Une offre qui ne se refuse pas
Yann n'avait pas quitté le rebord de la fenêtre, mais son regard se fit tout à coup plus compatissant envers son ami. Cette souffrance, il la ressentait lui aussi, à la différence qu'il avait décidé d'oublier, non pas définitivement, mais de mettre cette histoire, ce passé de côté. C'était en parti pour cette raison qu'il avait accepté le boulot du Conseil des 4. Traquer des voleurs, retrouver des dresseurs malhonnêtes, résoudre des énigmes et enquêter avait réussit à chasser momentanément cette peine et les pertes. Il avait aussi beaucoup voyagé durant ces longues années, et cet aspect aventurier, baroudeur de la chose lui avait permis de garder la forme.
Alors qu'il sanglotait toujours la tête baissée et prise dans ses mains, quelque chose de duveteux vint se frotter contre le bras de Stephen. Ce dernier, un instant surpris, releva la tête et retint ses larmes. Cornèbre se tenait là, à côté de lui, il semblait fixer son regard aveugle sur le dresseur. Ce pokémon avait perdu la vue lorsqu'il y eut la fameuse explosion. Quand les escouades de pokémon aquatiques réussirent à éteindre le feu, il avait été retrouvé près du corps sans vie et calciné de sa dresseuse, non loin d'un Stephen qui avait lui aussi survécût miraculeusement. Depuis se jour, il n'avait plus jamais voulu quitté celui que Lise avait choisie.
« Tu restes avec moi malgré tout... je me suis toujours demandé si tu avais décidé cela simplement pour attendre le bon moment et te venger... »
Yann, qui regardait la scène, ne comprit pas cette dernière phrase. Il se gratta le menton, soucieux, avant de demander :
« Il y a quelque chose que je ne sais pas à propos de cette nuit, n'est-ce pas ? »
Stephen eut un léger sourire en coin, alors qu'il passait une main distraite dans le plumage sombre de Cornèbre. Yann n'avait jamais su que le M. Mime était sans défense. Il ne l'avait même jamais soupçonné après la catastrophe, persuadé que son meilleur ami avait lutté pour que le pokémon reste conscient. Mais la vérité était tout autre : Lise était morte par la faute de Stephen, et de cela jamais il ne s'en remettrait. Une nouvelle vague de larme le submergea et il s'effondra au fond du vieux canapé miteux.
« Oh putain... Stephen... me dis pas que... »
Tout à coup la voix de Yann était devenue plus hésitante, incertaine, comme si l'implacable vérité venait de s'imposer à lui. Il gardait des yeux grand ouvert de stupeur, d'apprendre ça ici et maintenant, dix ans après l'avoir vu pour la dernière fois. Toutes ses années, il avait pensé à son ami tous les jours, se demandant s'il était encore en vie, s'il allait bien. Et maintenant qu'il le retrouvait, c'était pour apprendre qu'il n'avait pas protégé le pokémon comme il l'aurait du, et que par sa faute, la fille qu'il aimait était morte. Yann comprit alors les véritables raisons de cette descente aux enfers. Stephen devait se ronger l'âme de cette infamie. Il devait, chaque jour, se maudire de son incompétence, et remettre sur ses épaules le poids d'une mort.
« Je l'ai tuée ! » rugit tout à coup Stephen, bondissant de son canapé pour se planter devant un Yann éberlué. « Je l'ai tué ! Tout est de ma faute ! C'est comme si je lui avais tranché la gorge avec ce couteau, de sans froid ! Tout est de ma faute ! Tu comp... »
Le poing jaillit et frappa. Stephen fût projeté en arrière, où il retomba mollement sur le canapé. Yann, la mâchoire serrée, se frotta la main. Cette fois il n'y était pas allé de main morte. Il quitta le rebord de la fenêtre, et avant que Stephen n'est le temps de se relever, il l'attrapa violemment par le col et le souleva devant lui. Sa force avait presque triplée depuis leur dernière rencontre.
