Le Maître du Vent de supersian

- Bon les mecs je vous laisse, ça me gave...
- COMMENT !?
- JE ME CASSE !!!
- AH OK !

Albert prit son courage à deux mains. S'extirper d'une foule pareille était plus facile à dire qu'à faire. Mais maintenant que sa résolution était prise, même l'odeur de bière et de sueur, pourtant habituelle, lui montait à la tête, et il n'avait plus qu'une seule envie : partir. Jouant des coudes et se frayant violemment un passage, il réussit enfin à faire deux pas sans avoir à bousculer quelqu'un, signe qu'il avait bien quitté la foule. Un bref regard en arrière lui permit de constater qu'il avait déclenché un pogo : en effet, les spectateurs à présent se balançaient de grands coups d'épaule et se poussaient dans tous les sens en lançant des cris joyeux, pendant que le chanteur du groupe continuait à hurler des paroles complétement incompréhensibles.

- Eh ben, c'est vraiment pourri le Grind-Metal... marmonna Albert, en se retournant une dernière fois vers le concert.

Sur la large scène se retrouvaient instruments et amplis, et les projecteurs venaient de s'allumer avec la nuit qui tombait. Leurs différentes couleurs éclairaient le groupe, et l'on pouvait voir le bassiste, tout proche du public, en train de hurler quelque-chose à quelqu'un.
Les spectateurs s'entassaient où ils voulaient autour de la scène, sous l'oeil néanmoins vigilant des hommes de la sécurité, déployés pour l'occasion en grand nombre, accompagnés de quelques pokémons intimidants.

Laissant là la musique, le jeune homme marcha quelques centaines de mètres, traversant une partie du camping où se dressaient un nombre immense de tentes et de caravanes, avant de rejoindre le préfabriqué qui accueillait le bar.

Bien connu des festivaliers, le bâtiment en bois, comme tout le secteur, était surveillé par les hommes de la sécurité, qui jetaient des regards mauvais sur ceux qui avaient l'air potentiellement dangereux, que ce soit ou non dû à l'alcool en vente.

Ce soir, le groupe ne devait pas être trop adulé, puisque la plupart des tables étaient occupées. Albert se dirigea vers le bar, où après une attente guère longue, il se retrouva en possession d'une Smirnoff Ice, qu'il alla boire en s'installant à une table à deux places vide.

Pendant qu'il buvait, il jeta un oeil sur les autres personnes présente dans le préfabriqué. Les T-Shirt noirs et larges, à l'effigie de différents groupes étaient bien entendu monnaie courante ici, ainsi que les cheveux longs. D'ailleurs, lui-même ne dérogeait pas à la règle : ses cheveux bleus, déjà mouillés de transpiration ( bien qu'il ne soit resté qu'un quart-d'heure dans le public ), lui arrivaient aux épaules en s'emmêlant de différentes façons, et il portait son T-Shirt fétiche, celui du groupe Mort à Peter, qui s'était fait un nom dans le milieu du hard-rock avec la chanson éponyme, qui démolissait la réputation du Maître des Dragons ( La légende voulait qu'à un de leur concert, les fans avaient hurlé le refrain de la chanson en question, se constituant des simples mais efficaces mots "Mort à Peter" pendant plus d'une heure ).

Le jeune homme repensa avec amusement aux autres disciples restés à l'arène de Mauville... 23 heures... Ils devaient tous déjà dormir... Lui avait dû batailler avant d'obtenir sa semaine de vacances, mais il l'avait eue... Il avait pu venir jusqu'à Cimetronelle, pour le Festival des Pluies, le plus important festival de métal de Hoen, appelé ainsi parce qu'il a lieu à la fin de la saison des pluies. Une semaine avec des concerts toute la journée, des groupes de tous les styles, venant de tout le pays et même des régions avoisinantes... Une semaine de rêve, et qui n'en était qu'à sa première journée...

Soudain, une jeune-fille s'élança vers sa table, en titubant à moitié, et parvint à s'asseoir avec un succès mitigé sur la chaise en face d'Albert.

