Jour 21 : Faire plaisir aux petits Keunotor, par Poissoroy
A l’heure de la récréation, l’école Keunotor devient soudain bien plus bruyante. Perdue au cœur de la forêt au bord d’une rivière, elle est bâtie des matériaux disponibles à proximité. Alors que s’enclenche la sonnerie, les jeunes Souridodue sortent des petits bâtiments de rondins enchevêtrés. Il vont se regrouper sur le petit espace en terre battue faisant office de cour. Bien que les grands arbres de la forêt alentour fassent obstacle au soleil, une certaine clarté baigne le lieu.
Les petits Pokémon s’assemblent en groupes, sous l’œil avisé de la surveillante, pour discuter des sujets à la mode.
« Hier soir, j’ai débloqué le bidoofator ! s’exclame un jeune Keunotor aux pattes arrondies à son groupe d’amis.
– Hein ?! Tu veux dire l’arme la plus chère du jeu ?
– Impossible, il coûte plus de trois millions de bidoofcoins !
– Même moi je suis encore loin de l’avoir, alors que je suis bien meilleur que toi ! proteste le plus âgé du groupe de Souridodue.
– Je vous assure que c’est vrai ! Venez chez moi ce soir si vous ne me croyez pas, pardi ! »
Alors que la discussion bat son plein, l’un des membres de la bande ne participe pas à la conversation. Petit Keunotor garde la tête baissée, traduisant sa tristesse. Ses parents n’ont pas voulu lui acheter le dernier BidoofWars. Ils s’opposent à ce qu’il joue à ce jeu qu’ils jugent trop violent. Alors, depuis quelques jours, il se contente d’écouter ses amis en parler. Les autres rongeurs sont trop gentils pour se moquer de lui, mais Petit Keunotor ne peut s’empêcher de se sentir exclu en entendant ces débats qu’il ne comprend qu’à peine. Il entend vaguement ce qu’ils racontent, mais chacun de leurs mots vient seulement lui rappeler qu’ils ont plus de chance que lui.
Heureusement, Keunoël approche. Petit Keunotor a déjà rédigé sa liste de souhaits et, en grosses lettres tracées de sa petite patte habile, il y a écrit le nom du jeu qu’on lui refuse. Ainsi, le père Keunoël ne pourra pas passer à côté ! Viennent ensuite, en dessous et en plus petit, divers jouets et plats qu’il désire. Tout en bas, enfin, il a précisé ne pas être contre un peu d’argent pour accompagner ces cadeaux. Mais avant tout, il veut le dernier BidoofWars !
Contrairement à ses parents, le père Keunoël saura se montrer généreux à son égard. Après tout, et il l’a précisé dans sa lettre, il n’est qu’un pauvre Souridodue ne demandant qu’à s’amuser avec ses amis. En outre, Petit Keunotor a été sage cette année. Le père Keunoël ne ne peut donc rien lui refuser. Certes, il repense avec culpabilité aux petites crottes, qu’une fois, il a laissé tomber sur les brindilles où couche sa sœur. Mais les toilettes sont si loin de leur chambre ! Et puis ce n’est pas arrivé si souvent… Et elle ne s’est jamais rendue compte de rien...
« D’ailleurs, j’ai remarqué que le combo bidoofkill plus bidoofdestroy fonctionne bien contre les bidoofgénéraux. »
La conversation reprend de plus belle et vient tirer Petit Keunotor de ses pensées. Il décide finalement d’intervenir.
« J’ai demandé BidoofWars pour Keunoël ! Je vais bientôt pouvoir jouer avec vous, pardi !
– Trop cool ! lui répondent ses amis.
– Si tu veux, je peux te parrainer, comme ça on recevra tous les deux 2000 bidoofcoins ! »
La sonnerie retentit et fait rentrer les élèves dans leurs classes respectives, sur les soupirs du moment de détente abrégé trop tôt.
* * *
Pour Keunoël, Papa et Maman Castorno ont décidé de faire plaisir à leurs sept enfants. Ils ont fait le déplacement jusqu’au plus grand village du coin. A l’approche des fêtes de fin d’année, un grand marché s’est déployé et de nombreux marchands de différentes espèces sont venus installer leurs stands.
Des Bétochef vivent à cet endroit et les bâtiments sont bien plus imposants que ce à quoi les deux Pokémon Castor sont habitués. Il ne s’agit pas de simples empilements de branches ou de trous dans la terre, mais de véritables boutiques en parpaings peints, fruits du travail de professionnels. Pour mettre les visiteurs dans l’ambiance de la fête à venir, de nombreuses guirlandes et autres ornementations lumineuses ont été accrochées un peu partout. Ils sont arrivés sur place alors que le soleil était encore haut dans le ciel et il y a peu de neige cette année, mais une véritable ambiance de Keunoël se dégage de cet endroit. Ils sauront y trouver leur bonheur et celui de leurs petits à coup sûr.
Comme d’habitude, malheureusement, leurs enfants ont voulu cacher ce qu’ils avaient mis dans leur lettre au père Keunoël. Lorsque les deux Castor se sont heurtés aux refus de divulguer ces secrets, ils ont gardé le sourire et se sont montrés compréhensifs. Mais au fond ça les embête bien de ne pas connaître les désirs de leur progéniture.
