Lorekeeper de Marushium
Retour à la liste des chapitres
Evaluation de Ramius
Expression
Globalement bonne, mais parfois inégale. Ton expression, je pense, est le point faible de la fic. Commençons par les points négatifs.
Tes dialogues sonnent parfois un peu faux, notamment celui du chapitre 2 (vers le milieu). La colère d’Amaryllis et celle de la doyenne, même si cette dernière est moindre, sont bien ressenties ; mais les phrases sonnent trop réfléchies pour deux personnes en colère. À l’oral, on a tendance à faire des phrases courtes, chacune contenant une idée : si besoin, on ne marque pas de pause et on enchaîne sur une autre. Des phrases trop longues et reliant plusieurs idées, comme celles dont se servent la doyenne et Amaryllis, renvoient plutôt à une forme de discours formel : parfois passionné, mais toujours mesuré. C’est encore justifié pour la doyenne, mais cela atténue grandement l’effet de la colère d’Amaryllis, qui est donc perçue de façon plus confuse par le lecteur. On s’attend plutôt à ce qu’elle coupe la parole à sa mère dès que cette dernière a fini d’énoncer un argument, pour montrer à quel point il est stupide, inutile, qu’il ne justifie rien,
etc. Et le tout, avec des phrases plus courtes et hachées : par des points d’exclamation, par des tirets, éventuellement par des renvois directs à la doyenne (« Tu y avais pensé, à ça ? », « Non, laisse-moi finir ! » pour ne pas se faire couper la parole, et ainsi de suite) ou des inspirations rapides quand le souffle commence à manquer…
La plupart des autres dialogues sonnent mieux, et je pense en particulier à l’explosion de colère d’Amaryllis du chapitre 6 qui est totalement crédible. J’incline à penser que tu as écrit le chapitre 2 rapidement pour pouvoir poster à temps ; le reste de la fic fait moins brouillon. Je cite quand même la cohérence des temps parfois hasardeuse : dans le récit du passé d’Amaryllis au chapitre 3, le plus-que-parfait passerait mieux que le passé composé, qui s’emploierait dans un récit au présent.
Une ou deux relectures supplémentaires (voire un bêta-lecteur pour une prochaine fic, si tu n’en as pas encore) ne feront donc pas de mal au tout, il reste un petit nombre de coquilles. Une balise erronée au chapitre 6, quelques points manquants à la fin d’un paragraphe… Pas grand-chose, mais gare à ne pas laisser tout cela s’accumuler. Il est également plutôt inhabituel de trouver deux marques de ponctuations en même temps pour les dialogues, mais pas forcément répréhensible, l’ensemble est parfaitement compréhensible (et surtout lisible).
Voilà pour les inégalités. Les forces de ton expression sont plus à chercher du côté d’une narration fluide, et de petits jeux de style que tu te permets régulièrement, du « colosse carmin » et du « cétacé céruléen » à « la pauvre lithosphère locale » en passant par un emploi judicieux des ongles de la doyenne ; quelques figures classiques se glissent sans peine parmi eux, comme l’image des rayons de soleil filtrant à travers un feuillage. De plus, tu parviens à utiliser la mise en gras à bon escient ; loin d’être anecdotique puisqu’on en voit rarement. Surtout, je note que tu portes une attention particulière à tes fins de chapitre, sans forcément en faire des cliffhangers, et cela paie puisque chacune est appréciable sans qu’il n’y ait deux fois la même.
L’expression est donc assez agréable pour porter le récit : malgré ses quelques faiblesses, elle est simple et c’est une force.
Histoire
Directe, mais offrant une fin frappante et assez inattendue. J’aurais tendance à dire que les personnages sont le point fort de ta fic, mais l’histoire ne démérite pas.
Une fois de plus le chapitre 2 fait un peu tache ; il expose le lecteur à la situation particulière d’Amaryllis avec une grande brutalité. Tout est soudain, et le travail que tu as fait sur les problématiques que tu abordes rend d’autant plus difficile leur exposition rapide. Pour résumer, tu prends trop peu de temps pour présenter la déviance d’Amaryllis : à la fois en termes de mots, dans le texte ; et dans le temps du récit, en termes de durée passée par Amaryllis à s’écarter de la vision de sa mère et de durée passée par cette dernière à s’inquiéter pour sa fille. Bien sûr, cela est dû une fois encore à une écriture sous la contrainte de temps du concours, mais ce chapitre a du potentiel pour être développé. Une piste pour ce faire aurait pu être de présenter plusieurs scènes différentes à la suite, à des dates éloignées (et donc toutes sauf une en flash-back), montrant de façon accélérée la divergence progressive entre Amaryllis et la doyenne, le refroidissement de leurs relations, jusqu’à ce que la fille dépasse les bornes et que sa mère juge nécessaire de la recadrer par la force. Une telle situation est vraiment explosive ; la tension en est pourtant assez absente, alors que tu montres au chapitre 5 que tu sais la gérer efficacement.
