-16- : L'échappée
- Et m...
Pierre avait, de toute évidence, mal encaissé la nouvelle. Il se tenait la tête entre les mains, assis sur un des nombreux sièges en plastique de la salle de combat. Samir, tenu à l'écart pour ne laisser filtrer aucune infirmation quant au lien de toute cette histoire avec ses amis, leur jetait régulièrement des regards furtifs et pleins d'interrogations.
- Je sais, je sais... le coupa Sandra qui répétait ces deux mots depuis un certain temps déjà.
Elle ne savait pas quoi dire, simplement. Car la description de la situation se suffisait en elle-même. Car le mot que Pierre voulait dire, à lui seul, résumait assez bien la chose.
- On a pas plus d'infos ?
La blonde secoua la tête tristement. Sans savoir pourquoi, elle n'était pas angoissée, ni même apeurée. Juste triste, et elle ne pouvait pas se l'expliquer...
- Donc... Emma est aussi en danger...
Sandra aurait voulu interrompre Pierre de nouveau, lui dire « Hé, idiot, il y a Alex avec elle ! Et lui aussi est en danger ! Tu pousses le bouchon, là ! » mais elle ne le fit pas. Elle se contenta, à sa propre surprise, d'acquiescer mollement à la phrase de son ami.
Et si... si ça n'avait rien à voir avec nous, hein ? Proposa le jeune homme soudainement, le regard brillant d'une légère lueur d'espoir même s'il savait au fond de lui qu'il y avait peu de chances. Et si le Néo-Dieu n'avait aucun lien avec tout ça ? Et si tout ça était du à la météo ? Hein ? Tu ne crois pas ?
La blonde le fixa. Encore une fois, elle reprit Pierre d'un ton presque détaché, lui indiquant que MagnéZONE, le nom trouvé par Emma, était mieux que Néo-Dieu pour ne pas éveiller les soupçons. Dans son esprit même, la force de la nouvelle et du danger de mort qui se faisaient de plus en plus présents chaque jour avait balayé l'envie qu'elle aurait pu avoir de lui dire qu'il ne servait à rien d'échafauder des théories idiotes.
« La météo ? Non mais franchement ! Ecoute-moi : Soit c'est contre nous, soit c'est plus grand encore, mais de toute façon, c'est maintenant ! Alors arrête et fais face à ce qui nous arrive, quoi ! » Cette phrase, dans toute sa violence, aurait normalement pu être lancée. Ca aurait dû arriver, en temps normal. Mais pas ici. Ils n'étaient pas dans une situation normale. Là, l'idée de la météo était bien plaisante...
Il y eut un silence, suite à cela. Pierre poussa un soupir, étant apparemment revenu à la réalité. Puis, de nouveau, le silence. Bien qu'ils sussent ce qui leur restait à faire, les deux amis ne bougèrent pas, demeurant comme emmurés dans leurs pensées respectives, collés au plastique de leur sièges. Tout était comme ralenti, ankylosé. Sandra avait perdu sa fougue dans les méandres de ses interrogations, et Pierre se contenta de la fixer du regard sans un mot. Ceci ne dura que peu de temps, ou peut-être une éternité ? Même le temps semblait s'être engourdi.
Soudain, mu par une énergie venue de nulle part, Pierre se leva :
- Samir.
Celui-ci se retourna.
- Pierre ?
- Ton Airmure est rapide ?
Sandra dévisagea son ami. Qu'est-ce qu'il avait en tête au juste ? Il n'allait quand même pas aller à l'hôpital tout seul et la laisser ici sous prétexte que c'était une pauvre fleur fragile ? Ou du moins, il n'allait quand même pas y aller alors qu'Alex y était ?
Le jeune homme en face de Pierre lui répondit d'un regard interrogateur, mais ne tarda pas à sourire.
- Tu l'as vu toi-même.
- Parce que j'aurais besoin de te l'emprunter.
Ca y est, il allait le faire ! Non, mais à quoi il pensait ?
- Qu'est-ce que tu comptes faire ? lui demanda Sandra. Aller à l'hôpital ? Parce que je viens avec toi !
Pierre regarda Sandra dans les yeux, l'air sérieux. A cet instant, la jeune femme put voir dans ses yeux une lueur de détermination qui la surprit, mais également un éclat tout à fait différent, qu'elle aurait encore cru moins voir chez lui. Ou du moins c'est ce qu'elle lui aurait dit si elle avait pu.
