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La Société des Douze de Denser



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» Auteur : Denser - Voir le profil
» Créé le 11/06/2007 à 14:29
» Dernière mise à jour le 07/07/2007 à 19:43

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Retrouvailles
Le jeune homme cligna des yeux tout en grimaçant quand les éclatants rayons de l'astre du jour vinrent se poser avec une délicatesse emprunte de légèreté sur son visage endormi. Le large faisceau lumineux traînait derrière lui de fines particules de poussières qui semblaient briller d'une lueur blanchâtre, comme de minuscules grains de diamant en suspension dans l'air.
Encore tout engourdi par le sommeil, Stephen tenta de chasser cette inopportune lumière qui tentait de le troubler de si bon matin, comme s'il chassait une mouche un peu trop audacieuse. Le succès très relatif de cette tentative le fît grogner de mécontentement, l'obligeant à ouvrir un œil collé et cerné par la fatigue. Il n'avait pas souvenir que cette simple action puisse apporter autant de souffrance. Alors qu'il prenait conscience de sa situation – c'est-à-dire d'être avachi dans son canapé encore tout habillé, une vive douleur lui vrilla le crâne. Il gémit, referma son œil et se laissant aller sur le dos dans le vieux sofa couleur de vase il porta une main à sa tempe douloureuse.

Il resta ainsi durant de longues minutes, massant son crâne endolori et priant pour que les tambours s'arrêtent enfin de produire un son digne de mille fanfares, tandis que sous ses paupières closes défilaient des flashs lumineux et des formes multicolores qui semblaient le narguer en se lançant dans une danse ininterrompue.
Finalement, presque machinalement, Stephen ouvrit les yeux. Non pas que la douleur l'avait quitté, mais il y était habitué. Depuis plusieurs mois, plusieurs années même, le jeune homme se réveillait le matin avec une gueule de bois de plus en plus mémorable de jour en jour. Au point qu'il l'avait surnommée sa vieille amie. L'alcool avait été pour lui la réponse à ses problèmes. Ça et un isolement du monde extérieur.

Stephen n'était plus que l'ombre de lui-même : sa peau avait perdu la belle couleur mate de celui qui passe sa vie en plein air et ses muscles saillaient maintenant comme des masses sèches et brutes sur un corps qui semblait frêle et fragile. Les vapeurs d'alcool lui avaient obstrué les sens, ses yeux étaient recouverts d'un voile de ténèbres et d'indifférence, rendant son regard aussi mort que le silence. Sa lèvre sèche pendait mollement sur son menton, sa bouche entrouverte quémandant toujours un peu plus du breuvage destructeur mais si apaisant pour son esprit tourmenté. Même ses cheveux châtains autrefois longs et brillants étaient devenus ternes, retenus par un élastique dépouillé de son enveloppe et bon à jeter. Les soins apportés à son corps étaient minimes, ses remèdes portaient le nom d'alcools forts et l'hygiène n'était plus à l'ordre du jour. Une vieille odeur de rance et de renfermé flottait dans l'appartement miteux plongé en permanence dans la pénombre. Seule la petite fenêtre par laquelle pénétraient insidieusement les rayons du soleil qui venaient caresser le visage du jeune homme permettait à l'appartement de ne pas se retrouver dans le noir le plus complet.

Sur le sol et sur les meubles traînaient les cadavres d'anciennes compagnes, le goulot à l'air et le ventre aussi vide que le néant. Des emballages de boîtes à pizza et autres joyeusetés commandées au fast-food du coin étaient éparpillés un peu partout, donnant à l'appartement une allure de champ de bataille, un no man's land poussiéreux où venaient pourrir tous les restes de la vie quotidienne de ce jeune homme de vingt-cinq ans. Une vie qui n'avait plus aucun sens.

Seul, étendu sur son canapé miteux, il se laissa aller à de douloureux souvenirs. Comme tous les jours. Des souvenirs de morts. Les mêmes images qui, à chaque instant de ses pitoyables journées, venaient se sur imprimer sur sa rétine, le laissant parfois amorphe durant de longues minutes. Il aurait préféré oublier ces souvenirs pour toujours, mais seul l'alcool lui permettait de se soulager l'esprit pendant quelques heures, avant que tout ne revienne au galop.
Une larme coula le long de sa joue blafarde, et Stephen n'y prit pas attention. La goutte de liquide salée continua son chemin avant de se perdre dans l'épais duvet châtain clair qui mangeait le bas de son visage, recouvrant des mâchoires saillantes et un menton pointu. Au même moment, il souffla faiblement pour tenter de chasser une mèche de cheveux encombrante qui venait de se poser sur son visage, le chatouillant péniblement. Mais l'alcool avait aussi altéré sa condition physique et le simple fait de devoir expirer de l'air pour chasser une insignifiante mèche de cheveux lui coûtait un gros effort.

