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S'avouer vaincu de Pikercy



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» Auteur : Pikercy - Voir le profil
» Créé le 21/08/2009 à 19:13
» Dernière mise à jour le 21/08/2009 à 19:20

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9 - Malgré lui, malgré elle
---I---



Le chemin boueux émergeait de la forêt, menant au sommet d'une dune verdoyante. Du haut de la colline, on pouvait voir les lumières de la ville transpercer l'obscurité de la nuit d'été. Les fenêtres des maisons résidentielles étaient autant de lucioles qui invitaient les voyageurs égarés à attendre, au calme, la levée du jour. La route vers Unionpolis redescendait en ligne droite jusqu'aux abords de la ville. Bientôt, les premières habitations allaient apparaître. Des Hoothoot et des Noarfang, paisiblement agrippés aux branches des derniers arbres qui formaient la lisière de la forêt, saluaient les derniers passants qui retrouvaient l'atmosphère lumineuse de la grande cité.
Un groupe de jeunes dresseurs marchait silencieusement vers la ville. Au loin, de vagues échos d'instruments de musique, de conversations enjouées et d'éclats de rire commençaient à se faire entendre. Mais les quatre dresseurs ne lâchaient pas une parole, encore secoués des événements qu'ils avaient vécu au milieu de cette épaisse forêt, à l'insu de tous. Seul le bruit de leur pas traînants se faisait entendre par les Fouinette et les Mysterbe des hautes herbes environnantes, qui partaient les uns après les autres rejoindre leur tanière pour passer la nuit au calme. De temps en temps, Tiplouf lançait une exclamation, uniquement reprise par Ptiravi qui, dans les bras de Pierre, ne quittait pas son grand et naïf sourire.
Aurore marchait en tête, son sac à dos étrangement plein à craquer sur ses épaules, ce qui n'avait pas laissé d'interloquer Pierre et Sacha, sans poser plus de question. Le combat contre cette nouvelle Team Rocket les avait passablement éreintés, tellement proches qu'ils avaient été de la défaite, à coup sûr inévitable si la jeune fille n'était pas intervenue. Après le combat, elle avait passé un long moment la tête enfouie dans le pelage de Lockpin, avant de se relever pour revenir au Centre Pokémon. Depuis, elle n'avait pas dit un mot. Sacha et Ondine, qui marchaient côte à côte, la tête perdue dans des limbes de pensées inextricables, gardaient le silence. Et Pierre, en fermant la marche, était bien obligé de faire de même, se retrouvant au milieu de trois consciences repliées, finalement le seul à avoir l'esprit léger.
Ondine soupira profondément. Sacha, à côté d'elle, tourna la tête et lui adressa un regard interrogateur. La championne ferma les yeux un court instant, dans un mouvement d'approbation et de confiance ; elle frôla le bras de son ami, avant de le dépasser, pour aller se porter à la hauteur d'Aurore, qui s'était opportunément arrêtée un bref instant. Sacha, se retrouvant seul, ralentit le pas, afin de laisser Pierre se porter à sa hauteur. Sur les branches des arbres, les bandes de Coxy avaient l'impression d'assister à un étrange petit ballet silencieux.
Pierre eut un soupir de soulagement. Il préférait cette configuration là pour marcher. Au moins avait-il le sentiment que la route se ferait dans le calme. Ce fut Sacha qui brisa le silence, à mi-voix, car il régnait visiblement encore entre les deux jeunes filles qui le précédaient.

« Je ne t'ai pas remercié pour nous avoir sauvé de ces deux imbéciles…
- Enfin Sacha, tu aurais fait la même chose à ma place, voire plus. Toi, je suis sûr que tu aurais pu sauter dans leur avion pour attaquer à toi tout seul le QG de la Team Rocket à Kanto…
- Si tu le dis… répliqua-t-il avec un petit sourire.
- Il faudra que tu m'expliques comment tu t'es retrouvé dans cette position avec Ondine tu sais.
- Pierre ! le réprimanda Sacha, le rouge lui montant déjà aux joues. Je te l'ai dit, j'ai été entravé par son Tartard ! Comme je pouvais m'imaginer que ce Pokémon pouvait utiliser cette attaque ?
- En vérité, il ne le peut théoriquement pas. Charles a dû lui faire subir un entraînement terrible pour qu'il puisse utiliser ce pouvoir. Il était redoutable… A se demander pourquoi la Team Rocket nous envoie systématiquement Jessie et James.
- Bref, merci pour ça.
- Remercie Ptiravi ! Le premier soin de groupe de sa carrière… dit Pierre avec fierté.
- Mais comment tu as pu nous retrouver, au beau milieu de cette forêt, avec la Distorsion d'active ?
- Hé bien, quand je suis parti du Centre, tu n'étais plus là et je t'ai cherché dans toute la ville. Puis j'ai pensé que tu étais sans doute revenu, alors j'ai repris le chemin du Centre. Là, l'Infirmière m'a dit qu'Aurore était partie elle aussi, qu'elle ne t'avait pas vu depuis le début de l'après-midi, et qu'en plus elle avait un message urgent pour Ondine. Je suis alors sorti, et je me suis dirigé vers la forêt, le seul endroit où je n'avais pas cherché. En m'enfonçant un peu plus, j'ai remarqué la brume, que j'ai essayé de contourner, mais je ne pouvais rien faire tant que l'attaque Distorsion était active. Quand j'ai repéré une faille, je me suis précipité dedans et je suis tombé quasiment tout de suite sur… bah sur vous deux. J'ai hésité à vous laisser d'ailleurs puis j'ai pensé qu'il y avait peut-être un problème en vous voyant immobiles…
- Oui bon, ça va, épargne moi la fin je t'en prie, coupa Sacha, avant de se reprendre d'un air inquiet. Tu as parlé d'un message urgent pour Ondine ?
- Oui, ses sœurs cherchent à la joindre depuis ce matin. Apparemment, elles savent qu'elle est à Unionpolis. D'après Joëlle, Daisy avait l'air inquiet. »

Sacha ne répondit pas. Ce bizarre sentiment qu'il ressentait depuis son combat contre Kiméra le reprenait. Il tenta de le chasser de son estomac. Il réussit, une nouvelle fois, mais quelque chose en lui semblait ne pas croire à ses vaines tentatives pour ignorer cette espèce de nœud marin qui lui donnait l'impression de tordre ses boyaux. Il faisait marcher sa tête à toute vitesse pour imaginer tout ce que Daisy pourrait avoir envie de dire à sa sœur. Il listait tout ce qui lui passait par la tête, toutes les possibilités, tous les scénarios. Mais au fond de lui, il connaissait déjà la teneur du coup de téléphone qui les attendait au Centre Pokémon. Est-ce que je vais être obligé de revivre ça ?...



Aurore cherchait à fixer son regard à l'horizon. Cette publicité dont elle ne distinguait que les lumières vives au loin sur un des hauts immeubles d'Unionpolis était un bon moyen de se concentrer. Elle clignait des yeux le moins possible, laissant la poussière de l'air lui picoter les yeux le plus longtemps possible. Les poings serrés, elle marchait d'un pas décidé. Elle ne s'arrêterait qu'au Centre Pokémon, et verra bien ce qui se passerait là-bas. Tiplouf sautillait à ses côtés et n'arrêtait pas de pépier. Ses petits cris stridents devinrent vite insupportables et sa dresseuse s'arrêta un bref instant pour lui permettre de monter sur sa tête. Tiplouf sauta mais, ayant une fois de plus mal calculé la distance, dut prendre appui sur le sac d'Aurore pour retrouver une position moins précaire. La dresseuse, avec ce poids supplémentaire sur son sac qui était déjà bien lourd, faillit perdre l'équilibre, mais se rattrapa in extremis. Plutôt retourner avec la Team Rocket que de m'affaler maintenant devant les autres… Elle soupira et tenta de calmer les battements de son cœur, avant de reprendre sa marche.
Le petit contretemps causé par Tiplouf avait laissé le temps à Ondine de se porter à la hauteur d'Aurore. Celle-ci ne tourna pas la tête, mais il était impossible pour elle de ne pas remarquer à l'extrémité de son champ de vision les éclats roux des cheveux de la championne d'Azuria, qui luttaient aisément avec les rougeoiements des néons artificiels d'Unionpolis. Elle raffermit la pression sur les lanières de son sac, et feignit de n'avoir rien remarqué.
Ondine ne voulait pas engager la conversation trop tôt avec Aurore. Prisonnière du pouvoir du Pokémon de Charles, et jusqu'à l'arrivée de Sacha, elle s'était repassée le fil des événements de la journée. Encore une fois, elle avait réussi à faire étalage de toute sa bêtise et de son caractère irréfléchi. Elle était passée tout prêt de la catastrophe aujourd'hui et c'était entièrement sa faute. Dans un coin de sa tête, il lui semblait que Charles chuchotait encore, en impitoyable procureur, les sentences brumeuses de la forêt. Tout cela n'avait servi à rien. Si elle avait voulu parler à Sacha, elle aurait dû le faire depuis bien longtemps. Il lui était tellement facile de refuser les avances des garçons d'Azuria. Mais elle refusait toujours obstinément de prendre le risque d'être dans la position inverse. Et elle était toujours aussi persuadée que c'était ce destin-là qui l'attendait, ce destin qu'elle refusait, si elle entrouvrait sa porte. Même si elle avait cru lire, sur le visage immobile de Sacha près du sien… Elle frissonna. Toutes ses pensées étaient tournées derrière elle ; elle aurait tant voulu être un Girafarig en cet instant précis. N'y pense plus, tout cela n'a pas existé. Tout cela devait rester oublié dans l'espace distordu. Elle toussota.

