Pikachu
Pokébip Pokédex Espace Membre
Inscription

Le cri du Cornèbre [OS] de Khlass



Retour à la liste des chapitres

Informations

» Auteur : Khlass - Voir le profil
» Créé le 17/11/2020 à 17:11
» Dernière mise à jour le 17/11/2020 à 17:11

» Mots-clés :   One-shot

Si vous trouvez un contenu choquant cliquez ici :


Largeur      
Le cri du Cornèbre
Une proémincence dans le paysage. La route entre Paddoxton et Brasswick était une succession de collines, vastes étendues témoignant du passé géologique de la région. Des millions d’années avant l’apparition des Pokémon et des humains, des montagnes surplombaient ces lieux aujourd’hui érodés par le passage de la pluie et du vent. Mais tout comme cette proéminence, certains endroits étaient moins creusés en raison de la présence de roches plus dures. Le granite extrait de ce coin de verdure faisait d’ailleurs la renommée de la région et la plupart des habitations locales étaient construites de cette roche plutonique aux couleurs magnifiques. Le blanc et le bleu roi de cette roche étaient uniques au monde, les géologues expliquant ce phénomène par une forte proportion d’hornblendes et de magnétites, deux minéraux conférant des reflets bleutés à la roche par leur association. Ces granites, formés en profondeur il y a plusieurs milliards d’années, étaient remontés progressivement à la surface par érosion mais apparurent bien après les premiers témoignages de la vie. Celle-ci avait fait son apparition par l’intermédiaire de quelques bactéries il y a environ 3,5 milliards d’années dans les eaux bordant ces montagnes vieillottes. Puis, de centaines de millions d’années en centaines de millions d’années, l’évolution poursuivit son chemin, bien plus rapidement que notre roche acide et, 300 millions d’années avant notre ère (à quelques Ecrémeuh près), les premiers Pokémon apparurent. Quant à l’Homme, il prit place il y a seulement un million d’années. Un chamboulement d’une seconde à l’échelle de l’âge terrestre, mais une seconde de trop. Du moins, assez pour dérégler les minutes qui suivront.

Flap flap flap flap flap.
L’oiseau se posa sur un rocher granitique. Il prit une profonde inspiration et relâcha un tout petit croassement. Son rythme cardiaque était encore élevé, dû à son vol mais aussi et surtout aux événements le précédent. Il observait l'horizon vers le Nord. Des champs de Moumouton occupaient une grande partie de cet espace. La noirceur de certains moutons tendait à prouver l'eugénisme opéré au sein des troupeaux, les ovins sombres étant normalement bien plus minoritaires que leurs homologues blancs. Cela le rebutait. Comment les humains pouvaient-ils se servir ainsi des Pokémon dans leur propre intérêt, juste pour une question de pokédollars ? Il se savait intelligent et ricanait d’ailleurs bien souvent quand il se mettait à écouter des conversations humaines, ces derniers pensant qu'un simple volatile ne comprendrait pas un traître mot de leur discussion. Lui-même avait un jour conversé avec un de ses congénères fuchsia. Il jouait d’une ruse et d'une force incroyables pour avoir réussi à ne jamais s'être fait domestiqué par l'homme, comprenez capturé. Pour eux, collectionner des Pokémon parce qu’ils sont différents de la normalité témoignait d’un manque de respect éloquent. Ils n’étaient pas des jouets ou des objets mais des êtres vivants, présents pour la plupart avant les Hommes. Mais aujourd’hui, avec la capture et la domestication, un schisme s’était créé. La plupart des Pokémon sauvages -surtout son espèce- se désolidarisait de leurs homologues capturés, considérant la capture comme un phénomène avilissant, liberticide.

