Pikachu
Pokébip Pokédex Espace Membre
Inscription

Portrait de ville de Corpus09



Retour à la liste des chapitres

Informations

» Auteur : Corpus09 - Voir le profil
» Créé le 23/02/2020 à 12:26
» Dernière mise à jour le 23/02/2020 à 22:08

» Mots-clés :   Fanfic collective   Kalos

Si vous trouvez un contenu choquant cliquez ici :


Largeur      
Guillaume
Le Couafarel bien peigné bondit sur le siège arrière sur un ordre de l’humain qu’il accompagne. Il ne semble pas à l’aise dans cette voiture et se réfugie du bout des pattes sur les genoux du jeune homme. Celui-ci affiche un look passe-partout mais qui se veut étudié : baskets éclatantes, jeans sans un seul faux pli, veste en simili cuir ouverte sur un T-shirt blanc arborant le logo d’un groupe militant local et casquette de couleur claire sur la tête. Ses cheveux en revanche lui donnent un aspect négligé : trop longs pour être courts et trop courts pour être longs, c’est comme s’il les avait laissés pousser sans chercher à entretenir une coiffure décente.

-A la place verte, s’il vous plaît, annonce-t-il d’une voix sèche.

Il regarde par la fenêtre d’un air absent et caresse son Pokémon d’une main distraite. D’où il est, il peut apercevoir la carrosserie dans le rétroviseur côté passager. Il soupire avec découragement.

-Me dites pas que je suis monté dans le taxi orange. C’est le taxi orange ?

Le chauffeur répond d’un geste de la tête lent et appuyé, sans se retourner. Le jeune homme soupire encore.

-Tant pis, je payerai ma course comme dans les autres taxis. Je n’ai pas envie de parler.

Le chauffeur ne dit rien. On entend que le bruit du moteur, ainsi que les couinements du petit Couafarel qui ne tient pas en place et piétine le pantalon de son compagnon. Il a l’air malheureux.

-Tiens-toi tranquille, Chantilly. Et arrête de t’inquiéter, je vais bien.

L’intonation ne corrobore pas les paroles. Le Pokémon s’est couché mais il couine encore. Il ne sait pas comment se comporter. L’humain semble vouloir justifier le comportement de son ami à poils longs.

-Chantilly n’est pas contente parce que d’habitude je rentre du travail à pied, et elle en profite pour faire ses besoins. Mais j’habite presque à l’autre bout de la ville et la promenade est longue et laisse beaucoup trop de temps pour réfléchir. Ce soir, je ne veux pas penser. Je veux qu’il soit rapidement demain et comme ça je retournerai au travail. Bref.

Le jeune homme se tait à nouveau. Il observe les nombreux passants qui se croisent sur les trottoirs, à la lueur des réverbères. Ils ne semblent pas se voir pourtant ils s’évitent avec aisance. Dans la voiture, la radio est éteinte et le silence pesant. Il capitule.

-D’accord, vous gagnez. Je n’ai pas envie de parler mais j’ai encore moins envie de réfléchir, et si je parle, je suis sur pilotage automatique et je n’ai pas besoin de réfléchir, donc ça passe le temps et ça me permet de faire une pause et comme ça je pense à autre chose. Bref.

La phrase a été longue. Le jeune homme s’en rend compte car il est à bout de souffle. Il inspire une grande goulée d’air en tentant de ne rien laisser paraître. Chantilly a remarqué l’essoufflement de son compagnon mais, puisqu’il parle, elle a cessé de gémir.