« Merci d'être venue ».

La bouche serrée d'Aurore se crispa à ces mots. Si Ondine le vit, elle ne le montra pas, et continua.

« C'est toi qui m'a sauvée. Et qui a sauvé Sacha. »

Elle tourna la tête. Aurore vit les cheveux roux onduler gracieusement sous la brise légère. Elle fut traversée par un intense sentiment de jalousie en repensant à toutes ces heures perdues à se coiffer, qu'elle repoussa bien vite. C'est tellement idiot de penser à ça… Ondine la gratifia d'un sourire franc, qui la mit mal à l'aise. Elle eut une soudaine bouffée d'émotion devant cette jeune fille de plusieurs années son aînée, qui la connaissait à peine, avec qui elle s'était violemment disputée et qui pourtant la remerciait le soir même.

« Avec ce que je t'ai dit aujourd'hui, tu n'étais pas la personne que je m'attendais à voir venir à mon secours tu sais… ajouta la rouquine, toujours souriante. »

A ce moment là, Aurore consentit à tourner la tête, et à la regarder attentivement dans les yeux, pour la première fois.

« Pourquoi me détestes-tu ? dit-elle de but en blanc. »

Ondine retint une exclamation. En quatre mots, elle venait de se voir renvoyés en pleine poitrine tous les excès et toute l'immaturité dont elle avait fait preuve. Pourquoi je me suis imaginé avoir un quelconque droit d'agir ainsi ?

« Je ne te déteste pas.
- Ah non ? Alors pourquoi m'avoir traitée de la sorte à l'arène ?
- Je… (Elle déglutit difficilement, résistant à la tentation tellement forte de se retourner pour savoir à quelle distance marchaient les deux garçons. Finalement, elle baissa la voix et dit à demi-mot, dans un soupir difficilement délivré.) Je ne sais pas vraiment…
- Tu ne sais pas vraiment ? Et pourquoi il a fallu que je vienne vous sauver, toi et Sacha ? Qu'est-ce que tu foutais dans cette forêt ? »

Comme prise à l'intérieur de la brume, quelques minutes auparavant, elle se sentait prise au piège. Qu'est-ce qui m'a pris d'aller lui parler aussi ? Voilà que ça la reprenait. Il le fallait, il le fallait !

« Tu ne dis rien, hein ? »

Aurore haussa les épaules et quitta la rouquine des yeux pour regarder devant elle. Elle descendit Tiplouf de son chapeau et pour le serrer dans ses bras. Désormais, la ville leur avait ouvert ses portes. Suivies par Sacha et Pierre, plongés dans une discussion qui paraissait animée, les deux jeunes filles furent avalées par les hauts immeubles d'Unionpolis. A travers le bruit de la fête qui leur parvenait maintenant très distinctement aux oreilles, Aurore reprit :

« Ne me crois pas plus bête que je ne le suis, Ondine, même si j'ai quelques années de moins. »

La rouquine manqua trébucher. Elle glapit, mais ne riposta pas. Je crois malheureusement qu'il n'y a qu'une seule personne ici qui refuse de comprendre. Quant à ce qu'Aurore venait de lui dire… Elle soupira une nouvelle fois. Etait-ce encore la peine de se battre pour le nier ? Je ne suis plus tellement sûre que ça vaille encore le coup…

« Allons, déclara la championne. Retournons au Centre et dépêchons-nous de savoir ce que c'est que cette fête. »

Aurore se tourna vers elle, interloquée. Ondine lui souriait. Elle avait perdu la lueur d'inquiétude qu'elle avait dans les yeux depuis leur sortie de la forêt. Et surtout, elle n'avait pas répliqué à l'allusion d'Aurore. Un peu malgré elle, mais finalement sans regret, elle lui rendit son sourire. Ondine acquiesça, en ayant le sentiment qu'un accord mutuel venait d'être silencieusement scellé.



***



Daisy referma la porte de l'arène sur un jeune dresseur déçu, courant en pleurs en direction du Centre Pokémon d'Azuria. Elle terminait sa journée sur une victoire éclatante. Si le fait d'avoir terrassé en quelques attaques un débutant bien trop faible n'ayant utilisé que deux Pokémon Feu pouvait s'apparenter à une victoire éclatante. En tout cas, ce n'était certainement pas suffisant pour contrebalancer les nombreuses défaites qu'elle avait dû essuyer ainsi que tous les Badges qu'elle avait dû céder. Il faudrait bientôt penser à réapprovisionner le stock. Elle contempla avec satisfaction le calme de la piscine de l'arène. Elle devait bien se l'avouer à elle-même : ces jours derniers, elle n'attendait en réalité qu'une seule chose, le moment où elle fermait les portes et où elle n'avait plus à combattre. Mais pourquoi est-ce à moi de faire ça, et pas à Violette ou à Lily ? En réalité, la question ne s'était même pas posée, ses deux sœurs avaient inconsciemment poussé Daisy sur le devant de la scène et de ses responsabilités. A croire que c'est ma faute si nous en sommes là ! Elle commençait à s'énerver toute seule, lorsqu'elle vit Lily et Violette sortir des bâtiments habitables. Elle courut à leur rencontre.

« Des nouvelles d'Ondine ?
- Non, on vient de rappeler le Centre, mais l'Infirmière Joëlle ne l'a toujours pas vue. Elle nous a dit de rappeler dans une heure ou deux, peut-être qu'ils rentreront pour passer la nuit. Elle m'a dit que Sacha n'avait pas encore récupéré ses affaires, il va forcément devoir y retourner.
- Mais pourquoi c'est si long ? soupira la jeune femme blonde. Pourquoi on n'arrive pas à lui mettre la main dessus ?
- Ondine arrive toujours à se sortir des pires situations… Tu es inquiète ?
- Je voudrais surtout qu'elle revienne ! Je ne suis décidément pas faite pour les compétitions… »

Elle se dirigea vers sa chambre, jeta sa serviette qu'elle gardait autour des épaules sur une chaise, et s'y assit en soupirant. Et oui je suis inquiète. Où est-ce que tu es encore passée petite sœur ? Pourquoi ne nous avoir rien dit cette fois-ci ? D'un geste las, elle alluma son ordinateur comme elle le faisait chaque soir. Un nouveau courriel était arrivé, en provenance de l'administration de la ligue Indigo. Son cœur fit un bond dans sa poitrine. La Ligue avait l'habitude, pour éviter un suspens déplacé, d'envoyer des pré-rapports aux arènes inspectées, avant la confirmation officielle par lettre, qui était seule décision reconnue. Mais il n'y avait eu aucune inspection pour laquelle le courriel avait une teneur différente du courrier. Daisy, la main tremblante, ouvrit le message, qu'elle s'attendait à voir signé par l'homme arrogant de la veille. Ce n'était pourtant pas sa photo qui était en haut de son écran, mais celle de la jeune femme de Cramois'Ile contre qui elle s'était battue juste après. Ce fut un beau match, un des plus intenses et des plus disputés depuis la réouverture de l'arène, mais que Daisy avait finalement perdu. Elle parcourut l'écran en diagonale, trop stressée pour lire chaque phrase une par une. Quelques mots s'imprimaient successivement dans son esprit : « excellente tenue de l'arène » ; « forme physique appréciable des Pokémon étant données les circonstances » ; « accueil chaleureux et respectueux envers tous les challengers » ; « capacités structurelles conformes aux normes de la Ligue » ; « une certaine faiblesse du niveau de la Championne actuelle » ; « des doutes sur la pérennité à long terme du niveau de l'arène d'Azuria ». Daisy ne savait plus vraiment où donner de la tête, entre les nombreuses félicitations adressées pour l'entretien général du bâtiment, du soin apporté aux Pokémon, à l'accueil des visiteurs, et les critiques acerbes sur le niveau de jeu et le niveau des combats. En d'autres termes, sur mon niveau de championne. Elle le savait depuis toujours ; et elle l'avait répétée ces derniers jours : elle n'était pas une vraie championne. Il lui semblait lire non pas le rapport d'inspection de son arène, mais une confirmation, en des termes très, ou trop, officiels, que sa vie n'était pas à l'arène. Et surtout, que sa petite sœur avait grandi. Grandi à tel point qu'elle la surpassait maintenant, qu'elle ne pouvait plus être mise à l'écart. Qu'elle n'avait eu aucun droit de la traiter encore comme elle l'avait fait ces derniers mois.
Elle se précipita sur la fin du message :

Conclusion : L'arène d'Azuria confirme son excellence dans l'entretien et le soin des Pokémon. Ainsi, malgré le faible niveau du match auquel nous avons participé, nous préconisons le maintien du statut de l'Arène d'Azuria dans le circuit de Kanto jusqu'à la fin du Tournoi actuel. La qualification en vue de la saison prochaine devra être soumise à un entretien approfondi, au siège de la Ligue, afin de trancher définitivement cette question.