« La ferme Stephen ! La ferme ! » vociféra-t-il avec rage, allant jusqu'à coller son visage contre celui de son ami. « Arrêtes tes conneries ! A quoi tu joues ? Elle est morte ! Arrêtes de la tuer un peu plus chaque jour ! Qu'est-ce que tu cherches ? Que je me mette à pleurer ? Que je te prennes dans mes bras pour te consoler ? Ce sont eux qui l'ont tuée ! Pas toi ! Tu comprends ce que je te dis là ? Tu n'y es pour rien ! Ce n'est pas toi qui as mis le feu ! »
Il lâcha Stephen qui s'effondra sur le sol, silencieux, choqué.
« Qu'est-ce que tu cherches à faire ? Vivre comme tu vis, vivre dans le passé, vivre en portant un fardeau trop lourd. Vivre et se tuer à petit feu en cuvant comme un pauvre alcoolique, et finir par crever seul dans ton minuscule appartement miteux ? Si tu veux mourir, jette-toi par la fenêtre, passe sous un train ou ouvre toi les veines. Mais si tu le voulais vraiment, on ne discuterait pas ici et maintenant. »
Yann alla s'asseoir dans le canapé, le visage rouge de colère. Il serrait les poings et évitait de regarder son ami qui peinait à se relever.
« Je sais que la mort de Lise t'as détruit. Je sais tout ça. Jamais je ne t'en ai voulu d'avoir tout quitté. Ça fait près de neuf ans que je travail avec le conseil, si j'avais voulu te retrouver pour venir t'enquiquiner je l'aurais fait depuis longtemps. Et si je suis là, aujourd'hui, c'est pas pour t'aider à t'en sortir, c'est pour te donner le moyen de mettre la tête hors de l'eau et de nager jusqu'à la plage une bonne fois pour toute. Tu vois ce que j'essaye de te dire ? La vie ne s'arrête pas là ! Tu as vingt-cinq ans Stephen, et le triple à vivre, si ce n'est plus. Sauf bien sur si tu as déjà bu assez d'alcool pour te choper une saloperie qui te tuera avant... »
Stephen resta bouche bée. Il venait de prendre les paroles de son ami en pleine figure, et il avait l'impression d'avoir été soufflé par un ouragan. Une vague de vérité qu'il se refusait à comprendre. Jusqu'à aujourd'hui. Yann avait mis le doigt sur un point sensible. Que voulait-il de lui ? Qu'il sorte la tête de l'eau... qu'il émerge à la surface de sa vie, et qu'il continue d'avancer.
Stephen se releva, la tête basse et quelques mèches rebelles lui barrant le visage. Il serrait les poings, il serrait les dents. Il retenait quelques larmes. Mais elles ne tomberaient pas. Le temps des pleurs était révolu.
« Pour Lise.
- Ouais Stephen, pour Lise, pour toi.
- Pour nous deux... pour ce que l'on aurait pu être... pour son souvenir. »
Yann hocha la tête. Malgré la voix cassée de son ami, il relevait là une grande sincérité dans les paroles et une prise de conscience. Au côté du jeune homme en noir, Cornèbre pointait la tête vers son nouveau dresseur. Et il croassa. Yann sourit, il était temps de prendre les choses en main.
« Assis-toi et ouvres tes oreilles. Je vais te dire pourquoi je suis là. »
Sans demander son reste, Stephen s'assis dans le canapé. Il plongea son regard par la fenêtre, dans le lointain, et dirigea son attention vers les explications de Yann.
« Il y a 3 mois, lors d'une mission de routine, Marion – la dresseuse de pokémon ténèbres – a trouvé une gamine qui errait dans les montagnes, perdue. Elle avait dans ses bras un Evoli mourrant qu'elle refusait de lâcher. Marion l'a emmené jusqu'au centre pokémon d'Azuria, qui était le plus proche, et les médecins ont ausculté le pokémon. Tiens toi bien, parce que la suite n'est pas très plaisante à entendre. »
Yann fit une pause, le temps que Stephen comprenne bien ce qu'il venait de dire. Ce dernier hocha la tête, impatient d'en apprendre plus.
« Vas-y, j'en suis plus à ça près.
- Ce pokémon avait subit un nombre incalculable d'opérations... expérimentales. »
Stephen souleva un sourcil interrogateur. Puis tout à coup il sembla comprendre où voulait en venir son ami. Il eut une moue de dégoût.