Il avait une idée derrière la tête.
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Une bouteille de Soda Cool tomba du distributeur, attendant qu'une main daigne la prendre, laquelle fut celle d'Alex. Le « Merci » de Emma résonnait dans son esprit.
Il était soulagé, certes, mais... Il ne savait pas, simplement. C'était absolument impossible pour lui de mettre des mots sur ce qu'il avait en tête, comme s'il avait perdu tout vocabulaire.
Il resta quelques temps comme cela, la tête appuyée sur le distributeur, désemparé par tant difficultés, étourdi par les événements.
Ce « Merci » était-il la fin d'une angoisse qui le taraudait depuis des mois ? Etait-ce une étape, une épreuve qu'il avait réussie à passer ? La peur se terminait-elle maintenant ? Ou... est-ce que tout cela n'était que le début des vrais problèmes ?
Tout dans son esprit se mélangeait, à vrai dire. Il ne savait pas exactement ce qui se bousculait comme ça, il n'aurait même pas été capable de définir ses pensées, d'en décrire une seule. C'était d'une telle violence qu'il aurait eu envie de se frapper la tête dans la machine, pour calmer le jeu.
Ainsi, comme pour amorcer ce mouvement, il décolla sa tête de l'appareil, avant de finalement la prendre dans ses mains. Ses pensées étaient si indescriptibles qu'il ne pouvait même pas les percevoir, comme s'il était égaré dans une sorte de brouillard mental. Alors, inconsciemment, son esprit ne fit pas attention à ce désordre, il s'en désolidarisa presque. Alex était concentré sur l'extérieur à présent, comme si l'intérieur était un endroit mal famé, dans lequel il ne valait mieux pas traîner.
Alors, sans bouger, il prit conscience de ce qu'il se passait autour de lui. Il entendit un brouhaha ambiant, constitué des dialogues entre les médecins et les infirmières, des questions des familles des patients aux hôtesses d'accueil, des pas de tous ces êtres qui déambulaient dans le hall, allant dans des directions différentes, ayant des buts différents... Et, soudainement, il perçut ce son... Comme un bourdonnement... Un bruit étrangement familier.
Puis, ce fut comme si tout passait au ralenti. Sa tête reculait, se tournait. Puis ses épaules partirent dans le même mouvement, qui se propageait, petit à petit, à tout son corps. Quelques temps après, ses yeux entrèrent en contact avec un autre. Sur lequel se refermait un diaphragme, à intervalles réguliers. Alex, l'esprit toujours en exil, ne prit pas le temps de penser. Il ne put bouger, non plus. Rien d'autre ne comptait plus à cet instant que son cœur battant à tout rompre dans sa poitrine. Alex ne pouvait qu'écouter ce qu'il y avait de plus primitif en lui, ce qui, il y a quelques temps encore, était encore enfoui dans les tréfonds de son cerveau.
Alors, toujours au ralenti, à la manière du rattata pris au piège par un Miaouss, l'animal Alex chercha un moyen de se défendre. Par réflexe, donc, il chercha à sa ceinture l'objet qui le sauverait, les yeux toujours fixés sur cet ennemi qui, pour le moment, se contentait de flotter dans les airs en le fixant de l'œil.
Car, en effet, de l'autre côté, 1.0 analysait. L'Organique Maître en face de lui avait un comportement des plus... Non conformes. La créature de métal dut faire une rapide recherche dans sa banque de donnée d'interprétation comportementale pour tenter de le comprendre, conformément à ce que son programme prévoyait.
Résultat de recherche : non concluant. Autres résultats possibles (selon ordre de probabilité) : Choc Emotionnel, Tristesse, Volonté de se Reproduire, Peur.
Puis, d'un coup, Magnéti détecta un mouvement dans le coin inférieur droit de son champ de vision : l'Organique maître dégainait un objet. Le pokemon effectua un Verrouillage : l'objet en question était une... PokéBall. Et donc, un affrontement était imminent. En temps normal, ses circuits lui auraient ordonné de se mettre en position défensive, mais leur mauvais état empêcha la procédure de s'enclencher. 1.0 continua donc d'analyser la situation : l'humain en face de lui avait fait quadrupler la taille de la balle, mais d'un coup, il se mit à la fixer des yeux. Il y avait un problème.
