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Duel au sommet de olyn



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» Auteur : olyn - Voir le profil
» Créé le 18/12/2011 à 14:20
» Dernière mise à jour le 15/12/2012 à 15:12

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Chapitre 5 : Au bord de la mer
Apparemment, la Team Rocket me collait aux basques. Ou bien je n'avais peut-être tout simplement pas de bol.

- Abo, Morsure !

- Ficelle, Choc Mental !

La Papilusion émit un cri perçant, battit des ailes pour échapper aux crocs fulgurants du serpent, et riposta par un flash de lumière qui laissa son adversaire K.O.

- Sale gosse, marmonna l'homme vêtu de cet uniforme rouge et noir qui commençait à devenir familier. Tiens, là voilà, la CT qu'j'ai chouré ! Et maintenant, je me casse !

- Non, je ne crois pas. Ficelle, Poudre Dodo.

- Hein, quoi ? Tu peux pas...

Il s'effondra au sol sans terminer sa phrase, terrassé par les spores blanches de ma Papilusion.

- Je m'en fiche s'il ressort libre demain matin, il passera au moins la nuit en prison.

C'est en ces termes-là que je le remis entre les mains de la police d'Azuria. L'officier parut embarrassé lorsqu'il me vit arriver suivie de Teigne qui portait le Rocket, puis secoua la tête.

- Je suis désolé, mais je ne peux pas accepter. Cet homme n'a rien commis d'illégal.

- Quoi ? m'exclamai-je, estomaquée. Il a volé une CT, il l'a lui-même admis !

- Personne n'a porté plainte. En l'absence de plaignants, je me vois contraint de le relâcher. On ne peut pas détenir quelqu'un sans preuves concrètes.

Je lui brandis la CT sous le nez.

- Ça vous ça, ça, comme preuve concrète ?

Il se pencha vers moi et baissa la voix.

- Écoute, gamine, je comprends ce que tu essaies de faire, mais crois-moi ce serait mieux pour tout le monde que tu n'ailles pas chercher des noises à la Team Rocket. Ce sont des affaires d'adultes.

- Oui, parce qu'il est clair que vous avez la situation en main, raillai-je.

Un grognement dans mon dos indiqua que le Rocket avait repris conscience.

- Hé, qu'est-ce que... Faites-moi descendre !

- Mademoiselle, je vais vous demander d'ordonner à votre Pokémon de relâcher cet homme, déclara le policier à voix haute. Si vous n'obtempérez pas, c'est vous qui vous vous exposez à une peine de prison.

- Teigne, repose-le par terre.

Les mots m'arrachèrent la gorge, mais je n'avais pas le choix.

- Merci, officier, déclara le Rocket. Je suppose que je suis libre de partir ?

Le policier hocha la tête. L'homme au R rouge m'adressa un sourire narquois, puis tourna les talons.

- Si c'est ça que vous appelez agir en adulte, alors je suis heureuse de n'être qu'une gamine.

Je sortis en trombe du commissariat. Quelques minutes plus tard, c'est avec la rage au ventre que je quittai Azuria, une CT qui ne m'appartenait pas dans la poche. Les gens victimes du vol n'en avaient même pas voulu quand j'avais tenté de leur rendre, prétendant qu'elle ne leur avait jamais appartenu. C'était quoi ce monde où une organisation du genre mafia régnait en maître ? Il y avait de sérieux ajustements à effectuer... Mais qui étais-je pour en décider ? Après tout, je n'étais même pas d'ici. Je voulais juste finir ce foutu jeu afin de pouvoir enfin tourner la page sur la mort de mon frère.

- Vivian...

Je clignai des yeux, et me rendis compte que je m'étais arrêtée en plein milieu du chemin. Je soupirai. Vous savez ce qu'on dit, que le temps guérit tous les maux, atténue toutes les peines ? Il n'y a rien de plus faux. En ce qui me concerne, en tout cas. La douleur d'avoir perdu mon frère était toujours aussi vive que dix ans auparavant. La lame du souvenir toujours aussi tranchante. Et lorsque j'y pensais, j'avais toujours envie de me rouler en boule et de crier mon chagrin et ma colère vers le ciel, comme lorsque j'avais six ans. Pathétique.

Un miaulement interrompit le cours de mes pensées. Un Miaouss sortit des hautes herbes et se dirigea vers moi d'un pas tranquille. Je restai immobile, prise de court. Il vint se frotter contre mes jambes tout en redoublant de miaulements.

- Salut, toi.

Je m'accroupis pour le caresser derrière les oreilles, ce qui le changea immédiatement en machine à ronrons. Malgré moi, je sentis un sourire se dessiner sur mes lèvres. Jusqu'ici, tous les Pokémon sauvages que j'avais rencontré m'avaient plus ou moins sauté dessus la bave aux lèvres, prêt à tout pour défendre leur territoire. Le comportement amical de celui-ci constituait un changement bienvenu. Mais peut-être appartenait-il déjà à un dresseur ? Je relevai la tête et scrutai les environs du regard, mais j'étais seule sur la route.

- Tu veux venir avec moi, Miaouss ? lui demandai-je.

J'obtins un long miaulement modulé en guise de réponse. Ah, bon. Je m'emparai d'une Pokéball vide et l'activai. À peine le félin avait-il disparu à l'intérieur que la ball émit le cliquetis qui signalait que la capture avait réussi. Le Pokédex m'informa que c'était une Miaouss femelle, puis la Pokéball se dématérialisa comme la fois précédente. Un peu déçue, je me relevai. J'aurais bien échangé Plouf contre la Miaouss, mais pas question de faire demi-tour - il allait falloir me payer très cher pour que je remette les pieds à Azuria.

La solution se présenta à moi quelques minutes de marche plus tard, lorsque je tombais sur une maison au milieu de nulle part. L'homme qui y vivait gérait une pension pour Pokémon, et me proposa d'élever l'un de mes Pokémon pour une certaine somme d'argent. Ce n'était pas donné, mais il fallait bien que l'argent remporté grâce au duel contre Ondine serve, aussi acceptai-je et lui confiai Plouf. Apparemment, je n'étais pas la seule à m'être 'débarrassé' d'un Magicarpe de cette façon, et Plouf alla rejoindre un de ses congénères dans le bassin du jardin. Comme l'homme disposait d'un ordinateur relié au réseau central, je récupérai la Miaouss, que je surnommai Princesse, puis repris la route, le moral en légère hausse.