Ses épaules s'affaissèrent. Ainsi avait-elle échoué. Mais cette sentence finale laissait entendre autre chose : la Ligue lui offrait une dernière chance de sauver l'arène. Elle sortit de sa chambre et alla se camper devant le visiophone. Elle tira une chaise, se laissa tomber et resta à fixer l'écran noir, le regard vide.



***



Dans le ciel de l'océan septentrional, les nuages grisonnants furent transpercés par un petit avion crachotant, qui tenait son cap difficilement au-dessus des vagues azurées. La carlingue cabossée avait été redressée à la hâte pour faciliter le pilotage. Le véhicule ne devait de toute façon servir qu'à un aller simple.
Le silence de la cabine de pilotage n'était perturbé que par les gémissements périodiques de ses occupants qui faisaient le moins de mouvements possibles pour ménager leurs corps contusionnés.
Contrairement à leur voyage aller vers Sinnoh, c'était cette fois Bolly qui était aux commandes du petit avion aux couleurs de la Team Rocket, miraculeusement encore en état de marche après que ce maudit Lockpin s'en soit occupé. Charles, quant à lui, était bien incapable de pouvoir tenir un manche ou de bouger plus que son petit doigt. Sa partenaire avait dû le traîner à l'avion, ne cessant pas de pester contre lui, qui hurlait de douleur à cause de ses multiples fractures. Cependant, il était bien loin de s'en laisser compter par la fille blonde qui pilotait les dents serrés.

« Mais, Bolly, pourquoi… tu ne me laisses pas… conduire ? articula-t-il très difficilement.
- Ta gueule. »

Charles tenta de faire une moue agacée, avant de s'interrompre bien vite, terrassé par une violente douleur à sa mâchoire. Il porta la main à sa joue mais, évaluant mal les distances à cause de la fatigue, toucha son nez endolori, ce qui eut pour effet immédiat d'en faire recommencer le saignement. Excédé, il se laissa retomber dans son siège, et abaissa son chapeau sur son visage.

« Je pourrais conduire quand même, marmonna-t-il.
- Je t'ai dit de te taire ! répliqua Bolly, qui avait encore l'usage aisé de la parole.
- Mais, Bolly…
- Pas de « mais ». Ferme-la. Je ne veux plus entendre le son de ta voix jusqu'à ce qu'on arrive à Jadielle. Je crois que c'est la pire humiliation de toute l'histoire de l'organisation. Même Jessie et James ne sont jamais revenus dans cet état. »

Elle pressa sa manche contre la blessure de sa joue, qui menaçait de se rouvrir à chaque instant.

« Je t'en ficherais des grands discours de séducteur.
- Tu ne peux pas nier qu'elle était notre plus belle capture depuis longtemps.
- Ta gueule je te dis. Mais comment j'ai pu rester avec toi tout ce temps…
- Hé ! grimaça Charles en relevant son chapeau. Mais tout simplement parce que je suis irrésis… »

Il grimaça sous la douleur. Bolly venait de lui écraser son tibia déjà fêlé. Il mordit son chapeau à pleine dents. S'il réussit à ne pas crier, il ne put retenir les deux grosses larmes qui dégoulinèrent sur son visage.

« C'est assez clair comme message ça ? Tu es… Tu es… Je ne trouve même pas le mot tiens. En arrivant à Jadielle, la première chose que je ferais, avant même d'aller signaler à l'infirmerie qu'ils viennent te chercher dans cette poubelle volante, c'est demander ma mutation au département des Archives, comme ça je serai au calme, je ne verrai plus ta sale tronche et je ne ferai plus de missions débiles, d'autant plus avec toi. »

Charles ravala ses larmes de douleur.

« Oh, ma Bolly, tu ne peux pas me faire ça.
- Je peux même appuyer tout de suite sur l'éjection de ton siège si tu veux. »

Le regard haineux qu'elle lui lança le dissuada de répliquer. Elle agrippa le manche de l'appareil et le pencha vers l'avant. Les nuages de Kanto s'écartèrent de part et d'autre de la cabine de pilotage. L'avion passa au-dessus de la ville d'Azuria. Alors que l'unité 10 de la Team Rocket se dirigeait vers sa base en survolant la ville qui aurait dû être son objectif, Charles étouffa un sanglot, tandis que Bolly accélérait le plus possible, l'appareil laissant derrière lui une vague et indistincte fumée blanche.





---II---





Ondine et Aurore discutaient de tout et de rien sur le chemin qui les ramenait au Centre Pokémon. La championne repositionnait souvent de la main ses longs cheveux roux désormais libérés – ce à quoi elle n'était pas encore tout à fait habituée. Depuis leur discussion à l'entrée de la ville, elles s'efforçaient de se prouver à l'une et à l'autre que leur gêne mutuelle avait disparue. Pourtant, Ondine sentait qu'il restait quelque chose en suspend. Peut-être parce que, si Aurore avait sous-entendu qu'elle savait, elle n'avait pas pour autant expliqué son propre comportement. Bref, peu importe, maintenant que cette journée se termine, on verra sans doute plus clair demain, pensa Ondine. Sacha et Pierre étaient toujours en retrait, Ondine se l'était assuré par un bref coup d'œil – un seul – derrière elle. Les bruits de la nuit urbaine l'empêchait d'entendre ne serait-ce que des bribes de leur conversation. Au fond d'elle-même, elle le regrettait. Elle aurait tant voulu savoir ce qu'il disait, puisqu'ils devaient sans doute parler de ce qui s'était passé dans la forêt. Et s'il me pose la question, qu'est-ce que je pourrais bien lui répondre ? Autant ne pas se la poser à l'avance.

« Si je me souviens bien, le Centre Pokémon est à la prochaine à droite ! dit Aurore avec satisfaction.
- Je ne suis pas fâchée d'être rentrée. Je ne veux qu'une chose, une bonne et longue douche… soupira Ondine. »

Alors qu'elles allaient tourner au coin de la rue, Ondine sentit un bras passer sous le sien et la tirer derrière elle. Elle se rendit compte qu'Aurore aussi était entraînée.

« Allez ! Je suis sûr qu'on va passer une super soirée ! s'exclama Sacha. Venez, on va faire un tour en ville et, surtout, on va se trouver un bon restaurant ! »

La championne, interloquée, se laissa porter bras dessus bras dessous sur quelques mètres, jusqu'à ce que Sacha tourne sur une grande artère, sur leur gauche. Il semblait se forcer à rigoler. Elle tourna la tête et rencontra le regard d'Aurore, qui semblait elle aussi se demandait ce qui lui prenait.

« Ahah ! s'amusa le jeune dresseur. Je meurs de faim ! Pas vous les filles ?
- Moi, j'ai surtout envie de poser mes affaires au Centre Pokémon ! répliqua Aurore.
- Et moi je rêve d'une douche longue, chaude et relaxante… rajouta Ondine.
- Allons, ça peut bien attendre un peu, nous allons d'abord trouver un joli buffet à volonté. Pierre, tu te dépêches ? cria-t-il.
- J'arrive, j'arrive… répondit l'aîné du groupe d'un ton las. »

Sacha marchait d'un bon pas, volontaire et déterminé, en traînant toujours de ses deux mains Aurore et Ondine. Cette dernière ne put s'empêcher de s'amuser de ce soudain accès d'enthousiasme, qui ne laissait pas de l'interpeller, cependant. Sacha cherchait des yeux un restaurant qui pourrait convenir à son estomac qui criait famine, lorsqu'Aurore se dégagea de son étreinte.

« Mais, Sacha ! Pourquoi on ne pourrait passer au Centre avant d'aller chercher un restaurant ? J'ai mon sac sur le dos, j'aimerais bien m'en débarrasser avant d'aller manger. Et je crois que nous avons tous besoin d'une bonne douche après notre escapade dans la forêt !
- Tiplouf, Tiplouf ! approuva son Pokémon.
- Oh, eh bien, répondit Sacha en cherchant ses mots, si tu veux, tu n'as qu'à passer au Centre en vitesse pour déposer tes affaires et tu nous rejoindras au restaurant ! On y va Ondine ? »

Se faisant, il agrippa plus fermement le bras de son amie et continua sur la grande avenue d'Unionpolis. Aurore, laissée derrière, avait la bouche grande ouverte, à tel point qu'on croyait qu'elle allait se décrocher la mâchoire. Pendant ce temps, Ondine, incrédule, se laissait porter par Sacha, ne pouvant croire ni ses yeux, ni ses oreilles. Pierre s'était arrêté à côté d'Aurore, les bras croisés, en regardant ce drôle de tableau. Les lumières de la ville rendaient la scène assez singulière, si elle ne l'était déjà pas assez elle-même, faisant passer alternativement le visage halluciné d'Ondine de la clarté à l'obscurité. Elle se ressaisit et glissa à Sacha qui s'était déjà suffisamment éloigné de leurs deux autres amis pour ne plus pouvoir les entendre.