-Je m’appelle Guillaume. Je travaille à la centrale. Au service PPA. Ça veut dire projet pour l’avenir. Bref, mon boulot, c’est de trouver des énergies renouvelables pour, à terme, remplacer toutes celles qui polluent. Je fais des recherches sur l’énergie produite par les Pokémons. J’ai émis l’hypothèse que les Pokémons ne sont pas tous nés pour combattre. Prenez les Pokémons Combat par exemple. Eux, c’est dans leurs gênes, ils aiment ça, la bagarre. Les Clic et les Ticlic, qui sont au centre de mon étude, eux, ils sont moins fans. C’est normal, ils ne sont pas taillés pour ça. Ce sont d’ailleurs des Pokémons unanimement considérés comme très faibles, peu de dresseurs les utilisent. Bref, j’ai conçu une machine qui permet aux Clic et Ticlic de travailler ensemble, comme s’ils formaient un engrenage purement mécanique fabriqués par la main de l’homme. C’est une activité qu’ils font spontanément en milieu naturel et qui contribue à leur épanouissement, ce sont des Pokémons grégaires. Bref, ma machine stocke une partie de l’énergie électrique qu’ils produisent, pour ensuite pouvoir la réutiliser pour faire fonctionner des systèmes électroniques par exemple. Je ne récupère qu’une partie de l’énergie, parce qu’il s’agit de ne pas les épuiser. Tout l’enjeu est de calculer quel pourcentage de l’énergie prélevée, en fonction du temps de fonctionnement de la machine, sera rentable sans fatiguer outre mesure les Pokémons. Bref, je vous passe les calculs mais en gros j’ai réussi à démontrer que les Ticlic qui travaillent de cette manière produisent de l’électricité en quantité bien supérieure à celle qu’on obtient d’un Ticlic en combat. Pour moi, la raison de cette différence est simple. C’est parce que les Ticlic s’épanouissent davantage dans cette activité d’échange entre eux et de mise en commun de leurs ressources respectives qu’en combat. Parce qu’ils font quelque chose qu’ils aiment, ils produisent plus.

Cet exposé de sa thèse de doctorat a radouci Guillaume. Il adore les sciences. C’est clair, précis, factuel, objectif et impartial ; il n’y a que ça de vrai.

-Vous comprenez ?

Guillaume interroge du regard le conducteur dans le rétroviseur. Celui-ci acquiesce sans mot dire alors Guillaume fait la moue.

-Vous êtes muet ou on vous a interdit de parler ?

Chantilly, qui s’était roulée en boule sur les genoux de son compagnon humain, ressentant de manière très intense les changements d’humeur de celui-ci, perçoit une pointe d’agacement dans sa voix. Elle relève alors la tête et se met à grogner.

-Hé, doucement ma belle, tempère Guillaume. Ce n’est rien, tu vois ? Je vais bien.

Il caresse la fourrure blanche dans le sens du poil. Le Couafarel souffle alors bruyamment puis étend son cou dans le vide, à gauche de la cuisse de Guillaume, et sa truffe humide s’écrase mollement sur le tissu du siège arrière. Cela arrache un sourire au jeune homme.

-Chantilly est un peu lunatique. Elle peut passer d’un comportement agressif à un comportement de gros pacha fatigué en quelques secondes. La concierge de mon immeuble, Mme Danièle, a un Mistigrix. Un jour, Chantilly va lui faire la fête, le lendemain, elle va lui courir après en aboyant comme une folle et le troisième jour, elle passera à côté de lui en le snobant superbement. Bref. Elle n’est pas cohérente avec elle-même dans la vie de tous les jours, ajoute-t-il avec une pointe d’amusement dans la voix.

Cette dernière phrase n’a rien de drôle en soi mais elle éveille des souvenirs agréables chez Guillaume qui ne peut refreiner l’envie de les partager.

-Être cohérent avec soi-même dans la vie de tous les jours, répète-t-il en hochant la tête d’un air entendu. Ou, plus exactement, être synchronisé avec soi-même dans la vie de tous les jours. C’est une blague récurrente entre Thomas et moi. Thomas, c’est mon meilleur ami, on se connait depuis le lycée et on ne s’est jamais vraiment quitté depuis. On a vécu en colloc pendant un temps mais on a arrêté il y a deux ans parce qu’il a emménagé avec Juliette, sa fiancée. Bref, ça remonte à l’époque où on était au lycée. C’était en cours d’acrosport, il me semble. Je ne sais plus pourquoi, on faisait de la danse. Bref, Thomas et moi étions avec deux autres potes et on avait un mal de Ponchien à coordonner nos mouvements. Alors notre prof a sorti son M. Mime et nous a demandé d’écouter ses conseils. M. Mime a lancé un « Miiiime » retentissant en nous regardant. Nous, vous imaginez bien, on était perplexe !

Guillaume s’interrompt en riant, il a l’impression de revoir les images. Chantilly s’agite parce qu’il a arrêté de la caresser.

-Le prof nous a alors regardé très sérieusement et nous a dit : « Ce qu’il veut dire, c’est que si vous voulez être de bons danseurs de danse synchronisée, vous devez être synchronisés avec vous-mêmes dans la vie de tous les jours. Oui, en langage Mime, ça se dit « Miiiime ». » C’était tellement improbable que ça nous est resté. On se le ressort de temps en temps. Bref.

Le jeune homme se sent un peu gêné d’avoir partagé cette histoire avec le chauffeur silencieux mais, en le regardant plus attentivement, Guillaume s’aperçoit qu’il esquisse un sourire. Il n’est pas fait de marbre finalement !

