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Calendrier de l'Avent 2018 de Comité de lecture



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» Auteur : Comité de lecture - Voir le profil
» Créé le 06/12/2018 à 19:44
» Dernière mise à jour le 06/12/2018 à 22:39

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Jour 6 : Rouge sur fond blanc, par Malak
Je détestais l’habit que je portais.

Je n’avais jamais été très regardant sur mes fringues ou les dernières tendances de la mode, pourtant. Enfin… c’était plutôt que j’avais jamais eu l’occasion d’être regardant. Je n’avais pas les moyens de me payer des habits chers. Contrairement à tous ces gens qui passaient leurs vies dans les magasins pour parader ensuite avec je ne sais quel accoutrement de carnaval juste parce que c’était « tendance », pour moi, un habit était juste un objet utilitaire évitant qu’on ne se balade en tenue d’Adam.

Je n’en avais que très peu, et ils commençaient tous à se faire vieux et usés. Mais comme je comptais jusqu’aux centimes qui me restaient pour pouvoir continuer à nous nourrir et nous loger, ma jeune sœur et moi, je n’allais certainement pas me permettre de m’acheter une chemise neuve, même pour trouver un emploi. Je savais qu’apparaître auprès d’un potentiel employeur avec des trous dans ses manches n’était pas très indiqué, mais je ne pouvais pas faire autrement. Mais au final, j’avais quand même déniché un boulot. Et mieux que ça : on m’avait donné des habits neufs pour le service.

C’était un uniforme. Il était relativement confortable, avec des bottes et des gants compris. Il n’y avait pas une tache dessus, pas un seul trou. Impeccable. Mais je le détestais quand même. Car c’était un uniforme entièrement blanc, si ce n’était un grand R rouge qui me recouvrait le torse. J’avais jamais détesté le blanc, ni le rouge d’ailleurs, mais cette combinaison précise des deux sous cette forme-là, je ne pouvais pas la saquer, et la porter me rendait malade. Mais je le faisais. Je n’avais pas le choix. J’avais besoin d’argent, et travailler pour la Team Rocket était le seul moyen que j’avais trouvé d’en avoir.

- Dépêche le bizut, on a pas toute la nuit !

Je me retins de répliquer à mon collègue Rocket qui venait de parler. « Collègue » était un bien grand mot d’ailleurs. Étant le dernier arrivé de cette unité d’agents de terrain, j’étais un peu le larbin de service. Cinq jours que je faisais ce sale boulot, et on m’avait toujours refilé les tâches les plus ingrates ou les plus inutilement éprouvantes. Ce soir au moins, on était tous logés à la même enseigne. Il s’agissait de poser des pièges à braconnier dans les hauteurs enneigées du Mont Argenté, et d’en récolter les fruits : Ursaring, Donphan, et tous les autres Pokemon qui auraient la malchance de tomber dedans.

Faire cela me répugnait. Non pas parce que le braconnage de Pokemon était interdit par la loi, mais tout simplement parce que ça allait totalement à l’opposé de mes propres valeurs. J’avais toujours bien aimé les Pokemon et je les traitais avec respect. Mais entre eux et ma sœur, le choix était vite fait. J’avais besoin d’argent. La Team Rocket avait beau être une organisation de salauds, recherchée par tous les flics de la planète, elle avait des capitaux quasi-infinis. Et elle ne se cassait pas trop la tête à rechercher la perle rare pour ses recrutements. La moitié des gars qui bossaient pour elle étaient comme moi : des oubliés de la société, des désespérés étant prêts à tout pour avoir un peu d’argent.

- Merde, on se les gèle, marmonna le plus gradé de notre groupe, un dénommé Gilaun, qui lui se contentait de nous regarder travailler. Quand cette mission de chiotte sera finie, je demande ma mutation direct à Alola.

- La Team Rocket n’est pas implantée à Alola, lui rappela un autre agent.

- Bah justement, ce sera l’occasion.