Revenons-en à nos Moumouton justement. Ou plutôt, entre les Moumouton. Reconnaissables à leur carrure obèse et leur visage dénué de traits intelligents, notre Pokemon à plumes se moquait bien des Voltoutou bergers, tout juste bons à écouter leurs maîtres sans réfléchir à leurs propres actions. Incapables d'agir par eux-mêmes, ces chiens complètement lobotomisés par la relation maître/esclave ne ressemblaient guère aux Corgis sauvages bien plus sympathiques et doués d'un sens intellectuel en temps normal. Ah ce bon vieux Fulgudog qu'il avait croisé aux abords de Motorby, c’était autrefois un jeune Voltoutou aussi gratiné que les autres. Mais un jour, ses maîtres l'abandonnèrent. C’est alors qu'il eut une révélation : contrairement aux autres canidés électriques de son espèce, il se rendit compte que non, personne allait revenir le chercher et que le ton dur employé à son encontre dans son ancienne maison était un précurseur de sa situation actuelle. Il parvint alors à se transformer, à revenir à la vie sauvage et par la même occasion, il évolua, symbole de la reprise en main de son destin. Ce souvenir fit naître un sourire sur le bec de notre ami perché sur son rocher, lui faisant un instant oublier toutes ces attaques électriques qu'il devait esquiver à chaque passage au dessus des bergers, complètement ravagés à l’idée qu'un simple oiseau, fusse-t-il noir, pouvait être annonciateur de malheur en parvenant à traverser le champ indemne. Ironiquement, touché dans sa sensibilité la plus profonde, notre corbeau revenait la nuit pour abîmer quelque clôture électrique et faire s'enfuir de niais moutons. Et le berger, le lendemain, de constater les dégâts et de croire que le malheur s’était effectivement abattu sur lui…

Mais ce n’était pas une énième provocation d’un Voltoutou qui l'avait mis dans cet état, avant de se poser sur son granite. A l'Est des troupeaux, se trouvaient les cimes des maisons de Paddoxton. Il revenait de sa mission d'infiltration d’une semaine. Il s'était laissé capturer par un jeune dresseur après l'avoir observé pendant quelques mois. Feignant d’être blessé, l’humain le prit en pitié et décida de l'apprivoiser. Les longs moments dans sa Pokéball étaient encore dans sa tête et il comprit que ses amis Pokemon devenaient facilement maboules, enfermés là-dedans, tout en développant un syndrome de Stockholm aigu. Une semaine, il lui fallait tenir une semaine. Son dresseur lui permettait souvent de sortir, le professeur local lui ayant indiqué qu'une blessure se soignait plus aisément à l'air libre. Sans rire, comment un corps pouvait-il se soigner dans une boule qui capture ta conscience mais qui t'empêche de ressentir ton corps ? D'ailleurs, où était-il ? Toute sensation de mouvement ou de faim était inexistante comme si ton corps ne t'appartenait plus, comme si la faucheuse était venue te chercher. D’ailleurs, Lorsqu’il échangea à ce propos avec son ami Fulgudog, ce dernier lui répondit qu’au bout d’un moment, tu n’arrives plus à réfléchir au sein de la ball. Tout juste tu ressens quelques sons, quelques émotions ou sensations mais tu ne vieillis plus, tant mentalement que physiquement. Comme si tu étais cryogénisé dès que tu rentrais dans la sphère. Cela expliquait pourquoi les Pokémon capturés vivaient bien plus longtemps que leurs collègues sauvages. Alors certes c’était grâce à la domestication, mais quelle conditions pour en arriver là ! Devoir vivre parfois un jour sur deux et bien pire encore si ton maître te transfère dans l’ordinateur. Quelle aberration. Les personnes qui réussirent successivement à comprendre la génétique Pokémon et créer les balls puis le stockage étaient les plus grands génies pour les Hommes, les pires geôliers que la Terre ait portée pour les Pokémon. Notre Pokémon obscurité s’était préparé à subir cet effet quelques jours.

Le but de cette stratégie, et d'endurer les différentes étapes de la domestication, était, pour notre petit Pokémon à plumes, de sensibiliser un humain moins corrompu à son système voué à s'effondrer. Ainsi en deux jours et demi, il réussit à établir une communication efficace, son dresseur comprenant qu'il était compris. Un croâ pour oui, deux pour non, et trois pour « ce n'est pas le sujet, réfléchis mieux que ça, t'as un gros cerveau, utilise-le". Du moins… dans la version de notre protagoniste. Cela donnait lieu à ce genre de conversation :
- Tu es en train d'essayer de me dire que les Pokémon sont plus intelligents que nous ?
- Croâ, croâ, croâ.
- Ah c’est pas ça… alors peut-être que tu veux dire qu'on est autant intelligents ?
- Croâ.
- Mais nous on sait écrire… Vous avez un moyen de communication aussi utile que ça ?
- Croâ.