« Tu peux m'expliquer ce que tu fais ?
- Non. J'ai faim c'est tout, ça ne s'explique pas !
- Non pas que j'aie oublié ce qu'avoir faim signifie pour toi Sacha, mais tu es vraiment sûr qu'on ne peut pas passer en vitesse au Centre, ne serait-ce que pour se changer ?
- Absolument, se dépêcha-t-il de répondre. Pourquoi perdre notre temps au Centre, quand les restaurants d'Unionpolis nous tendent les bras ! Tu vas voir, ce n'est pas la première fois que je viens, je connais les bons coins. Et puis ce soir, c'est le marché dans la vieille ville ! Il y aura plein de monde, nous n'aurons pas assez de toute la nuit, alors pourquoi passer par le Centre ? »

Ondine stoppa net et dévisagea son ami, avant d'interroger Pikachu du regard, qui lui un visage mi-amusé, mi-dubitatif. Nous n'aurons pas assez de toute la nuit ?! Mais qu'est-ce que… ? Elle reporta son attention sur le dresseur.

« Tu peux me confirmer que ton passage dans la forêt ne t'a pas rendu plus dingue qu'avant hein ? »

Sacha recula d'un pas en rougissant, ce qu'Ondine ne manqua pas de remarquer, mais il se reprit bien vite.

« Heu, non, enfin, je veux dire, oui, évidemment, ça n'a rien à voir. Mais cette escapade et la Team Rocket combinées m'ont donné faim ! Tu peux bien comprendre ça, dis ?
- Evidemment, soupira-t-elle. »

Elle tourna la tête pour tenter de se repérer, lorsqu'elle vit un panneau indiquant que le Centre était à proximité de leur position. Sacha avait beau être déjà venu, il semblait qu'ils n'avaient fait que décrire une sorte de cercle autour du Centre plutôt que de s'en être vraiment éloignés.

« Regarde Sacha, le Centre est juste là. Allez, s'il te plaît, allons nous changer, après tu me montreras tout ce que tu sais sur Unionpolis ! termina-t-elle avec un clin d'œil. »

Le cœur de Sacha s'emballa malgré lui dans sa poitrine. Mais elle avait pris cette habitude pendant qu'il était à Hoenn, ce n'était pas nouveau ! Pourtant, il ne s'y était pas encore habitué. Quant à elle, elle retint un rougissement, ne s'attendant pas à provoquer un tel trouble avec un simple clin d'œil, comme elle en distribuait des tas depuis son retour à Azuria. Une autre façon de montrer qu'elle avait grandi, sans doute.

« Euh, peut-être qu'on peut demander si le restaurant a une douche au premier étage ? »

Ondine dévisagea son ami avec des yeux grands comme des soucoupes. Elle fit deux pas vers lui et lui prit son bras, exactement de la même manière qu'il l'avait fait avec elle quelques minutes auparavant.

« C'est décidé, on va voir l'Infirmière Joëlle, visiblement, ton cas est plus grave que je ne pensais ! »

Sacha enleva sa casquette et la serra, prêt à la mordre. Raté en beauté…



***



Ondine traînait encore Sacha lorsqu'elle arriva à l'entrée du Centre Pokémon, où les attendaient Aurore et Pierre. Ce n'est que lorsqu'elle réalisa la situation qu'Ondine lâcha précipitamment la main du jeune dresseur pour aller rejoindre la coordinatrice. Pierre s'approcha de Sacha.

« Visiblement, ça n'a pas réussi, fit-il remarquer à mi-voix.
- Non, tu crois ?
- De toute façon, il fallait bien revenir un moment ou un autre au Centre, tu sais. »

Sacha soupira profondément et était prêt à répondre lorsque Pierre fit remarquer :

« Par contre, ça aurait peut-être été mieux si tu avais réussi à l'éloigner un peu plus longtemps…
- Pourquoi tu dis ça ? »

En guise de réponse, Pierre désigna la porte d'entrée du Centre d'un mouvement de la tête. Ondine et Aurore s'apprêtaient à rentrer lorsqu'une meute de journalistes surgit en une foule compacte et déchaînée de l'infirmerie Pokémon et entourèrent immédiatement la championne d'Azuria et la coordinatrice de Bonaugure.

« Mademoiselle Ondine, une réaction s'il vous plaît !
- S'il vous plaît, le SinnoHebdo a couvert toute votre escapade depuis Kanto, voudriez-vous répondre à une ou deux questions ?
- La Gazette d'Azuria, nous sommes venus exprès pour vous ! Auriez-vous une déclaration à faire ? Pourquoi avez-vous quitté l'arène ?
- Ici Kanto-Matin, confirmez-vous les déclarations de votre sœur Violette qui a affirmé hier que vous aviez des problèmes personnels ? C'est pour ça que vous êtes à Sinnoh ?
- Ondine, Sinnoh Live News, allez-vous répondre à une convocation disciplinaire de la Ligue Indigo si cela était le cas ? »

Et les questions, et les demandes, et les crépitements de flashs de continuer. Ondine était éblouie. Elle se couvrit le visage de sa main, pour essayer de passer à travers la nuée.

« Mademoiselle, demanda un journaliste à Aurore, vous êtes une amie d'Ondine ?
- Oh, hé bien, je… répondit Aurore, flattée.
- Pour le Sinnoh du Jour, vous voudriez bien me dire ce que fait Ondine dans notre pays ? »

Aurore bafouillait, hésitait à répondre, tiraillée entre sa joie de répondre à sa première interview et sa crainte de blesser la championne avec qui elle commençait à peine à s'entendre. Ondine ne la voyait pas, elle était dans une espèce de flottement incertain. Les déclencheurs des appareils photos, la horde de micros telle un gigantesque hérisson, formaient une masse irréelle de bruit et de vacarme qui paradoxalement la ramenait brusquement à la réalité de sa situation. Elle était à Sinnoh, elle s'était enfuie de son arène. Cette dure situation la rattrapait d'un coup. Les yeux dans le vague, elle fit trois pas. Voyant qu'elle ne pouvait plus passer, des micros aux formes et aux couleurs diverses (ici PokITV, là Bonjour Sinnoh, là encore Hoenn-Info), elle tenta de se retourner pour accrocher des yeux le visage de Sacha, mais un flash déclenché au moment où elle tournait la tête l'éblouit de telle sorte qu'elle ne voyait plus rien. Elle resta les yeux fermés quelques secondes. Elle fit le vide autour d'elle et prit sa décision. Avec un geste nonchalant, elle avança, malgré le mur de journalistes. Elle prit délicatement une Pokéball à sa ceinture et la laissa tomber sur le sol, comme si de rien n'était. Puis elle s'extirpa de la foule en jouant des coudes et ouvrit la porte du Centre. Sans se retourner, elle ne put s'empêcher d'avoir un grand sourire en entendant les hurlements des journalistes qui découvraient un Léviator déchaîné apparaître au milieu d'eux.



***



Ondine sécha ses cheveux, complètement délassée après cette douche salvatrice. Elle s'habilla d'une élégante tenue d'été, légère et sombre, sans rien dire, la tête basse. La scène à l'entrée du Centre la faisait réfléchir. En quelques secondes, malgré le ménage effectué par Léviator, elle venait de réaliser l'ampleur de sa fugue. Certes, les journalistes ne risquaient plus de venir la déranger pendant cette soirée, mais elle ne pouvait plus se voiler la face plus longtemps. Tous les journaux du pays – non, du continent tout entier – étaient à ses trousses. L'arène d'Azuria était devenue le centre d'attention de tous les dresseurs Pokémon du monde. Quelque chose qu'elle n'avait jamais voulu, jamais. Une boule monta dans sa gorge, la faisant s'étrangler. Son séjour à Sinnoh en était au point de rupture, les micros et les caméras ayant brisé la bulle qu'elle s'était imaginée construire autour d'elle. Ondine se leva, inspira et sortit de la salle de bain. Dans le couloir, elle croisa Aurore, une serviette et une trousse de toilette dans les mains. Les deux jeunes filles se sourirent.