- Alola a ses propres montagnes, intervins-je. Le Mont Lanakila par exemple, qui est largement plus enneigé que celui-ci.

- Je t’ai pas sonné, le bizut, reçus-je comme réponse. Ouvre-la moins et creuse plus vite.

Je lâchai un soupir discret, qui se transforma immédiatement en vapeur hors de ma bouche sous l’effet du froid glacial. Bien qu’étant au chômage depuis des lustres, j’étais dix fois plus intelligent que l’imbécile heureux qu’on m’avait collé comme supérieur. Gilaun ne connaissait rien à rien sur les Pokemon et la géographie… entre autre choses. J’avais maintes fois eu l’occasion faire remarquer son incompétence, mais évidemment, à chaque fois que je m’y tentais, je ne recevais en retour que du mépris. C’était étrange comme ces officiers de la Team Rocket aimaient se vautrer dans leur médiocrité, et surtout y rester.

Celui-là par exemple, il n’aurait jamais dû porter le blanc des agents de terrains. Je m’explique : dans l’inconscient collectif, l’uniforme de la Team Rocket était noire, avec un R rouge dessus. C’était vrai que c’est la plus courante, mais c’était là en fait l’uniforme des simples sbires. Les agents de terrain, comme moi, portaient eux un uniforme blanc en lieu et place du noir. Nous n’étions pas spécialement plus haut placés que les sbires, mais nous opérons sur un domaine plus large. Les sbires étaient généralement postés dans une ville, ou à la défense d’une planque quelconque. Ils ne bougeaient que très peu. Les agents de terrain, eux, opéraient ci et là au gré des ordres qu’on leur donnait.

Quand j’ai postulé dans la team, on m’avait fait passer divers tests d’aptitudes, pour finalement me donner l’uniforme blanc et rouge. Je devrais en tirer une certaine fierté : ça voulait dire qu’on m’avait jugé plus compétent que les simples sbires chargés de garder une porte ou de racketter des gamins. Mais vu qu’il s’agissait de la Team Rocket, on aurait pu me nommer admin directement que ça ne m’aurait fait ni chaud ni froid. Je ne comptais pas rester, de toute façon. Dès que j’aurai réuni suffisamment d’argent pour amener ma jeune sœur vivre ailleurs que dans le taudis délabré que nous partagions actuellement, je dirai adieu à la team à jamais, et avec joie.

- Franchement, qu’est-ce que le Boss va en fiche des Ursaring hein ? Demanda un de mes collègues qui étaient en train de placer des fils dissimulés sous la neige. Il a déjà plus de Pokemon qu’il pourrait en compter !

- Une doudoune pour l’hiver peut-être, hasarda Gilaun. Pas notre problème. Il veut des Pokemon, on les lui donne, il nous paie, fin de l’histoire.

Oui, ça paraît si simple… pour ceux qui n’ont pas de conscience, me dis-je mentalement. D’un autre côté, j’avais pas à jouer les victimes non plus. J’avais postulé chez ces criminels en toute connaissance de cause. Et franchement, connaissait la réputation sulfureuse de la Team Rocket, je m’attendais à commettre bien pire que poser quelque pièges pour Pokemon sauvages imprudents. Mais sans doute que ça allait venir. J’espérais juste ne pas rester assez longtemps pour en voir trop…

Mais voilà, c’était comme ça. Ma petite sœur, Méliane, était tout ce qu’il me restait, la seule chose qui comptait pour moi. Nous avions fui des parents violents qui nous battaient quotidiennement. Cela faisait six ans maintenant que j’élevais seul ma jeune sœur, de huit ans ma cadette. Nous survivions tant bien que mal, de villes en villes, recherchant une relative sécurité dans les maisons inoccupées, ou quémandant la générosité des gens. Mais ces derniers temps, nous étions tout au fond du trou. Et j’avais bien plus honte de ne pas être capable de lui proposer un repas convenable que d’être pris en train de braconner. C’était bientôt Noël, et je voulais au moins qu’elle puisse manger à sa faim ce jour-ci. Je ravalai donc ma répugnance et mon mépris de moi-même, et continuai à creuser ces fichus trous.