Le taxi est bloqué depuis un long moment à une distance respectable d’un feu rouge. Le carrefour est tellement encombré que c’est tout juste si une seule voiture peut s’y engager chaque fois que le feu passe au vert. Etonnamment, et malgré les motos qui zigzaguent par à-coups entre les voitures arrêtées, personne ne klaxonne.

-Les gens sont tellement habitués à ce que ce soit le chaos, il n’y a plus personne qui bronche, commente Guillaume. Vous sortez du boulot à dix-huit heures, vous n’êtes pas chez vous avant dix-neuf heures trente alors que vous n’habitez même pas loin de votre taf. C’est agaçant, énervant, tout ce que vous voulez, mais tout le monde trouve ça normal et les gens sont tellement fatigués qu’ils n’ont même plus le courage de se débattre face à tant d’injustice. En hiver c’est pire. Vous sortez de chez vous le matin, il fait nuit. Vous vous enfermez dans un bureau toute la journée, et quand vous ressortez, il fait encore nuit. Et après, tout Kalos s’étonne de l’intensité de la vie nocturne illumisienne. Mais c’est parce qu’il ne fait jamais jour !

Guillaume réprime un rire puis soupire d’un air compatissant tandis que sur le trottoir des piétons pressés doublent la longue file de voitures sans difficulté.

-J’ai grandi ici, confie-t-il. Je suis un vrai gars de la ville. Je ne l’ai jamais beaucoup quittée. Mais quand j’étais gamin, je partais tous les ans au bord de la mer avec mes parents et mon frère pendant les vacances. On a une maison à Relifac-le-Haut. Ça doit faire…

Guillaume prend le temps de réfléchir. Il a vingt-quatre ans. La dernière fois qu’il est parti en vacances en famille remonte à l’année où il a obtenu son diplôme de fin de lycée.

-Presque six ans que je n’y suis pas allé, conclue-t-il. Les dernières années, j’y invitais Thomas, on allait faire du surf. Après, pendant nos études, on a continué à surfer, mais on faisait du camping. C’est là-bas que Thomas a rencontré son Gamblast.

Guillaume grimace. Il reprend avec hésitation :

-Ce n’est pas vraiment le sien. C’est difficile à expliquer. Thomas et moi, on est pareil, on considère que les Pokémons n’ont rien à faire dans des Poké Balls. Prenez Chantilly par exemple. Elle est ma compagne Pokémon mais pas vraiment mon Pokémon, vous comprenez l’idée ? Elle vit sans Poké Ball donc elle reste avec moi parce qu’elle en a envie, pas parce qu’elle y est obligée.

Apaisée par les mouvements de la main du jeune homme qui va et vient sur son dos, le Couafarel ne daigne même pas signifier qu’il a entendu son nom. Il se roule même davantage sur le côté pour permettre à Guillaume de caresser son ventre. Celui-ci est obligé d’appuyer son bras contre le dos du Pokémon pour le retenir et éviter qu’il ne tombe de ses genoux. Chantilly a entièrement confiance en lui ; elle sait qu’il ne la laissera pas tomber alors elle s’avachie encore davantage et se repose de tout son poids sur son bras.

-Thomas et moi, on est dans un groupe de militants anti-combat et anti-Poké Balls, reprend Guillaume. On se réunit souvent dans des cafés pour discuter de l’avancée de notre lutte, on essaie de sensibiliser l’opinion à notre idéal, dans les médias, et aussi en manifestant. Mais le sujet des Poké Balls est vraiment très sensible. Nous sommes peu à être prêts à y renoncer. Ça voudrait dire accepter de changer complètement notre façon de vivre. On ne pourrait plus que côtoyer au quotidien des Pokémons assez petits pour nous suivre partout. Ça contraindrait beaucoup de dresseurs à changer de métier, et à se séparer de beaucoup de leurs Pokémons. C’est pour ça que je dis que le Gamblast de Thomas n’est pas vraiment le sien. Thomas a sympathisé avec lui pendant le tout premier été où il m’a accompagné à Relifac-le-Haut. Ses parents sont des anti Poké Balls de la première heure, ils l’ont toujours élevé dans cette idée qu’il faut respecter les Pokémons comme nos égaux, des êtres avec qui on peut travailler, main dans la main, si chacun y trouve son compte. A son tour, c’est lui qui m’a sensibilisé à l’idée. J’avais un Marisson à l’époque. J’ai fini par lui rendre sa liberté car j’ai compris que lorsqu’il évoluerait, s’il n’avait pas de Poké Ball, il ne pourrait plus me suivre partout. C’est grand, un Blindépique. Mais c’était il y a longtemps. Bref.