Ce fut alors que la créature d'Acier se sentit vibrer très fort. Son enveloppe, ses circuits internes furent pris de ce rapide mouvement. Mais aucune procédure de défense ne se déclencha non plus. Il ne contrôlait plus rien : tandis que les pulsations augmentèrent en intensité, il sentit un flot d'énergie électrique parcourir ses aimants, puis sa sphère, et sa vis supérieure. Puis il la sentit se libérer d'un coup, alors que son corps ne fut que vibrations.
Alex avait le regard planté dans sa PokéBall. Il avait oublié ! Le système de blocage de l'hôpital ! Il n'allait pas pouvoir se défendre ! Mais soudain, il sentit une onde de choc légère, mais juste assez forte pour le secouer quelque peu et faire tomber sa Ball sur le sol. Aussi vite qu'il le put, et l'esprit toujours obnubilé par le Magnéti qui lui faisait face -- il le savait sans le regarder, il se retourna pour la ramasser. Or, il fit face à face avec son Galifeu, qui avait réussi à sortir par il ne savait quel miracle. Ragaillardi par le cri de joie de son Pokémon, il se retourna à toute vitesse pour lui dire d'attaquer le Pokémon Aimant... qui avait disparu.
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Emma soupirait. Le plus fort qu'elle pouvait. Pas des soupirs d'agacement, ni de désespoir. Mais de colère, d'incompréhension, plutôt. Elle aurait voulu pester, se mettre à crier, à pleurer, pouvoir sortir d'ici et aller courir un bon coup. Mais elle ne pouvait pas, simplement. Les trois premières possibilités auraient alerté quelqu'un, un membre du personnel trop attentionné, et ça aurait été la panique. La dernière, elle ne pouvait pas non plus. Et aurait sans doute énormément de mal à pouvoir de nouveau...
« - J'ai bien peur que, à ta sortie prochaine, tu ne sois forcée à te déplacer en fauteuil, Emma »
A ce souvenir, la jeune femme jeta un œil à l'objet, qui trônait fièrement sans un coin de sa chambre, en la narguant. Elle poussa un nouveau soupir agacé, puis ferma les yeux. S'en suivit l'arrivée de nouveaux souvenirs dans sa tête, ceux qui accompagnaient la phrase qui lui était venue juste avant. Emma dut lutter pour que leur flot ne se déverse pas dans son esprit. Ça faisait plus d'une fois que c'était arrivé depuis l'entretien avec son médecin qui, il fallait se l'avouer, lui sortait un peu par les yeux. Et elle ne voulait pas que ça arrive, c'était trop douloureux. Surtout pas...
Mais la lutte intérieure était ardue, et l'esprit de Emma, déjà occupé à gérer la constante pression que MagnéZ.O.N.E avait insinué depuis son réveil, déjà affaibli par l'angoisse d'un danger de perdre tout ce qui était important, ne put plus contenir la vague des souvenirs.
« - Je vous en prie, avait-elle répliqué avec une franchise implacable retrouvée, ce n'est pas parce que mon père vous a payé grassement pour faire venir un médecin renommé tel que vous dans un hôpital public que ça vous autorise à rabaisser tout le monde autour de vous, y compris votre patiente. Alors, s'il vous plait, est-ce que vous pourriez arrêter de me tutoyer et de me prendre pour une enfant en m'appelant par mon prénom ? »
Le médecin avait, elle s'en souvenait très clairement, car, après tout, cela s'était passé avant-hier, laissé échapper une grimace offusquée, et pour cause. Aucun respect, cette fille ! Il se démenait pour lui sauver la vie, et voilà ce qu'elle lui disait ! Non, mais...
« - Écoute, tu... vous ne devez en aucun cas faire trop d'effort physique. Nous ne savons pas combien de temps cela va durer, et, même si vous serez sans doute capable de marcher dans un jour ou deux, vous éprouverez de grandes douleurs à courir, par exemple. Exit également les combats Pokémon trop intenses. Certains Dresseurs, notamment les professionnels, sont souvent aussi épuisés que leurs compagnons à la fin de leurs combats. Comme on ne sait jamais... Ne prenez pas de risques, votre cœur pourrait ne pas le supporter.
Retour au présent, répit dans le flot de souvenirs. Emma poussa un soupir, tout en posant sa main sur sa poitrine. Celle-ci était marquée par une large plaie gainée par des compresses, et porterait sans doute toujours une cicatrice des moins agréables à voir. La jeune femme percevait les battements de cet organe affaibli par un système de défense ultra moderne. Cela et tout ce qu'elle et ses amis allaient vivre n'étaient pas compatibles, bien entendu. Et ça, eux, comme elle, le savaient, même s'ils n'en avaient pas parlé. Ce dont ils n'avaient aucune idée, en revanche, était beaucoup plus... ah, elle ne savait pas comment dire... plus inquiétant ? Quoique...
