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Analyse de fanfic : "Une Légende s'éveille..." de Ramius



Une Légende s'éveille… de Ramius est la première fanfiction publiée en 2019 sur Pokébip, et la seule écrite par l'auteur à ce jour. L'intrigue prend place dans une région de Hoenn assez détachée de l'image qu'en donnent les jeux de la troisième génération, à la fois en plein dynamisme industriel et gangrenée par la corruption, tout en s’inscrivant dans un monde à la géographie proche du nôtre.

D'emblée, cette fanfic se distingue par son originalité. Le point de départ de toute l'intrigue est la transformation d'une algue en un produit miracle que tous les dresseurs vont très vite s'arracher. Sans faire jouer (dans un premier temps) les aspects d'aventure épique suggérés par Pokémon, Ramius parvient à nous captiver avec le commerce de ces algues et ses conséquences socio-économiques pour Hoenn.

Il y a pourtant quelque chose de saugrenu dans la façon dont l'exploitation d'une bête algue puisse à ce point affecter le quotidien de tous les habitants de la région. Assez étrangement d'ailleurs, le réalisme de la situation décrite — une innovation technologique qui entraîne un changement des habitudes de consommation, puis un enrichissement au niveau régional, suivi d’une surexploitation de la matière première pour répondre à la demande, ainsi qu'une montée de la corruption — se teinte d'extravagance lorsque transposé dans l'univers de Pokémon.

En outre, l'auteur explique avec beaucoup de clarté tous les bouleversements que connaît Hoenn, alternant narration et dialogue pour permettre aux lecteurs d'assimiler tous les enjeux. Même par la suite, lorsqu'il est question de flux de capitaux ou de fonctionnement d'une Pokéball, Ramius parvient toujours à décrire des phénomènes complexes avec des mots simples et un vocabulaire varié. Aussi les lecteurs ne sont jamais perdus, tout reste compréhensible, même pour ceux qui n'y connaissent rien.

Passés un prologue aux allures de teaser bien mené et un premier chapitre qui pose le décor, façon caviar littéraire, on assiste à la rencontre entre Arthur et Max, puis à la formation de la Team Éco qui englobe les membres des deux Teams de la 3G. Le travail sur les enjeux narratifs est mené avec brio ; on entre très vite dans la fic grâce aux dialogues qui détaillent les implications de chaque action menée, les aspirations de chaque personnage introduit.

Cela amène une grande richesse du déroulé, pour une fic pourtant prévue en seulement dix chapitres. Les plans successifs de la Team Éco, expliqués en toute simplicité, se heurtent à des problèmes complexes auxquels les membres tentent d'apporter des solutions à la fois osées et intelligentes. C'est sans doute un des points forts de cette fic, les protagonistes ne s'en remettent pas à la chance, mais à leur esprit d'analyse, pour parvenir à leurs fins. Cela reste vrai même lorsque l'intrigue s'éloigne des thématiques financières pour explorer davantage la psychologie humaine.

Si la fanfic fait montre d'un certain réalisme du fait des thèmes qu'elle aborde, on remarque également une forme de fantaisie dans son propos. Max et Arthur forment un groupuscule hors-la-loi pour rien de plus que de s'emparer d'Hoenn en fragilisant son économie de l'intérieur ! L'idée est suffisamment loufoque pour que même les personnages de l'histoire le soulignent. Quoique comparé aux plans des Teams Aqua et Magma des jeux, il y a encore de la marge. De même, qu'une attaque de Pokémon puisse couler la valeur financière d'une entreprise, ou qu'un pêcheur isolé soit capable de construire un bateau avec un métal extraterrestre ultra-dense et de la fonte, apportent une plaisante excentricité au récit.

Paradoxalement — ou pas d’ailleurs, le mélange est habile — Ramius ancre certains éléments géographiques dans le monde réel. En effet, il se base sur la correspondance de la région avec l’île réelle de Kyushu (Japon) pour introduire la fosse d’Izu-Ogasawara, extension de la bien connue fosse des Mariannes (l‘endroit le plus profond de la croûte terrestre) qui lui servira dans son récit. Il confronte donc le canon et le réel avec sa vision des choses pour obtenir un résultat riche au niveau de l’univers, ne serait-ce que géographiquement parlant.