Guillaume n’a jamais regretté son choix mais se séparer de son compagnon d’enfance par conviction politique a été un moment difficile pour lui. Il n’aime pas y repenser.

-C’est pour cette raison que Thomas n’a pas capturé Gamblast. Parce qu’il se serait senti à l’étroit dans un appartement illumisien. Thomas l’a quitté à la fin de l’été sans espoir de le revoir et pourtant, chaque année depuis, quand on retourne à Relifac, Gamblast trouve le moyen de rejoindre Thomas. Vous ne trouvez pas ça extraordinaire ? C’est beau l’amitié. Bref.

Parler de sentiments met toujours le jeune homme mal à l’aise. Mais aujourd’hui, c’est pire que d’habitude, beaucoup trop éprouvant. Il jette un coup d’œil à travers la vitre à la ville qui s’agite juste derrière ; tout près de lui, et en même temps très loin. Il a l’impression d’être complètement déconnecté de la réalité, comme si tout cela n’était qu’une simulation. Il reconnaît le restaurant au coin de la rue. Il sera bientôt en bas de chez lui. Dire que ce matin, il est sorti en courant parce qu’il avait hâte de la retrouver…

Il étouffe un juron. Chantilly se redresse alors, l’air inquiet.

-Quelle journée de merde.

Il aperçoit dans le rétroviseur les sourcils du chauffeur qui se froncent. L’homme s’étonne de ce changement soudain d’humeur car il n’a pas pu suivre le cours des pensées de son client. Guillaume grommelle en levant les yeux au ciel.

-Je me suis disputé avec ma copine, voilà, vous êtes content ?

Chantilly se met soudain à japper avec angoisse et à trembler.

-C’est rien, c’est rien, soupire Guillaume, l’air soudain adouci, en prenant le frêle Pokémon dans ses bras. Je vous prie de m’excuser, monsieur, je ne voulais pas me montrer grossier. C’est votre histoire de « racontez, c’est payé » qui m’agace, je trouve ça hyper intrusif. Bon, au point où j’en suis, autant vous raconter l’histoire. Pour la faire courte, j’ai rencontré une fille, il y a quelques semaines, une nouvelle venue dans le groupe des anti-combat. Elle a une Luxio d’une timidité maladive, pire que Chantilly. Elle aussi, elle est contre les Poké Balls. On a tout de suite accroché. Ça marchait même tellement bien entre nous que j’ai pensé que j’avais enfin rencontré ma Juliette.

Guillaume ne l’a jamais avoué parce qu’il ne veut pas faire de la peine à Thomas, mais il est jaloux de la complicité que celui-ci a avec Juliette. Jusqu’à récemment, il avait toujours pensé qu’il ne connaitrait jamais une telle félicité. Il avait changé d’avis après avoir rencontré cette fille aux cheveux bleus et au sourire extraordinaire mais il commence à se dire que sa première idée est sans doute la bonne : il finira sa vie tout seul dans une usine remplie de Ticlic heureux produisant des gigawatts et des gigawatts d’électricité.

-Bref, elle m’a menti et elle me l’a avoué cet après-midi. Pas menti, caché la vérité ! Oui, parce que madame aime jouer sur les mots ! Elle voudrait qu’on continue comme avant. Je ne peux pas, moi, c’est trop grave ! Elle est… elle est… Je ne trouve même pas les mots. Bref !

Depuis toujours, quand Guillaume est en proie à des émotions trop fortes, quand il est anxieux, malheureux ou énervé, ses tics de langage le reprennent. Il le sait, qu’il dit « bref » tout le temps, il ne peut simplement pas s’en empêcher.

Le taxi se gare finalement sur le bas-côté, à l’entrée de la place verte.

-Déjà arrivé ? Bon, vous n’aurez pas la fin de l’histoire dans ce cas. Et moi non plus. Je crois que je préfère encore ne jamais la revoir. C’est brutal mais ça a le mérite d’être définitif. Je ne veux plus jamais avoir affaire avec elle. Merci pour la promenade, et passez une bonne soirée.

Guillaume détache sa ceinture de sécurité et ouvre la portière. Chantilly bondit dehors et se retourne pour vérifier qu’il la suit. Cela lui arrache un sourire triste. Il sait qu’il peut compter sur son Couafarel. Elle au moins, elle ne le trahira jamais.

By Mentalira