« - Qu'est-ce que j'ai ? Avait demandé Emma. Je veux dire, exactement ?
- Et bien, répondit le médecin, avec un ton que la jeune femme avait pris pour infantilisant, c'est très compliqué à expliquer...
- Allez-y, s'il vous plaît. Je vous arrêterai si je ne comprends pas.
Après un soupir qu'il avait voulu indétectable, le docteur pris une inspiration, comme pour rassembler ses forces et ne pas exploser face à la jeune femme arrogante en face de lui, puis se lança :
- Ce cas, mademoiselle, est très rare. Pour faire simple, c'est assez similaire à un cas de paralysie par attaque Pokémon. Un grand classique de la médecine, mais il semble ici que les traitements d'Anti-Para soient inefficaces pour l'estomper. En temps normal, les effets de la paralysie ne durent pas, même sans traitement. Mais, ici...
Il avait fait une pause. Emma, avait senti son cœur battre à tout rompre dans sa poitrine, ce qui ne se fit pas sans douleur, mais elle n'avait rien fait paraître, soutenant le regard de celui qu'elle ne supportait pas. L'air de vouloir dire « Bon, allez, vous le dites, on prend une respiration, monsieur, et on y va ! »
- Ça semble s'étendre, avait-il fini par lâcher après quelques secondes. Bien sûr, nous faisons notre possible pour empêcher ce phénomène – Les traitements à base d'œufs de Leveinard semblent en effet réduire quelque peu l'ampleur de l'extension... Pour faire simple, cette chose qui vous paralyse petit à petit a pu être contrôlé par les Œufs de leveinard, mais ce contrôle ne veut pas dire que la paralysie est « détruite ». On pourrait comparer ça à une sorte de Pokémon qui voudrait sortir d'une PokéBall : Il est à l'intérieur, et la Ball oppose une résistance à sa sortie, mais ça ne va pas l'empêcher de tenter de forcer. Alors, pour l'instant, une simple PokéBall – les Œufs de leveinard – suffit à l'arrêter, mais il se peut qu'on ait à en utiliser de meilleures – Œufs de leuphorie, voire Œufs Chance, tout comme il est possible que ça soit suffisant. On ne sait pas grand chose sur ce que vous avez vraiment, à vrai dire. Vous comprenez ?
La jeune femme n'avait pas répondu, le temps de digérer les informations qui avaient été présentées de manière quelque peu confuse. De toute évidence, ce n'était pas le genre de médecin à faire d'annonces au patient...
- Je vous suis, avait-elle affirmé. Qu'est-ce que cela signifie concrètement ?
- Les Œufs seront, j'en ai peur, un traitement à vie. Plutôt coûteux, comme cure... Précisa t-il, en se doutant que ce ne serait pas un problème pour le Conférencier Léonard Winston, écrivain à ses heures, qui, a en juger par le chèque qu'il lui avait donné, avait les moyens de payer pour sa fille. Mais nous n'avons trouvé rien d'autre qui soit efficace.
« Et la recherche ne se fera pas, vu que je dois sûrement être un cas unique », s'était dit Emma au même moment.
- Après, pour réduire les douleurs, et peut-être, à terme, les faire disparaître, la combinaison d'Anti Para et d'Aromathérapy semble être plus qu'efficient, d'après ce qu'on m'a rapporté.
La jeune femme n'avait pas acquiescé, même si c'était vrai. Elle attendait la suite.
- Mais... j'ai bien peur que tu doives faire avec toute ta vie, ou du moins une partie... je suis désolé.
La rousse s'était tue sous le coup de la nouvelle, passant sur le fait qu'il s'était remis à la tutoyer. Elle aurait voulu pleurer, là, sur le coup. Hurler à la mort, maudire ouvertement le scientifique, le médecin qui se tenait face à elle, la fixant sans un mot et qui ne pouvait pas dire autre chose que « je suis désolé », lui sauter à la gorge, le réduire à néant avec les mots, comme elle pouvait le faire. Elle bouillonnait de rage, intérieurement. De tristesse, aussi, mais la colère l'avait largement emporté sur la peine. Mais elle était restée digne et avait simplement regardé le docteur calmement, contrairement à ce que son instinct lui guidait. Et il était parti comme ça, avec un « On se voit plus tard ? » qui la laissait seule avec ses questions.