Alors que dans le lointain, derrière la ligne brisée des monts, le soleil s'élevait à présent haut dans le ciel tel un roi majestueux, les premières voitures passèrent dans la rue, comme au ralenti. La ville n'était pas encore totalement réveillée, les passants se faisaient discrets, le livreur de journaux entamait tranquillement sa tournée quotidienne, jeune garçon d'une dizaine d'années juché sur un vieux vélo à sacoche et profitant des derniers souffles d'air frais avant que la chaleur écrasante de ce mois de Juillet ne vienne paralyser complètement la ville.
Bientôt, les rues seraient encombrées d'automobilistes, les passants se déplaceraient bruyamment sur les larges trottoirs bondés, il y aurait des cris, des pleurs, et tout une faune de bruits et une flore de sons propres aux grandes villes. L'air si pur à cette heure serait chargé des odeurs immondes des gaz d'échappements, la pollution rendrait l'air quasiment irrespirable, à tel point que certaines personnes se déplaceraient avec un masque sur le visage. Les touristes formeraient des troupeaux discordants et criards, prenant en photo la moindre chose sans intérêt. Dans les hauts buildings de verre et d'acier, les businessmen mettraient tout en œuvre pour se remplir les poches, contenter les actionnaires et rendre les gens pauvres encore plus qu'ils ne l'étaient. Dans ces grands bureaux construits à la cime de géants de métal, les bureaucrates prendraient des décisions importantes, signeraient des accords et ordonneraient la construction d'un nouveau centre commercial là où dix ans plus tôt s'élevaient un parc verdoyant. Dans les casinos florissant, les joueurs invétérés feraient exploser la banque, ou au contraire perdraient tout. Les vieux tripots et autres pubs seraient envahis par les yankees avides de matchs de soccer, durant lesquels les tournées se succéderaient tandis que s'égrèneraient les heures, jusqu'au final explosif où les plus soûls d'entre eux se frapperaient au visage de leur gros poings de bûcherons. Les cafés et les terrasses seraient bondés, les salles d'arcades emplies de jeunes fumant et rigolant à gorge déployée, se jetant avec une avidité inhumaine sur les machines de jeu de combat. Et le soir venu, quand les esprits auraient été correctement échauffés, les mêmes gosses inconscients se jetteraient les uns sur les autres, essayant en vain de placer un coup répliquant de ces mêmes jeux violents, pour une histoire de cigarette volée. Des truands tenteraient le casse du siècle avec autant de succès que s'ils avaient tenté de sauter en parachute sans parachute, des petites frappes voleraient des sacs à main, des voleurs s'approprieraient des pokéball qui ne leurs appartiennent pas, des enfants seraient kidnappés, des clodos battus à mort, et pourtant, tout continuerait d'avancer implacablement jusqu'au soir, jusqu'à l'heure où la nuit reprend ses droits. Ce monde là continuerait de tourner tandis que seul dans son appartement, Stephen ressasserait un triste passé destructeur dans son cerveau nécrosé.

Le jeune homme jura lorsqu'en se levant, il faillit trébucher sur une bouteille de bière vide qui roula sous le canapé rejoindre ses cousines décédées. Il semblait faible, sur le point de s'écrouler. Il avançait à tâtons, le dos et les épaules courbés, une main apposée sur son ventre douloureux. D'un pas traînant, il traversa le salon, esquivant au passage – par pure habitude – une immense malle débordant d'objets en tous genres. Il passa à côté d'une masse verdâtre mollement échouée dans un coin de la pièce, un nombre incroyable de packs de bière l'entouraient. Cette chose vivait car l'on pouvait voir sa peau se soulever et redescendre au rythme de sa respiration apathique. Stephen buta contre une bouteille de vodka à moitié vide, répandant par la même le reste de son contenu sur le sol.

« - Putain, Jungko... tu pourrais ramasser tes bouteilles ! » jura le jeune homme d'une voix qui fût autrefois calme et chantante comme du cristal, aujourd'hui devenue rêche et pâteuse.

Il n'eut pour seule réponse qu'un grognement bestial signifiant que le gros pokémon plante dormait et se refusait à être ainsi réveillé de si bonne heure. Lui aussi, se dit Stephen, devait avoir dompté sa vieille amie.