Un bruit derrière moi me força à me retourner, car je savais qu’il n’y avait aucun autre Rocket dans mon dos. Je craignis de me retrouver face à face avec un féroce Pokemon sauvage de fort mauvaise humeur, mais il ne s’agissait que d’une espèce d’oiseau rouge et blanc, sans aile, avec des pieds palmés, qui portait un sac derrière lui. Non, plus précisément, ce n’était pas un sac, mais une queue enroulée sur elle-même. J’en avais déjà vu en image, mais jamais en vrai comme ça. C’était un Cadoizo, un Pokemon assez rare et populaire chez les jeunes, connu justement pour apporter des cadeaux aux enfants le soir de Noël. Il me regardait sans bouger d’un air sévère.

- Salut toi, lui dis-je.

Le Pokemon ne répondit rien. De ce que je savais de cette bestiole, les Cadoizo n’étaient pas agressifs et plutôt sociaux. Mais celui-ci me regardait avec l’air de celui qui se demandait quand attaquer. Je me rendis compte qu’il voyait un humain avec un R rouge sur le torse en train de poser des pièges à Pokemon. Il n’avait donc aucune raison de faire ami-ami avec moi, bien entendu.

- Désolé… Ces pièges ne sont pas pour toi, mais… vaut mieux que tu te tires, par sécurité.

- À qui tu parles, le bizut ? Maugréa Gilaun.

Mes quatre collègues se retournèrent et virent le Cadoizo.

- C’est quoi c’piaf ?

- Il a une tronche de demeuré.

- Chef, on l’capture ?

Mais Gilaun, après avoir observé le Cadoizo, secoua la tête.

- Le boss n’en aura rien à foutre de ce père Noël à plumes. C’est nul ces bestioles, rien à en tirer en combat.

J’étais soulagé de cette réponse. Les Ursaring, passe encore, mais j’aurai eu du mal à capturer un Pokemon inoffensif et mignon comme un Cadoizo. Mais la suite par contre ne me plut pas, quand je vis Gilaun empoigner son pistolet. En tant que chef de l’unité, il était le seul à en posséder un ; ce qui compensait un peu ses pitoyables talents de dresseur.

- Qu’est-ce que vous faites ?! M’écriai-je.

- Ça se voit pas le bizut ? Je vais le descendre. Bouge.

Outré par cette déclaration, je lâchai ma pelle et me plaçai entre le Pokemon et l’homme armé, sans me soucier de ma sécurité. Non pas spécialement par courage, mais par ébahissement à l’idée que Gilaun puisse commettre un acte gratuit pareil.

- Mais… Pourquoi ? Ce Cadoizo nous a rien fait !

- T’es encore plus débile que tu veux nous le faire croire, le bizut, cracha l’officier Rocket avec mépris. Tu prends les Pokemon pour des cons ? Il nous voit en train de placer des pièges, donc tu peux être sûr qu’il va avertir tous ces copains. Ce piaf va mettre en péril notre mission, donc on élimine la menace, tout simplement.

Je n’avais pas vu les choses comme ça, effectivement. Peut-être y’avait-il en effet un risque. Mais ce risque ne justifiait aucunement pour moi le meurtre de sang-froid d’un Pokemon non-menaçant.

- Ce serait un déshonneur pour un dresseur, tentai-je.

Mais Gilaun éclata de rire, et fut suivi par les ricanements des trois autres.

- J’ne suis pas dresseur, ducon. Je me sers des Pokemon pour gagner du blé, nuance. Puis depuis quand nous autres de la Team Rocket devons nous soucier de l’honneur ? On a rien à foutre d’un machin aussi inutile. Ça rapporte pas de pognon, ça peut même pas se vendre !

