-11- : Pots Cassés
Quelque chose sauta dans les airs, retomba, sauta de nouveau. Une sphère…
Elle continua son jeu. Elle chuta. Dans une main venue la cueillir. La petite balle rouge et blanche fut lancée de nouveau, avec beaucoup d'élan. Elle atterrit sur un mur d'un blanc immaculé. Et rebondit. Avant d'être attrapée au vol d'un geste habile. Elle finit ce jeu, prisonnière de cette main qui ne la lançait plus.
Alex était allongé sur le sol, tout près d'un grand cadre en aluminium. Même lancer sa Pokéball sur le mur et la voir rebondir ne permettait plus au temps de passer plus vite. Deux mois… Emma avait passé deux mois sur son lit d'hôpital, sans même frissonner une fois. Noël était passé. L'hiver était passé. Et elle qui ne bougeait pas…
Il se releva, assis sur le sol blanc de la chambre et jeta un regard sur sa droite. Le lit était juste assez haut pour qu'Alex pose sa tête sur le bord du matelas. Il fixa son amie de nombreuses minutes. Elle allait louper l'épreuve écrite du BDA, elle qui avait passé des nuits dessus. Quand elle se réveillerait, elle serait furieuse. Alex eut un pincement au cœur. Encore faudrait-il qu'elle ne se réveille… Il chassa rapidement cette pensée de son esprit. Elle sortira de ce coma. Il n'était pas profond, déjà. Cela offrait un espoir auquel tout le monde s'accrochait.
Le jeune homme regarda autour de lui. Il était vrai que Sandra et Pierre étaient sortis. Histoire de laisser les révisons du BDA de côté pour quelques heures. Et de tenir les rares personnes inquiètes de l'état de santé d'Emma au courant, là-bas, au CLUB.
Officiellement, le Raichu de son père aurait attaqué la fille de son dresseur par accident. Une Cage-Eclair. Pas sûr que les médecins ont cru cette excuse inventée dans la panique de l'évasion soudaine du repère de l'homme. Mais cela avait dû suffire à ceux du CLUB car le nombre de questions avait franchement diminué depuis ces deux mois.
Alex avança sa main sur la couverture blanche. Il prit celle de son amie dans la sienne. Dire que la dernière fois qu'ils avaient parlé, ils avaient failli… il eut envie de se gifler pour chasser cette pensée. Elle était fatiguée, se dit-il pour la centième fois, ça se comprend. Lui aussi avait déjà fait n'importe quoi dans un moment de grande fatigue, c'était une réaction humaine, après tout.
La porte coulissante de verre s'était ouverte. Un Leveinard entra pour la énième fois depuis deux mois dans la pièce. Alex s'était retourné violemment, si bien que toutes ses pensées antérieures s'étaient envolées. Il se leva rapidement. Il avait cru que c'était le père d'Emma. Il fallait dire qu'il ne venait pas souvent. Essayer de s'occuper de ses deux enfants seul, l'un n'étant pas un modèle d'angélisme. Et cette saleté de coma… La vie s'acharne, parfois. Cette réflexion eut pour effet de créer, de recréer plutôt ce nœud à l'estomac qui accompagne généralement l'état de stress et d'attente dans lequel Alex se trouvait. Ce nœud avait tendance à revenir de plus en plus souvent, ces temps-ci. Chaque jour, il réapparaissait, plus fort que la veille. Et ces réflexions n'arrangeaient rien à sa disparition.
Alex sortit, comme le Leveinard le voulait toujours. Le jeune homme ne savait pas quel traitement Emma suivait, mais le Pokémon venait toujours lui administrer, et ce à l'abri de s regards. D'où venait cette nécessité de ce traitement à huis-clos ? Trop compliqué à exécuter ? Trop délicat pour être effectué dans n'importe quelle condition ? Peut-être pour ne pas être dérangé par les questions incessantes des proches anxieux ? Non, non. Un Leveinard aime la présence humaine, les paroles et sa présence suffit pour apaiser les parents inquiets, la famille soucieuse. A moins que ce ne soit pour rendre le médicament plus efficace. Oui, ce devait être ça. Il faudrait qu'il vérifie un jour…
L'intervention de Leveinard durait souvent plus d'une demi-heure. Mieux valait quitter cette odeur persistante de chloroforme durant ce temps. Alex appuya sur le bouton d'appel de l'ascenseur.