Le flot de souvenirs s'arrêta là. Puis, il y eut un soupir. Plein de peine. A présent, elle était condamnée à suivre ce traitement, sans garantie qu'un jour, tout cela pourrait s'arranger. Enfin... l'important n'était pas là. Elle avait beau ne pas trop souffrir aujourd'hui, elle garderait les séquelles pour très longtemps. Peut-être serait-elle handicapée à vie. Et...
Elle s'arrêta de penser à ça. A quoi ça servait de se remettre tout ça en tête ? A quoi bon ressasser ? Ce qui était fait était fait. C'était inutile de s'apitoyer, surtout dans une situation pareille. MagnéZONE passait à l'action. Il y avait un risque qu'elle ne survive pas. Un risque d'autant plus énorme qu'elle serait un poids, à cause de ce cœur rabougri, qui battait péniblement dans sa poitrine, là où serait gravée, à même la peau, la marque de toute cette histoire. Elle le savait, et maintenant que c'était clair dans son esprit, elle devait faire avec tout ça. C'était la seule solution pour arriver à faire face à cette galère et pouvoir avoir une chance de s'en sortir.
Alors, elle devait tenter de prendre le Tauros par les queues, ne pas laisser les souvenirs et la tristesse l'envahir, et...
Un bruit l'interrompit dans ses pensées. Un bruit de succion qui la remmena à la réalité. Elle ouvrit les yeux et vit Alex, suivi, étrangement, de son Galifeu :
- Vite, t'as tes Pokémons ?
La question avait été posée très rapidement, sans enluminures. Le jeune homme ne la regardait pas, activé à trouver une manière de déplier le fauteuil en métal au fond de la chambre.
- Dépêchons-nous, Emma, ordonna le brun.
Son amie n'eut pas à réfléchir longtemps pour comprendre l'enjeu d'un tel remue-ménage, mais elle chercha néanmoins à vérifier.
- Qu'est-ce qui se passe ?
- Les Magnétis...
Voilà. Le mot était lancé. Percutant les tympans de la jeune femme, allant se loger dans son cerveau. Voilà qui était douloureux. Inquiétant. Les choses s'accéléraient.
Puis, sans plus de considération pour le matériel médical, le Poulet Pokémon se précipita vers Emma, prêt à l'aider à se lever. Cependant celle-ci, sous l'impulsion de l'adrénaline, oublia ses douleurs, jeta la couverture aux pieds du lit dans un grand geste. Elle amorça un mouvement pour se tourner et poser les pieds sur le sol, quand elle aperçut un éclat métallique briller non loin durant quelques secondes. Elle resta alors là, à moitié assise dans une position peu confortable, hypnotisée par cette lueur. Elle en oublia la douleur. Alex qui était à côté d'elle, accourut pour le redresser, quand elle le repoussa franchement, sans même s'en rendre compte, trop concentrée sur le magneti qui venait de disparaître sous ses yeux. Comment cela était-ce possible ? Par quelle manipulation de l'espace temps avait t'il pu disparaître ? D'ailleurs, les Magnétis pouvaient-il déformer l'espace-temps ? Bien sûr que non. Etait-ce Téléport, dans ce cas ?
Son ami amena le fauteuil roulant en fer aux pieds du lit, l'invitant à s'asseoir, pour partir le plus vite possible. Grâce à son aide bienveillante, elle s'exécuta le plus vite qu'elle le put tout en regardant droit devant elle, l'esprit perdu dans des tas d'hypothèses plus ou moins tirées par le cheveux. Alex lui posa sa ceinture de Balls sur les genoux, puis son sac et, un bruit de succion plus tard, ils franchirent la porte de sa chambre.
A ce moment, la rousse eut une révélation.
C'était brillant ! Ils vibraient à de telles fréquences qu'il était impossible pour n'importe quelle créature vivante de les voir ! Et, comme ce n'étaient que des machines, elles ne dégageaient aucune aura ! Absolument aucun risque d'être détectées... C'était tout bonnement brillant ! Mais, à ce compte-là... Où allaient-ils ?
Cette question occupa son attention pendant de nombreuses minutes, si bien qu'elle ne se souciait pas de la panique qui avait gagné la plupart des occupants de l'hôpital, ni des cris rassurants des Leveinards. Elle ne pensa pas à vérifier dans quelle parcelle de l'hôpital elle était, ni même à s'inquiéter d'où Alex l'emmenait, ou encore au fait qu'il lui parlait depuis qu'ils avaient quitté la chambre.