Mis à part cela, ton histoire est difficile à prévoir, malgré une dose appréciable de foreshadowing et un rythme régulier, grâce à son but qui est d’explorer le personnage d’Amaryllis et ses liens avec AZ. Tous les joueurs de la sixième génération ne les auront pas forcément notés, ce qui rend l’arrivée d’AZ plutôt surprenante ; néanmoins, le parallèle entre son histoire et le conte de la doyenne est très intéressant. Il y a une certaine opposition entre les deux ; le conte de la grand-mère présente Rayquaza comme un dieu et n’hésite pas à allonger son propos, alors que l’histoire d’AZ va tout droit à l’essentiel, et la vitesse à laquelle c’est raconté (ainsi que l’ordre légèrement perturbé de la chronologie pour autant que je me rappelle correctement) fait sentir très efficacement à quel point le géant souffre encore de raconter cette histoire. Il sent nécessaire de la partager, mais il veut la contenir et en finir au plus vite avec ce conte ; et c’est complètement retranscrit par les paragraphes aussi courts que possible, ainsi que par la troisième personne qui éloigne au maximum AZ de sa propre histoire.
Pour conclure, cela amène une fin poignante. Les deux dernières phrases en gras du dernier chapitre, en plus d’illustrer ta capacité à te servir de cette mise en forme, frappent vraiment le lecteur. À titre d’exemple : le nombre de 3.497 est objectivement énorme, représentant une durée largement suffisante pour qu’Amaryllis vive les événements de ROSA et donc rencontre Rayquaza, ce qui aurait très certainement une influence importante sur son comportement : on pourrait donc contester le traitement que tu en donnes en la montrant aux côtés de Marie-Lise. Néanmoins, le lecteur est frappé assez fort par la signification de la phrase elle-même, malgré la mention de plusieurs siècles un peu auparavant qui prépare le choc final, pour ne pas du tout se rendre compte de ce détail sur le coup et donc apprécier cette fin sans pinaillage excessif. En somme, la fin de ta fic est aussi soignée que celle de chacun de tes chapitres, et c’est un très bon point.
Personnages
Le point fort de la fic, donc. Tes personnages, du moins les quatre abordés, sont relativement complexes malgré la courte durée de l’histoire, concours oblige.
Je me suis arrangé pour tout dire d’AZ en rubrique Histoire pour ne pas trop paver ici, commençons donc par Marie-Lise. Bien qu’elle n’ait droit qu’à quelques lignes, tu lui as donné un développement assez pertinent : elle donne au lecteur un nouveau point de vue sur le personnage d’Amaryllis, lui permettant de mieux cerner cette dernière ; ce n’est pas de trop, car elle est complexe. J’y reviendrai. Marie-Lise, donc, permet de mieux saisir certains enjeux ; exposer à travers elle le point de vue de ses deux parents participe à construire l’antagonisme entre Amaryllis et le reste du village, tandis le personnage innocent de Marie-Lise l’atténue. Mais elle n’est pas purement fonctionnelle : la plupart des concepts qu’elle soulève la concernent surtout elle. C’est donc une intégration rapide et efficace du personnage dans l’histoire. Sa mort est cependant un peu prévisible (il est vrai que les jeux n’aident pas), et dissuade de trop s’attacher à elle.
La doyenne, ensuite… il est étonnant qu’elle ne soit pas nommée. Ce parti-pris est justifié pour le conjoint d’Amaryllis, et montre efficacement à quel point elle se soucie peu de lui ; mais pour sa propre mère, à laquelle elle montrera être attachée au cours de l’histoire, ta volonté de ne nommer que les personnages du canon est moins adaptée. Néanmoins, la doyenne est le seul personnage important et non-nommé : on ne risque tout de même pas de se perdre. Dès son introduction, elle est assez amusante : l’image de la vieille dame un peu fofolle, prête à envoyer des enfants chercher des cailloux pour une vieille légende, fonctionne très bien. Mais la doyenne révèle vite être plus complexe, d’abord en affirmant son autorité face à Amaryllis, puis en s’inquiétant pour elle, puis en s’inquiétant pour elle-même ; elle connaît une évolution notable entre sa première et sa dernière apparition, et va jusqu’à parjurer sa foi pour sauver sa propre peau et surtout celle de sa fille… sans s’inquiéter de Marie-Lise, mais sans non plus que ce mouvement désespéré ne paie. C’est un personnage assez ambigu, en nuances de gris : elle a beau évoluer et devenir sympathique au lecteur après s’être comporté comme une mégère, elle finit quand même par être représentée faisant les mêmes choix que sa fille en sachant qu’ils sont mauvais. À ce titre, son propre sort est peut-être plus touchant que celui de l’innocente Marie-Lise, ce qui peut surprendre.