Bien entendu, ça ne dura pas.

- Comment ça, "la route est fermée" ?

- Je viens de vous l'expliquer, mam'zelle. Safrania n'est pas accessible, répéta le garde. C'est pas que ça m'amuse de refouler les gens, mais les ordres, c'est les ordres, vous savez.

Je levai deux doigts et passai ma main devant son visage.

- Vous allez me laisser passer.

- Écoutez, je viens de vous le dire, Safrania est hors limite.

Bon d'accord, je n'avais rien d'une Jedi.

- Mais je me contrefiche de Safrania, moi ! argumentai-je. Je veux juste aller à Carmin-sur-Mer !

- Dans ce cas-là, qu'est-ce que vous faites encore ici ? Prenez le passage souterrain, c'est même plus rapide et en prime vous serez à l'abri de la pluie.

- Passage souterrain ? Quel passage souterrain ?

Grâce aux indications du garde, je parvins à trouver le passage en question, et m'y engouffrai alors que la pluie commençait à tomber. Le souterrain, mal éclairé et poussiéreux, sentait le renfermé. Mes pas résonnèrent dans le couloir, se répercutant le long des murs. L'endroit servait apparemment de décharge officieuse : je trébuchai à plusieurs reprises sur des détritus qui jonchaient le sol, et marchai dans un truc spongieux à un moment - et ce n'était pas du chewing-gum, parce que j'étais prête à jurer que le truc avait couiné quand j'avais retiré ma chaussure. Je m'empressai de traverser, peu désireuse de rester plus longtemps que nécessaire dans ce long passage sombre qui avait tout d'un cercueil.

De retour à la surface, je débouchai sur un petit chemin bordé d'arbres, ce qui avait l'avantage bienvenu d'offrir une protection contre l'averse. J'avais à peine mis les pieds dans l'herbe que je tombai nez à nez avec l'un de ces Pokémon bizarres qui ressemblaient à une fleur. Un Chétiflor, d'après mon Pokédex. J'avais déjà un Pokémon plante et je n'avais pas l'intention d'échanger Salade contre cette fleur rabougrie. Mais bon. Sait-on jamais, des fois que je doive affronter une horde de Pokémon aquatiques.

À la vue du Chétiflor, Teigne avait déjà bondi. Je la rappelai à l'ordre :

- Teigne, reviens ici. Quand j'aurais besoin de ton effet tondeuse à gazon, je te préviendrai.

La Férosinge laissa la place à Ficelle, mi-bougonnant mi-heureuse d'avoir eu droit à un compliment - même si elle devait se demander ce qu'était une tondeuse à gazon. Dans le monde des Pokémon, l'herbe n'était apparemment jamais coupée. Ficelle voleta tranquillement au-dessus de sa cible et déchargea une volée de spores soporifiques. Je m'approchai, Pokéball en main, quand je me sentis soudain gagnée par le vertige. Mes jambes fléchirent et le sol monta à ma rencontre...

***

- Hé ! Debout là-dedans ! fit une voix insistante à mon oreille.

Je grognai.

- Encore cinq petites minutes, maman...

- Elle s'est prise un Choc Mental en plus ou quoi ? demanda une autre voix.

Un doigt s'enfonça dans mes côtes.

- Allez, on se réveille !

- Gnnneuh...
Ce borborygme d'une élégance incontestable visait à leur faire comprendre qu'ils devaient me foutre la paix.

- Bon, Carapuce, vas-y.

Quelqu'un vida une baignoire entière sur mon visage - ou du moins fut-ce mon impression. Je me redressai en sursaut, crachant de l'eau par le nez pour la deuxième fois de la journée.

- Blllllgrrrrh, émis-je.

Puis :

- Non mais ça va pas la tête ?

- Ah bah voilà, elle est réveillée ! fit une fille que j'identifiais comme la propriétaire de la première voix.

Elle devait avoir à peu près mon âge, estimai-je. Ses cheveux roux qui partaient dans tous les sens lui donnaient un faux air de porc-épic, mais les grands yeux bleus qui lui mangeaient le visage adoucissaient son apparence. À côté d'elle, le garçon paraissait fade, avec ses cheveux bruns et ses yeux marrons.

- Qu'est-ce qui t'as pris de t'endormir en plein milieu de la route comme ça ? continua-t-elle.

Excellente question. Je n'étais pourtant pas narcoleptique - du moins pas à ma connaissance.

- Pi, commenta Ficelle en voletant près de moi.

Elle arborait un air penaud. Ha-ah. Tout s'expliquait.

- Papi, pi, lusion, ajouta-t-elle encore, la tête basse.

- Non, c'est ma faute, la contredis-je. Je n'aurais pas dû m'approcher de si près. J'ai dû respirer quelques-unes de tes spores sans le vouloir.

- Ouah, l'erreur de débutante la plus totale ! s'esclaffa le garçon. À ta place, j'aurais honte ! Aïe ! Hé !

Ces deux derniers mots, c'était parce qu'il venait de se faire frapper par la fille.

- La ferme, Dorian. On est tous passés par là un jour.

Elle me tendit la main pour m'aider à me relever.

- Moi, c'est Cassandre. Tu as déjà rencontré Dorian et son manque de tact redoutable. Et toi ?

- Léa, répondis-je, avec l'impression d'avoir oublié quelque chose.

Ledit quelque chose me revint en mémoire deux secondes plus tard.

- Le Chétiflor !

Devant l'air perplexe de Cassandre, je m'expliquai :

- J'allais capturer un Chétiflor, l'attaque Poudre Dodo lui était destinée...

- Tu veux dire ce Chétiflor ? s'enquit Dorian en désignant du doigt une chose dans l'herbe.

Je me penchai vers la chose en question. Le Chétiflor, immobile, somnolait tranquillement. J'aurais même juré entendre un très léger ronflement.

- Ha bah oui.

