des petites rivières de sang séché descendaient le long de ses vêtements, et la moquette en-dessous était rouge d'avoir absorbé tout son fluide vital. Je remarquai un millier de petits détails que j'aurais voulu ignorer : ses cheveux qui étaient coupés plus court que la dernière fois que je l'avais vu, le bouton manquant à sa chemise, la tache de rousseur près de sa joue que je n'avais jamais remarqué auparavant. Plutôt être aveugle que de voir ça. Et parmi cette foule de choses insignifiantes, une en particulier me déchira les entrailles : même dans la mort, il avait le sourire aux lèvres.

La voix du Rocket m'atteignit de très loin :

- Tu as compris la leçon ?

Je relevai la tête et le dévisageai haineusement. Sans répondre, parce que j'étais quasi sûre que si j'ouvrais la bouche ce serait pour ordonner à Teigne de le tuer. Ou pour lui sauter moi-même dessus et lui enfoncer mes propres dents dans la gorge.

- C'est ça être un héros, Léa, crut-il bon de m'expliquer. Les gens meurent autour de toi simplement parce que tu existes.

Dents dans la gorge. Oui, bonne idée. Mais il y avait encore une parcelle de logique en moi, et elle ne voulait pas abandonner.

- Vous aviez dit que vous n'étiez pas un meurtrier, m'entendis-je objecter.

- C'est le cas.

- Oh, je suis vraiment désolée, j'ai dû mal comprendre, crachai-je, tremblante de rage face à son culot. C'est vrai, tuer quelqu'un par balle ne constitue pas un meurtre. Tout le monde sait ça.

- Je parlais de personnes réelles. Pas d'un personnage fictif.

Personnage.

Fictif.

Ces deux mots me frappèrent en plein visage. L'air se vida tout seul de mes poumons. Avais-je bien entendu ?

Il échangea un regard entendu avec Giovanni.

- Elle n'a pas encore compris, affirma ce dernier.

Les yeux du Rocket revinrent sur moi. Il souriait.

- Il y a une question que tu aurais dû poser dès le début, me dit-il. Une question cruciale. Pourquoi ne la poses-tu pas maintenant ?

Un long frisson d'appréhension parcourut mon corps tout entier. Il avait tort. J'avais déjà posé cette question, lors de notre première rencontre au Mont Sélénite. Il l'avait alors éludé en faisant mine de croire que je visais l'organisation qu'il représentait. Et moi, je n'avais pas cherché davantage. Une erreur.

- Qui êtes-vous ? demandai-je donc pour une seconde fois.

- Ici, on me connaît sous le nom de Julien. Mais mon véritable prénom, le prénom que j'ai reçu à la naissance, c'est...

Il marqua une pause significative. Mon cœur rata un battement.

Parce que j'avais compris.

Je savais quel prénom allait sortir de sa bouche.

Même si c'était impossible.

- ...Vivian.

***

Hé oui. Je suis curieuse de savoir si quelqu'un avait deviné à l'avance. J'avais semé pas mal d'indices ici et là, mine de rien.

Quoi d'autre ? Le combat de la mort contre Zack, j'ai cru que j'aurais jamais fini de l'écrire celui-là... j'avais peur qu'il soit trop long et qu'on se lasse, mais au final je trouve que ça rend bien. Sinon, pour Princesse tenant tête au Kadabra et plus tard à l'Akalazam, en fait dans le jeu je l'ai entraînée, elle était niveau 27 à ce moment-là. Mais dans l'histoire elle a appris en cachette en regardant les autres, à l'insu de Léa. Enfin ça lui faisait quand même dix niveaux de moins, pas de quoi tenir longtemps. La Prescience de l'Alakazam a bien failli la tuer d'ailleurs, il lui restait quatre PVs. xD


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