« La place est libre, déclara Ondine.
- Merci, répondit Aurore. On se retrouve en bas ?
- Bien sûr, dit la championne avec un sourire. »

Elle tint la porte à la jeune coordinatrice et la ferma derrière elle. Elle descendit les escaliers et plaqua un large sourire sur son visage. Pas question de me laisser voler cette soirée. Ni par la Team Rocket, ni par un général dingue dans un royaume des sables, ni par une autre catastrophe ou je ne sais quoi.

D'un mouvement léger, elle arriva au rez-de-chaussée où elle retrouva Sacha et Pierre qui eux étaient sortis depuis longtemps de la salle de bain. Ils avaient tous les deux la mine particulièrement sombre, surtout Sacha dont le visage semblait s'être décomposé par rapport à son attitude de tout à l'heure.

« Vous en tirez une tête les garçons. Quelque chose ne va pas ? demanda Ondine d'une voix où perçait malgré elle l'inquiétude.
- L'Infirmière Joëlle veut te parler, répondit Sacha les yeux baissés, désignant l'accueil du doigt.
- Tout va bien Sacha ? »

Il hésita, serra les poings et se racla la gorge.

« J'imagine qu'il le faut bien… »

Sur cette réponse sibylline, Ondine se dirigea vers l'accueil, un nœud à la place de l'estomac. Qu'est-ce qu'on va encore m'annoncer ? Ce n'est pas possible d'avoir des journées normales à partir du moment où je ne suis pas dans l'arène ? se lamenta-t-elle.
Elle posa les deux mains sur le bureau de l'accueil, attendant que l'Infirmière veuille bien sortir des chambres de soin pour les Pokémon. De loin, elle aperçut l'éclat roux de ses cheveux et abandonna immédiatement ce qu'elle faisait pour venir à sa rencontre.

« Bonjour ! Tu es bien Ondine d'Azuria n'est-ce pas ?
- Oui, tout à fait.
- Je suis heureuse de te rencontrer enfin. J'ai eu un tas d'appel au Centre aujourd'hui de la part de gens qui voulaient te parler.
- Des gens ? Quels gens ? Idiote, rajouta-t-elle pour elle-même, tu connais déjà la réponse, évidemment.
- Hé bien, les appels venaient surtout d'Azuria, de la part de tes sœurs en fait. Elles souhaitent que tu les appelles, au plus vite. »

Elle baissa violemment la tête, s'agrippant de toutes ses forces au bord de la table. Ses épaules tremblaient légèrement et lorsqu'elle releva la tête, ses yeux nageaient dans leurs larmes retenues.

« Oh, eh bien… J'imagine que c'est ce que je vais aller faire maintenant, n'est-ce pas ? »

L'Infirmière Joëlle joignit ses mains, plus pour les occuper qu'autre chose, gênée devant l'impact qu'avait provoquée cette annonce. A pas lents, la rouquine se dirigea vers le visiophone.
Encore, encore, encore.
Elle s'affala sur le siège d'appel, décrocha le combiné. Avant de commencer à composer, elle annula l'option « vidéo », puis approcha sa main des dix chiffres, froids et sans émotion. Lorsqu'elle appuya sur les deux boutons qui formaient l'indicatif d'appel vers Kanto, elle savait déjà à quoi ressemblerait sa journée du lendemain.



***



Daisy piquait du nez sur son siège et fermait régulièrement les yeux avant de les rouvrir bien vite en sentant qu'elle était en train de tomber par terre. Elle fut tirée de son demi-sommeil en sursaut lorsque la sonnerie stridente de son visiophone retentit juste devant son nez. L'écran était allumé avec les mots « Appel entrant » clignotant en lettres rouges à quelques centimètres de ses yeux. Elle se donna deux claques pour se réveiller – il était tout de même deux heures du matin à Kanto à cause du léger décalage horaire – et décrocha, pleine d'anxiété. Elle n'avait pas manqué de remarquer que l'appel venait du Centre Pokémon d'Unionpolis. Elle mit le combiné à son oreille, se demandant qui allait apparaître à l'écran.
Personne.
Son visiophone restait noir, pourtant elle entendait distinctement une lourde respiration dans le combiné.

« A… Allô ?
- Daisy ? C'est moi.
- Ondine ?! »

Sa sœur avait sursauté en reconnaissant la voix de la championne disparue.

« Tu as demandé à ce que je t'appelle non ?
- Ou… oui, mais pourquoi est-ce que je ne te vois pas ?
- Tu as voulu que je t'appelle, je t'appelle, on n'a peut-être pas besoin de faire une visioconférence. »

Le ton d'Ondine n'était pourtant pas au sarcasme. Daisy perçut une grande lassitude dans les paroles de sa sœur, comme elle l'avait rarement senti chez elle.

« Comment tu vas ? »

Daisy avait laissé parler son inquiétude. Oubliées ses imprécations contre sa sœur qui les avait abandonnées à leur sort avec une arène et une administration furieuse à gérer. L'inquiétude de Daisy grandit lorsqu'elle n'entendit aucune réponse venir.

« Petite sœur ? Tu es là ?
- Oui, répondit une voix faible. »

Ondine ne savait pas quoi répondre à la question de sa sœur. D'abord parce qu'elle ne savait pas vraiment la réponse – et qu'avec ce genre de question, il était bien difficile de répondre un simple « Mal ». Ensuite parce que tout simplement cette simple demande était bien la dernière chose à laquelle elle s'attendait de la part de Daisy. Elle aurait dû m'engueuler ! Me dire que j'étais irresponsable, que j'ai abandonné l'arène, que la situation était catastrophique, qu'il fallait que je rentre tout de suite, prendre le premier bateau. Et elle m'aurait raccroché au nez. C'était bien à ça que devait ressembler ce coup de téléphone non ?

« Ondine, comment tu vas ?
- Ca va, je… »

Daisy attendit, la bouche ouverte, suffoquée par le ton incertain si inhabituel de sa petite sœur. Lorsque Lily entra pour savoir où se trouvait la jeune femme blonde, elle crut qu'elle imitait Magicarpe toute seule et que ces journées de matchs successifs l'avaient définitivement brisée.

« Oui, ça va. Ne t'inquiète pas pour moi. »

Les épaules de Daisy s'affaissèrent. Tout ça pour ça !

« Tu te rends compte qu'on était toutes les trois mortes d'inquiétude ? hurla-t-elle dans le combiné. »

Lily prit précipitamment une chaise pour s'asseoir à côté de sa sœur lorsqu'elle eut réalisé que c'était tout simplement Ondine à l'autre bout du fil.
Daisy entendit un long soupir à l'autre bout du combiné, alors qu'elle-même tentait de reprendre son souffle.

« Oui, je sais. Je suis désolée. Pour tout. »

Daisy pestait intérieurement contre cet écran noir. Pourquoi ne pouvait-elle pas la voir ? Dans quel état était-elle ? En forme ? Fatiguée ? En train de pleurer peut-être ! Peut-être les larmes coulaient-elles en ce moment sur son visage et sa sœur n'en savait rien !

« Ondine, tu peux allumer la caméra ? Lily est avec moi, nous aimerions te voir !
- Non. Ecoutez, je suis désolée pour tout ce que j'ai fait, c'est ma faute si l'arène est dans cette état. En fait, c'est vous qui l'avez sauvée.
- Ondine, interrompit Daisy. On a eu notre Inspection officielle.
- Ah… laissa échapper la rouquine.
- L'arène est maintenue jusqu'à la fin de la saison mais… mais nous sommes convoquées à la Ligue juste après le Tournoi… finit sa sœur. »

Ce fut encore le silence qui lui répondit. Daisy regarda Lily, incertaine, lorsque la voix de la benjamine retentit à nouveau dans le haut-parleur.

« J'irai à la convocation. Et je rentrerai à l'arène. Demain. »

Daisy allait répondre lorsqu'elle entendit un « clic » dans son oreille, suivit des « bip » du téléphone indiquant une tonalité vide. Lily avait entendu, comme elle. Elle exultait.

« Ondine revient, nous sommes sauvées ! Je vais prévenir Violette ! »

Elle sortit de la pièce à toute allure et descendit les escaliers. Daisy resta encore assise, le combiné dans ses mains. Oui, Ondine allait revenir. Mais Lily ne semblait pas avoir entendu tout ce qu'elle avait entendu. C'était bien un sanglot étouffé qu'elle avait perçu avant que sa sœur ne coupe la communication. Un simple sanglot chargé de tant d'émotions différentes.

« Petite sœur… »

Daisy raccrocha.

« Pardon… »




---III---




Ondine se passa la main sur le visage pour se redonner une contenance avant d'aller rejoindre les autres qui l'attendaient sur un des canapés du hall. Sa respiration était difficile, sa gorge nouée, obstruée par une boule d'angoisse qui montait et redescendait. Elle s'approcha de Pierre et de Sacha ; ce dernier avait la tête posée sur ses genoux repliés. Il quitta sa position d'inquiétude lorsqu'il vit son amie revenir de la cabine téléphonique. Il déglutit, mais n'osa pas poser de questions. Ondine s'arrêta ; leurs regards se rencontrèrent de longues secondes, deux paires d'yeux entre lesquelles était suspendue une question invisible et inavouée. Tu vas repartir, c'est ça ?