Ce fut à ce moment qu'il eut une pensée pour l'homme. Il était vrai qu'il ne s'était pas manifesté depuis leur fuite… De plus, le Néo-Dieu semblait avoir disparu dans la nature depuis qu'ils s'étaient quitté. Étrange…
L'appareil arriva. Alex entra, et s'arrêta à côté d'une femme vêtue d'une blouse d'infirmière, les mains posées sur les poignées dans un fauteuil roulant en métal. Une vieille femme y était assise et son regard semblait perdu dans les méandres de la maladie. Son étincelle de vie semblait s'être envolée.
Alex regarda cette femme quelques secondes, s'imaginant Emma à sa place, inerte sur un fauteuil roulant... Le nœud réapparut, plus fort encore. Et si le coma laissait des séquelles irréversibles, et si Emma ne pouvait plus parler, plus se déplacer, et si sa vie se résumait à cet hôpital infâme, à un traitement inconnu administré par un Leveinard venant chaque jour ? Et si elle ne se réveillait pas ? Alex entra dans l'ascenseur. Il avait mal, il souffrait. Tout cela était trop injuste. Comment tout cela pouvait-il leur être arrivé ? Lui être arrivé. Pas Emma. Pas à quinze ans, presque seize. Son père n'avait pas besoin de ça. Et le scientifique, malgré le fait qu'il n'avait donné signe de vie depuis deux mois, risquait de réapparaître à chaque instant, là, à chaque coin de mur, lâchant sa créature pour en finir avec ces témoins, gênant, dans une moindre mesure, ses plans. Et si le néo-Dieu apparaissait quand la porte de l'ascenseur s'ouvrirait ? Alex se ressaisit. De toute manière, leur préoccupation principale n'était pas du tout de savoir ce que lui et sa créature étaient devenus. Pas encore. Quand Emma serait réveillée, l'inquiétude, la grande, la terreur, viendrait. Et ce pour lui et tous ses amis.
L'ascenseur s'arrêta, il en sortit. Et encore, ils n'étaient pas assez forts pour lutter contre le néo-Dieu, eux qui n'étaient même pas des Dresseurs Amateurs. Si toutefois la créature refaisait surface. Car son absence était si… improbable. Peut-être que Mackogneur…
- Alex ! Alex ! Eh oh, on est là !
Celui-ci arrêta de marcher et de penser. Il tourna la tête vers la gauche et vit Sandra gesticuler en criant son nom. Et Pierre qui était de plus en plus distant... Il s'avança.
- Alors ? dit-elle. C'est le moment du traitement ?
Alex acquiesça.
- Elle en a encore pour longtemps. Je viens de descendre.
- On a enfin une bonne nouvelle. Mackogneur s'est remise à l'entraînement.
- Mais c'est génial, ça !
- N'est ce pas ? répliqua Sandra avec un large sourire. Je crois que je vais attendre devant la chambre d'Emma. Je vous laisse quelques minutes, les gars. On se revoit tout de suite.
Et elle partit en direction de l'ascenseur. Alex se tourna vers Pierre et soupira. Il avait disparu près du distributeur de boissons. Il s'avança vers son ami.
- Hey, dit Alex en levant la main en signe de salut.
Pierre ne répondit pas, comme absorbé par le choix de sa boisson.
- Il paraît qu'il y a de bonnes nouvelles avec Mackogneur, lança Alex maladroitement.
Pas de réponse.
- En espérant qu'Emma se rétablisse à la même vitesse qu'elle.
Silence. Appui sur un bouton. Chute d'une bouteille de Soda Cool. Éloignement de Pierre. Renforcement de la douleur dans le ventre d'Alex.
- Hé ! cria ce dernier en accourant vers son ami.
Il l'empoigna.
- Qu'est ce qu'il y a à la fin ? interrogea t-il en criant presque.
Pierre se dégagea violemment.
- Explique-moi, Pierre ! Qu'est ce qui se passe ?
Alex criait maintenant. Sans le vouloir, toutes ses angoisses étaient remontées dans sa gorge et sortaient à présent sous forme de cri.
- Alex, répliqua l'autre, arrête. Lâche-moi. Laisse-nous tranquille.
Ses paroles étaient hachées. Par la colère ou par la tristesse. Impossible à dire.
- Tu ne mérites même pas de nous parler. Ni de rester au chevet d'Emma. Dégage.
Alex allait répliquer quand il aperçut Sandra sur leur gauche. Visiblement choquée, elle se tenait droit comme un "I", juste à côté d'eux, des larmes naissant dans ses yeux bleus.
Pierre et lui restèrent silencieux, regardant leur amie comme si le temps s'était bloqué avec l'arrivée de Sandra et qu'il attendait une parole de cette dernière pour reprendre son cours.
- Emma, finit-elle par dire. Elle est sortie du coma.