Si Gilaun sous-entendait qu’il aurait volontiers vendu son honneur si celui-ci lui aurait pu rapporter quelque chose, je le croyais sur parole. Cela dit, même si l’honneur se vendait, ça m’étonnerait que celui de Gilaun eut valu beaucoup… À la recherche d’un quelconque argument pour empêcher ce meurtre, je ne vis pas le Cadoizo me lancer quelque chose sur les pieds. Quand je baissai mon regard, je n’en crus pas mes yeux. Il s’agissait d’une petite boule dorée, qui scintillait sur la neige.

- Nom d’un pet de Tadmorv, jura Gilaun. C’est une Pépite ?

Les Pépites étaient des sphères parfaitement lisses en or massif, que des gens trouvaient parfois ci et là par terre, cachées. Personne ne savait d’où elle venaient, ni qui les avaient travaillées ( car il ne faisait aucun doute que leur forme parfaite n’était pas naturelle ). Ça pouvait se vendre dans les cinq mille Pokédollars, soi, pour moi, l’équivalent d’une semaine de vrais festins.

- Il l’a prise de son espèce de sac ! S’écria un des trois autres Rockets.

Cela eut pour avantage de faire hésiter Gilaun, qui baissa momentanément son arme. Il devait se dire que si le Cadoizo mourait, le contenu qu’il gardait dans leur queue disparaîtrait peut-être. Après tout, il était bien connu que c’était un contenant magique, pouvant contenir bien plus que sa petite taille ne le laissait penser. Sa cupidité prit le pas sur la mission.

- Chopez-moi ce sac, nous ordonna-t-il.

N’ayant aucune envie d’obéir, mais pas assez courageux pour m’interposer, je laissai faire mes trois collègues qui se mirent à encercler le Pokemon rouge et blanc.

- Allez mon gars, file-nous ton butin sans faire d’histoire, demanda l’un d’eux.

Pas intimidé le moins du monde, Cadoizo réajusta sa prise sur sa queue en forme de sac, puis de sa main libre, il fouilla à l’intérieur et lança quelque chose à l’agent qui venait de parler. Ce dernier tendit idiotement les mains, pensant sans doute que le Pokemon avait lancé une autre Pépite. Mais ce fut un petit cadeau qu’il reçut entre ses doigts ; un cadeau qui explosa quelque secondes plus tard. Le Rocket s’écroula en arrière, blessé au visage, en un cri de souffrance terrible.

- Enfoiré ! Rugit un autre Rocket en prenant une de ses Pokeball. Qu’est-ce que t’as fait à mon pote ?!

Il la lança, et quand elle libéra le Pokemon qu’elle renfermait en un flash de lumière, il ordonna :

- Rattatac, explose-moi ce sale pingouin !

Ce fut le seul ordre qu’il donna. Pas de nom d’attaque, pas de stratégie… Le Pokemon devait se débrouiller par lui-même, et s’il échouait, c’était forcément de sa faute, non celle de son dresseur ignorant. C’était comme ça que ça marchait, dans la Team Rocket. Leurs Pokemon n’avaient pas la vie facile, loin de là. Le Rattatac dut donc décider de lui-même ce qu’il allait faire. Il tenta visiblement une attaque Croc Fatal, mais le Cadoizo sauta en voletant faiblement au dessus du sol, puis jeta un autre de ces cadeaux explosifs sur son adversaire.

Tout cela allait mal se terminer, je le savais. Face à la résistance du Pokemon rouge et blanc, Gilaun s’impatienta, et les autres Rockets devinrent plus furieux qu’ils ne l’étaient déjà. De plus, tout ce boucan risquait de rameuter des Pokemon sauvages hostiles, ou pire… le combat risquait de provoquer une avalanche, tant ce flanc du Mont Argenté était recouvert de neige. Quand je vis que mes collègues avaient tous sorti leurs Pokemon, je décidai d’intervenir.

- Ça suffit ! Hurlai-je. Vous êtes tous cinglés ma parole ! Tenez !

Je leur lançai la Pépite que le Cadoizo m’avait donné.

- Partagez-vous ça en quatre, mais laissez ce foutu Pokemon tranquille. Vous allez provoquer une catastrophe !