Je m'emparai d'une nouvelle Pokéball et la lui lançai dessus. Il résista bien un peu, mais fut finalement vaincu, et je me retrouvai avec un Pokémon plante de plus à mon actif. Teigne voulut ramasser la ball, mais à peine l'avait-elle effleurée que cette dernière se volatilisa. La Férosinge sursauta et se mit à scruter le sol avec méfiance, comme si un trou risquait à tout moment de s'ouvrir sous ses pieds pour l'engloutir.

- Toi aussi tu te rends à Carmin-sur-Mer pour défier le major Bob ? me demanda Cassandre.

- C'est dans mes projets, confirmai-je.

- Ainsi que dans les nôtres, déclara Dorian en passant un bras autour de la taille de Cassandre. On va triompher de la Ligue à nous deux ! Volt s'est occupé des Pokémon d'Ondine pas plus tard qu'hier...

- Volt ?

- C'est mon Pikachu, précisa Cassandre.

- Pika, pika, pailla une petite bestiole jaune en sortant de je ne sais où pour venir se percher sur l'épaule de la dresseuse.

- Et demain, moi et Carapuce on va mettre la pâtée au major Bob ! Hein, Carapuce ?

- Puce, répondit la petite tortue bleue avec enthousiasme.

- On devrait peut-être revoir notre plan, fit Cassandre en se mordillant la lèvre. Le major Bob est le maître des Pokémon électriques, ça pourrait être dangereux pour Carapuce. Volt et mon Rattata pourraient...

- Non, la coupa Dorian. On avait dit chacun son tour : j'ai pris Pierre, toi Ondine, et maintenant c'est à moi. Je vais pas me défiler. En plus, Carapuce est sur le point d'évoluer. Encore un peu d'entraînement, et le major Bob ce sera de l'histoire ancienne.

- On verra, tempéra Cassandre.

- C'est tout vu, répliqua fermement Dorian.

Le silence qui s'ensuivit fut comblé par mes claquements de dents.

- C'est moi ou il commence à faire frisquet ? réussis-je à prononcer entre deux Brrr.

- Ouais, le soleil se couche. Et puis, faut dire que Carapuce t'a pas ratée, ajouta Cassandre en souriant. On ferait mieux de rentrer au Centre Pokémon, on reprendra l'entraînement demain matin.

- Je te prends au mot ! s'exclama Dorian. T'as intérêt à être levée à l'aube, pas de grasse mat' cette fois !

Cassandre fit la moue.

- Au fait, Léa, t'aurais pas un Pokémon feu ? enchaîna-t-il.

- Euh, non, pourquoi ?

- Rah, personne en a jamais... Ça aurait fait une victoire facile pour Carapuce. Et sinon, t'as un Pokémon Sol ? Mais aïe euh !

Il venait de se prendre une nouvelle taloche de la part de Cassandre.

- Est-ce que t'avais vraiment besoin de me pincer les fesses ? se plaignit-il.

Pour une certaine définition de "taloche".

- Arrête de vouloir la défier, elle va finir par accepter et son Herbizarre va bouffer Carapuce.

- Zarre, confirma Salade.

- Singe, renchérit Teigne, ce qui signifiait, bien entendu : "Moi aussi je peux m'en charger."

- Pikachu, protesta Volt, apparemment résolu à défendre son ami.

La discussion ne tarda pas à devenir très animée, chacun tenant à apporter la preuve irréfutable de ses capacités, et nos Pokémon prirent les devants tandis que nous suivions la route vers la ville portuaire. Malgré l'heure tardive, nous croisâmes plusieurs dresseurs qui flânaient sur le chemin, mais déclinâmes toute invitation en duel.

- Allez, quoi, faut que j'entraîne mon Papilusion ! nous cria l'un d'entre eux alors que nous nous éloignions.

- Je te mettrai la pâtée demain, vieux, répondit Dorian sans même se retourner.

Au sortir du tournant suivant, des maisons aux toits oranges se dessinèrent à l'horizon, et la brise vint porter à mes oreilles frigorifiées le cri si familier des mouettes et autres goélands. L'averse avait faibli, une note d'iode planait dans l'atmosphère. Si je n'avais pas été gelée jusqu'au bout des ongles, j'aurais trouvé l'ensemble agréable. En l'occurrence, j'étais hantée par des fantasmes persistants de douches brûlantes et de verres de lait chaud, et vraiment pas d'humeur à admirer le paysage.

Nos Pokémon nous avaient attendus à la lisière de la ville. Nous y entrâmes ensemble, et je suivis mes deux nouveaux amis jusqu'au centre Pokémon. Je remarquai au passage que certaines maisons étaient construites juste au bord de l'eau : il ne fallait surtout pas que la rambarde cède lorsqu'on s'appuyait au balcon...

Se retrouver à l'abri du vent et au chaud fut un soulagement bienvenu.

- On est trois, annonça Dorian à l'infirmière qui s'occupait de l'accueil.

- Très bien. Avez-vous des requêtes particulières ?

- On a des requêtes particulières ? s'enquit Dorian en se retournant vers nous.

- Je veux juste une douche bien chaude, fis-je entre deux claquements de dents.

- Oh, je suis désolée, s'excusa l'infirmière, mais nous n'avons plus d'eau chaude. Avec le temps qu'il fait, vous n'êtes pas la seule à avoir eu cette idée, et le ballon d'eau chaude s'est vidé en un rien de temps.

- Mais... mais... mais...

- C'est pas grave. Allez viens, Léa, allons manger un morceau. Je crève la dalle.

Cassandre dut me traîner sur pratiquement dix mètres avant que mes pieds ne daignent se remettre en marche. L'appel du ventre oblige, je la suivis finalement au sous-sol, dans la petite cafétéria que possédaient tous les centres Pokémon, et m'assis sur une chaise en bougonnant. Volt grimpa sur la table d'un seul bond tandis que mes trois Pokémon se massaient autour de moi.

- Alooors... Tiens, le plat du jour a l'air délicieux, tu ne trouves pas ? Cuisses de poulet dans leur jus de pommes de terre, miam. Et toi, qu'est-ce que tu vas prendre ?

Trop occupée à faire le deuil de ma douche chaude pour répondre, je me contentai de fixer le menu. Une liane s'agita devant mon visage.

- Zarre ?