L'histoire en elle-même est bien rythmée, notamment grâce à un effet habile créé par le prologue. On dévie progressivement d'une intrigue de terrorisme économique à un récit d'aventures, sans perdre en fluidité. Mieux, l'aspect psychologique de la fic décolle au fur et à mesure des chapitres.

En revanche, il est difficile de situer cette fanfic par rapport au canon. Elle pourrait servir de prologue aux versions Rubis/Saphir/Émeraude et leurs remakes, dans la mesure où Ramius nous montre ici la rencontre entre les deux futurs leaders et la formation de la Team Éco, groupuscule qui préfigure les Teams Aqua et Magma. Cependant, les "gentils" des jeux sont assez éloignés de leur image traditionnelle, surtout à cause de leur indécente cupidité. De ce fait, on aura plutôt tendance à placer Une Légende s'éveille... dans une réalité parallèle, ce qui n'enlève évidemment rien à ses qualités.

Plus que de s’en éloigner, cette fic peut complètement renverser les tendances du canon : à part les noms de lieux et personnages, la subversion est telle qu’on aura bien du mal à retrouver ici quoi que ce soit de l’histoire ou des liens entre personnages de la 3G. Cela se voit au sujet même de la fic : les “Team Magma” et “Team Aqua”, indiscernables l’une de l’autre sous le seul groupe de la “Team Éco”, travaillent ensemble dès le départ pour s’approprier les richesses de Hoenn afin de les réinvestir de façon plus équitable. Relations différentes, objectifs différents, actions différentes...

… Et inversion des rôles : les protagonistes de cette fic, les grands méchants des jeux, sont ici les “moins pires” de notre lot de personnages. Il faut dire qu’à côté d’un Pierre Rochard corrompu accompagné d’un Conseil 4 qui ne vaut guère mieux, leurs motivations sont déjà plus louables, malgré des moyens douteux.

Cependant, à l’échelle d’un personnage, les changements sont moindres : Ramius conserve l’essentiel de leurs personnalités des jeux, et à peut-être une exception près, on retrouve ici aisément les persos que l’on connaît bien. Néanmoins, inévitablement, l’auteur les adapte à son style tout en les développant, et le résultat en est plus digne d’intérêt que les caractères caricaturaux habituels que nous offre Pokémon.

Les plus poussés d’entre eux sont évidemment Max et Arthur, au centre du récit, avec une légère préférence pour ce dernier. Là, la symbolique du canon est conservée : l’auteur marque l’opposition entre ces deux personnages antithétiques, pourtant menés, très tôt dans la fic, à travailler ensemble. Dans cette idée d’opposition, Ramius attribue à chacun des compétences complémentaires pour mener à bien leur plan commun de prise de contrôle de l’économie régionale. Leurs personnalités aussi s’en ressentent, Max est très rationnel et scientifique, alors qu’Arthur est bien moins strict. Mais au lieu de les séparer comme dans le jeu, leurs différences les rassemblent. Toutefois, plus on avance dans la fic, plus les deux protagonistes tendent à se rapprocher de leurs aspirations des jeux.

Tout cela ne peut que se ressentir à la lecture : la dynamique entre personnages est très mise en avant dans cette histoire, on reste rarement focalisé sur un seul d’entre eux bien longtemps. Le scénario se nourrit notamment de dialogues aux utilités multiples : apporter des informations ou les préciser, développer les personnages et leurs façons de parler respectives, faire éventuellement ressortir des oppositions (Max-Arthur), et donner de la vie à l’ensemble.

