(Première partie)
En quittant son bureau, Giovanni n'était effectivement pas dans un bon jour. Et ceux qu'il venait d'apostropher via talkie y étaient pour beaucoup. Pourtant, lorsqu'il avait engagé ces jeunes, il croyait avoir fait le bon choix ; ils semblaient débrouillards et prêts à tout pour servir la Team. Mais après quelques succès, ils ne cessaient maintenant d'alterner échecs lamentables et bides foireux, et cela depuis trois ans ; plus qu'il n'en pouvait supporter.
Il préférait nettement, même s'ils avaient subi récemment quelques revers, leurs rivaux Butch et Cassidy. Car Giovanni était bien conscient des rivalités ( discrètes ou non ) régnant au sein de sa bande. Il allait même jusqu'à les provoquer, non seulement pour le plaisir sadique de voir ses subordonnés s'entredéchirer comme dans un combat de Granbull, mais aussi pour les pousser à se dépasser et éliminer les mauvais éléments.
Les incapables de l'équipe 34 n'avaient pourtant pas besoin de rivaux pour faire valoir leur médiocrité. Et le Miaouss qu'il leur avait adjoint n'avait pas arrangé les choses. Il était à présent bien content de s'être débarrassé de cette bestiole avant de s'en apercevoir par lui-même. Cependant il détestait se tromper, sur ses hommes en particulier ; et le jour où il avait recruté ces trois-là, il avait commis une belle gaffe.
Arrivé devant une porte, il entra directement et ordonna aux scientifiques qui s'étaient levés précipitamment :
- Préparez un Spectrum spécialisé dans l'Amnésie pour après-demain, pour deux personnes.
Alors que son maître tournait déjà les talons, le Persian à ses côtés laissa échapper un grondement, qui semblait signifier « Et plus vite que ça ! »
Tout en prenant le couloir adjacent, Giovanni eût un sourire mauvais :
- Si ces idiots pensent se venger en révélant ce qu'ils savent à la police… s'ils se font arrêter, ils ne se souviendront même pas avoir fait partie de la Team Rocket.
Quant au Miaouss… il ferait son choix plus tard.
A quelques kilomètres de là, comme s'ils avaient pu deviner les sombres pensées de leur patron, Jessie James et Miaouss ne se pressaient pas ; en fait, ils traînaient carrément les pieds. Comme le Boss ne savait pas où ils opéraient, il leur avait donné un délai de deux jours, sans se douter qu'ils se trouvaient tout près, à Bourg Palette ; et ils s'étaient bien gardés de le démentir.
Ils passèrent devant un panneau « Jadielle 1 km »
James gémit :
- †a y est, on y est bientôt… Vous pensez pas qu'on devrait faire demi-tour ?
- Hé bien… personnellement, moi je n'aurais rien contre…
- Arrêtez vous deux ! cria Jessie. Si le Boss nous a appelé pour…heu…pour autre chose que ce que vous croyez, on aura l'air de quoi ?
Miaouss se reprit :
- C'est vrai, si ça se trouve, on s'inquiète pour rien. Peut-être que le Boss va consentir à nous donner une nouvelle chance…
- Peut-être même une promotion ! continua Jessie, les yeux brillants.
- Ben voyons ! ironisa James. Et peut-être qu'on devrait continuer à rêver, la chute n'en sera que plus dure !
Les trois se regardèrent et poussèrent un profond soupir. Jadielle n'était plus qu'à cinq-cent mètres…
- Si on s'arrêtait là ? proposa Jessie. On aura tout le temps de faire le reste du chemin demain…
- Tout à fait d'accord ! répondit James, soulagé. Ces derniers mètres me paraissent insurmontables aujourd'hui.
- Pas d'accord du tout ! dit Miaouss. Les amis, on ferait mieux de se remuer, au cas où le Boss aurait décidé de nous vi-heu-de faire ce que vous savez !
- Qu'est-ce que tu proposes ? fit sa partenaire d'un ton las.
- Entrons dans Jadielle et trouvons une cachette pour la nuit. A ce moment-là, nous aurons un jour et deux nuits pour trouver un coup à faire dans cette ville !
- …où nous avons connu notre première déf…Aouh !
James venait de se ramasser les poings de ses acolytes sur la tête.
- N'évoque pas ce souvenir, tu vas nous porter la poisse ! hurla Jessie.
- Nous n'avons pas le temps d'être défaitistes ! grinça Miaouss. Jusqu'à après-demain, nous devons nous activer ! Allez, go !
Lui et Jessie allaient s'élancer, lorsque James les stoppa :
- Minute ! Il faut d'abord trouver comment entrer dans cette ville, où nous sommes connus, sans nous faire remarquer par la police…
- …ou le Boss, ajouta Jessie.
- Exact ! Mais je crois avoir déjà une solution. Écoutez-moi…
Les rues de la ville de Jadielle semblaient plus animées en cette fin d'après-midi. En effet, plusieurs voitures de police arrivaient des villes voisines et se dirigeaient vers le commissariat central, afin de participer à une réunion annuelle, prétexte à des rencontres et à des fêtes entre tous les policiers de Kanto.