« Tu veux dire qu'il a servit de cobaye à des expériences illégales ?
- Dans le mille. Cet Evoli a été ouvert de tous les côtés, chaque organe ayant été... marqué. Je ne sais pas comment expliquer clairement tout ça, mais il n'avait plus rien d'un pokémon. C'était un légume. Cerveau lobotomisé, tige d'acier dans la colonne vertébrale, engin électronique dans le crâne et je te passe les détails les plus sordides. Pour te donner une idée, j'ai gerbé en voyant les photos, et notre cher Aldo a serré les poings tellement fort qu'il en saignait. Un gars comme Koga qui ne montre jamais ses sentiments a même faillit lâché une larme. C'est pour te dire à quel point tout ça était inhumain et inacceptable. »
Yann fit une pause et respira à fond, comme si les horribles faits qu'il venait d'aborder avaient vidé ses poumons. Il jeta un petit coup d'œil vers Stephen qui restait impassible, attendant la suite. Yann soupira avant de continuer.
« La gamine est morte à l'hôpital dans la nuit, Marion était anéantie. On n'avait même pas commencé à enquêter que ça nous échappait déjà. Peter a donc eut l'idée de faire appel à moi. Je suis l'un des plus vieux dresseurs au service du conseil et sans me vanter je suis l'un des meilleurs.
- Epargne-moi ce genre de détail. Parle-moi plutôt de tes investigations.
- Oui, oui, ça va, j'y venais. Bref, quand j'ai pris connaissance du dossier, ma première piste était la gamine. Comme elle avait passé l'arme à gauche, je devais me contenter de retracer son parcours. Elle avait atterrit seule dans la montagne, il devait obligatoirement avoir un point de départ. Marion était trop secouée par la mort de la gamine qu'elle avait veillée pour pouvoir m'aider, mais elle a insisté pour « trouver les salauds qui avaient fait ça » avec moi. Elle m'a donc conduit à l'endroit où elle les avait retrouvé. C'était en pleine forêt, sur les pentes escarpées d'une montagne au nom imprononçable. Marion avait retrouvé la gosse dans une large clairière d'herbes hautes. Comme tu t'en doutes, il n'a pas été facile de retrouver de quelconques traces aux environs. Nous avons fouillés pendant des heures et des heures. Je n'avais même pas la tête à draguer, c'est pour te dire si tout ça m'avait affecté.
- En effet, si tu n'as pas changé, ça ne doit pas être souvent que tu mets tes ardeurs de mâle de côté...
- En fait, c'est même pire qu'avant.
- Bon, tu as – Stephen bâilla, et se frotta ses yeux cernés – je disais donc tu as fouillé la clairière, et ?
- Et en professionnel j'ai retrouvé d'où venait la gamine. Des traces s'enfonçaient sous le feuillage. Après avoir essayé en vain de dégager Marion de mes pattes, nous avons tous les deux suivit les traces. Ce n'était pas bien difficile. La fillette avait du tomber tellement souvent que le sol était clairement saccagé tous les deux mètres. Comme elle courrait, les empruntes étaient profondes. Nous avons donc pu redescendre de la montagne et atterrir dans la valée. A partir de là, il y a une très mauvaise nouvelle, et une nouvelle vraiment terrible. Je commence par laquelle ?
- Celle qui m'obligera le moins à te suivre.
- Pas bête. Après j'assène le coup final avec la nouvelle vraiment terrible. »
Un début de sourire se dessina sur le visage de Stephen, un sourire emprunt de cynisme et d'ironie. A l'époque de leurs exploits, les deux compètes étaient connus pour leur humour décalé, leur vision cynique des choses et les répliques acides à souhait qui faisaient bondir les bonnes gens.
« Trêve de blagues. En remontant les empruntes de la fillette, nous sommes tombés à mi-chemin sur une série d'autres empruntes, pokémon et humains. Des adultes, et des flaireurs. Les traces étaient celles de Démolosse, d'Arcanin et ... d'un Evoli.
- Evoli ?
