Altaïr et Lesath 5. de illapa

C'était une belle journée d'automne. Le ciel était gris, envahi par de légers nuages qui adoucissaient la luminosité, comme si l'on tamisait des projecteurs avant l'entrée en scène d'une personne importante. Un petit vent faisait joyeusement danser les feuilles des arbres qui flamboyaient de couleurs vives et chaudes avant la tombée du rideau blanc et froid sur ces paysages. Il flottait dans l'air une odeur âcre de terre, et des relents de fraîcheur annonçant déjà la venue de l'hiver.
Le sol se couvrait d'un matelas écarlate, comme un tapis rouge qu'on déroulerait pour l'arrivée d'une beauté froide en satin blanc.

Altaïr aimait l'automne. Il appréciait de sentir le froid vivifiant lui picoter la truffe. Il aimait la façon dont son pelage s'étoffait pour l'hiver, le recouvrant d'un duvet pelucheux et doux contre lequel Lesath ne manquait jamais une occasion de se blottir. Il adorait la promesse de la neige qui arriverait après le feu d'artifice final qu'offraient les arbres.
L'automne le mettait en joie.

Ce jour-là, il avait même accepté d'aller chercher des noisettes avec Lesath. Les deux compagnons avaient pris leur temps pour se préparer. Lesath s'était enroulé dans une écharpe bleu ciel que le Duc Yildun lui avait offert, Altaïr s'était joyeusement armé d'un panier en osier, puis les deux porte-heurs s'étaient tranquillement mis en route vers le coin à noisetiers du village.

Ce jour-là, Tegmine avait également décidé de prendre sa revanche. Elle suivit les deux amis, devina leur destination, les devança, se cacha au milieu des multiples troncs d'un noisetier et attendit. Quelques minutes plus tard, lorsque sa proie apparut, elle bondit de sa cachette en envoyant une attaque tonnerre. Malheureusement pour elle, ses éclairs se perdirent au milieu des troncs et des feuilles, sans qu'aucun n'atteigne l'absol. L'arbuste se vengea en larguant ses fruits sur la souris survoltée, qui s'enfuit en clamant haut et fort que la prochaine fois, l'absol ne s'en sortirait pas comme ça. Comme à chaque fois. Ce qui rendit Altaïr plus joyeux encore.

La récolte des noisettes fut bonne, l'absol trouva même une belle pomme de sapin particulièrement grosse et odorante, qu'il se garda pour le dessert.
Il aurait dû se douter que la journée était trop belle.
Il s'en douta dès qu'il vit, à son retour, une escouade de trois cornèbres posée devant son terrier.
L'une d'eux, qui portait un bandana orange autour du cou, le salua.
-Coco-cornèbre Cordonnière, à votre service ! Nous avons un paquet pour l'absol Altaïr de Venchanté !
L'intéressé jeta un coup d'œil à l'immense balluchon bleu posé derrière le trio d'oiseaux nocturnes. Un truc de cette taille enveloppé dans un tissu bleu-gris, ça ne présageait rien de bon.
-Heu oui ? C'est moi ? De quoi s'agit-il ?
-Ben, on a un coco-colis pour vous !
Mais l'absol était méfiant.
-Un coco-colis ? Qu'est-ce que c'est ?
Très sérieusement, Coco-Cordonnière lui répondit :
-C'est comme un colis, mais avec « coco » devant.
Altaïr adressa un silence courroucé à la cornèbre et un regard lourd de reproche. Gênée, elle ajouta :
-Vous comprenez, comme c'est un colis envoyé par coco-cornèbre, c'est un coco-colis. C'est heu... Ça fait partie de l'image de la société des coco-cornèbres, voyez ?
-Je voulais dire, un colis d'où ? De qui ? Avec quoi dedans ?
-Peux pas vous dire maître absol. Il est arrivé au QG de Grenadia, on nous l'a confié, on vous le confie, fin de l'histoire. Si vous voulez bien nous excuser...
D'un même mouvement, les trois volatiles noirs s'envolèrent et disparurent dans les cieux, laissant là l'absol, en compagnie d'un togetic béat, d'un mystérieux paquet bleu et du sentiment que l'histoire ne faisait justement que commencer.

Voyant que Lesath n'était pas disposé à sautiller de joie dans tous les sens en s'inventant des histoires et des hypothèses farfelues sur le contenu du paquet, Altaïr décida de prendre les choses en patte. Il s'approcha prudemment du truc comme s'il pouvait à tout instant lui exploser à la truffe. Suspicieusement, il la renifla. Elle ne sentait rien d'extra-ordinaire, juste le vieux tissu qui a voyagé loin et en plein air.
Très lentement, il tenta de toucher la chose du bout de la griffe, mais soudain, Lesath s'exclama :
-Altaïr, non !
Surpris, l'absol fit un bon en arrière, et demanda :
-Qu'est-ce qu'il y a tout à coup ?
Le togetic lui répondit d'un ton de conspirateur :
-C'est un paquet bleu !
Ce qui laissa l'absol perplexe.
-Oui, et alors ?
-Mais enfin tu sais bien !
-Non.
-Un p'tit paquet bleu ! C'est peut-être...