J’avais été bien naïf en pensant qu’ils auraient le bon sens de se la partager, car les trois agents se jetèrent au sol dans une lutte sans merci pour s’en emparer, même celui qui avait eu le visage roussi par l’attaque Cadeau de Cadoizo. Gilaun, lui, fit encore mieux. Cet inconscient tira un coup de feu dans les airs, pour se faire remarquer, avant de pointer son arme sur ses propres hommes.

- Dégagez, ordonna-t-il.

Les trois agents ne se le firent pas redire deux fois. Entre une Pépite et leur vie, ils préféraient leur vie. Gilaun se baissa tranquillement pour s’emparer de la Pépite, mais c’était visiblement pas suffisant pour satisfaire sa cupidité.

- Dis à ton ami l’oiseau d’abouler le reste, tout ce qu’il a de précieux, me demanda-t-il. S’il fait ça, on le laissera filer.

Je savais que Gilaun mentait, lui qui avait été prêt à tuer le Cadoizo pour ne pas justement qu’il dévoile nos activités à ses amis Pokemon. De toute façon, avec tout le boucan qu’ils avaient fait, il ne devait pas y avoir un Pokemon sauvage à la ronde qui ignorait que nous étions là.

- Pourquoi un Cadoizo aurait un butin dans sa queue ? Fis-je mine de demander. Et même s’il en avait un, pourquoi m’écouterait-il alors que je suis un Rocket ?

- Parce qu’il t’a donné cette Pépite, à toi, qui a fait mine de le protéger. Et s’il en a une, il en a peut-être d’autre. Allez le bizut, tu as besoin de thunes toi aussi non ? On se partage ça à cinq. Le Boss n’en saura rien.

Son faux sourire amical me donna la chair de poule. Il disait clairement un truc du genre « dès que j’aurai le trésor, je vous buterai tous, ainsi que le Cadoizo, et je dirai aux supérieurs qu’on a été pris dans une embuscades de Pokemon sauvages ». Je remarquai que le Cadoizo s’était collé à mes jambes derrière moi. Pourquoi me faisait-il confiance ? Surtout avec mon uniforme Rocket ? Et pourquoi je me mettais dans de telles emmerdes pour un seul fichu Pokemon ? Je n’en savais rien, mais il faut croire que le Cadoizo avait raison. Si je laissais cette pourriture de Gilaun disposer de lui, je ne pourrai plus jamais me regarder dans un miroir. Je me tournai vers Cadoizo et me mis à genoux devant lui, comme pour lui demander quelque chose. Croyant que j’obéissais à son ordre, Gilaun hocha la tête.

- Oui, c’est bien. Sage décision, le bizut.

Mais ce que je murmurai à l’oreille du Cadoizo ne fut pas ce qu’il attendait. Quand le Cadoizo me donna son accord, je pris une de mes Pokeball vides pour le toucher avec. Il se transforma en rayon d’énergie blanc et se laissa capturer sans opposer de résistance. C’était le seul moyen que j’avais de le protéger plus efficacement. Puis je me relevai, devant mes collègues ébahis.

- Je démissionne, annonçai-je d’un coup d’un seul. Vous l’annoncerez aux supérieurs de ma part.

Les yeux de Gilaun se plissèrent dangereusement. Évidemment, il n’allait pas me dire « très bien, bonne continuation ».

- Très mauvaise manœuvre, le bizut.

Il brandit son pistolet, et je me jetai dans la neige pour esquiver le tir. Je me laissai rouler sur la légère pente enneigée, tenant fermement la Pokeball de Cadoizo dans ma main, en espérant que l’obscurité empêche Gilaun de viser correctement. J’entendis le cri de Gilaun, qui ordonnait aux autres de m’attraper sous peine de mort. Après avoir dévalé la pente, couvert de neige et de courbatures en tout genre, je me hâtai de me relever et me mis à courir à l’aveuglette dans la nuit, espérant ne pas tomber dans un ravin, cherchant à mettre le plus de distance entre moi et les Rockets.