Ondine choisit de briser l'instant, ne pouvant supporter plus avant le regard de Sacha.

« Alors, on va la voir cette fête ? »

Pierre et Sacha se regardèrent interloqués.

« Mais… Et ce coup de téléphone ? demanda le jeune dresseur, hésitant.
- Ca va. C'était effectivement mes sœurs. Je vous attends dehors ? J'ai besoin de prendre l'air. »

Ondine se retourna et marcha d'un pas leste vers la sortie. Avant de passer la porte principale, elle entendit la voix d'Aurore descendre les escaliers.

« Je suis enfin prête ! Et je crois que j'ai aussi faim que Sacha, c'est dire ! »

Aurore s'approcha du canapé où étaient restés les deux garçons. Sacha n'avait pas l'air de vouloir se lever.

« Alors ! Qu'est-ce qu'on attend ?
- Tiplouf ! Tiplouf ! pépia le petit pingouin.
- Aurore ! appela Ondine depuis la porte.
- J'arrive, Ondine. Allez, debout les garçons. »

Les deux filles sortirent du Centre le sourire aux lèvres. Pikachu sauta de l'épaule de son dresseur et courut après elle.

« Pika ! Pikachu-Pi ! »

Pierre se leva, suivi de près par Sacha. Ils rejoignirent les autres à l'extérieur et se dirigèrent vers les lieux des réjouissances, même si pour certains, le cœur n'était pas à la fête.



***



Après avoir quitté le Centre Pokémon, ils se laissèrent porter dans les rues de la ville par les sons, les chants et les rires de la fête du Marché annuel d'Unionpolis. Leur parcours les mena dans la vieille ville, entrelacs pittoresque de rues pavées et de commerces traditionnels. De multiples lampes de toutes les couleurs illuminaient la nuit ; les passants étaient nombreux, la plupart accompagnés de leurs Pokémon, tous heureux de cette ambiance de fête. En passant devant la terrasse d'un restaurant et constatant les gargouillis que faisaient tous leurs estomacs, ils décidèrent de s'attabler avant d'aller explorer plus loin ce fameux Marché, célèbre dans tout Sinnoh.
Tandis qu'Aurore et Sacha mangeaient pour quatre, Ondine, assise à côté de ce dernier, le menton au creux de sa main, regarda autour d'elle. Une guirlande de lampions était tendue à travers la rue où ils se trouvaient ; les éclats jaunes, rouges et bleus s'entremêlaient en un arc-en-ciel de couleurs nocturnes. Au coin de la rue, devant elle, des dresseurs et leurs Pokémon dansaient ensemble au son des instruments traditionnels. L'atmosphère qui régnait là lui donnait l'impression d'avoir quitté la grande ville d'Unionpolis, d'avoir quitté Sinnoh et d'être rentrée dans une bulle qu'elle ne voulait pas voir percée.

Pierre, assis en face d'Ondine, lui glissa discrètement :

« Qu'est-ce que tu as Ondine ? »

La voix grave de l'aîné de groupe la ramena à la réalité.

« Heu, rien, tout va bien, j'étais juste en train de… de réfléchir.
- A quoi tu réfléchichais ? demanda une voix à sa droite. »

Ondine se retourna pour voir Sacha la bouche pleine, une feuille de salade qu'il n'avait pas encore avalée lui pendouillait sur le menton. Ondine haussa un sourcil, prête à rire aux éclats.

« A rien. Toi en revanche, tu devrais réfléchir à te tenir mieux à table. »

Elle se tapota le menton avec son doigt en regardant Sacha. Celui-ci se rendit compte de la présence de l'invitée indésirable, qu'il retira rapidement avant de l'avaler. Il rougit furieusement de s'être laissé prendre de cette façon. Ondine regarda Sacha répondre à la provocation d'Aurore qui l'avait gratifié d'une remarque bien sentie sur sa façon de manger. Elle oublia de suivre la conversation pour se perdre dans la contemplation de la scène. Elle aurait voulu que cette soirée en reste là, immobilisée. Elle était en train de craquer.

« Je vais me rafraîchir un peu plus loin, déclara-t-elle subitement avant de repousser sa chaise et faire quelques pas dans la rue.

Qu'est-ce que je peux croire ? Je quitte Sinnoh demain matin !

Pierre la rejoignit, laissant Sacha et Aurore terminer leur dispute.

« Tu veux rentrer au Centre ?
- Non, surtout pas, répondit-elle avec précipitation. En fait, se reprit-elle, je n'ai plus faim, je vais juste vous attendre à la fontaine là-bas, vous n'aurez qu'à m'y rejoindre.
- Très bien, je vais prévenir les autres, s'ils veulent bien m'écouter… »

Ondine sourit à Pierre et le laissa repartir.
De la fontaine de la vieille ville, on pouvait entendre le doux bruit de l'eau qui s'échappait de la sculpture en forme deux Milobellus qui s'entrecroisaient. En perdant son regard dans la petite cascade, elle se remémora ces mots qui lui faisaient horreur.
Tout ce chemin pour Sacha ? Sans savoir comment il allait te retrouver ? C'est diablement risqué comme pari… Tu étais sûre qu'il allait t'accueillir à bras ouverts ?
Mais pourquoi croire cet imbécile de la Team Rocket avec son chapeau ? Pourtant, les mots sonnaient tellement juste. Elle se les était tellement répétées, ces mêmes questions, ces mêmes interrogations. En vérité, aussi loin qu'elle pouvait se souvenir, ces doutes la harcelaient depuis qu'elle avait quitté Sacha. Voire même avant. Combien de fois avait-elle hésité, puis avait reculé, croyant que ce n'était pas le bon moment ? Elle voulait être maîtresse de sa vie et refusait plus que tout au monde d'envisager la possibilité d'essuyer une défaite. Elle voulait garder espoir, refusait de s'avouer vaincue devant l'immaturité de ce garçon.

Elle s'assit sur le bord de la fontaine et laissa sa main traîner dans l'onde douce. Elle referma le poing brusquement sur l'eau qui s'en échappait. Un cri lui traversa l'esprit. Je n'ai pas cessé de penser à elle ! Elle ferma les yeux pour tenter de se souvenir. La forêt. La paralysie. Sacha qui courait vers elle. Etait-ce bien Sacha qui avait crié cela, près d'elle ? Ce Tartard t'aura fait imaginer ce que tu voulais entendre…

« Ondine ! »

Elle se redressa en entendant sa voix. Sacha s'approcha d'elle, suivi par Pierre et Aurore, en retrait.

« Tout va bien ?
- Oui, j'avais juste besoin d'un peu de fraîcheur, dit-elle en souriant et en montrant la fontaine.
- Alors, quel est le programme ? demanda Pierre.
- J'ai vu sur des affiches que le marché organisait une démonstration amicale de coordinateurs Pokémon, exulta Aurore. Il faut absolument que je voie ça. Et voir si on ne peut pas s'y inscrire !
- J'aurais voulu passer un peu de temps dans les étals du marché, dit Pierre. Unionpolis est célèbre pour ses fournitures d'éleveur, il faut que je réapprovisionne mes stocks.
- Oh… On m'a parlé d'une petite compagnie de théâtre Pokémon qui ferait le tour de Sinnoh, dit Ondine. J'aimerais beaucoup voir à quoi ça ressemble.
- Hé bien, nous n'avons qu'à nous séparer, puisque nous ne pourrons pas tout voir dans la soirée, répondit l'aîné du groupe. Sacha, que vas-tu faire toi ?
- Oh, heu, hé bien… (Il hésita, regarda Pikachu qui croisa les bras et secoua la tête, signifiant par là qu'il n'allait certainement pas prendre une décision). Il n'y a pas de tournoi Pokémon j'imagine ? (Ses trois amis secouèrent la tête en même temps). Bon, bah, c'est que… (Il regarda Ondine d'un air désespéré). Je ne suis pas sûr… euh d'aimer le théâtre alors… (Il regarda Pierre, à la recherche d'une aide quelconque ; ses yeux s'agrandirent de terreur en entendant les mots qu'il prononçait)… mais, euh… mais je me souviens que ma mère m'a souvent dit que ce serait bien pour moi d'y aller une fois de temps en temps, pas vrai ? (Il partit d'un rire faux pour se donner une contenance.) »

Le visage d'Ondine s'était éclairé.

« Bien. Nous nous retrouverons au Centre pour la nuit alors ! »

Elle tourna les talons, cherchant des yeux l'endroit où avait été disposé le petit théâtre Pokémon. Sacha regarda Pierre, qui lui intima d'un mouvement sec de la tête de la suivre. Aurore avait baissé les yeux, un petit sourire aux lèvres.