Il marqua un temps pour le suspense, et murmura :
-De la poudre de curieux !
Le pokémon quadrupède s'assit, et soupira. Lesath et ses trucs d'humain...
-De la « poudre de curieux » ?
-Mais oui ! Dans un p'tit paquet bleu ! Que les curieux ramassent... et ça leur saute aux yeux !
Altaïr préféra ne pas répondre aux exclamations extravagantes et exaspérantes sur les choses extraordinaires que s'imaginait son ami, face à un « ptit paquet bleu » plus grand que lui. Mais voyant que ce dernier le regardait avec un air de barloche frit, il marmonna :
-Qu'est-ce qui leur saute aux yeux ?
-La poudre de curieux !
-De la poudre qui saute ?
-Oui !
-Elle a des pattes ?
-Non ! Tu sais ! Comme... BOUM ! Comme un smogogo !
-Lesath, s'il y avait un smogogo là dedans, on l'aurait repéré à l'odeur.

Altaïr allait se décider une bonne fois pour toute à ouvrir son paquet, quand Tegmine fit son apparition pour la deuxième fois de la journée.
-Altaïr attends ! C'est peut-être un colis piégé !
-Qu'est-ce que tu fais là, toi ?
Sans aucune gêne, elle répondit :
-Je vous espionnais. Pour une fois, Lesath a raison, si tu l'ouvres, ça va peut-être faire... BOUM !
Le concerné prit un air triomphant.
-Tu vois ! Je te l'avais dit, il faut toujours se méfier des paquets bleus !
-Je ne crois pas que la couleur ait grand chose à voir avec le fait que le paquet puisse me sauter entre les griffes...
D'un ton menaçant, la souris électrique grogna :
-Prudence est mère de sureté...

L'absol réfléchit. Il y avait quelque chose de louche. Comme un changement dans l'air, mais qui n'avait rien à voir avec la saison. Normalement, Lesath aurait dû bondir impatiemment de joie, et Altaïr se serait fait un devoir de retarder le moment de l'ouverture, par peur de découvrir son contenu, et par plaisir de voir le petit togetic bouillonner d'envie de découvrir ce qu'il y avait à l'intérieur. Peut-être y avait-il vraiment quelque chose dangereux dedans ?

Puis soudain, le petit pokémon volant s'exclama :
-Alors, tu l'ouvres ?
-Quoi ?
-Ben oui, si tu ne l'ouvres pas, on ne saura jamais s'il y a de la poudre de curieux dedans !
Tegmine se sentit obligée de mettre son grain de sel.
-Ça n'existe pas la poudre de curieux !
-Ah oui ? Et pourquoi ça ?
-T'en as déjà vu ? Tu connais quelqu'un qui en a déjà vu ?
-Non ! Mais ça ne prouve rien ! Personne n'a jamais vu le vent, et pourtant il existe !
-Mais on le sent !
-Ben la poudre de curieux aussi, on doit la sentir quand elle nous saute aux yeux !
Tegmine commençait à être exaspérée :
-Mais c'est juste un truc populaire qu'on dit aux enfants pour qu'ils ne soient pas trop curieux ! Ou parce qu'on ne sait plus quoi leur répondre...
-Et alors ? Peut-être qu'on leur dit ça parce qu'il y a vraiment de la poudre de curieux qui saute aux yeux !
La pikachu décida d'abandonner là.

Pendant ce temps, Altaïr réfléchit. Devait-il ouvrir le paquet ou pas ? Après tout... Il était peut-être vraiment piégé ? Il venait peut-être de ce tiplouf givré qui lui avait un jour envoyé Tegmine... Mais d'après la coco-cornèbre, le paquet venait de plus loin que Grenadia, or le tiplouf nuisible se trouvait dans la ville en question. Mais le joyeux togetic n'avait jamais paru méfiant devant des paquets, c'était peut-être un signe ? Après de longs moments d'intense réflexion, il déclara :
-Lesath... Surveille ce colis !
-Je peux l'ouvrir ?
-Tu as vraiment envie que la poudre de curieux te saute aux yeux ?
Le togetic prit un air paniqué.
-Non !
-Alors surveille-le juste, pendant que je vais demander conseil à la Feunarde Agena.