Enfin, Amaryllis elle-même. Il y a beaucoup à en dire et je vais tenter de résumer. Toute la fic tourne autour d’elle, ce qui lui donne un ton assez sombre, un peu désespéré. Les dilemmes moraux d’Amaryllis rythment le récit et le font avancer… et cela occasionne quelques répétitions, malgré la taille compacte de la fic. Le développement d’Amaryllis explicite nettement la plupart de ses traits de caractères plusieurs fois, tout en les mettant en scène à côté : ainsi l’individualisme qui la caractérise est signalé au chapitre 2, exploré au 3 et rappelé au 4. La première de ces trois mentions aurait pu être laissée de côté : il y a assez de matière dans la dispute pour l’indiquer, sans avoir besoin de la nommer. Et dans le même temps, on ne sait rien des causes de cet individualisme forcené qui se développe en dépit de tous les efforts du groupe pour intégrer la jeune femme : il a forcément une origine, laquelle pourrait approfondir le scénario comme le personnage.
Au début, le lecteur ne sait pas trop s’il doit se ranger du côté d’Amaryllis ou de celui de sa mère. Les arguments humanistes développés par la première incitent à pencher en sa faveur, mais ils vont plutôt à contre-courant du reste de l’histoire qui montre Amaryllis se désintéresser des autres villageois, sa fille exceptée. De même, elle balaie les arguments religieux de sa mère du revers de la main, mais la suite du récit met en scène une opposition marquée sur ce sujet. Amaryllis est incapable de comprendre qu’on puisse trouver du réconfort dans la prière, ou même autre chose qu’une humiliation, et le pense tout haut au chapitre 4, et pourtant peu auparavant on voit sa mère se rassénérer d’une simple prière, et on devine qu’elle a tenu tête à sa fille pendant des années sur cette simple base. Il n’y a donc pas vraiment de bon ou de mauvais côté, et quand le climax de l’histoire arrive, cette impression s’est étendue au village entier ; c’est ce qui rend d’autant plus injuste et cruelle la situation qui les frappe.
Les remords d’Amaryllis par la suite ne rendent pas la situation moins ambigüe. À ce stade du récit, on peut penser qu’effectivement, elle a été trop orgueilleuse et égoïste… et en même temps, la tâche qu’elle s’impose en réparation semble hors de toutes proportions. Cela rend la fin d’autant plus cruelle : on ne sait pas trop quelle part de volonté et quelle part d’aveuglement il y a dans le comportement d’Amaryllis envers ses Pokémon, et autant on peut craindre que son trop long châtiment l’ait plongée dans la folie, autant on peut considérer que la présence de Marie-Lise est justement ce qui la maintient saine d’esprit. Difficile de trancher ; et cela laisse un goût doux-amer au lecteur, car au début du chapitre 7, Amaryllis semblait être devenue une meilleure personne, en un sens. La voir perdre la raison après s’être imposé un objectif d’une certaine noblesse mais d’un orgueil immense (et qui porte sa propre malédiction, ce qui le rapproche de l’
hubris grec) est donc très triste ; on a du mal à croire que toute la fic ait pu conduire à cette situation, qu’il n’ait pu en ressortir aucun point positif. Je t’avouerai préférer largement l’interprétation selon laquelle Marie-Lise permet à Amaryllis de poursuivre sa mission sans faillir.
Avis
Il y a donc un certain nombre de points à améliorer dans ta fic, certains te pénalisent, mais tu as des bases solides et la note le reflète ; même si l’évaluation en parle peu. La plupart des conseils que je te donne essaient d’ailleurs d’être plutôt généraux, pour te soutenir dans une fic future plus que pour te donner des pistes pour retravailler celle-ci (ce qui n’est pas forcément ton intention et peut être peu valorisant).
Personnellement, c’est une lecture que j’ai beaucoup appréciée. Tu as trouvé un bon équilibre entre la simplicité des situations, la complexité des pensées, concepts ou émotions qui les sous-tendent, et le développement que tu leur attribue : la fic se laisse lire aisément, mais contient de quoi beaucoup intriguer son lecteur. Pour l’anecdote, j’ai compté les paragraphes des contes de la doyenne et d’AZ : leur longueur très proche m’a laissé penser que tu les avais volontairement dotés du même nombre de paragraphes. Ce qui fait aussi qu’on peut imaginer plusieurs façons dont elle pourrait se poursuivre ; la rencontre canon entre Amaryllis et Rayquaza, par exemple, a beaucoup plus d’implications dans ta fic que dans les jeux. Le lore de la 6G, et notamment autour d’AZ et d’Amaryllis, est riche, et je pense que c’était un choix payant en termes de qualité du récit de l’exploiter. En tant que lecteur, j’aime bien quand une histoire laisse quelques portes ouvertes pour qu’on puisse continuer de rêver un peu.
Mais revenons-en à la fic. Je dois avoir à peu près tout dit, probablement avec plus de pavé que nécessaire, et je te souhaite donc de continuer dans cette voie !
7 chapitres lus, évalué en 10/2020
Note : 15 / 20