- Bah ouais. On ne sait pas ce qu'ils foutaient là, mais il y avait un Evoli, aucun doute possible. Le choix des Démolosse est assez étrange aussi. Un simple Arcanin aurait suffit à pister une gosse, voir même un Caninos chiot pas encore sevré. Qu'importe, on peut clairement dire qu'elle était suivit. Evidemment, on pense de suite qu'à défaut de vouloir attraper une fillette, les poursuivants s'intéressaient à l'Evoli.
- Tu parles, si des malades mentaux s'en sont servit de cobaye, ils ont tout intérêt à ce qu'il ne soit pas retrouvé, et encore moins par le Conseil des 4.
- Exact.
- Mais... c'était quoi cette terrible nouvelle ?
- Au bout de notre jeu de piste, on est arrivé à un village. Tu connais Champfier ?
- Non, ça ne me dit rien.
- Normal, c'est un village enclavé entre les montagnes, au nord. Il n'y a pas d'arène, pas de centre pokémon. Beaucoup de paysans, et une grande tendance à l'exode rural. Ce village allait disparaître dans les dix années à venir.
- Et la terrible nouvelle c'est quoi ? s'impatienta Stephen.
- Il a été rasé.
- Rasé... tu veux dire du genre complètement détruit ?
- Complètement.
- Il faut des moyens énorme pour... détruire un village aussi petit soit-il ! Comment ça a pu arriver ? Les villageois se souviennent de quelque chose ? Tu as pu leur parler ? »
Yann arborait une mine sombre. Il planta son regard dans celui de Stephen comme pour bien ancrer se message au fond de son crâne :
« Il n'y a aucun survivant. »
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Stephen s'était levé pour se dégourdir les jambes. Il marchait de long en large. Il semblait crispé, excédé par ce qu'il venait d'entendre. Un village détruit, une population anéantie. Femmes, enfants, hommes et pokémon. Rien n'avait survécu, outre la petite fille, qui était morte à l'hôpital devant les yeux larmoyant d'un membre du Conseil des 4. Toutes ses informations se bousculaient dans la tête de Stephen, tant et si bien qu'un Jungko toujours endormis fut prestement rappelé dans sa pokéball pour décuver.
Yann était toujours dans le canapé, l'air décontracté. Il regardait par la fenêtre, tandis que dehors les voitures roulaient au pas. La vie s'était éveillée à Céladopole. De temps en temps il se retournait pour jeter un coup d'œil à Stephen qui semblait remettre toutes les informations en ordre. Et il en avait bien besoin, avec tout l'alcool qu'il devait avoir dans le sang.
« Attend un peu ! s'exclama tout à coup Stephen en se tournant vers son ami, tu m'as dis au début que cela remontait à trois mois... vous avez foutu quoi pendant tout ce temps ? Et comment ça se fait que l'on n'en ait pas entendu parler à la télé ?
- Pour la téloche, c'est simple, on ne laisse rien filtrer. Le Conseil a placé une barrière mimétique autour du village, personne ne doit savoir ce qui s'est passé.
- Comment ça ? Mais des gens ont peut-être perdu un être cher là-dedans ! Et les habitants qui n'étaient pas là ? Comment vous avez fait ?
- Hypnomade est un pokémon très utile. Clément en a dressé plus d'un. »
Stephen continua de marcher de long en large en se frottant les yeux et les tempes. Cornèbre en avait profité pour se poster à la fenêtre, ses yeux laiteux tournés vers un soleil qui n'avait plus le pouvoir de l'aveugler.
« Tu veux me dire qu'en fait, le Conseil des 4 cache des informations vitales à la population ?
- Voilà, j'essaye de te dire qu'annoncer ce genre de chose à la face du monde équivaut à foutre en l'air nos recherches, autant passées que futurs, et créer un vent de panique. Et ne va surtout pas me faire croire que tu y vois un quelconque reproche étique à faire. N'est-ce pas, « Zéro » ? »
Stephen se figea sur place. Ainsi donc, Yann savait tout. « Zéro », ça faisait près de trois ans que personne ne l'avait appelé ainsi. Enfin, tout du moins que personne n'avait prononcé ce nom dans la rue ou à la télé. Zéro faisait aussi parti des choses à oublier définitivement, mais il semblait que Yann avait une tout autre idée en tête. Maintenant qu'il venait d'avouer à Stephen qu'il connaissait ce passé là, il était probable que ça ait motivé son choix de venir le retrouver pour lui proposer un job.