- Ne t'inquiète pas pour ta dresseuse, Herbizarre. Elle est en train de réaliser que le jeu ne se pliera pas toujours à ses moindres désirs.

Décharge électrique le long de la colonne vertébrale. Je relevai si brusquement la tête que j'entendis ma nuque craquer.

- Quoi ? Répète ce que tu viens de dire ?

Cassandre haussa les épaules.

- Je rassurais juste ton Herbizarre, c'est tout.

- Non, après ça.

- Que la vie ne se plierait pas toujours à tes moindres désirs ?

- Pas la vie, rectifiai-je. Tu as dit le jeu.

- Hein ? fit-elle en fronçant les sourcils.

Je scrutai son visage, essayant de détecter toute trace de mensonge.

- Non, tu as dû mal entendre. Pourquoi j'aurais dit ça ? On n'est pas dans un jeu.

- Exactement. Alors pourquoi...

Quelque chose de doux et de cotonneux atterrit sur ma tête, m'enveloppant toute entière.

- Et voilà ! entendis-je Dorian s'exclamer. Une serviette toute propre et toute sèche pour madame !

- T'en as mis du temps, remarqua Cassandre tandis que je m'extirpais de l'immense serviette jaune qui m'avait prise en otage.

- Bhen oui, l'infirmière était drôlement jolie...

Il se décala d'un pas juste à temps pour éviter la riposte de Cassandre.

- Mais non, je plaisante, roooh, fit-il en se laissant tomber sur une chaise à côté d'elle. Tu sais bien que je n'ai d'yeux que pour toi.

- Ah oui ? Prouve-le.

Il se pencha pour l'embrasser.

- Pika pika, commenta Volt.

- Je te le fais pas dire, grommelai-je.

Le repas se déroula sans encombres. À défaut de ma douche tant attendue, au moins la nourriture, elle, était chaude. J'étais en train de terminer mon dessert, une tarte aux pommes caramélisées, lorsqu'un dresseur suivi d'un Caninos s'aventura dans la cafétéria. À la vue de la fourrure flamboyante du Pokémon feu, une idée germa dans mon cerveau.

- Hé, attends ! m'écriai-je en me lançant littéralement à sa poursuite.

Il se retourna, l'air surpris. Le Caninos émit un grognement interrogateur à mon encontre, imitant son maître.

- Ça te dirait de te faire rapidement quelques Pokédollars ?

À présent, il avait l'air intrigué. Je lui expliquai rapidement mon plan.

- D'accord, mais tu payes d'avance, décréta-t-il lorsque j'eus terminé.

Une poignée de Pokédollars changea de main.

- Marché conclu.

Cinq minutes plus tard, je me prélassais sous un jet d'eau bien chaude.

- C'est bon, là ? s'écria une voix provenant du couloir.

- Juste un tout petit peu plus, et ça sera parfait ! répondis-je en haussant la voix pour me faire entendre par-dessus le vacarme de l'eau.

- Et là ?

L'eau devint soudain bouillante. Je m'écartai d'un bond.

- Non, là c'est trop chaud !

- Ok, Caninos, ça suffit.

J'attendis que la température de l'eau soit à nouveau supportable pour revenir sous le pommeau de douche.

- Ravi d'avoir pu rendre service ! lança le garçon avant de s'éloigner.

Finalement, vivre dans un monde peuplé de Pokémon pouvaient avoir des bons côtés. Plus d'eau chaude dans le ballon ? Demandez donc à un Pokémon feu de faire office de chauffeau, et hop, problème réglé.

Après être restée sous la douche environ trois éternités, je fis un bref crochet par la salle d'accueil du centre Pokémon pour vérifier que Bouffi le Chétiflor avait bien atterri dans l'ordinateur, puis rejoignis le coin détente. Dorian et Cassandre m'y attendaient déjà, ils avaient sorti un jeu de carte et semblaient s'en donner à coeur joie.

- Hé, Léa ! Tu veux te joindre à nous ? proposa Dorian.

- Pourquoi pas.

Je m'installai à côté d'eux et fis sortir Princesse de sa Pokéball. La Miaouss vint se frotter contre moi en miaulant, puis se pelotonna en rond sur mes genoux. Je la caressai en souriant. Nous n'avions pas de chat à la maison - aucun animal d'aucune sorte, en fait. Maman était allergique aux poils de chat et Papa avait toujours refusé que nous prenions un chien, ou même une petite bête comme une souris. Ça coûtait cher et ça ne produisait que des saletés, selon lui.

Je soupirai. Penser à Papa et Maman revenait à m'enfoncer délibérément une lame en plein coeur. Je les chassai de mes pensées avant que les larmes ne me montent aux yeux. Si seulement je n'avais pas été dans l'incertitude... si seulement j'avais su, sans hésitation possible, que vaincre la Ligue Pokémon me ramènerait chez moi... Si seulement. Pour l'heure, j'avançais à tâtons dans le noir, aussi dépourvue de repères qu'un bébé qui vient de naître. Et je détestais ça.

- Léa ?

Je clignai des yeux. D'après la tête que faisait Cassandre, ce n'était pas la première fois qu'elle prononçait mon prénom.

- Hein ?

- Ça fait trois minutes que c'est à toi de jouer, m'informa-t-elle.

- Désolée. Je... j'étais perdue dans mon monde.

- Ouais, on a vu ça.

- C'est atout Plante, précisa Dorian. T'en as ou pas ?

Je fixai mes cartes du regard, résolue à ne plus laisser mes pensées vagabonder.

- Attends que je regarde...

Nous jouâmes jusque tard dans la soirée. Dorian nous battit à plates coutures à chaque partie, même lorsque Cassandre et moi formâmes une alliance secrète contre lui. Il faisait montre d'une chance à peine croyable, se sortant de situations plus inextricables les unes que les autres. Je l'aurai bien soupçonné de tricher si Cassandre ne m'avait pas affirmé que c'était toujours comme ça avec lui.

Lorsque vint le moment de se coucher, j'étais si fatiguée que je m'endormis avant même que ma tête ne touche l'oreiller.

***

Des yeux bleus, grands ouverts. Braqués sur moi.

- Petite soeur.

Il est debout, juste là, devant moi. Ses cheveux blonds formant un halo qui lui donne un air angélique. Souriant. Serein.