J’en avais fini avec l’organisation. Même si ce n’était que cinq jours, c’était cinq jours de trop. Je n’aurais jamais dû y mettre les pieds, malgré mon besoin d’argent. Là, je voulais me rendre au poste de police le plus proche, et tout avouer à l’Agent Jenny, que ce soit les opérations en cours de Gilaun ou sur tout ce que je savais de la Team et de ses membres. Tant pis si je devais faire de la prison ; ce serait toujours mieux que de rester avec ces malades sans âme. Mais qu’allait donc devenir ma sœur sans moi ? Devrai-je passer un marché avec les autorités ? Du genre mes infos contre la sécurité et la prise en charge de ma sœur ? Le souci, c’est qu’en seulement cinq jours de passés en tant qu’agent de terrain, mes infos allaient être bien maigres…

Après dix minutes de course sans s’arrêter, je me dis que j’avais dû semer mes poursuivants. Mais j’avais un autre problème, et de taille : j’étais totalement perdu. Et se balader sur le Mont Argenté la nuit en période de neige n’était pas très indiqué. Mais je me souvins alors que j’avais justement capturé un Pokemon qui devait connaître les lieux. Je tenais d’ailleurs toujours sa Pokeball. Je fis sortir Cadoizo, qui était en position de combat dès qu’il apparut dans un flash lumineux.

- C’est bon mon vieux, j’ai pu filer, lui dis-je. On y voit tellement rien qu’ils ont sûrement pris une autre direction. Par contre du coup, si tu connais le chemin pour descendre, ou même aller au Plateau Indigo, ça m’arrangerait un peu…

Le Pokemon hocha joyeusement la tête et prit les devants. Je me contentai de le suivre, son plumage rouge étant comme un phare vers le salut pour moi. Drôle de bestiole que ce Cadoizo, tout de même. Il m’avait accordé sa confiance un peu trop rapidement. Ou peut-être avait-il naturellement senti que je n’étais pas comme les autres Rockets ? Après tout, les Pokemon était souvent bien plus doués que nous autres, humains, pour ressentir et deviner les choses.

Le froid commençait à devenir vraiment sérieux, et la neige de plus en plus profonde au fur et à mesure que je marchais. Je me mis inconsciemment à parler avec Cadoizo. Je lui racontai ma vie pénible, mon souci de protéger ma sœur, et ce qui m’avait conduit dans les bras de la Team Rocket. Je parlais, pour ne pas cesser de marcher, pour rester conscient. Je parlais d’espoir en l’avenir, pour me persuader que j’allais survivre, que tout allait s’améliorer. Et si Cadoizo ne pouvait pas me répondre avec des mots, il n’en écoutait pas moins, et semblait même comprendre.

- Méliane n’a que onze ans, mais elle comprend parfaitement notre situation et ne se plaint jamais quand elle voit le maigre contenu de son assiette. Elle travaille dur à l’école, et est très intelligente. Tout ce que je veux, c’est pouvoir lui payer le lycée et plus tard des études supérieures. Je veux la sortir de ce squat dans lequel on vit actuellement à Céladopole pour l’amener dans une vraie maison. C’est une fille extra, elle mérite de vivre une belle vie.

- Tu m’en diras tant…

Un instant, je crus de façon stupide que Cadoizo m’avait répondu. Mais non, Cadoizo n’aurait pas eu une voix si désagréable, et si familière… Gilaun sortit de derrière un arbre, en assez mauvais état, mais avec une envie de meurtre dans les yeux.

- J’ai galéré à te retrouver, le bizut, me dit-il en pointant son pistolet. Les trois autres ne sont plus dans le coup. Je crois que un s’est fait avoir par des Ursaring. Du coup, les deux autres ont filé en ignorant mes ordres. J’en ai buté un, et je songerai à rattraper l’autre une fois que j’en aurai fini avec toi et ton foutu oiseau de merde…

En dépit de ses blessures et de ses engelures, un rictus dément étira le visage de l’officier Rocket.