***



Ondine et Sacha s'assirent sur un des bancs libres destinés aux spectateurs de la pièce. La représentation du soir, qui avait attiré comme d'habitude de nombreux badauds et amateurs, s'intitulait Papilord et Charmillon. La compagnie du Petit Théâtre Pokémon s'était rendue célèbre pour ses pièces dont les acteurs n'étaient que des Pokémon, l'histoire étant raconté par un narrateur situé dans la coulisse. Ondine en avait beaucoup entendu parler, mais n'avait jamais eu le temps, ou plutôt l'envie d'y aller lorsqu'elle était à Azuria.

« Merci de m'avoir accompagnée Sacha.
- De rien. C'est vrai, je suis tout aussi curieux de savoir ce que valent les Pokémon sur une scène de théâtre. »

Ondine remplit ses poumons de l'air frais de la nuit. C'étaient ses derniers instants à Sinnoh. Elle ignorait si Sacha le savait, mais elle voulait repousser au maximum le moment de le lui dire. Faire comme si, pour une fois, cette soirée pouvait avoir un lendemain.

Sacha s'agita et sembla chercher quelque chose dans sa veste.

« Qu'est-ce que tu fabriques encore ? demanda-t-elle.
- Attend un peu ! »

Il enfouit profondément sa main dans une poche intérieure et en ressortit un objet qu'il exhiba avec un grand sourire.

« Oh ! Mais c'est mon hameçon… »

Dans ses mains pendait à un fil l'appât à son effigie, qu'elle lui avait envoyé lors de sa passe difficile au Tournoi Extrême de Kanto.

« Tu l'as gardé… souffla-t-elle.
- Evidemment que je l'ai gardé ! A quoi tu t'attendais ? Tu sais, c'est avec lui que j'ai capturé Mustebouée que tu as vue cet après-midi à l'arène. »

Ondine ne répondit rien. Tout tournait dans sa tête.

« Tu… »

Elle hésita, pendant plusieurs secondes qui lui semblaient des heures.

« C'est vrai ce que tu as dit ?... Dans la forêt ? »

Sacha rabaissa sa main. Il tenait toujours l'appât ; il baissa la tête et le regarda.

« Dans la forêt ? Quand ça ? »

Les épaules d'Ondine s'affaissèrent. Mais il le fait exprès… ?

« Quand tu as dit que… tu pensais à moi.
- Mais oui, bien sûr que c'était vrai. J'espère que c'était ton cas aussi, finit-il en la regardant avec un sourire.
- Ou… oui, bien sûr, évidemment, qu'est-ce que tu crois ? »

Ondine bouillait intérieurement. Le ton de la réponse de Sacha était si… désinvolte ! Sacha avait tout simplement désamorcé la discussion qu'elle avait tentée d'ouvrir. Elle se tut, mais il brisa le silence qui s'installait entre eux.

« Alors, tu ne me l'as pas dit, finalement… »

Les yeux d'Ondine s'agrandirent et elle crut que ses cheveux se dressaient sur sa tête, malgré le fait qu'ils n'étaient plus attachés.

« Que… que je ne t'ai pas dit quoi ?
- Pourquoi tu étais venue à Sinnoh. Sans prévenir personne. »

Les battements fous du cœur d'Ondine s'apaisèrent quelque peu. Elle inspira comme pour commencer une phrase mais retint son souffle. Au dernier moment, elle changea son idée.

« Vous me manquiez. »

Le sourire de Sacha s'agrandit.

« Toi aussi, tu nous manquais.
- Alors pourquoi m'avoir laissée sans nouvelle ? répondit-elle, sentant remonter ce sentiment de révolte qui la prenait si souvent à Azuria.
- Je ne sais pas.
- Tu ne sais pas ?! C'est tout ce que tu es capable de me dire ? »

Sacha gémit intérieurement. C'était tout ce qu'il était capable de dire, oui, même s'il sentait que ce n'était pas tout ce qu'il aurait pu dire. Mais si j'en dis plus, qui sait ce qu'elle pourrait croire ? Il avait refusé d'avouer quoi que ce soit à tous ceux qui leur avaient fait des allusions, ce n'était pas pour baisser sa garde maintenant, qui plus est devant Ondine elle-même. Elle rira tellement. Pas question de m'humilier comme ça !

« Au début… je ne voulais pas que tu sois triste de devoir rester à Azuria. Sinnoh est une si belle région et la Ligue est tellement passionnante ! J'aurais pu paraître trop enthousiaste… C'est débile, je sais. »

Ondine se taisait, le laissait continuer.

« Après… Le temps passait et je me suis mis à avoir peur que tu ne te vexes du temps que je mettais à te donner des nouvelles. Et finalement je n'en ai pas donné. J'espérais que peut-être ma mère pourrait t'en parler, te dire où j'en étais.
- Et dans tout ça, tu ne m'as pas oubliée ?
- Non ! Jam… »

Il s'étrangla. Ondine avait tourné la tête vers lui.

« Jamais, acheva-t-il. »

Ondine s'appuya sur le dossier du banc pour relever la tête vers le ciel étoilé.

« Alors nous avons fait la même chose, finalement. »

Il sourit de ce demi-aveu qui lui paraissait finalement une sorte d'excuse pour ses propres absences.

« Bon, voyons plutôt ce que nous réservent ces jolis Pokémon ! s'exclama-t-elle en dépliant le programme, tandis que Sacha faisait de même. »



Papilord et Charmillon. Situé au plus profond de la forêt d'Unionpolis, le royaume de Papilord est en effervescence puisque son nouveau Roi prend aujourd'hui le pouvoir, après la fin du long et juste règne de son père. Papilord revient d'une longue série de voyages à travers le monde entier, à Kanto, Johto et Hoenn. Hoenn où il aima passionnément une jolie Charmillon, qu'il ramena avec elle dans son royaume. Le jour de son couronnement, il annonce son mariage. Mais le peuple gronde déjà, hostile à voir une étrangère monter sur le trône. Papilord est écartelé entre elle et les devoirs de la royauté. Charmillon est prête à renoncer. Malgré lui et malgré elle, dans un dernier déchirement, Papilord est contraint de devoir s'en séparer et de la renvoyer sur le continent de Hoenn.


Le brouhaha du public commençait à s'affaiblir. Le narrateur frappa de son bâton les trois coups derrière le théâtre et les lumières s'éteignirent, avant même qu'Ondine et Sacha n'aient pu relever la tête de leur papier pour s'entreregarder une dernière fois avant le début de la pièce.



***



Loin derrière le public se trouvait la rangée d'arbres qui bordait un parc municipal. Au sommet de l'un d'entre eux, une jeune fille avait une vue imprenable sur le public. Elle ne pouvait pas entendre la pièce se dérouler, mais cela n'avait pas d'importance puisqu'elle n'était pas venue pour ça. Elle gardait les yeux fixés sur ces deux dresseurs du public, qu'elle avait suivis depuis qu'ils s'étaient séparés. Tiplouf, sur la branche à côté d'elle, luttait pour maintenir son équilibre. Aurore n'était finalement pas allée à la démonstration des coordinateurs. Mais elle avait eu besoin de venir.

« Alors Tiplouf, nous voilà beaux tous les deux, hein ?
- Tiplouf ! Tiiii, Tiplouf ! »

Elle posa sa main contre le tronc de l'arbre pour assurer sa position. Elle gardait ses yeux fixés sur Sacha, qui avait été en grande discussion avec sa voisine tout le temps qu'ils étaient assis avant que la pièce ne commence. Après les échanges qu'elle avait eus avec Ondine, elle essaya de savoir ce qu'elle ressentait à cet instant. Sa rage de cet après-midi semblait avoir disparu. Elle voulait se mettre en colère, mais elle n'y parvenait pas. Le sentiment bizarre qui lui avait dévoré l'estomac une bonne partie de la journée s'était évaporé. Quand cela exactement ? A l'issue de la bataille contre Charles et Bolly ? Après avoir parlé avec Ondine sur le chemin du retour ?
Elle remercia silencieusement la championne qui ne pouvait pas l'entendre de l'avoir éclairée sur son quotidien avec Sacha et Pierre. Car ce qu'elle s'imaginait ce matin même n'avait finalement aucun sens, pour elle, comme pour lui, elle le voyait bien désormais. Sacha était son modèle, celui pour qui elle voulait réussir, et avec qui elle allait réussir : le Grand Festival lui tendait les bras. Mais Sacha avait Ondine. Et elle devait se l'avouer : au fond, peu lui importait. Si elle avait eu peur, c'était effectivement que Sacha parte. Mais elle le sentait bien, son voyage à Sinnoh n'était pas terminé. Elle n'avait pas fini tout ce qu'elle avait à faire dans son pays natal. Et elle savait que Sacha, et Pierre, seraient là jusqu'au bout.
Elle sauta de l'arbre et se réceptionna sans dommage au sol avant de tendre les bras en l'air.

« Allez Tiplouf ! On descend ! »

Le petit pingouin bleu pépia quelques notes aigues et sauta dans les bras de sa dresseuse, qui eut un éclat de rire en le réceptionnant.