Cependant, dans le vieux quartier, un panier à salades de Parmanie tournait en rond depuis un bon moment. Le conducteur, qui commençait à s'énerver, cherchait désespérément quelqu'un qui puisse le renseigner ( pas facile, puisque la plupart des habitants étaient encore au centre-ville). Il finit par apercevoir deux lavandières qui poussaient une grande brouette recouverte d'un drap. Le policier les accosta :
- Hum, dites-moi mesdames… ou mesdemoiselles, savez-vous où se trouve le commissariat ?
Les deux jeunes femmes sursautèrent. Puis l'une parut se reprendre, réajusta sa capuche, toussota puis répondit :
- Pas de problème inspecteur ; vous prenez la deuxième à droite, puis à gauche, et c'est droit devant !
- Merci infiniment ! Et bonne journée !
- Oh mais il n'y a pas de quoi !
Le conducteur s'éloignait déjà à vive allure. S'il n'avait pas été si préoccupé, il aurait été surpris par la voix étrangement flûtée de son interlocutrice. Celle-ci se faisait à présent interpeller par sa compagne, alors qu'elles reprenaient leur route :
- Tu m'as fait peur, imbécile ! Tu aurais dû me laisser parler !
- Et après ? répondit la première, d'une voix soudain plus grave. Il n'y a vu que du feu !
- Encore heureux ! Et heureusement que tu as eu cette idée ( la première « femme » bomba le torse d'un air supérieur ) ; cet endroit est bourré de flicaille !
- Raison de plus pour ne pas traîner dans les rues ! ajouta une voix dans la brouette. En plus, il fait une de ces chaleurs sous ce drap !
- Ben on voit que c'est pas toi qui pousses, grogna la deuxième lavandière.
Ils approchaient maintenant du centre-ville, qu'ils comptaient longer pour ne pas trop se faire remarquer. C'était compter sans une bonne mère de famille qui passait par là…
- Oh quelle chance ! s'écria-t-elle en se dressant devant la brouette. Vous êtes des lavandières ambulantes ?
Puis sans attendre de réponse, elle cria à une autre femme :
- Gisèle, viens voir ! Figurez-vous, mesdemoiselles, que mon petit garçon a invité des amis pour plusieurs jours. Mais je viens de me rendre compte que tous leurs vêtements ne rentreront jamais dans ma machine ! Je vais vous confier le surplus !
Avant que les « lavandières » aient pu répliquer, la femme était déjà de retour avec un gros ballot de linge sale avec son adresse, qu'elle posa sans façon dans la brouette ; juste avant que la dénommée Gisèle ne leur confie une nappe de noces qu'elle n'avait pas eu le temps d'envoyer au pressing. Voyant arriver d'autres candidats, la lavandière numéro 2 prit la mouche :
- †a suffit ! James, renvoyons ces mémères à leur fourneau !
- Heu… Jessie, fit James en baissant et maquillant sa voix, je ne crois pas que ce soit le moment…
Jessie regarda dans la direction qu'il indiquait … la terrasse d'un café où tout un car de policiers faisaient une pause. Certains d'entre eux regardaient la scène d'un air amusé. Brusquement calmée, elle se retourna vers la brouette, dont le contenu atteignait maintenant un mètre cinquante, et d'où leur parvenaient des gémissements étouffés (!).
- Vous êtes nouvelle ici, non ? continuait la « mémère ». Suivez-nous, nous allons vous montrer la rivière !
Poussés par le groupe de leurs clients, Jessie et James, qui étaient décidés à saisir la moindre occasion pour s'éclipser, furent bien obligés de la suivre. Et après quelques détours, ils arrivèrent devant un large cours d'eau.
- Voilà ! C'est un endroit magnifique, non ?
Les « lavandières » opinèrent péniblement du chef. Ce qu'ils trouvaient nettement moins magnifique, c'était le bâtiment qui longeait la rivière… le commissariat. Une agent K-You devant la porte s'avançait déjà vers eux.
- Ah, bonjour agent K-You, clama leur guide. †a ne vous dérange pas si ces braves dames ( Jessie eut un rictus nerveux ) s'installent devant votre poste ?
- Mais pas du tout, répondit K-You. Installez-vous sous la baie vitrée, vous serez à l'aise pour travailler !
Dès que les femmes eurent disparu, Jessie explosa ( à voix basse cependant ) :
- Je te retiens, toi et tes idées ! En plus, mes mains ne supportent pas l'eau calcaire !
James baissa la tête et gémit :
- On peut dire que nous sommes tombés de Charybde en Scylla…
En effet, la baie vitrée sous laquelle ils avaient été obligés de s'asseoir donnait sur une grande salle de réunion où la plupart des policiers étaient déjà réunis. James vit même celui de Parmanie leur adresser un signe de remerciement et les montrer à ses collègues. Impossible de partir discrètement dans ces conditions.
Le bruit de leurs pas résonnant dans le couloir désert, Giovanni et son Persian se dirigeaient maintenant vers le nouvel avant-poste du QG, en cours de construction. Après un tournant, ils arrivèrent devant un tunnel directement creusé dans la roche, dans lequel était installé un système de télécabines express. L'avant-poste se trouvait à plus de 10 km du QG afin d'empêcher de localiser toutes les bases de la Team. De plus, le tunnel était capable de s'autodétruire, pouvant ainsi être condamné à distance et interdire toute invasion du quartier principal.