- Ta sœur vit donc à Céladopole, tu as dis ? Je lui rendrai peut-être une petite visite après, qui sait ? Dans la Team Rocket, on ne pardonne pas aux traîtres, ni à leur famille.

Cette menace suffit à me mettre hors de moi. Depuis toujours, à chaque fois qu’il s’agissait de ma sœur, je perdais mes nerfs. Je me précipitai sur Gilaun en rugissant, et ce dernier, surprit par mon acte idiot, ne réagit pas à temps. Je le plaquai au sol en faisant pleuvoir mes poings sur son visage. Nous nous débattions, nous roulâmes près d’un ravin, jusqu’à qu’un coup de feu partit. Je ne sus pas qui avait tiré, ni où, jusqu’à que je vis un liquide rouge tomber dans la neige en dessous de moi, la colorant d’une lueur rubiconde. Un liquide qui sortait de mon ventre. Puis vint la douleur, brûlante, comme si mes viscères étaient en feu. Ne pouvant plus lutter, je m’affalai contre la neige, tandis que Gilaun se relevait difficilement avec un sourire de triomphe.

- Ça t’apprendra, le bizut ! Tu croyais pouvoir défier la Team Rocket ? Me défier moi ? Reste à ta place, déchet !

Il envoya son pied contre mon visage, mais comparé à la douleur dans mon ventre, ce fut comme si je n’avais rien senti.

- Maintenant, à toi, foutu Pokemon, reprit Gilaun en passant à Cadoizo. Tant pis si le contenu de ton sac disparait à ta mort, toi aussi, tu dois crever pour expier ton insolence envers la Team Rocket !

Alors que Gilaun s’apprêtait à tirer, injectivement, et malgré mon état, je lui saisis le pied. Gilaun se désintéressa un moment de Cadoizo pour pointer son arme sur moi, et me tirer deux balles de plus. Mais je ne le lâchai pas pour autant.

- Connard, tu vas crever oui ?!

Il ne vit pas à temps Cadoizo qui s’était précipité sur lui, le chargeant avec sa tête. Le choc lui coupa le souffle et le fit reculer. Comme je tins toujours son pied, il perdit l’équilibre, tomba, roula quelque mètres dans la neige avant de chuter dans le précipice à côté de nous. Je l’entendis nous maudire tandis qu’il hurlait, puis plus rien.

- Cadoi ?

Ma vision et mon ouïe étaient en train de se dissiper, mais je me rendis compte que Cadoizo était à mes côté. De ma main tremblante, je cherchais à tâtons sa tête, avant de la lui caresser.

- Ça va aller… maintenant. Désolé… pour tout ça.

J’aurai voulu en dire plus, m’excuser plus longtemps pour le crime d’avoir fait partie de cette organisation, comme si Cadoizo était le représentant de tous les Pokemon qui avaient souffert par sa faute. Je voulais m’excuser envers ma sœur, pour ne pas avoir su prendre soin d’elle. Mais mes excuses moururent avec moi.

***

Cadoizo vit la main de l’humain retomber au sol, inerte, tandis qu’une grande tache rouge grandissait dans la neige tout autour de lui. Du rouge sur fond blanc, comme l’uniforme de l’humain. Il l’avait sauvé, il avait sacrifié sa vie pour lui. Le Pokemon ne pouvait expliquer un tel geste, mais il pouvait au moins lui répondre. Laissant là l’humain mort, il prit son envol jusqu’à la ville nommée Céladopole. La neige tombait là-bas aussi, et les décorations de Noël battaient leur plein sur les magnifiques paysage floraux de la ville. Là, Cadoizo chercha longtemps une jeune fille qui attendait son grand frère avec espoir. Et quand il la trouva, il vida le contenu de sa queue devant elle, tel le fameux Père Noël des contes humains. Une dizaine de Pépite d’or, dernier don que son frère aurait voulu lui faire.