- Vivian ?

Ma propre voix me paraît frêle. Insignifiante.

- Où es-tu ? demande-t-il. J'ai besoin de toi.

- Je suis là.

J'essaie d'avancer, mais mes pieds sont comme collés au sol. Immobilisés. Il tend une main dans ma direction.

- Sauve-moi, supplie-t-il.

Je force. Encore et encore.

- Vivian !

Ma gorge me brûle.

- Sauve-moi, répète-t-il. Sauve-moi, Léa.

J'avance d'un pas, enfin. Nos mains se frôlent. Au moment où je vais le toucher, il semble reculer. Son image vacille, se rétrécit, comme emportée loin de moi par une force invisible.

- Vivian... Non !

Sa bouche se tord en une affreuse grimace. Les contours de sa silhouette se brouillent.

- Tu m'as abandonné. J'avais besoin de toi et tu n'étais pas là...

- Attends !

Mon cri se perd dans le brouillard blanc qui nous entoure.

- Tu portes ma mort sur ta conscience... petite soeur.

Il disparaît, tel de la fumée dispersée par le vent. Je tombe à genoux.

- Non...

Cliquetis d'acier derrière moi. Le froid du métal contre ma tempe. Je tourne la tête. La gueule noire du pistolet devient mon seul univers.

- Pathétique, commente le Rocket.

Et il appuie sur la détente.


***

La chaleur d'un rayon de soleil sur mon visage. J'ouvris les yeux, m'assis péniblement, et secouai la tête pour me débarrasser des derniers vestiges du rêve. Pfff. Qu'est-ce que c'était encore que ce mélange tarabiscoté que m'avait servi mon subconscient ? J'avais déjà bien assez de problèmes éveillée, inutile d'en rajouter une couche quand je m'endormais.

Un silence paisible régnait dans le dortoir quasi vide. Mise à part moi, seuls deux autres dresseurs avaient succombé à l'appel de la grasse matinée. Une odeur de tartines grillées et de beurre flottait dans l'air, comme une invitation à sortir du lit. Je me levai et grimaçai aussitôt. Aïe. Tout mon corps me faisait mal. Jambes, épaules, dos, nuque... même mes orteils n'étaient pas épargnés. J'avais des courbatures à des endroits dont je ne soupçonnais même pas l'existence auparavant. De mieux en mieux.

Je déjeunais dans la cafétéria en sous-sol, établissant mentalement mon programme de la journée. Il fallait que j'entraîne Grignotte et Souris, les deux membres les plus faibles de l'équipe, avant de continuer ma route. Le Sabelette allait m'être d'une aide précieuse contre les Pokémon électriques du major Bob avec sa résistance innée, et la Nosferapti avait déjà prouvé sa valeur lors du dernier combat avec Zack. Quant à Princesse... j'aviserais plus tard. Je n'étais pas sûre de vouloir faire de la Miaouss un instrument de guerre.

Alors que je remontais dans la salle principale, une infirmière m'accosta.

- Excusez-moi, vous êtes Léa, c'est ça ? Cassandre m'a laissé un message pour vous. Ils sont partis s'entraîner sur la route 6, et ils vous invitent à les rejoindre si, euh... (Elle hésita, puis reprit :) Si, et je cite, "elle arrive à bouger ses grosses fesses de feignasse avant midi".

Je levai un sourcil. Elle se fendit d'un sourire d'excuse.

- Ça lui ressemble, oui... Dites, pendant que je vous tiens, vous pourriez m'aider ? J'ai deux ou trois CT dont j'aimerais me servir, mais je ne suis pas certaine de pouvoir m'en sortir toute seule...

- Bien sûr. De quelles CT s'agit-il ? En avez-vous parlé à vos Pokémon ?

Je me sentis rougir. Demander la permission à mes Pokémon ne m'avait même pas effleuré l'esprit. Apprendre une nouvelle capacité les rendrait plus fort : à mes yeux, il n'y avait pas lieu d'hésiter. À mes yeux.

L'infirmière lut l'embarras sur mon visage.

- Ne vous inquiétez pas, vous n'êtes pas la première à commettre cette erreur. Gardez juste en tête qu'il faut toujours laisser le choix à ses Pokémon. Même si la plupart du temps ils se plieront aux envies de leurs dresseurs, certains refuseront d'apprendre une technique qu'ils jugent déloyale, ou trop dangereuse pour eux.

Je tiquai.

- Trop dangereuse pour eux ? Comment ça ?

- Hé bien... Des techniques comme Bélier ou Destruction, par exemple.

J'aurais voulu lui demander davantage de précisions, mais elle enchaîna aussitôt :

- Pourquoi ne pas faire sortir vos Pokémon afin de leur demander leur avis ? Quelles CT aviez-vous en tête ?

- Tunnel pour mon Sabelette... et Tomberoche pour ma Férosinge, répondis-je en ouvrant les deux Pokéballs correspondantes.

- Belette ? couina Grignotte en levant son petit nez vers moi.

Je m'attendais presque à le voir agiter sa queue écailleuse. Teigne se contenta de me toiser, attentive. Je m'accroupis à leur hauteur.

- Salut, vous deux. Bien dormi ?

- Belette, répéta le Sabelette tout en se grattant une oreille.

- Singe, répondit Teigne d'un ton neutre.

- Ça vous dirait d'ajouter une nouvelle attaque à votre arsenal ? La capacité de creuser des tunnels pour toi, Grignotte, et celle de faire tomber des rochers pour toi, Teigne. Comme l'Onix de Pierre, tu t'en souviens ?

Ils échangèrent un regard, puis hochèrent la tête de concert. Voir des Pokémon effectuer un mouvement si humain me fit sourire. Je les rappelai dans leurs balls.

- Vous avez la confiance de vos Pokémon, remarqua l'infirmière. Ils n'ont pas hésité une seule seconde.

- J'aimerais pouvoir en être digne...

Je sortis de mon sac les deux mini disques, l'un orangé, l'autre gris sombre. Elle me les prit des mains et m'expliqua comment les positionner au sommet de la Pokéball de façon à les activer. Un double cliquetis signala le début de la procédure, suivi d'un flash de lumière à peine perceptible. Le tout dura à peine dix secondes.