Puis, à cette pensée pour lui, elle leva la tête. Malgré la vue qu'elle avait sur son menton, elle remarqua très bien qu'il regardait tout droit, d'un air déterminé, en parlant inlassablement sans même reprendre son souffle.
- Tout va bien aller, Emma. Tout va bien aller.
Bien sûr, elle savait parfaitement que s'il disait ça, c'était surtout pour se rassurer lui. Mais ce n'était pas important. Il devait avoir raison. Tout allait bien aller.
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Un « non » s'échappa dans la vaste salle à manger des Stevenson.
A cet instant précis, un père réalisa que son enfant avait de gros problèmes, c'est le moins qu'on pouvait dire.
A cet instant, un père vivait un cauchemar.
- Tu... tu es sûre de cette histoire ? Demanda M. Winston, pour ultime vérification, comme s'il y aurait une caméra cachée quelque part, et que Juliette allait s'exclamer « Et non, je t'ai piégé, Léonard ! » en pointant un cadreur dissimulé dans l'obscurité du couloir menant à la cave. Juste au cas où.
La femme devant lui, une amie de sa défunte épouse, secoua la tête gravement, lui confirmant par la même une des nouvelles les plus effrayantes qu'un parent puisse un jour apprendre. Sa fille était en danger. Une réelle menace. Et là, pour lui, la fin de l'espoir d'un canular. C'était dans la boîte.
Rapidement, il assimila toute sa peur, puis se leva, animé par une volonté que rien ne pourrait arrêter.
- Je vais la chercher.
- Attends, Léonard ! Attends. Je comprends tout à fait que...
- Je vais la mettre à l'abri, ne me dis pas d'attendre ! Ne me dis pas ce que j'ai à faire, Juliette !
Celle-ci ne soupira pas, elle ne grimaça pas, comme elle aurait eu le réflexe de faire en temps normal. Elle se leva à son tour, puis se pencha sur sa grande table en bois, plantant son regard dans celui de M. Winston. Lequel se tenait debout, attendant la réaction de l'amie de sa femme. Elle parla sur le ton le plus posé du monde :
- Écoute moi. Je te signale que ce n'est pas seulement question de ta fille. La mienne est aussi dans cette galère, tout autant que la tienne. Deux de leurs amis le sont également. Alors, Léonard, je pense que j'ai également le droit de donner mon avis sur la situation. Alors, après que tu sois...
Elle s'arrêta un léger moment pour chercher les mots. Pour ne pas blesser l'autre plus qu'il ne l'était déjà.
Que tu sois impatient de voler à son secours, c'est bien gentil, Léonard. Mais je sais à quoi ils ont affaire, d'accord ? Eugénie a failli y passer. J'ai failli perdre mon meilleur Pokémon. Ce n'est pas une promenade de santé, ça. Ce n'est pas un match d'Arène minable. Ça n'a rien à voir avec la plus dangereuse des choses que tu aies jamais eue à faire face. Alors... Je sais que tu ne veux pas perdre quelqu'un d'autre, mais... quand je te demande d'être prudent, J'AIMERAIS QUE TU ME FASSES CONFIANCE !!
Sous le choc d'une telle claque verbale, Léonard Winston s'assit, la tête basse. La femme en face de lui l'imita, réarrangea ses cheveux, puis soupira.
- Désolée.
Le père de Emma, encore atteint, fit un discret signe de la main, comme pour balayer tout trouble, dire « Ce n'est rien ». Lorsqu'il releva la tête, il regarda son interlocutrice dans les yeux, et posa la fameuse question, dans un murmure :
- Qu'est-ce qu'on fait ?
Mais ils furent interrompus par la télévision. Un grand « EDITION SPECIALE » rouge parcourut l'écran, puis céda sa place au présentateur du journal de Céla-TV. En-dessous de lui, un curseur vert apparut, qui se déplaça vers la droite sur une ligne nommée « Volume ».