« Zéro, un héros pour le peuple, un criminel pour l'état et les biens pensant. Ca fait quoi d'être reconnu à travers tout un pays, si ce n'est plus ? »
Stephen ne répondit rien. Il avait baissé la tête, ses mèches de cheveux lui cachant une partie du visage, sa queue de cheval dégringolant par-dessus son épaule et les bras ballant. Il semblait réfléchir à ce qu'il allait dire, tandis que Yann, toujours assis tranquillement dans le canapé le fixait, attendant sa réaction.
Le jeune homme décida enfin à bouger. Il fit demi-tour et disparût dans le couloir qui menait à sa chambre. Yann l'entendit gratter dans de vieux cartons qu'il semblait vider sans retenu. Quelque chose se cassa, mais Stephen ne jura même pas. Yann affichait un petit sourire entendu.
Stephen revint quelques secondes plus tard, il portait quelque chose à la main. Un masque, ou plutôt un casque expérimental de l'armée. D'aspect ovale, lisse et fait d'un métal sombre, il était composé de quatre couches superposées pour l'arrière du crâne, et de deux couches à l'avant. Il était conçut pour résister à un impact de balle de gros calibre – même si le porteur s'en tirait avec un gros mal de crâne, et petit plus non négligeable : il protégeait son porteur de toute attaque psychique et physique en créant autour de lui un champ de force invisible. En réalité, ce casque offrait une quasi invincibilité.
Le jeune homme le jeta dans les bras de Yann qui ne parût pas surpris par ce geste.
« Ainsi donc, voici le fameux casque de Zéro. C'est un pur bijou de la technologie qui traîne dans ta chambre, à l'intérieur d'un vieux carton humide et puant. »
Yann déposa le casque sur le côté et reporta son attention sur Stephen.
« Ça, c'est fait. Je me demandais bien comment j'allais te parler de ça comme si de rien n'était. Néanmoins, je suis admiratif devant tout ça. Tu as su créer un climat de peur favorable chez les dirigeants politiques des pays, mais aussi chez les criminels de tous poils. Personne n'était épargné : les truands à la petite semaine, les voleurs, les braqueurs de haut vol, les tueurs, les violeurs... tu pouvais être partout et mettre fin à n'importe quelle genre d'abomination en quelques secondes. Enfin, ça c'est d'après les témoins. Tu n'imagines même pas le nombre de jeunes femmes qui auraient voulu t'épouser. Ce que les gens ne savent pas, en revanche, c'est la manière dont tu parvenais à tes fins. Combien as-tu tué de personnes sous le masque de Zéro ?
- J'ai arrêté de compter, fit Stephen d'une voix tout à coup plus sèche, plus rude.
- Je me disais bien aussi... quoi qu'il en soit, si le conseil n'appréciait pas tes méthodes, il faut reconnaître que l'on ne va pas pleurer les morts que tu as causées. Tous des criminels hein ?
- Tous, sans exception. Je n'ai jamais menacé un civil, et j'ai toujours tout fait pour les mettre à l'abri si le temps tournait au combat et que ça s'annonçait violent.
- Tu sais, à aucun moment je n'ai pensé qu'il pouvait s'agir de toi.
- Et comment tu as fait pour trouver tout ça ?
- Les périodes d'apparition de Zéro correspondaient à deux choses : la date de ta disparition, et la date de ta réapparition soudaine. Stephen Walsh, 3 Rue des Lilas, Bâtiment 1, 4e étage. Tu n'as même pas prit soin de cacher ton nom, je t'ai retrouvé facilement. Le reste, c'est de la déduction. Le seul pokémon qui était à tes côtés lors de tes apparitions... c'est Cornèbre. J'ai vite finis par voir qu'il était aveugle et j'ai mis ça en corrélation avec cette terrible nuit où... enfin bref, tu sais de quoi je parle. Au final, j'ai tenté le tout pour le tout, j'y suis allé au culot et ça a payé.