- Et voilà ! Vous voyez, c'est très simple. Ce genre de CT ne peut s'utiliser qu'une fois, vos disques sont vierges à présent, précisa-t-elle en me les rendant.

Ils étaient chauds au toucher.

- Ça se recycle ?

La question était sortie toute seule. Elle me valut un regard éberluée de la part de l'infirmière. Ah. Pas de recyclage dans le monde Pokémon, donc.

- Oubliez ça. Merci de votre aide.

- Je vous en prie, fit-elle avec un sourire.

Sur ce, elle retourna derrière le comptoir pour s'occuper des Pokémon d'un dresseur qui venait d'entrer. Je rangeai les deux Pokéballs à ma ceinture et sortis du centre, pour être aussitôt assaillie par le vent marin. Il avait beau faire grand soleil, ça soufflait fort. La couleur bleu métallique du ciel annonçait une belle journée en perspective, et les quelques nuages qui se baladaient là-haut avaient des allures de moutons égarés. Je retraçai le chemin parcouru hier soir pour revenir sur la route 6, chancelant quelquefois lorsqu'une bourrasque s'avérait plus forte que les autres.

Les herbes hautes me chatouillèrent les mollets lorsque je quittai le sentier de terre battue.

- Allez, tout le monde dehors !

Je fis jaillir mes six Pokémon de leurs Pokéballs. Immédiatement, un concert de cris retentit. Quelque chose comme :

- Férilusabenosiaouzarre !

Et encore, je simplifie.

Je souris malgré moi à la vue de mes six Pokémon alignés comme ça. D'abord Salade, campé sur ses quatre pattes, la fleur sur son dos diffusant un doux parfum dans l'air. Ensuite Teigne, la bien nommée, qui, la tête rejetée en arrière, observait le troisième membre de l'équipe, Ficelle la Papilusion qui voletait au-dessus de sa tête. Et puis Grignotte, occupé à gratter le sol de ses petites pattes, et Souris, qui n'avait pas l'air de vouloir se réveiller et était restée à terre, ses ailes membraneuses drapées autour d'elle. Et finalement la dernière arrivée, Princesse, qui m'adressa un "Miaouss" lorsque mon regard se posa sur elle.

- Bonjour tout le monde, déclarai-je en me baissant pour caresser Princesse (c'était plus fort que moi). Prêts pour un peu d'entraînement ?

L'une des lianes de Salade prit la forme d'un point d'interrogation.

- Oui, Salade ?

- Herbi, herbizarre ? s'enquit-il.

- Non, aujourd'hui ce sont Souris et Grignotte qui vont travailler. Le reste, vous êtes juste là pour intervenir en cas de problème. Et pour le soutien moral, ne l'oublions pas.

- Férosinge, protesta Teigne.

- Papilusion, contra Ficelle en ponctuant sa remarque d'un battement d'ailes. Lusion, papi, pi, lusion, ajouta-t-elle.

- Mmh, oui, Ficelle a raison, dis-je sans avoir la moindre idée de ce qu'elle venait de dire.

- Lusion ! réitéra-t-elle en décrivant un cercle autour de la Férosinge.

Elle grogna, puis parut accepter les explications (ou les menaces, qui pouvait savoir ?) de Ficelle et ne protesta pas davantage. Un bruissement dans les fourrés nous fit tous dresser la tête. La cloche jaune d'un Chétiflor se dandinait entre les herbes, avançant droit sur nous. Quelques secondes plus tard, il nous aperçut et émit un cri, mi-furieux, mi-indigné, avant de se précipiter pour défendre son territoire, deux lianes dressées au-dessus de lui.

- Souris, Grignotte, en piste.

Souris déplia ses ailes et prit son envol, paresseusement. Genre "j'obéis, maîtresse, mais j'aurais bien dormi encore une ou deux heures". Logique. C'était une chauve-souris, après tout. Pas vraiment diurnes, ces bestioles. Grignotte la suivit, trottant sur ses petites pattes - et comment un truc aussi écailleux pouvait être aussi mignon ? Mystère.

Le Chétiflor glouglouta son nom (des fois qu'on ait un doute sur son espèce) et envoya une volée de spores vers Grignotte, qui tenta tant bien que mal d'éviter le nuage toxique. Il pivota à la dernière seconde, mais les projectiles atteignirent tout de même son bras droit, lequel se mit aussitôt à pendre lamentablement. Des para-spores. Il poussa un cri surpris, ses petits yeux s'étrécirent, et il chargea le Chétiflor.

- Grignotte, non !

Autant parler à un mur. Il percuta le Pokémon plante et se mit à lui infliger des griffures avec sa patte valide.

- Souris, lance un Ultrason ! Et toi, Grignotte, arrête ça et reviens ici tout de suite !

Un crissement à peine inaudible m'effleura les sens, signe que Souris, elle, au moins, m'obéissait. Le Chétiflor tituba, sembla hésiter. La griffure qu'il reçut sur le nez le sortit de sa torpeur momentanée et scella le sort du Sabelette.

- Non !

La riposte du Chétiflor ne se fit pas attendre. Le son si familier d'une liane qui claque dans l'air retentit. Sauf que cette fois, la cible n'était pas un Pokémon ennemi.

Le coup de fouet frappa Grignotte en plein visage. Du sang gicla. L'impact le projeta à plusieurs mètres de là, petite chose désarticulée qui heurta le sol avec un couinement plaintif. Mon corps réagit de lui-même et je me retrouvai accroupi auprès du Sabelette avant même d'être consciente d'avoir bougé.

Nouveau sifflement. Telle une inexorable promesse de mort. Affolée, je pris Grignotte dans mes bras et me recroquevillai de manière à présenter mon dos à la morsure des lianes. Me crispai. Serrai les dents.

Claquement sec.

La douleur ne vint jamais. Je me retournai. Teigne, fermement campée sur ses jambes, avait intercepté la liane au vol.