Et Cornebre s'envola, invitant son provisoire maître à le suivre. Une fois dehors, il commença à croasser et les réponses ne tardèrent pas. Nombre de ses congénères lui répondirent et une harmonie funeste de croassements, digne du plus bel enterrement vinrent peupler le paysage sonore.
- Tu veux dire que ce qu'on prend pour des chants horriblement glauques et tragiques sont votre façon de communiquer et de conserver vos souvenirs ou vos histoires ?
- Croâ.

En réalité, c’était plus compliqué mais faire comprendre à un humain quelque chose qui n'est pas concevable pour lui relève du miracle. S'il avait pu être plus explicite, il aurait ramené ça à la physique quantique. Mais bon, c’était déjà bien que l'humain comprenne l'idée. Le plus dur était fait.
Le reste de la semaine, le bipède passa son temps à retranscrire par écrit les découvertes journalières tout en lisant à voix haute pour que Cornebre acquiesce ou infirme ses propos. Il essaya même de lui apprendre à lire mais une fois encore, c’était une réflexion trop humaine et il se prit le bec avec son Pokemon ou plutôt de son Pokemon.

Lorsqu'il termina d’écrire sa quatre-vingt quatrième page, une illumination lui vint :
- Mais, si on y réfléchit bien, votre système est en ordre depuis plus longtemps que le nôtre et vous n'avez jamais eu de réels soucis comme nous sommes confrontés nous actuellement. Je veux dire, chacun fait ce qu'il veut sans problèmes sociétaux, vous écoutez les autres Pokémon et aussi la Terre donc pas de risques que vous la détruisiez ou vice versa, vous n'avez certes pas notre technologie mais vous n'en avez tout simplement pas besoin… En fait, vous êtes adaptés à cette planète et pas nous…

Un long silence parcourut la pièce, suivi d'un ange.
- Croâ !
- Je… Je… mais comment veux-tu que je me fasse comprendre de mes camarades ? C’est incroyablement anti “nous” et tu sais comment sont les humains. Tu crois que je devrais publier ces écrits ?
- Croâ croâ.
- Alors quoi ? Si je ne le fais pas, rien ne changera.
- Croâ croâ croâ.
- Mais… personne ne me croira de toute manière.
- Croâ.
- Ah mais c’est donc pour ça que tu ne veux pas que je le publie.
- Croâ.
- Oui je comprends. Au mieux, on me prend pour un idiot, au pire je finis en taule pour fanatisme et complotisme… Mais que puis-je faire ?
- …

Le Cornèbre s'envola et fit tomber une photo de son humain. Le cadre se brisa. L'humain regarda la photo par terre puis releva les yeux vers le Pokémon. Un jeu de regards intenses plus tard et l’humain percuta. Il retourna sur son clavier pour taper ce qu’il venait de comprendre. L’oiseau signala alors qu'il allait partir.
- Tu n'as plus rien à m'apprendre et tu veux y aller pour de bon, retrouver les tiens, me trompé-je ?
- Croâ croâ.
- Bon… adieu, je sais que je n’ai pas les arguments pour te convaincre de rester. Et… merci ?

Cornèbre se mit alors à briller et évolua. L'homme, surpris, ne comprenait pas le phénomène. Aucune pierre nuit ne se trouvait à proximité… Corboss lui adressa un dernier croassement et s'envola.

Depuis son rocher, il était encore sous l'hormone de l'évolution et s'en retrouvait tout essoufflé mais aussi apaisé. Il avait réussi sa mission et ce sens du devoir accompli lui permit d’atteindre une certaine plénitude lui permettant d'évoluer. Pendant ce temps, L’homme terminait de noter quelques mots sur sa machine : « l'humain est voué à disparaître de cette planète tant il n'y est pas adapté sur le long terme. Il croit tout comprendre et tout savoir mais ne suit absolument pas la bonne courbe d'évolution. A ce propos, saviez-vous que les pierres évolutives ne sont qu'artifices et pures créations de la société ? »