- Ouais, mais dis-moi un truc. Si tu es venu me voir, c'était juste en raison de notre longue amitié et parce que tu me considérais comme un bon dresseur ou simplement parce que Zéro peut t'être utile ?
- Tout ça à la fois... mais tu sais, si j'avais découvert qui était Zéro - et si ça n'avait pas été toi, je ne l'aurais pas contacté, alors que toi, je l'aurais sûrement fait même si tu n'avais pas été autre chose que Stephen Walsh durant toutes ses années. Et comme je te l'ai dit, cette affaire te concerne, en partie.
- Bien. Alors reprend là où on en était. Personne n'est au courant de rien, et l'étique se respecte dans ton job autant que dans le mien – enfin celui qui fût le mien sous ce masque. Raconte la suite. Qu'est-ce que vous avez foutu durant trois mois ?
- Pour Marion, le village détruit fût le choc de trop. Quand j'ai appelé les Equipes spéciales, je l'ai faite ramener. Donc depuis, je suis seul sur l'affaire. Enfin, plus pour longtemps j'espère. »
Stephen éluda cette supposition d'un revers de main. Il était impatient de connaître la suite.
« C'était un vrai carnage. Les Experts ont eu un mal fou pour retrouver tous les corps et transformer les ruines fumantes en zone de travail organisée. Ceux qui avaient perpétré tout ça devaient bien avoir laissé des traces ou quelque chose d'exploitable. Pendant un mois entier, les Experts ont tout passé à la loupe, le moindre centimètre carré a été analysé, la composition de chaque grain de sable fût établie. Pendant ce temps, au lieu de me tourner les pousses j'ai essayé de glaner quelques informations qui pourraient m'être utiles dans les voyages voisins. Mais le plus proche était à dix-sept kilomètres, le second à vingt-six. Personne n'a rien vu, rien entendu. J'étais dépité. Si les Experts ne trouvaient rien, l'enquête s'annonçait difficile. Impossible de commencer sans une piste de départ. Et c'est là que tout est allé très vite. Je venais de rentrer au village pour prendre connaissance des nouvelles lorsque Arcanin a senti la présence d'un intrus. Un type était en train de nous espionner. Et devine quoi ? Il portait...
- Les mêmes habits que ceux qui nous ont attaqué à la Ligue Indigo.
- Dans le mille. Ca m'a frappé, et d'un coup je me suis lancé à sa poursuite. Seulement, il a disparut comme par enchantement. Même Arcanin n'arrivait plus à le sentir. J'ai passé la semaine suivante à battre les bois et la montagne pour trouver un quelconque indice. Je commençais à désespérer – surtout qu'il est impossible de tromper le flaire de mon pokémon – quand je suis tombé sur une trappe, dissimulée sous le sol. »
Stephen leva un sourcil interrogateur. Il semblait boire les paroles de son ami.
« Je venais de passer une semaine à galérer dans les bois, j'aurais limite pu établir une carte précise de la zone, et là je tombe sur une trappe ! Ca ne m'était même pas venu à l'esprit que le crétin que je coursais avait simplement disparût sous terre ! Enfin bref. J'étais trop excité pour attendre des renforts... et puis, après tout, j'étais un dresseur d'élite de la ligue, j'opérais en solo et c'était mon enquête...
- Et alors ? Qu'est-ce qu'il y avait derrière cette trappe ? » demanda Stephen, captivé.
Yann se leva, l'air solennel. Il attrapa ses lunettes de soleil et les posa sur son nez d'un geste rapide et sûr. Stephen cru un instant qu'il voulait faire languir son interlocuteur quelques secondes de plus, mais il n'en était rien. Il prit sa voix la plus posée, et dit à Stephen :
« Il y a là-bas la preuve formelle que ceux contre qui tu nourris une haine sans borne existent encore aujourd'hui. Il y a sous terre des choses que je ne peux pas t'expliquer. Même pour un gars comme moi ce serait trop dur. J'ai vu bien assez d'horreurs comme ça pour en parler. Je crois que le mieux... ce serait que tu viennes avec moi, pour voir. »
Stephen fixait son ami, l'air pensif. C'était tentant. Une enquête palpitante menée par le duo explosif, la poursuite d'un idéal de vengeance. Apaiser sa haine, exorciser les vieux démons. Faire de l'alcool un fantôme du passé. Tout ça était vraiment tentant.