Il laissa la la pika-choute et le petit porte-bonheur, qui se relancèrent dans leur grand débat pour savoir si la poudre de curieux existait réellement.
Comme à son habitude, la sage feunarde au pelage bleu se tenait dans son sanctuaire. Lorsque Altaïr arriva elle était en pleine discussion avec un mangriff. Un étrange mangriff dans la fleur de l'âge, avec une blouse blanche et une paire de lunette verte sur la truffe. Dès qu'elle vit l'absol arriver, Agena s'exclama :
-Ah, Altaïr, tu es là ! Je te présente le professeur Pollux, il va rester avec nous quelques temps.
-Ah, enchanté... Feunarde Agena, j'ai reçu un petit paquet bleu, et Lesath et Tegmine me disent de ne pas l'ouvrir... Que dois-je faire ?
La sage pokémon flamboyante prit un air songeur...
-Un paquet bleu ?
-Oui...
-Petit ?
-Pas vraiment. Il est plutôt moyen. Il ne sent rien, et ça à l'air d'être quelque chose de plutôt solide...
-Dans ce cas, c'est peut-être...
-Ne me dites pas que c'est de la poudre de curieux !
-Oh, ça pourrait. Mais je pensais plutôt à de l'espoir pour deux.
L'absol resta perplexe.
-De « l'espoir pour deux » ?
-Oui ! De l'espoir pour deux, dans un moyen paquet bleu ! Que les désespérés ramassent et ça les rend joyeux !
Altaïr hésita à répondre. Il ne savait pas comment le prendre. Puis il rétorqua :
-Je suis pas sûr qu'on puisse mettre de l'espoir dans un colis. Et je ne suis pas désespéré !
La renarde de feu eut un sourire malicieux, puis elle répondit :
-Dans ce cas, allons voir ça.

De retour près du paquet mystérieux, Lesath et Tegmine étaient encore là, débattant sur le contenu de l'objet dans son chiffon azuré. La pikachu argumentait :
-Si ça se trouve, c'est un esprit malingre et doucereux !
-Un esprit malingre et doucereux ?
-Oui ! Un esprit malingre et doucereux, dans un grand paquet bleu ! Que ses ennemis ramassent et ça les rend peureux !
Lesath fit la grimace. Altaïr intervint :
-On t'as déjà dit que tu avait des idées glauques, Tegmine ?
-Prouve-moi que j'ai tort ?

Mais le pokémon porte-malheur n'eut pas l'occasion de répondre, car déjà, la feunarde et le professeur Pollux examinaient l'étrange présent. Ce dernier suggéra :
-C'est peut-être... un morceaux des cieux !
Tous s'étonnèrent :
-Un « morceaux des cieux » ?
-Mais oui ! Un morceau des cieux, dans un joli paquet bleu, que les rêveurs ramassent et ça exauce leurs vœux !
Chacun resta silen-cieux. Pouvait-on vraiment mettre un morceau de ciel dans un balluchon bleu ? Et est-ce qu'il exaucerait vraiment les vœux ? Et que pourraient-ils bien souhaiter ?

Finalement, l'absol demanda timidement :
-Alors... est-ce que je dois l'ouvrir ou pas ?
On lui répondit autant de oui que de non. Ce pouvait être un truc dangereux. Mais s'il n'ouvrait pas il ne saurait pas ce que c'est. Mais s'il ouvrait et que ça lui explosait à la tête ? Il valait mieux savoir ce qu'il y avait dedans avant d'ouvrir. Mais comment savoir sans ouvrir ?
La Feunarde Agena donna la solution :
-On pourrait demander à CorLéonis.
-Quoiiii ?
Ce qui n'enchantait pas l'absol. Il trouvait le vieux lion bizarre et tordu. Bizarrement, Tegmine non plus n'était pas ravie. Seul Lesath paraissait enthousiaste.
-Oui, allons à Grenadia !
L'absol demanda :
-On pourrait pas plutôt envoyer quelqu'un ? Genre Tegmine ?
-Hé ! Pourquoi moi, d'abord ? Et pourquoi faut lui demander à lui ?
Patiemment, la Feunarde shiny expliqua :
-Parce que c'est un luxray. Vous vous souvenez ? Il peut voir à travers les murs, tout ça...
Il y eut un instant de silence signifiant : « Ah ouiiiii ! » puis Altaïr demanda :
-Il n'y a pas de luxray plus proche d'ici ? Et puis, il sera peut-être en mission ailleurs...
-Pas que je sache. Je regrette, mais il faudra aller lui demander de venir...
Le pokémon ténèbres tenta de négocier, mais la chef fut intraitable : c'était son colis, c'était à lui de demander.