Juliette posa la télécommande, puis elle et Léonard restèrent pendus aux lèvres du journaliste gominé :
- Mesdames, messieurs, bonsoir. Nous interrompons votre programme pour poursuivre notre édition spéciale sur ce que les Séviites appèlent déjà « L'échappée Magnétique ». Nous venons en effet d'apprendre que ce mouvement de magnetis est étendue à tous les hauts lieux des îles Sevii, de l'île un à l'île sept. la Tour de Combat est privée d'électricité du fait de l'absence des Magnétis, l'hôpital de Sessei également. Nous ne déplorons pas pour autant de perte du côté de tous les Centres Pokémon de l'archipel, de même que sur le continent, Hoenn, Sinnoh...
Les deux parents n'écoutèrent plus. Ils se regardèrent, pour voir de leur propre yeux, si l'autre avait bien entendu la même chose. L'hôpital de Sessei...
Léonard Winston, les larmes aux yeux, et Juliette Stevenson se levèrent immédiatement. Eugénie la Mackogneur fut rappelée, Sigmund le Alakazam libéré. Puis ils se téléportèrent plus vite qu'il ne faudrait pour l'écrire, même s'ils ne savaient pas ce qu'ils pourraient trouver là-bas.
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Cela faisait un quart d'heure que Pierre était parti, avec en sa possession la ChronoBall du Airmure de Samir. C'était d'ailleurs pas très légal de voler sur un Pokémon ici, mais peu importait. Ce qui était important, c'était que, depuis un quart d'heure, Sandra était restée assise là, silencieuse, malgré son habituel caractère enjoué, à penser à tout ce qui lui arrivait. Elle avait ce nœud à l'estomac qui ne l'avait pas quittée depuis... Oh, des siècles déjà ! Elle aurait tellement voulu pouvoir s'en débarrasser ! Mais les magnétis, Alex et Emma à l'hôpital semblaient tout faire pour qu'il reste encore et encore, et qu'il se nourrisse de ses entrailles.
Et Pierre qui était parti en la laissant là n'arrangeait rien. « Pour aller à la Maison, avec une majuscule. », selon ses propres mots. Il allait revenir, et ensemble ils iraient rejoindre Emma. Peut-être que tout ça n'était pas une bonne idée après tout. Non, c'était bien entendu une mauvaise idée. En plus, ils ne pouvaient pas se contacter par téléphone, à cause des perturbations entraînées par les déplacements de Magnétis. Soit disant qu'il savait ce qu'il faisait. Rien n'était moins sûr. Il improvisait assurément. Mais comment lui en vouloir ? Elle était là, plantée dans le silence à ne faire que penser, à l'attendre alors qu'en temps normal, elle lui aurait crié après pour qu'il ne la laisse pas. Mais, dans une situation pareille, il ne fallait pas prendre de risques, et la moindre idée pouvait être la bonne.
Alors elle attendait. Et elle sentait bien que Samir lui lançait régulièrement des regards furtifs. Il devait bien entendu se demander ce qu'il se passait. Oh, qu'elle devait lui paraître bizarre ! Et impolie ! Elle devait faire un effort ! Allez, zou !
- Sa...
Elle balbutiait. Enfin ! C'était pas son genre ! En général, c'était plutôt les autres qui balbutiaient devant elle ! Ha !
- Samir...
Le jeune homme se retourna, semblant tout prêt à l'entendre. Mais aucun mot ne sortit de sa bouche. C'était quand même pas si difficile ! Pourquoi c'était si difficile ? Fallait pas se laisser abattre comme ça.
Mais ce fut lui qui fit l'effort pour elle.
- Je veux pas savoir ce qu'il se passe, mais je sais qu'il y a un truc. Et ça m'a l'air quand même assez incroyable. Et, tu me dis si je me trompe ou pas, mais aussi assez dangereux. Emma à l'hôpital depuis deux mois et neuf jours... Heu... Enfin, quelque chose du genre. Et je sens bien qu'il doit y avoir un lien quelconque. Et c'est aussi à cause de ce truc que Pierre est tendu et ne veut pas parler d'Alex. Ou même à cause de ça qu'on a plus aucune trace d'Alex. Mais... mais je crois que se laisser aller comme ça n'est pas bien productif. Et que vous devriez Enfin, c'est probablement bidon ce que je dis là, et assez cliché sur la fin, je le concède, mais c'est ce que je pense.
Sandra dévisagea Samir. Ce qu'il disait là faisait qu'elle n'arrivait pas à détourner son regard de lui. Elle et ses amis étaient si transparents que ça ? C'étaient vraiment de piètres acteurs, hein ?