Stephen se tourna vers son Cornèbre, qui était toujours à la fenêtre, sauf que cette fois, il fixait son maître, comme s'il attendait une réponse rapide de sa part. Mais Stephen y décela aussi de la rage, et de la haine, non pas dirigée contre lui, mais contre « eux ». Ceux qui avaient tué sa maîtresse. Les responsables de son handicape pouvaient payer, seulement si Stephen en décidait ainsi.
« Ecoute, j'ai besoin de toi Stephen. Cette affaire... s'annonce bien longue et difficile. J'aurais besoin d'un as en combat pokémon, d'un type capable de faire marcher ses neurones. J'ai besoin d'un ami à mes côtés, pas d'un illustre inconnu aussi fort soit-il. Bien sur tes compétences à... devenir Zéro pourront nous être utile. Ce que nous avons découvert là-bas dépasse de loin tout ce que tu peux imaginer en cet instant. Comprend-moi, je ne veux pas plonger dans un abîme de folie tout seul, ce serait suicidaire ! Je ne pourrais pas porter un fardeau aussi lourd. Il n'y a que toi qui puisses m'aider... tu portes déjà le fardeau d'une mort, et ce serait l'idéal pour que toi aussi tu partages. Ensemble, on pourrait arriver à des résultats ! Et je sais que la mort d'une gamine ne te laisse pas indifférent. La torture de pokémon non plus, et quand tu auras vu ce que moi j'ai eu en face des yeux, tu ne pourras plus reculer, tu ne pourras plus décemment dire que le monde tourne rond ! »
La voix de Yann se faisait de plus en plus hésitante. Il était en pleine détresse. Le Yann sûr de lui avait temporairement disparu, pour laisser la place à un Yann apeuré, éprouvé. Stephen savait qu'il ne jouait pas la comédie, sinon il n'aurait pas remis ses lunettes pour cacher des yeux pleins de tristesse et de haine. Il avait du voir des choses horribles, et il lui demandait maintenant de les voir à son tour. Ce qu'il voulait, c'était partager cette douleur. Et c'était aussi le moyen pour Stephen de sortir de toute cette merde. Plus d'alcool jusqu'à outrance, plus de déprime sur un canapé miteux dans un vieil appartement pourris. Etait-ce vraiment là une solution possible ?
En voyant tout à coup son ami dans un tel état, après toutes les horreurs qu'il venait de dire d'un air serein, Stephen maudit à l'avance les paroles qu'il allait prononcer. Il délaissait sa vie misérable, mais pour quoi ? Pour une chasse aux fantômes ? Quitter les tréfonds nauséabond d'une âme embrumée par l'alcool pour atterrir en enfer... finalement... c'était plutôt tentant. Comme au bon vieux temps ! Les deux compères allaient reprendre du service et... il semblerait que Zéro soit de la partie.
« T'as la tête d'un mec au bord de la dépression nerveuse. Si je viens, c'est uniquement pour te chaperonner.
- Comme d'hab, fit remarquer Yann, d'un ton ironique mais néanmoins soulagé.
- Tu parles ! Laisse-moi juste le temps de me raser et de rassembler quelques affaires. »
Il se tourna ensuite vers le pokémon Ténèbres qui attendait patiemment sur le rebord de la fenêtre.
« Cornèbre ? Ca te dirait une petite vengeance ? Mais attention, un truc bien, avec du sang et des larmes, comme avant. Tu te rappel ? »
Stephen attrapa le masque de Zéro et le plaça à côté de son visage, devant un Yann incrédule. Son ami venait-il de disjoncter ? Ou la perspective de sortir respirer un peu d'air frais le mettait dans tous ses états ?
« Comme au bon vieux temps ! Yann et Stephen, Cornèbre et Zéro. C'est une offre qui ne se refuse pas ! »