Sous mes yeux ébahis, elle saisit l'appendice du Chétiflor à deux mains, et, tournoyant sur elle-même, lui imprima un mouvement de balancier. Durant quelques instants, les deux Pokémon formèrent une improbable toupie, mélange hypnotique de blanc, de vert, et de jaune. Puis Teigne ouvrit les mains. Le Pokémon plante partit en vol plané, loin, très loin. Un missile lancé à pleine vitesse. Je le suivis des yeux. Il heurta un arbre, le dégringola en se payant plusieurs branches au passage, et finit sa course en se cognant contre une racine à l'atterrissage. Il se releva en titubant et s'en retourna vers son repère - enfin, quelque part, quoi - sans demander son reste.

Je poussai un soupir que je n'avais pas eu conscience de retenir. Les écailles de Grignotte me râpèrent la peau lorsqu'il se tortilla dans mes bras, mais cette douleur là était la bienvenue. Je le déposai doucement à terre en lui murmurant des paroles rassurantes et sortis mon stock de potions de mon sac. Combien en faudrait-il pour soigner la vilaine balafre sanglante qui le défigurait ?

- Ferme les yeux.

Je dévissai le vaporisateur et vidai une bouteille entière sur son visage. Il ouvrit la bouche, goûtant les rigoles bleues du liquide qui dégoulinait. Ça avait peut-être bon goût ? La blessure se referma progressivement, jusqu'à ce qu'il ne lui reste plus qu'une petite cicatrice sur le bout du nez. Il cligna ses petits yeux noirs et bougea faiblement une patte. Ah oui. J'avais failli oublier. Je complétai le traitement avec de l'anti-para sur sa patte paralysée.

J'avais à peine reposé le flacon qu'il gambadait déjà, comme si de rien n'était. Il passa devant Salade, fit coucou à Souris, puis s'arrêta devant Teigne.

- Belette, belette, sa, lui dit-il.

Elle le rabroua sans même lui adresser la parole.

- Merci, ma grande, lui lançai-je à mon tour. Sans toi...

Je m'approchai pour l'examiner. Une longue et fine marbrure rouge courait sur son bras, témoignage de la violence avec laquelle la liane avait frappé la peau. Je m'emparai d'une nouvelle potion.

- Singe, fit-elle en ramenant son bras contre elle.

- C'est une blessure de guerre, d'accord, mais il faut la soigner.

- Singe.

- C'est très moche, tu sais. On dirait un coup de soleil version ver de terre.

- Singe.

- Et si jamais elle s'infecte ?

- Siiinnngeee.

- Tu te couperas le bras toi-même ? D'accord, c'est toi qui vois.

Sur ce, nous repartîmes. Quelques minutes plus tard, débarrassée de l'adrénaline qui perturbait mon jugement, je me rendis compte que je m'étais comportée stupidement. Il m'aurait suffit de rappeler Grignotte dans sa Pokéball pour régler le problème. Me précipiter pour faire rempart de mon corps, pour courageux que ce soit, était non seulement inutile, mais de surcroît dangereux.

Le reste de la matinée s'écoula lentement. Mais vraiment lentement. Les affrontements se suivaient et se ressemblaient tellement qu'on aurait pu les prendre pour des jumeaux. Alors que midi approchait, j'avais acquis une certitude : s'entraîner était barbant. Pourquoi ça ne pouvait pas être comme dans les films ? Un montage rapide avec une musique entraînante, et hop ! Mais non, ça prenait du temps...

Au bord d'un petit lac à l'écart du chemin, je retrouvai Dorian et Cassandre. Assis côte à côte, ils discutaient à voix basse. Carapuce pataugeait dans l'eau tandis que Volt était sagement perché sur l'épaule de sa dresseuse.

- Hé, mais regardez qui voilà ! s'exclama cette dernière. Notre amie la Ronflex !

- Ronflex ?

- Tu verras bien si jamais tu essaies de descendre vers Parmanie, éluda-t-elle.

Dorian sauta sur ses pieds.

- Ça te dit, un combat ? proposa-t-il. Histoire de se mettre en appétit. On peut même te prendre en double, tiens, si Cassandre est partante !

- Tu parles que je suis partante ! s'exclama cette dernière.

- Carapuce, ramène-toi !

La tortue bleue sortit de l'eau et rejoignit son dresseur d'une démarche trognone. Si, si, trognone. Volt descendit de l'épaule de Cassandre pour se placer à ses côtés.

- Souris, Grignotte... Voyons voir ce que vous avez appris.

Nos quatre Pokémon se firent face. L'atmosphère devint tout de suite plus tendue. Ce n'était certes qu'un petit combat amical, mais personne n'avait envie de le perdre. Doriant prit les devants et démarra l'affrontement sur les chapeaux de roues :

- Carapuce, Pistolet à O sur le Sabelette !

- Grignotte, Tunnel ! m'écriai-je en espérant qu'il réagirait à temps.

Il se plaqua au sol et le jet d'eau sectionna tout les brins d'herbe au-dessus de lui, sans l'atteindre. J'étais tellement concentrée sur cette partie du combat que je n'entendis pas Cassandre donner ses ordres à Volt. Déjà le Pikachu s'élançait, et j'ignorais ce qu'il allait faire. Les taches rouges sur ses joues grésillaient d'électricité naissante. Pas bon, pas bon. Il bondit sans effort apparent, un saut à la verticale d'un bon mètre de haut, et un éclair d'une blancheur aveuglante crépita en fulgurant.

Souris plongea, répétant la manoeuvre de Grignotte. Il s'en fallut d'un cheveu, mais l'éclair la manqua. Dépourvue de cible, l'électricité se dissipa dans l'air. La Nosferapti redressa sa trajectoire juste avant de s'écraser au sol, effectua un virage en tonneau, et projeta une salve d'onde ultrasoniques en direction de Volt. Le Pikachu tituba. Allait-ce suffire ?

- Volt, concentre-toi et lance un Cage-Éclair sur ce rat volant, énonça calmement Cassandre. Clouons-le au sol !

- Chu ! répondit le Pokémon en secouant la tête pour se remettre les idées en place.

- Carapuce, toi aussi. Écume sur le Nosferapti !