Le chemin jusqu'à la salle de bain fût plus rapide, il n'avait qu'à suivre le couloir et se laisser échouer par la porte – à la peinture blanche écaillée – entrouverte. Comme tous les matins, un haut le cœur le poussa vers la cuvette des toilettes. Il vomit.

@@@@@

La sonnette retentit dans tout l'appartement, tirant Stephen de son vomi. Qui pouvait bien venir le voir ? Personne n'était jamais venu le voir, même le facteur avait rapidement déserté. Le dernier individu à être venu lui rendre visite fût un huissier de justice, pour raison de trois loyers impayés, mais tout été rentré dans l'ordre, et depuis plus personne n'était venu.
S'aidant de ses mains qu'il apposa sur la cuvette des toilettes, Stephen se releva tant bien que mal. Mécaniquement, il se passa un coup d'eau sur la bouche puis sur la figure.

On sonna une deuxième fois. Stephen grogna plus pour lui-même que pour celui qui s'impatientait derrière la porte, avant de s'essuyer le visage à l'aide d'une serviette toute tâchée qu'il jeta ensuite par terre. Tout n'était pas encore bien en place dans sa tête, la douleur était encore là, silencieuse pour l'instant mais tapie dans un recoin de son esprit, et prête à surgir au moment le plus opportun. En traversant de nouveau son appartement, le jeune homme réussit à esquiver tous les obstacles. Il ne jeta même pas un coup d'œil vers le Jungko endormi et soûl. Alors qu'il passait près d'un plan de travail qui séparait cuisine et salon, près de la porte d'entrée, il aperçut du coin de l'œil l'oiseau au plumage anthracite et au bec d'ambre se tenir immobile et droit comme une statue, son regard laiteux et aveugle dirigé vers les ténèbres. Ce Cornèbre était la marque de son passé, un point d'encrage nécessaire pour toute cette peine. Car ce pokémon de malheur ne lui appartenait pas, ou tout du moins il fût un temps où il ne lui appartenait pas. Et le voyant ainsi, comme chaque jour, Stephen resta paralysé, contri dans une nouvelle montée de tristesse.

La sonnette le tira de ses sombres pensées pour la troisième fois consécutive. Stephen détourna le regard de l'oiseau immobile et s'en alla ouvrir la porte. Alors qu'il posait la main sur la poignée, il trouva la force de gueuler :

« Ouais, bordel, j'arrive ! »

Toujours bien accueillir ses visiteurs était une règle. Le jeune homme pesta alors qu'il tournait le pommeau d'acier couleur or écaillé tout en faisant jouer la clé dans la serrure. Un petit bruit sec indiqua que la porte pouvait maintenant s'ouvrir, ce qu'il fit.

Avant même de comprendre ce qui se passait, il y eut un choc, un craquement d'os sonore et répugnant, le claquement des dents les unes contre les autres, puis à nouveau un choc avec le sol, et enfin de petites lumières dansantes rappelant des feux follets au fin fond d'un bois mystérieux. Stephen s'était affalé sur le dos, sa tête avait heurté le parquet avec une rare violence, lui arrachant un petit cri étouffé. Il porta instinctivement la main à sa mâchoire douloureuse, et ne sentit pas de sang couler. Ses lèvres étaient intactes, et d'un coup sec il replaça le membre endolori à sa place, qu'il n'avait pas quitté bien longtemps. Sous son crâne, la fanfare du siècle décida qu'il était temps de reprendre sa longue cacophonie.

Dans un maelström de douleur, Stephen réussit à se redresser en utilisant ses coudes, mais l'envie irrésistible le prit de se frotter l'arrière du crâne pour voir s'il n'y avait pas de sang, et cela le déséquilibra. Il réussit néanmoins à entendre une voix qui le cloua sur place, l'obligeant à ouvrir les yeux pour voir s'il s'agissait bel et bien de celui à qui il pensait.

« Et bien, on dirait que tu as perdu tes réflexes. »

La voix était grave, nonchalante, mais non dénuée de sensualité. Cette voix-là, Stephen l'aurait reconnue entre mille. Il se redressa une nouvelle fois avec succès, remettant le massage de crâne à plus tard. Un homme du même âge que lui – bien qu'il en paraissait dix de plus – se tenait dans l'encadrement de la porte. Il portait blouson et pantalon de cuir noir, de longs cheveux d'ébènes cascadaient sur ses épaules, et son visage mangé par un début de barbe rêche était dissimulé en partie sous une paire de lunettes sombres. Il semblait toiser Stephen de toute sa hauteur et l'écraser dans toute sa prestance. Il affichait un sourire à la fois amusé, mais aussi déçu.