- Saluuuut... commença t-elle en fixant le jeune homme d'un air complétement pété.
- Euh... Bonsoir.

Elle devait avoir son âge. Un T-Shirt des Airmures Shootés, représentant leur symbole, l'oiseau de fer, les yeux rouges, l'air hagard, en train d'éclater une guitare électrique en petits morceaux d'un coup d'aile. Des cheveux longs et fins, gris, qui devaient bien arriver jusqu'en bas de son dos, et un tatouage en forme d'éclair sur le bras droit.

- J'm'appelle Alizée et toi ?

L'alcool rend les gens généralement beaucoup moins timides et beaucoup plus sociaux. Albert ne s'étonna donc pas, et répondit simplement.

- Albert.
- C'est un joli prénom. Dis pourquoi t'es pas au concert des Gromo... Toma... Vorm...

Apparemment, son état lui empêchait de prononcer le nom du groupe...

- Les Gros Tas De Morves ? tenta le jeune homme.
- Ouais c'est ça ! s'exclama t-elle, d'un air de gratitude ébahie.
- J'aime pas le Grind... se justitifa t-il d'un ton plat.
- MOI NON-PLUS ! hurla la jeune fille, en donnant un coup de poing sur la table. C'EST POURRI LE GRIND !!! continua t-elle en se levant, souhaitant certainement faire part de son opinion à tous les gens présents.
- QU'EST-CE QUE TU DIS TOI !?

Un type à une table voisine, visiblement aussi beurré qu'Alizée, s'approchait d'un air menaçant.

- C'EST GENIAL LE GRIND !
- NON C'EST BIDON ! repartit la jeune fille, pas du tout intimidée.

Albert s'affaissa sur sa chaise, un demi-sourire sur les lèvres. Sa nouvelle amie avait l'air de vouloir faire du scandale...

- ET D'ABORD SI T'AIMES LE GRIND POURQUOI T'ES PAS EN TRAIN DE REGARDER LES GROMATO... GOVATOV... GROTO... Euh...
Elle s'interrompit, et baissa les yeux, embêtée.

- PARCE QUE J'AIME PAS CE GROUPE C'EST TOUT ! MAIS LE GRIND ÇA DECHIRE !
- OUAIS MAIS...
- STOOOOP !

Un type de la sécurité venait de s'interposer, avec à ses côtés un puissant Mackogneur.

- Vous retournez à vos places calmement, sinon on vous vire, c'est clair ?

Les deux belligérents se turent, et obtempérèrent aussitôt.

- Quel nul ce type... observa la jeune-fille en se rasseyant.
- Si on veut... commenta Albert en reposant son verre, vide.
- T'en prends un autre ? lui demanda Alizée comme s'ils se connaissaient depuis des années.
- Euh...

Le jeune homme repensa à ses amis, en train de s'ébattre parmi un public déchaîné, pendant que lui restait là, avec une folle qui n'aimait pas le grind.

- Ouais.

Il reprit différentes boissons, épuisant ainsi une partie de l'argent qu'il avait économisé toute cette année pour se permettre d'acheter son billet pour le festival, la location de sa place au camping, et les dépenses diverses, comme celles nécessaires pour finir une soirée en beauté. Heureusement, l'avantage de posséder un Roucarnage était qu'il n'avait pas à se préoccuper du coût des transports...

Lui et Alizée finirent par sympathiser, surtout après la quatrième commande d'Albert, où il commença à parler nettement plus fort, et à tenir lui-aussi de violents propos Anti-Grind * ...


***


Albert ne sut jamais vraiment de quoi ils avaient parlé cette soirée-là. Il se souvenait de quelques moments fugitifs, comme Alizée écroulée dans l'herbe à quelques mètres de lui, en train d'engueuler quelqu'un parce qu'il lui avait marché dessus, de lui en train de repeindre le parking grâce à ce qui avant restait contenu dans son estomac, et de bribes de conversations de gens qui rentraient chez eux en commentant le concert.