Pour cela, c’est réussi : ces dialogues sont généralement composés de répliques courtes pour s’enchaîner facilement et rapidement, le ton y est mis par la ponctuation sans jamais d’exagération, le langage, parlé, reste correct à l’écrit… en bref, tout y est pour sonner réaliste, crédible, et pour que le lecteur se les figure intérieurement comme une discussion des plus naturelles. Lorsqu’il s’agit d’apporter des éléments techniques un peu compliqués, pas plus de problèmes : les personnages les formulent à leur façon, plus simple à comprendre car orale, et les interlocuteurs se chargent de rythmer l’explication par des remarques complémentaires. Le seul bémol à noter sera une économie d’incises aux verbes introducteurs de parole, ce qui pourra gêner le lecteur ; il n’est pas toujours évident de savoir qui parle à la vitesse où s’enchaînent certaines répliques, ou lorsque plus de trois personnages discutent ensemble. L’auteur s’emploie néanmoins, dernièrement, à corriger ce défaut.

Tout cela concerne surtout les personnages les plus importants, ceux qui bénéficient d’un nom, mais n’oublions pas les personnages secondaires qui trouvent tout à fait leur place dans le récit. Ici, ils se présentent surtout sous la forme de sbires : Max et Arthur ne sont pas seuls à œuvrer à leur plan et un certain nombre de personnes doivent intervenir dans l’histoire. Loin d’être insignifiants par un rôle mineur, leur humeur globale (espoir ou découragement) donne le ton à l’ensemble du récit, et influence une ambiance générale qui a son rôle à jouer là-dedans. La prise en compte de ce grand nombre de personnes apporte encore du réalisme à la fic, là où les jeux se contentent de coquilles creuses pour effectuer le sale boulot.

Dans le chapitre 1, l’auteur présente aussi, d’une certaine façon, des personnages secondaires : il dépeint à travers eux le contexte de la région de Hoenn tel qu’il l’entend. Si ces différents “figurants” (un vendeur de supermarché, une chauffeuse de bus, un pêcheur…) ne seront pas amenés à réapparaître par la suite, ils permettent de se rendre compte de certaines choses : l’auteur sait dresser des portraits rapides sans caricaturer une profession, avec au contraire des figures que l’on pourrait s’attendre à voir plus développées. Les situations mises en scène en apprennent sur eux, au moyen de petits détails de comportements ou de pensées, autant qu’elle en apprennent sur le cadre de l’histoire. Ces portraits, simples et dynamiques, sont donc une bonne introduction à l’histoire en elle-même et à des personnages plus centraux.

Clair, fluide, dynamique, tous ces termes ne sont pas foisonnants ici pour rien : si l’impression qui se dégage de la fic se qualifie facilement ainsi, c’est grâce au style qui la caractérise. Cette plume d’apparence simple révèle au fil de la lecture un vocabulaire assez riche — et surtout, assez bien employé — pour éviter toute répétition et enchaîner les phrases sans la moindre lourdeur. Ces phrases, accessibles à tous, savent servir aussi bien l’action que la description, les dialogues que les explications : l’ensemble est limpide et agréable à lire, en incluant pourtant quelques termes techniques qui renforcent le réalisme naturel de la fic (notamment pour ce qui est bateaux et navigation, par exemple, un impératif quand on porte le pseudo qu’a l’auteur).

Avec la maîtrise de ce redoutable outil qu’est le style, Ramius parvient donc à transmettre des atmosphères, des ambiances globales surtout axées autour des personnages : la tension, la méfiance, l’enthousiasme ou une certaine bonne entente entre certains d’entre eux, tout cela se ressent clairement à la lecture — indépendamment des dialogues déjà évoqués. Pour ce qui est descriptions, elles sont concises tout en suffisant à guider l’imaginaire du lecteur vers une représentation claire des lieux de l’action, et volontiers hyperboliques pour insister sur un sentiment ou une impression forts. Elles s’appuient généralement sur un tableau global étayé par quelques détails bien choisis, et font à merveille leur travail.