Les deux adultes s’arrêtent devant l’étal coloré d’un Togetic qui a attiré leur attention. Quantité de sucreries de toutes sortes sont alignées, captivant le regard. En plus de cela, une bonne odeur de pain d’épices vient s’insinuer dans leurs museaux.
« Achetez donc mes sucres d’orge ! Pour un acheté, le deuxième est à moitié prix ! » les harangue le vendeur.
A part eux, ils réfléchissent à la pertinence de l’achat qui leur est proposé.
« Ma chérie, que penses-tu d’offrir une de ces sucreries à chacun des enfants ?
– Ça leur ferait très plaisir, c’est sûr, mais ce n’est pas bon pour leurs dents… Et puis on leur en a déjà offert l’année dernière et celle d’avant, ce n’est plus très original, pardi. »
Ils remercient le vendeur pour son offre avant de la décliner, puis continuent leur chemin dans le marché de Keunoël. Le long des allées, ils aperçoivent des boutiques vendant des bijoux, des boissons alcoolisées, des jeux vidéos et même de bibelots anciens. Mais rien de tout cela ne correspond à ce qu’ils veulent offrir à leurs enfants. Il leur faut quelque chose de spécial, qui plaira à tous.
Après une bonne demi-heure de recherche, ils trouvent finalement leur bonheur. Ils l’ont obtenu à l’étal d’un vieux Keckleon à l’air mystérieux. Après leur achat, ils restent encore un peu, le temps de trouver quelqu’un pour se charger d’emballer les sept cadeaux. Finalement, ils rencontrent une jeune Nymphali à l’entrée du marché qui leur propose aimablement de le faire.
Leurs courses ont été suffisamment rapides et ils vont pouvoir rentrer assez tôt pour que les jeunes Souridodue ne se doutent de rien. Ils songent à la surprise qu’ils vont leur faire et un sourire se dessine sur leurs lèvres à l’idée du bonheur qu’ils vont apporter dans leur foyer.
* * *
Le jour tant attendu arrive enfin. C’est Keunoël, et les deux portées de Keunotor se sont levées tôt pour découvrir leurs cadeaux.
Petit Keunotor trépigne d’impatience. Il en a rêvé de ce jeu ! Quand leurs parents leur en donnent l’autorisation, les sept petits rongeurs se précipitent sur le paquet à leur nom. Vivement, Petit Keunotor déchire l’emballage de son cadeau. D’un mouvement de sa grosse dent, il va faire apparaître la boîte de Bidoofwars.
Sauf que ce n’est pas Bidoofwars. Entre les morceaux de papier cadeau, il découvre un vieux morceau de ferraille brune, sur lequel sont attachés des rubans jaunes défraichis. C’est la désillusion. Face à cet objet qui n’est pas celui qu’il attendait, ses traits se décomposent instantanément et il n’essaye même pas de cacher sa déception. Que s’est-il passé ? Il a pourtant été sage cette année ! Pourquoi le Père Keunoël ne lui a-t-il pas apporté ce qu’il avait demandé ?
Autour de lui, tous ses frères et sœurs ont reçu le même cadeau décevant. Et tous affichent une mine abattue face à ce qu’ils ont devant eux ; tous ont fait le même constat. Seules les couleurs des rubans varient selon les exemplaires. A la surprise de leurs parents, aucun d’entre n’affiche l’air ravi auquel ils s’attendaient.
« Oh, mais ce sont des badges d’explorateurs ! s’exclame leur mère. Quelle chance vous avez ! Regardez, ils ont tous appartenu à de grands explorateurs de donjons !
– A votre âge, je rêvais de recevoir un cadeau de ce genre ! renchérit son mari. Quel dommage qu’à mon âge le père Keunoël ne m’offre plus que des cravates chaque année, pardi ! »
Cependant, leur excitation et leur apparent émerveillement pour les cadeaux ne tiennent pas longtemps face à la mine déconfites de tous les Souridodue.
« J’avais demandé une nouvelle trousse de maquillage ! s’attriste l’une des trois filles. Pas un pin’s !
– Et moi je voulais un jeu vidéo, pardi ! la rejoint Petit Keunotor.
Tous les enfants finissent par se joindre aux lamentations.
– C’est ringard les explorateurs, papa. Maintenant, on a des robots pour faire le travail à notre place. Plus personne ne rêve d’aller mettre sa vie en danger pour sauver des inconnus. »
* * *
Quelques jours plus tard, alors qu’il Surf sur eBaies, le père Castorno tombe sur une annonce qui retient son attention. Le vendeur propose les mêmes badges d’explorateur que ceux qu’ils ont offerts aux enfants. Et bien moins cher que ce qu’ils ont payé. Exactement les mêmes badges, et exactement le même nombre. Quel dommage qu’il n’ait pas vu cette offre plus tôt ! Quitte à offrir un cadeau qui ne plaît pas, il aurait pu l’avoir pour moins cher. Enfin, maintenant qu’ils ont ces badges d’explorateurs, et même s’ils ne leur plaisent pas, ils vont les garder, pardi !