« Tu risques d'être beaucoup plus déçu par la suite mon petit Yann » pensa Stephen, une soudaine animosité s'installant sur son visage qui était il y a peu si inexpressif.

Le jeune homme réussit à se relever tant bien que mal, tandis que loin derrière lui, dans les ombres de l'appartement, le bruit mat d'un objet lourd qui tombe sur le sol se fît entendre. Jungko venait de se lever et de trébucher sur la même bouteille de vodka qui faillit faire perdre l'équilibre à son dresseur quelques minutes plus tôt.

« Tu pus l'alcool. Tout put l'alcool ici. » fît remarquer le nouveau venu d'une voix qui ne trahissait aucune émotion.

Stephen, pouvant maintenant se masser l'arrière de la tête alors qu'il avait réussi à trouver un équilibre tout relatif pour rester debout, grogna quelque chose d'incompréhensif.

« Me dis pas qu'en plus tu as perdu l'usage de la parole. Tu es tombé plus bas que je ne me l'été laissé imaginer mon cher Stephen.
- Va te faire foutre, Yann, ça te va comme réponse ? Va te faire foutre. »

Le dénommé Yann secoua la tête, mais il paraissait plus amusé par la situation que dépité. On aurait même pu croire qu'il s'était attendu à retrouver Stephen dans cet état pathétique. Ce dernier se détourna d'ailleurs de l'homme en noir, donnant l'impression d'un désintérêt massif et complet. Il alla se laisser choir dans son vieux canapé mangé par les mites, une main toujours trifouillant dans ses cheveux. Derrière lui, Yann referma la porte sans quitter Stephen des yeux, puis il s'approcha.

« Alors, c'est tout ce que tu as de beau à me dire ? demanda le jeune homme en noir avec un brin d'ironie dans la voix.
- Je pourrais te dire bien d'autres trucs désagréables si tu veux.
- Tu as donc aussi perdu les bonnes manières.
- Je t'offre à boire ?
- Je prendrais bien un mojito. Et oublis pas le petit palmier.
- Les bières sont dans le frigo. »

Yann eut un petit sourire amusé avant de se diriger vers ce qui semblait être la cuisine. Stephen continua de pester dans sa barbe, se frottant le crâne avec force pour faire disparaître cette terrible douleur.

« Stephen ?
- Ouais, quoi ?
- Je crois bien que Jungko est mort. »

Malgré la voix calme, à la limite de la dérision de Yann, Stephen se leva d'un bond, les yeux hagards.

« Hein ? Quoi ? » fut tout ce qu'il trouva à dire.

Il contourna le canapé d'un pas vif qui lui était rare, pour se retrouver sur le seuil de la cuisine américaine, juste devant le corps massif et endormi de son pokémon plante, aussi imbibé d'alcool que lui. De plus il bavait, laissant sur le sol de petites flaques dégoûtantes. Le jeune homme ne comprit que trop tard l'humour cynique de son invité.

« Et tu trouves ça drôle...
- Je voulais savoir si tes pokémon t'intéressaient encore autant que la binouze. C'est plutôt un bon début, mais y'a du boulot. »

Stephen ne répondit pas tout de suite, le regard fixé sur son pokémon. Il ne sût pas si la présence de Yann l'aida, mais d'un coup il prit conscience de sa propre vie pathétique, de sa dégaine minable d'alcoolique qui contrastait tellement avec la dernière image qu'il devait avoir de lui. Le jeune homme en noir attrapa une seule bière et l'ouvrit à la main. En temps normal, Stephen savait qu'il aurait quémandé une bouteille, qu'il l'aurait descendue en quelques secondes, et qu'il en aurait ouverte une deuxième en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire. Mais la présence de ce si vieil ami occultait cette envie de se bourrer. Et surtout, piqué au vif, il voulait savoir ce qu'il foutait là. Car en aucun cas il ne s'était attendu à le revoir un jour.

« Jamais je ne me suis désintéressé d'eux, finit-il par dire d'une petite voix troublée.
- Ouais, sur qu'un type qui aime ses pokémon les laisse toucher à l'alcool, fît remarquer Yann d'un ton tout à fait neutre.
- Je ne leur ai pas forcé la main.
- Et qui t'as forcé la main à toi ?
- Le destin.
- Connerie. »

Stephen soupira et s'en retourna s'asseoir dans son canapé, face à la fenêtre ouverte. Son ami le rejoignit, la bière à la main. Il regarda le meuble d'un œil critique, puis décida finalement que le rebord de la fenêtre serait un endroit plus propre et plus confortable. De plus, il occupait ainsi le champ de vision de Stephen et l'empêchait de détourner son attention par la fenêtre. Ce dernier regarda Yann d'un œil interrogateur, puis laissa échapper un petit « Mais quel emmerdeur... »
L'emmerdeur en question se laissa aller à un petit rire amusé avant de s'enfiler le fond de la bière. Sans ménagement, il jeta la bouteille verte dans le foutoir de l'appartement.