Souris se tourna vers moi pour que je la tire de ce pétrin. Malheureusement, je n'avais pas de solution miracle. Et où diable était Grignotte ? Je scrutai les hautes herbes sans apercevoir la moindre petite écaille marron. J'allais ordonner à Souris d'essayer d'éviter les attaques lorsque deux lances jumelles d'électricité jaillirent des joues de Volt. Elles frappèrent Souris aux extrémités des ailes dans un bruit de tonnerre, et la Nosferapti chuta au sol, le corps parcouru de petits arcs électriques. Elle resta prostrée dans l'herbe, tressautant sous l'effet de la Cage-Éclair.

Carapuce s'approcha, ouvrit la bouche pour souffler son chapelet de bulles... et disparut dans un nuage de poussière. Un cri de surprise retentit, puis plus rien. Silence. Les yeux rivés sur l'endroit où se tenait le Pokémon un instant auparavant, nous attendions tous que la poussière se dissipe. Finalement, au bout de quelques secondes, une forme écailleuse émergea dans la lumière.

- Sabelette, commenta Grignotte, couvert de terre des pieds à la tête.

L'entrée d'un tunnel béait au sol. Dorian s'en approcha.

- Carapuce ?

- Belette, indiqua Grignotte avec sa petite main.

Dorian s'agenouilla et fouilla à tâtons dans le trou, jusqu'à en ressortir un Carapuce plutôt sonné.

- Hors de combat, constata-t-il.

- Comme le Nosferapti dans trois secondes ! risposta Cassandre. Termine-le, Volt. Éclair !

- Pika pika !

La souris électrique poussa un cri féroce, se chargeant d'électricité. À la vue du danger, Souris bougea faiblement les ailes, sans parvenir à reprendre son envol. Clouée au sol comme elle l'était, elle faisait une cible facile. L'éclair fusa. Il s'imprima en une ligne de feu sur mes rétines, un arc mortel et crépitant.

En plein dans le mille, eus-je le temps de penser.

Mais il termina sa course plus tôt que prévu, venant frapper Grignotte qui avait surgi d'un nouveau tunnel au dernier instant. L'électricité se perdit dans le sol sans lui faire de mal.

- Finissons-en, décidai-je. Grignotte, Griffe !

Mon Sabelette fonça sans hésitation sur Volt.

- Vive-attaque ! contra Cassandre.

Volt se changea en un feu follet or et brun, trop rapide pour que l'oeil puisse le suivre. Il passa une première fois au niveau de Grignotte, lui infligea un coup, puis fit demi-tour à une vitesse foudroyante et le frappa de l'autre côté, avant de revenir vers Cassandre. Les flancs de Grignotte étaient meurtris, et j'y distinguais du sang. Il tenait à peine debout.

- Pikachu !

- Une dernière fois, Volt, lui ordonna Cassandre.

Il hocha la tête et repartit à toute allure vers Grignotte. Je comptai les secondes dans ma tête.

- Maintenant, Souris ! hurlai-je alors que le rongeur électrique arrivait sur le Sabelette.

La Nosferapti tira une salve d'ultrasons qui toucha au but malgré sa position désavantageuse. Volt se figea, l'air perplexe. J'imaginais ce qu'il devait ressentir. Un peu comme entrer dans une pièce en sachant qu'on était venu y chercher quelque chose, mais impossible de se souvenir quoi... Ou comme avoir un mot sur le bout de la langue, quelque chose qui nous échappe et pourtant semble à notre portée.

- Grignotte, vas-y.

Le Sabelette frappa. Ça ressemblait davantage à coup de poing qu'à un coup de griffe, ce qui m'inquiéta un peu. Teigne était-elle en train de déteindre sur les autres Pokémon ? Il ne manquerait plus que ça... Mais cela fit l'affaire, et Volt se retrouva à plat ventre à manger de la terre.

- Ah, zut, fit Cassandre. Je crois que cette fois t'as gagné.

Comme si cette constatation servait de déclencheur, Souris et Grignotte se mirent à briller de concert. J'observai mes deux Pokémon gagner plusieurs centimètres et développer griffes et crocs. Grignotte grandit jusqu'à dépasser Salade, égalant presque Teigne ; sa carapace écailleuse se densifia et prit une teinte plus foncée, ses griffes s'allongèrent. Quant à Souris, elle atteignit l'envergure de Ficelle - deux mètres au bas mot les ailes déployées - et sa bouche se garnit de crocs genre vampire. On était loin des mes deux petites bestioles mignonnes - enfin, pas que Souris ait jamais été mignonne.

- Wow, constata Dorian.

- Je te le fais pas dire.

Quelques minutes plus tard, après avoir soigné les blessés, nous nous installâmes sur un banc pour pique-niquer. Tout en mangeant, nous analysâmes le combat sous toutes les coutures, essayant de deviner ce qui aurait pu se passer si un tel avait fait ceci au lieu de cela. Dorian en particulier semblait doué à ce petit jeu là.

- Et ensuite, si Carapuce avait craché de l'eau dans le tunnel et que Volt y avait envoyé un éclair, conclut-il après une longue démonstration, on aurait gagné.

- Peut-être, tempéra Cassandre.

Elle se tourna vers moi.

- Tu comptes faire quoi cet après-midi ?

- Oh, je ne sais pas, sûrement flâner un peu... Je n'ai pas encore décidé.

- Tu ne vas pas à la fête sur l'Océane, alors ? demanda Cassandre.

J'eus l'impression d'avoir été la victime d'une attaque ultrason. Le ticket pour l'Océane ! Je l'avais complètement oublié. Je fouillai dans mon sac à l'aveuglette et en tirai le morceau de papier doré.

- Comment tu savais que j'avais une invitation ?

Cassandre sourit.

- J'ai des intuitions parfois...

- Que dalle, oui ! intervint Dorian en riant. Ton sac a glissé de la table hier soir et le ticket est tombé par... Aïeuh !

- Mais chut ! grogna Cassandre en lui donnant un coup de coude dans les côtes.

-...terre, termina Dorian.

- Ha, je vois...

Je contemplai le ticket, faisant courir un doigt sur les lettres d'or.

- Hé bien je crois que ma prochaine destination est toute trouvée.

Un petit tour sur l'Océane s'imposait. Un paquebot de luxe, de riches vacanciers... comment cela aurait-il pu mal tourner ?

***

Équipe actuelle :
SaladeTeignePrincesseFicelleSourisGrignotte