***


Le réveil fut évidemment difficile, surtout au beau milieu d'un buisson. En se frottant le crâne, le jeune homme émergea et aussitôt se saisit de son portable, s'apercevant que ses amis avaient tenté de le joindre une douzaine de fois. Il appella rapidement Luca, son meilleur ami de toute la bande.

- Ouais ?
- Luca ? Salut, c'est Albert... Je euh... J'ai dormi près du parking...
- Putain tu fais chier... fut la seule réponse, Luca souhaitant certainement signifier que 7 heures du matin n'était pas une heure décente pour réveiller quelqu'un qui a vu la veille les Gros Tas de Morve en live. Cependant, après un silence de quelques secondes, il reprit.

- Bon... On pensait bien que tu t'étais bourré la gueule, mais quand-même on se disait que tout seul c'était pas marrant...
- J'étais pas tout seul, en fait...
- Ah oui ? s'intéressa Luca en baillant. T'étais avec qui ?
- Ben, une fille...
- Une fille ?! Bordel Albert, je veux bien déconner, mais me dis pas que t'as fait ça près du parking, dans l'herbe, avec tous les gens qui passaient ! Beuh...
- Mais non... On a fait connaissance au bar, et on a trop bu, c'est tout...
- Bon OK... Tu nous retrouves à 9 heures à la tente, faut qu'on soit en avance pour voir Mort à Peter...
- MERDE ! J'avais oublié que c'était aujourd'hui...
- Eh ouais mon pote, à 10 heures ! Allez, cuve bien !

Luca raccrocha.

Albert promena son regard autour de lui, en tentant de penser à autre-chose qu'à son mal de crâne persistant. Son groupe préféré allait jouer dans trois heures, et il était complétement hors service... La vie était dégueulasse...

Il aperçut une mèche grise qui dépassait d'un massif non-loin de là, et, plein de solidarité, alla réveiller l'autre dormeuse.

- Euh, Alizée ?
- Groumph...
- Oui, moi-aussi. Il faudrait que t'ailles retrouver tes amis... Ils doivent s'inquiéter... Tu veux que je te raccompagne à ta tente ?
- Euh, j'ai pas de tente... J'habite à Cimetronelle en fait... Je devais rentrer chez mes parents...
- Ah...

Ils restèrent tous-deux, un peu gênés, ne sachant pas trop quoi se dire.

- Euh et sinon, tu vas voir Mort à Peter tout-à-l'heure je suppose ? demanda finalement la jeune fille.
- Oui...

Ce-disant, Albert eut une illumination.

- MERDE ! MON T-SHIRT !

En baissant les yeux sur son vêtement favori, il venait de s'apercevoir que celui-ci était dans un état critique. De la boue, des brins d'herbe, et d'autres substances encore moins ragoûtantes le maculaient.

- Je dois le mettre tout-à-l'heure en plus... commença t-il à gémir.
- C'est ton seul T-Shirt de Mort à Peter ?
- Ouiiiiiiiiiiiiiiiiiiii... pleurnicha t-il.
- Moi j'en ai un chez moi, je peux te le chercher si tu veux...

Le regard du jeune homme sembla s'illuminer comme devant la providence divine.

- C'est... C'est vrai ?
- Oui. Mais tu me le rends après.
- Aucun problème.


***


Albert ne le lui avait jamais rendu. En réalité, tous deux avaient continué de suivre le festival avec leur amis respectifs, mais ils se retrouvaient tous les soirs pour s'amuser avec des artifices divers, parler de n'importe-quoi, ou commenter les groupes de la journée. Bien-entendu, ils devinrent amis, se découvrirent plein de points communs et une étonnante complicité, et Alizée laissa son T-Shirt à Albert, se disant qu'il le lui rendrait à la fin du festival.


***


- Faut se dire au-revoir, hein...
- Oui...
- Bon ben... Rends-moi mon T-shirt alors... Le délai est passé mon grand, exigea Alizée avec un sourire triste.
- Non. avait-il répondu d'un ton cassant.

Là, Alizée avait pris un air supérieur et outré.