« Hé ! Mais ça va pas ? s'indigna Stephen.
- Une de plus, une de moins, tu vas pas nous chier une pendule. »

Stephen s'enfonça encore plus dans son sofa, croisa les bras et prit un air boudeur digne d'un petit merdeux de classe professionnelle. Yann dut trouver cela assez drôle pour éclater d'un rire gros et gras.

« T'as pas changé finalement. Toujours aussi chieur. La seule différence c'est cette odeur de vomi et d'alcool mêlé à la merde. »

Stephen ne sut quoi dire. C'était vrai que son appartement minable puait la merde. Mais qu'y pouvait-il ? Il n'avait plus rien à quoi se raccrocher. Mais il sembla que Yann allait lui annoncer une nouvelle toute particulière. Sinon, pourquoi aurait-il débarqué à l'improviste ? Stephen apposa une main sur ses paupières qu'il massa lentement, sentant que son mal de crâne allait revenir au galop. Yann, indifférent à ce spectacle, jetait des petits coups d'œil à droite et à gauche.

« Dis-moi Stephen, tu as encore tous tes pokémon ? »

Que ce soit à cause des vapeurs d'alcool ou bien de la soudaineté de la question, le jeune homme ne répondit pas tout de suite, comme s'il cherchait à trouver LA bonne réponse. Finalement il réussit à dire :

« Bah ouais, j'ai encore mes pokémon, pourquoi cette question ? T'es mandaté par l'Association des Sauveurs de Pokémon Alcooliques ? »

Yann ne sembla pas trouver la remarque amusante puisqu'aucun sourire ne vint s'afficher sur son visage. Au contraire, il prit une voix plus dure, plus impériale. En cela Stephen pouvait reconnaître qu'il n'avait pas changé. Yann avait toujours eu l'habitude d'imposer ses idées et ses opinions d'une voix forte et solennelle. Chez lui l'usage était de dire les choses en face à face, ainsi le jeune homme au blouson de cuir et aux cheveux d'ébène planta son regard vif dans celui de Stephen qui n'eut même pas la force de détourner la tête, comme si Yann agissait tel un aimant.

« Alors écoutes bien ce que j'ai à te dire mon gars, parce que je répéterais pas deux fois. »

Stephen resta de marbre à ses paroles, mais sa curiosité était piquée au vif. Et comme par hasard, son mal de tête avait déserté et il ne semblait pas vouloir refaire surface. Il ne se souvenait pas d'avoir dessoûlé aussi rapidement. Mais Yann lui posa une question qui le tira de ses pensées.

« Le conseil des Quatre, ça te dit quelque chose ?
- Je ne me souviens pas les avoir rencontré personnellement. Mais je suppose que toi, si.
- Tu m'en veux encore de t'avoir foutu une raclée en finale de la Ligue Indigo ? »

Stephen souffla pour éluder la question, bien que son visage se contrit de mépris envers ce souvenir de défaite. Cela lui fit se rappeler le fier dresseur qu'il était autrefois, celui qui parcourait le monde la tête haute. Mais depuis ce funeste jour, depuis la mort de celle qu'il aimait, plus rien n'avait été comme avant.

« Je travaille pour eux.
- Genre, tu leur apportes le café entre deux combats ?
- La ferme, je parle sérieusement. Même si j'ai lamentablement perdu contre Peter, ils m'ont proposé de faire partie des dresseurs de l'élite qui se chargent de régler les problèmes à travers Jotho et Kanto. J'ai accepté, parce que je savais que ce genre de travail était gratifiant en plus de me permettre de garder la forme. Bien sûr, tu ne peux pas être au courant puisque tu as disparu deux mois avant cela. »

Stephen gardait la tête basse. Yann semblait n'être là que pour lui faire se remémorer de sombres jours. Après la mort de sa bien aimée, Stephen avait été envoyé à l'hôpital à cause des nombreuses brûlures et blessures en tous genres récoltées ce jour là, contre « eux ». A son réveil, tous ses souvenirs de mort l'avaient rendu fou. Fou de chagrin. Il avait fui l'hôpital, et avec lui ses parents, ses amis.

Il se rappelait ce jour-là... le jour de sa mort...