Montant dans une des télécabines, ils en débarquèrent cinq minutes plus tard et entrèrent dans une large pièce. Un grand nombre de Rockets y travaillaient, mais à leur arrivée, la place était devenue brusquement silencieuse. Après un court blanc, les hommes présents reprirent prestement leurs activités, non sans jeter parfois un coup d'œil au Boss, qui avait un don pour répandre l'angoisse parmi eux.
Après avoir discrètement sorti Miaouss ( qui affirmait avoir failli perdre sa neuvième vie ) de sous l'énorme tas, Jessie et James essayaient, sans grand enthousiasme, de faire semblant de battre le linge. Jessie jeta un coup d'œil vers le ciel :
- En tout cas, on aura bientôt un prétexte pour abandonner cette corvée : il va pleuvoir.
Miaouss frémit. En effet, de gros nuages noirs s'amoncelaient à l'horizon. Tout à coup, les deux jeunes gens interrompirent leur travail en entendant la voix d'une des K-You résonner à l'intérieur de la salle :
- Un peu de silence s'il vous plaît ! ( Le bruit ambiant cessa ) Comme vous le savez sans doute, cette réunion annuelle est un peu particulière. Nous nous en sommes servis de couverture pour une de nos plus grandes opérations : le démantèlement d'une partie de la Team Rocket ! ( Jessie, James et Miaouss se figèrent, un frisson leur glaçant l'échine ) Il y a de cela trois semaines, un pratiquant de deltaplane a en effet repéré des constructions suspectes au nord de Jadielle. A l'aide d'appareils espions, nous avons réussi à les filmer à distance, et sommes en mesure d'affirmer qu'elles appartiennent au célèbre groupe terroriste.
( Un écran s'alluma, montrant les fameux bâtiments, situés près du cratère verdoyant d'un volcan éteint ) Nous avons mis au point une stratégie d'encerclement de la montagne et du cratère, afin de prévenir toute fuite. Nous allons maintenant vous répartir en groupes…
L'équipe 34 n'écoutait plus ; ils s'étaient serrés les uns contre les autres et tremblaient nerveusement.
- La vache ! souffla James. Ils ont repéré le fameux avant-poste dont tout le monde n'arrête pas de parler dans la Team.
- Les bases secrètes ne sont plus ce qu'elles étaient, soupira Miaouss.
- Hé ! Vous savez à quoi je pense ? murmura Jessie toute excitée. Si on prévient ceux qui sont là-bas de l'attaque, ils auront le temps d'évacuer… et on aura notre coup d'éclat !
- C'est vrai, c'est super, dit son partenaire, mais comment ?
- Le talkie Rocket, idiot ! fit Miaouss. Allez, prends-le vite !
Seulement, alors que James fouillait dans son déguisement, dissimulé aux regards par Jessie, l'orage éclata. Ils reçurent une trombe d'eau qui les obligea à courir s'abriter pour ne pas perdre leurs costumes. Enfin James extirpa l'appareil de sous sa jupe et l'alluma.
- Allo, message d'urgence pour l'avant-poste J3 ! A vous ! cria-t-il.
Seule une suite de crachotements et de sifflements lui répondit. Livide, il releva la tête :
- L'orage brouille les fréquences !
Giovanni passait maintenant de poste en poste, et finit par s'arrêter devant la section « Capture et détention Pokémon ». Les responsables Butch et Cassidy le saluèrent d'un air plus calme que les autres, conscients de se trouver dans ses bonnes grâces. Ils avaient de plus appris le renvoi prochain de ces abrutis de Jessie et James, et ne pouvaient que s'en réjouir. Alors que Cassidy s'avançait pour lui faire son rapport, toutes les lumières s'éteignirent brusquement. Giovanni rugit :
- Mais qu'est-ce que c'est que ce b…
Un coup de tonnerre impressionnant l'interrompit, l'empêchant de commettre un outrage à la pudeur et lui fournissant la réponse à sa question : la foudre venait de détruire l'installation électrique. Presque aussitôt, des cris retentirent au fond de la salle :
- Reculez ! La foudre a fait un court-circuit ! Les charges dans le tunnel vont-
BAOOOOOMM !!!
La salle fut illuminée un instant comme en plein jour et ils sentirent un souffle chaud sur leur visage. Puis revinrent l'obscurité et le silence, entrecoupé du bruit de chute des gravats qui leur bloquaient désormais le chemin du QG. Maudissant intérieurement l'orage et l'installateur des explosifs, Giovanni trouva cependant le sang-froid nécessaire pour crier :
- Prenez les torches de secours et sortez vers les abris ! Et là-bas, faites préparer mon hélicoptère.
Au même moment, le trio de l'équipe 34 venait de prendre une décision : puisqu'ils ne pouvaient pas alerter les autres par radio, ils devaient se rendre eux-même là-bas, et barrer le chemin à la police si nécessaire…