- Comment ça, "Non" ? Mais je vais t'apprendre la vie moi ! Rend-moi mon T-shirt ou je dis à tout-le-monde que t'es fan des Gros Tas De Morves !
Ce-disant, elle s'approchait de lui avec un regard menaçant.

- Bravo, t'arrives à le prononcer maintenant... répondit-il, nullement intimidé.

A cet instant, la jeune fille lui écrasa sauvagement la pied.

- AÏEEE !!!
- Bien fait ! Rends-moi mon T-shirt !
- Non, j'ai trouvé mieux. Je garde ton T-Shirt, mais je t'offre le mien !
- Quoi ? Le tien ? Celui qui est dégueulasse ?
- Celui-là même !

Et il ouvrit son sac de voyage tout prêt pour en extraire ledit vêtement, toujours pas lavé depuis les petites aventures du premier soir du festival.

- Beuh... commenta la jeune fille en récupérant le T-Shirt. C'est vraiment pour garder un souvenir de toi...

A ces mots d'apparence innocents, le coeur d'Albert se mit à accélérer, chose qui l'étonna grandement.

- Alizée...

Le jeune homme se tenait juste devant Hetfield **, l'Altaria qui allait ramener la jeune fille chez elle, à Cimetronelle. Le festival venait de donner son dernier concert, on commençait à démonter les tentes et la scène. Restaient quelques personnes qui ne rentreraient que le lendemain matin. Regret du bon temps qui est passé si vite, mais souvenirs qui ne s'effaceront pas de sitôt...

- J'ai une proposition à te faire...
- Ouais ?
- Tu... Tu viendrais à l'arène avec moi ?

Le jeune fille resta interdite.

Albert deviendrait à sa majorité le champion de l'arène de Mauville, puisqu'ainsi en avait décidé son Grand-Père, l'ancien maître. En attendant ses dix-huit ans, âge où légalement il deviendrait champion, il restait un simple disciple, et l'arène était dirigée par son oncle et tuteur, un dénommé Laurent. Cela Alizée le savait.

Albert ne pouvait en aucune façon l'introduire dans l'arène de Mauville : il n'était qu'un disciple, après tout. Si elle voulait le suivre, elle devrait passer par la voie habituelle, être sélectionnée, et elle pouvait très bien échouer...

- Ecoute, je sais que ça a l'air débile, mais bon... Tu es douée, tu adores les pokémons vols... L'an prochain, quand tu seras majeure, tu pourras tenter la league d'Hoen et si tu gagnes, tu pourras fonder ta propre arène... Mais en attendant, viens passer un an à Jotho... Ça peut que te réussir... Et ça te fera une expérience de la vie dans les arènes... Un an d'entraînement aussi, c'est forcément bénéfique... Et puis y'a une bonne ambiance, et...
- OK !
- De... Quoi ? Tu dis rien de plus ?
- Non ! T'as raison ! Je serai à Mauville d'ici quelques jours, le temps de euh... Règler deux trois petites choses...
- Bon, ben... Parfait alors ! dit Albert, encore étonné de cette décision si vite prise. Dans une semaine, on fait les sélections pour engager deux nouveaux disciples pour cette année...
- Je serai là.

Alizée n'avait jamais eu autant envie de faire quelque-chose d'aussi déraisonné depuis longtemps. Il faudrait convaincre ses parents, surtout, voilà ce qu'étaient réellement les deux trois petites choses. Le reste était beaucoup moins important. Cela la ramena au tatouage de son bras droit : elle avait au du mal à récupérer l'autorisation, étant mineure... Mais elle avait réussi, et là, ce serait pareil. Ça devait être pareil.


---


* Je suis sûre que vous mourrez d'envie de vous faire votre propre opinion sur le Grind-Metal après tout ça ! Une vidéo de NAPALM DEATH, une référence du genre - paraît-il, je m'y connais pas trop en Grind - , ici ... (Accrochez-vous, c'est vraiment ... Du grind ! )

** Navrée, quand j'ai écrit ce passage, je venais d'acheter le Black Album de Metallica, et comme j'avais pas d'idée de nom...