Puis, d'un coup, sans savoir pourquoi, le nœud perdit un peu en force. Oh, ce n'était pas la tentative de Samir de la ragaillardir qui avait marché, c'était juste... Juste qu'elle se sentit moins seule d'un coup. Oh, bien sûr ils ne pourraient rien dire à personne, toujours pas, mais... Elle ne pouvait pas expliquer. C'était pas logique. C'était peut-être même faux. Mais peu importait. Au fond d'elle-même, elle le savait. Elle en était persuadée.
Alors, soudainement, le nœud à son estomac s'évapora. Elle se sentit bientôt plus légère, prise par un nouveau souffle d'espoir.
Elle se leva d'un bond, comme s'envolant dans les airs. Puis, avec l'énergie d'une tornade, elle se mit à se diriger vers la sortie. Elle devait aller chercher Emma et Alex. Il devait savoir où était la Maison, avec une majuscule. Et, dans le pire des cas, Pierre les rejoindrait à l'hôpital après s'être inquiété à la mort parce qu'elle aurait disparu du C.L.U.B.... C'était profondément stupide, elle le savait. Mais elle devait faire quelque chose ! Elle n'allait pas rester comme ça à attendre qu'on prenne des risques pour elle !
- Attends, je viens avec toi !
La voix de Samir qui lui avait couru après interrompit le flot de ses pensées.
- Samir, je ne crois pas...
- Tu vas à l'hôpital, c'est ça ? la coupa t 'il
Soudain, la stupidité de sa décision lui revint à l'esprit. Peut-être qu'elle devait se calmer, et y penser un peu... Elle acquiesça timidement. Il allait lui dire que c'était fou, et qu'il fallait pas...
- Je connais un raccourci, si tu veux.
Alors, Sandra, surprise, se figea sur place, le regardant avec de grands yeux. Puis, l'ouragan en elle se manifesta de nouveau. Elle hocha la tête, déterminée, et lui saisit la main fermement.
- Je cours très vite quand j'ai pas mes talons, je te préviens.
Samir eut un sourire. Sandra eut un soupir. Ca faisait deux mois qu'elle avait arrêté d'en mettre exprès pour être prête à courir à tout instant. Mais elle soupirait aussi pour se donner du courage. Car il lui en faudrait, de même que du souffle. Puis elle entraîna le jeune homme en courrant vers la sortie. Mais, d'un coup, juste avant qu'ils ne pussent franchir la porte, il s'arrêta net. Sandra se retourna. Qu'est-ce qu'il avait ? Il avait changé d'avis ? Il voulait la raisonner maintenant ? Oh, peut-être que c'était plus prudent.. Non ! Elle allait y aller, point !
- Samir, dit-elle en se retournant pour le regarder dans les yeux, c'est pas le moment de faire le Roucool mouillé...
Mais, à ce moment, elle se rendit compte qu'elle ne pouvait pas le voir, ni lui ni rien d'autre. L'obscurité était tombée dans la salle. Parmi les quelques personnes qui y étaient, certaines poussèrent un cri de surprise, alors qu'un Osselait qui s'entraînait se fit entendre.
- Du calme, du calme ! S'exclamèrent certaines voix, tandis qu'un Reptincel, situé à l'autre bout de la pièce, servait malgré lui de torche.
Bientôt, tous les êtres vivants de la pièce appliquèrent les conseils donnés par elles, la panique laissa bientôt place à un murmure ambiant. Samir, de toute sa puissance vocale, demanda à tout le monde de se rassembler, tandis que Sandra sentait la tornade qui avait emporté son esprit et son corps s'évanouir.
C'était une coupure de courant dûe aux problèmes avec les magnétis, comme pour le téléphone ? Ou même une coupure dûe à autre chose ? Est-ce que ça allait être le moment ? Il allait prendre le risque de l'attaquer là, devant tout le monde ? Non, sinon, il l'aurait fait bien avant. Non, mais c'est très probablement rien. Elle est trop tendue.
Mais, alors qu'elle s'était perdue dans ses pensées, il y eut un grand bruit, comme un coup de tonnerre. Tout le monde, dans un sursaut, tourna la tête vers l'endroit d'où provenait ce son effrayant. Là-bas, l'obscurité fut parcourue de points rouges. Un bourdonnement intense avait interrompu tout chuchotement. Le Lézard de Feu, sur un des terrains bleus, poussa un grognement, sa flamme gagna en volume, ce qui augmenta la visibilité.
Alors, tout le monde dans la salle put voir la même chose. Les lumières rouges avaient laissé place à des éclats métalliques.