Indubitablement, on ne peut sortir de la lecture de cette fic sans une foule de questions et de réflexions pour nous secouer l'esprit. Tout d'abord, au sujet de l’impact environnemental de l'activité humaine : dans quelle mesure la nature pourrait-elle se rebeller jusqu'à menacer l'économie d'un pays ? Car c'est bien de cela qu'il s'agit. En attaquant les navires chargés de récolter la fameuse algue, les Pokémon maritimes parviennent à couler plusieurs entreprises d'Hoenn, ce qui impacte surtout les habitants les moins riches de la région. Dans le monde réel, il n'y a pas de créatures "magiques" pour défendre les écosystèmes contre les ravages commis par l'humanité. Pourtant, comme dans la fic de Ramius, nos actions ne peuvent rester sans conséquences.

On peut d'ailleurs noter que ces conséquences font écho au renversement des tendances du canon évoqué plus haut. En effet, les attaques des Pokémon marins sont coordonnées par le “Maître des Flots”, un monstre inconnu des habitants de la région, introduit ici en couplant récits mythologiques avec des recherches scientifiques rigoureuses. La créature se montre capable d’organiser les différentes espèces de Pokémon vivant sous l’eau, même celles entretenant des relations prédateur/proie, pour détruire les navires chargés de récolter les algues et leurs équipages. On est donc loin de l’idée de Pokémon inoffensifs, toujours prêts à aider les humains. À ce titre, il est assez difficile de parler de "gentils" et de "méchants" dans cette fic, l'humanité n'apparaissant pas sous son meilleur jour et les Pokémon se montrant impitoyables dans leurs représailles.

Si les choses s'atténuent quelque peu par la suite, les trois premiers chapitres peuvent être lus comme une critique de la société actuelle dans les pays industrialisés. Le commerce d'algues condense à lui seul toutes les dérives du capitalisme. Outre les problèmes écologiques et la surexploitation des matières premières, on note les liens vicieux qui se tissent entre économie et politique, favorisant une corruption des dirigeants qui finit par devenir banale. Du moins du point de vue des masses. C'est sûrement l'aspect le plus inquiétant, que le premier chapitre retranscrit à merveille. On a beau savoir que la situation est absurde, que les écarts de richesse ne cessent de croître, que l'on détruit l'environnement, que l'humanité va droit dans le mur, les populations restent enfermées dans leur routine qui ne s'améliorent pas sans chercher à en sortir. Au fond, le choix de Sarah de rejoindre la Team Éco car « il faut faire quelque chose » semble presque incongru.

Par ailleurs, le plan de Max exploite les aberrations de notre système financier et bancaire. Le piratage de la banque par Kelvin met en lumière un point que l'on oublie assez vite : dans sa grande majorité, l'argent qui circule dans le monde n'existe pas. Ce ne sont que des chiffres entrés sur ordinateur, dont le montant peut être modifié. De même, les actions à la Bourse n'ont aucune matérialité. Dès lors, il semble assez facile d'ébranler un système qui repose sur du vide.

Ramius nous fait également réfléchir sur une partie du message transmis par les jeux Pokémon dans le traitement qu'il fait de Pierre Rochard ou de Damien du Conseil 4, par exemple. Il est vrai que dans la série principale, les héros sont souvent amenés à aider/sauver le chef d'entreprise, ou tout autre notable local, menacé par des sbires ou des admins de Team. De ce fait, les héros se posent comme défenseur des nantis et de l'ordre établi, sans autre regard sur la société que celui, enfantin, de la franchise Pokémon. Et si finalement les Teams avaient raison de bousculer le système ? Puisque le monde court à sa perte, est-ce que leur démarche, même illégale et désespérée, ne vaut pas le coup d'être tentée ? À voir...

Une Légende s'éveille... est une excellente surprise pour ce début d'année. Originale et intelligente, cette fic révèle tout le talent de son auteur : nous vous invitons chaleureusement à la lire, si ce n’est pas déjà fait. Espérons que cette ambassadrice de 2019 donne le ton pour le reste des fanfics de l'année, à savoir qualité et innovation !


Par Flageolaid et LunElf

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