« Allez, on rentre dormir ! Laissons-les finir leur nuit tranquillement.
- Tiii, plouf !
- Demain, nous reprenons la route ! »



***


Leurs mines étaient sombres en sortant du théâtre, comme celle de la plupart des spectateurs. Le chemin du retour au Centre se fit sans un mot. Finalement dans le hall de l'accueil désert, l'Infirmière Joëlle étant partie se reposer dans un local où elle pouvait être réveillée à tout moment si le besoin s'en fait sentir, Sacha ne put s'empêcher de revenir sur ce qu'ils venaient de voir.

« Ca ne devrait pas être possible ! Pourquoi Charmillon n'a-t-elle pas pu rester dans le royaume ?
- Papilord n'avait pas le choix, il le savait depuis le début. Il aura fait tout ce qu'il a pu pour repousser la décision.
- Mais elle aurait pu rester, peut-être pas comme reine, mais elle aurait pu rester avec lui.
- Ils ne voulaient sans doute pas de compromis, mais soit tout, ou rien.
- Ca n'est pas logique. Je ne comprends pas. Et pourtant… Je ne suis plus un petit garçon, hein ?
- Non, sourit-elle en repensant à ses remarques des Iles Orange. Tu n'es plus un petit garçon.
- Tu crois que ça peut arriver, en vrai, ce genre de choix ?
- Je crois oui, répondit-elle les yeux tristes. Mais dans la vraie vie, il est toujours possible d'avoir une suite, et de ne pas en rester là ! conclut-elle avec un sourire. »

Sacha ne répondit rien, réfléchissant à ces dernières paroles chuchotées dans les couloirs du Centre Pokémon endormi. Après s'être changés, ils entrèrent dans leur chambre commune, disposée comme bien souvent en quatre lits superposés deux à deux dans deux coins de la pièce. Aurore et Pierre occupaient déjà la partie droite de la chambre.

« Hé bien, chuchota Sacha, à demain alors…
- A demain, dit-elle dans un souffle. »

Avant qu'il ne monte sur son lit de l'étage supérieur, il sentit une main prendre doucement la sienne. Surpris, il voulut la retirer précipitamment, avant de finalement répondre très légèrement à la pression. Puis il grimpa rapidement les quelques marches de l'échelle et s'enroula dans ses couvertures, la tête face au mur. Le ciel parsemé d'étoiles diffusait une faible lumière à travers l'embrasure de la porte. Alors qu'Aurore et Pierre dormaient déjà depuis longtemps dans les deux lits de l'autre côté de la pièce, Sacha et Ondine s'endormirent, dans un sommeil sans rêve.




---IV---




Ils se levèrent tous très tôt, malgré la courte nuit. Le voyage qui les attendait était encore long, il allait falloir dormir plus tard, sur le chemin. Chacun avait récupéré ses affaires, ses sacs, ses Pokéballs. Ils se retrouvèrent devant le Centre, au petit jour. Personne n'avait encore osé évoquer la destination qu'il fallait prendre, personne n'avait osé évoquer la question d'Ondine. Ils marchèrent ensemble, dans le silence qui semblait prolonger leur nuit. A la sortie d'Unionpolis, ils s'arrêtèrent là où les routes bifurquaient, l'une à l'ouest, l'autre au sud. Ils se regardaient tous les quatre, incertains de ce qu'il fallait faire, ou dire. Ondine parla la première.

« Je crois que c'est le genre de situation où il faut se dire au revoir, c'est ça ? »

Sacha n'osait pas lever les yeux du sol. Il serrait les poings. Aurore eut une mine surprise – elle ignorait cette décision, même si elle la sentait venir.

« Si c'est inévitable… soupira Pierre. Il te faut rentrer à Azuria, n'est-ce pas ?
- J'ai laissé l'arène en plan il y a presque une semaine. C'est ma faute si elle risque la suspension. Je dois y retourner, au moins pour mettre mes affaires en ordre. Quand je suis partie je savais que je n'allais pas avoir le choix de revenir… Mais…
- Mais tu es partie quand même… lui répondit-il avec un sourire. Tu sais, ça m'a fait plaisir de te revoir.
- Moi aussi Pierre. »

Aurore s'approcha de la championne.

« Hum… Contente de t'avoir connue, Ondine.
- Moi aussi.
- Et rappelle-toi, pas la peine de t'inquiéter, termina-t-elle avec un clin d'œil. »

Aurore se retourna et prit le chemin menant vers l'ouest, qui devait les mener vers Joliberges. Après avoir dit un dernier au revoir à la rouquine, Pierre la suivit, laissa Sacha derrière lui. Le jeune dresseur s'approcha d'Ondine.

« Tu ne viens pas alors ?
- Je vais redescendre vers Littorella. Il n'y a plus de bateau vers Kanto avant six jours à Joliberges et je ne peux pas faire attendre l'arène plus longtemps, dit-elle d'un ton d'excuse. »

Sacha ne savait pas quoi dire, les images de la journée d'hier, de la soirée d'hier, lui revenaient inlassablement en mémoire.

« Tu crois qu'un jour on pourra se dire plus souvent bonjour qu'au revoir ? »

Ondine entrouvrit la bouche ; sentant quelques larmes lui venir aux yeux. Elle hésitait. Il lui semblait qu'elle n'avait fait que ça ces jours derniers : hésiter. Voyant qu'elle ne répondait pas, il poursuivit :

« Sois prudente sur le chemin du retour alors… »

Sacha soupira et fit un pas en arrière, puis deux, pour rejoindre les autres.

N'hésite plus !



***


Un peu plus loin sur la route, Pierre remarqua que Sacha ne le suivait pas, et il se retourna pour voir où il en était. Ondine l'avait rattrapé et se retrouvait maintenant pendue à son cou, les mains derrière sa nuque et la tête enfouie au creux de son épaule. Ils restèrent ainsi quelques instants, achevant le mouvement qui avait été interrompu par Charles dans la forêt. Les battements frénétiques venus de leurs poitrines respectives étaient maintenant clairement perceptibles. Elle éloigna un peu son visage et plongea ses yeux dans les siens quelques instants.
Tout doucement, mais sans s'arrêter, elle s'éloigna, laissant ses deux mains s'attarder le plus possible sur ses épaules. Sacha ne bougeait pas, toujours tétanisé. Lorsque, dans un mouvement d'une lenteur surnaturelle, elle rompit finalement le contact de ses mains, Sacha leva précipitamment les siennes pour les rattraper. Elle lui rendit un sourire étincelant et les lui serra. Elle se rapprocha. Sacha crut que le monde et le plateau d'Unionpolis vacillait autour de lui, lorsqu'Ondine enfouit finalement à nouveau sa tête dans le refuge de son cou. Elle releva légèrement son visage et lui chuchota, longuement, quelque chose au creux de son oreille, laissant vagabonder sa main sur sa nuque, à la base de ses cheveux.
Puis elle repartit dans la direction opposée en agitant la main. Après toute cette scène, le visage de Pierre était fendu d'un large sourire lorsque son meilleur ami le rejoignit, encore plus rouge que les joues de son Pikachu sur son épaule, heureux témoin de ces secrets chuchotements.
Il s'attendait à le voir encore sortir de ses gonds devant le regard lourd de sens qu'il lui lançait. Un regard qu'il lui avait pourtant adressé de nombreuses fois depuis le début de leur voyage commun. Pourtant, Sacha ne répondit pas. Il ne fit que regarder Pikachu, en lui rendant un sourire béat. J'imagine que pour lui, c'est déjà beaucoup. Pierre eut un sourire en coin en emboîtant le pas au jeune dresseur. Sur son épaule, Pikachu était encore retourné et regardait derrière eux. Peut-être était-il le seul à avoir la possibilité de le faire : regarder dans la direction opposée vers laquelle il marchait. « Pikapi ! Pikachu ! Pikachu-pi ! criait-il en agitant les bras. » Au pied de la butte qui menait à la route du départ, attendait Aurore en croisant les bras, impatiente, d'un air malicieux. « Sacha ! On ne va pas t'attendre toute la journée ! »


Alors que les tous premiers rayons du soleil pointaient au-dessus de Sinnoh, le jeune dresseur s'était arrêté en haut de la butte. Il inspira l'air frais du matin. Il s'était promis de ne pas se retourner. Mais – encore une fois – sa volonté dut battre en retraite. Les yeux brillants, il fit volte-face. Au loin, Ondine avait elle aussi cédé. Ensemble, ils levèrent la main, ne l'agitèrent pas, ne firent aucun grand geste. Il enleva sa casquette avec un grand sourire et fit trois pas en arrière.
Sacha s'éloignait d'Ondine, de cette jolie rousse qui l'avait enfin vaincu.
Ils se séparaient à nouveau en sachant que les choses, cette fois-ci, étaient différentes. Et c'est avec des regrets mêlés de joie qu'ils se perdirent de vue, dans un horizon lumineux qui semblait leur sourire.


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