Chapitre 1 - Steelix
- 6 mois après -
J’ai été un des derniers à partir. On a toujours eu l’espoir que ça s’arrêterait à un moment. Mais non, ça a continué à progresser. On a perdu le contact avec Kanto en quelques heures. Impossible de voir ce qui se passe, un voile noir recouvrait tout, d’Est en Ouest et du Nord au Sud. Pendant un long moment, nous avons pensé être à l’abri du mont argenté. Mais ça s’est remis à avancer, et quand la singularité a atteint Rosalia, il était clair que nous ne serions plus en sécurité, même ici, à Irisia.
La ville était déserte que je suis parti ce matin-là, sac à dos sur l’épaule. La moitié des habitants sont déjà partis, je suis le dernier de la rue. Je ferme la porte à clef, je ne sais pas trop pourquoi. Un réflexe sans doute. Depuis ce moment il y a dix ans où je me suis fait voler un Farfuret, et idiot que je suis, où j’ai confié un Caratroc qui ne m’a jamais été rendu. J’étais jeune. Maintenant, étant donné les circonstances, personne ne viendra voler quoi que ce soit, et puis…
A l’Est, au-delà de la mer, on aperçoit une zone sombre, c’est l’ombre, elle doit être au-dessus de Oliville maintenant.
Et puis… je ne reviendrai sans doute jamais.
« Allez les gars on y va ! ». J’essaye d’afficher un ton décontracté, mais ma voix tremble. A ma ceinture, mes deux pokéballs remuent d’un air déterminé. J’ai au moins encore ça. A un embranchement, je prends la rue à gauche qui descend en pente douce vers le port, en passant devant la pharmacie. Au loin, je vois des centaines de personnes déjà rassemblées sur le quai. Il y a de l’agitation.
Plus j’avance, moins je suis seul, à gauche, à droite, d’autres personnes rejoignent la route principale. Un vieil homme presse le pas, son Snubbull serré dans ses bras, difficile de dire lequel des deux est le plus effrayé. Les Pokémons sentent ce genre de choses, ce qui se passe n’est pas normal.
Le port est à peine reconnaissable. Petit, je venais jouer entre les étals des pêcheurs et les étendoirs à coquillages. L’odeur des embruns et des prises fraîches emplissaient l’atmosphère. Aujourd’hui, plus d’étals, aucun commerce, l’air est lourd, et froid, on est en juillet pourtant. L’atmosphère est pesante. Au milieu de la rue, un Steelix observe la foule, dressé à la verticale, comme pour prendre moins de place. Quelle drôle d’idée ! Son dresseur ferait mieux de le faire rentrer dans sa pokéball. Je me faufile entre les gens et les pokémons qui attendent, la plupart sont silencieux. Mais je capte quand même des bribes de conversations anxieuses.
- L’ombre est passé au-dessus de Oliville hier, je n’ai plus aucune nouvelle de mon cousin, et vous, vous avez pu joindre quelqu’un ?
- Ma sœur oui, elle a pu prendre le bateau pour Hoenn in extremis.
- J’espère qu’il a pu embarquer ! Impossible de savoir avec ce réseau téléphonique qui a rendu l’âme.
C’était donc bien ce que je pensais, l’ombre a atteint Oliville. On n’a plus beaucoup de temps.
- Un ami à moi a essayé d’envoyer son Goélise porter une lettre dans la zone sombre, dit une femme qui se joignait à la conversation.
- Et alors ?
- Il n’est jamais revenu… avoua-t-elle, déconfite.
Il y eu un silence pesant, je continue d’avancer. Evidemment, tout ce qui rentre dans la zone d’ombre est perdu. En tout cas c’est ce qu’on pense… Mauville, Ecorcia, Doublonville, l’une après l’autre, elles ont été comme rayées de la carte. Ce type a été idiot d’envoyer son Goélise. On ne fait pas ça quand on tient à son Pokémon. Ma main se resserra instinctivement autour de ma ceinture.
J’étais arrivé à l’entrée du quai. Un écriteau construit à la va-vite indiquait « Départs pour Alola, avancez dans le calme ». Pour plus d’efficacité, les autorités ont décidé que les villes les plus à l’Ouest servirait de camp de base pour l’évacuation. D’Oliville partiraient les bateaux pour Hoenn, et à Irisia ce serait Alola. Maintenant, il ne reste plus qu’Alola.
Un peu devant moi un homme se plaint à son voisin. Visiblement Alola n’est pas à son goût, il aurait préféré aller à Unys, mais c’est impossible. Tsss, comme si on était en position de faire la fine bouche ! Cependant… Il est vrai qu’aucun départ pour Unys n’a été organisé, et personne ne semble savoir pourquoi…
La file avance lentement, deux ferries blanc et bleu tanguent doucement au bout du quai tandis que les gens montent à bord. Un peu en amont, des officiers de police enregistrent les passagers un par un. Perché en hauteur, sur une caisse, accompagné de son Tartard, je reconnus le champion de la ville, Chuck. Il faisait signe aux gens d’avancer, lançant des blagues avec un grand sourire pour détendre l’atmosphère. Mais il ne cessait de scruter la mer avec un air inquiet, le regard perdu dans la direction d’Oliville. Dix minutes plus tard, j’arrive à mon tour au niveau du bureau d’enregistrement. L’agent me jette un rapide coup d’œil, et me demande, d’un ton las :
- Prénom, nom, âge ?
- Taki, Miyashi, 22 ans,
- Profession ?
- Je suis étudiant en langues, enfin j’étais, l’université de Doublonville…
L’agent marqua une pause, me regarda et fit un bref signe de tête pour signifier qu’elle avait compris.
- Vous voyagez seul ?
- Oui.
- Des Pokémon à déclarer ?
- Oui, deux.
- Dans des pokéballs ?
- Euh, et bien oui, bien sûr… Je ne comprenais pas bien la question.
- Vous avez de la chance, répondit l’agent, ce n’est pas le cas de tout le monde ici. Elle fit un signe de tête vers la foule derrière moi. En me retournant, je remarquais qu’effectivement beaucoup de Pokémon étaient sortis de leur pokéball. Une jeune fille essayait de calmer son Feurisson, visiblement stressé, un Machopeur portait les valises d’une famille. Juste derrière, le vieil homme que j’avais aperçu tout à l’heure portait toujours son Snubbull dans les bras.
- Ça fait plusieurs mois maintenant que l’approvisionnement en pokéballs est très perturbé, reprit l’agent d’un air sombre, il y a quelque chose dans l’air qui use plus rapidement les mécanismes. Depuis que Fargas d’Ecorcia a disparu, c’est devenu très difficile de se procurer de nouvelles balls, ou même de les faire réparer.
Je n’avais pas remarqué… Je ne suis pas vraiment un dresseur, ça fait un bail que je n’ai plus attrapé de Pokémon, je n’avais pas du tout eu besoin de Pokéballs ces derniers temps.
- Même Chuck, notre champion, n’a plus de pokéballs, conclut l’agent en regardant le colosse qui passait maintenant dans la foule pour orienter les gens. Son Tartard le suit partout parce qu’il est fidèle, mais en fait, sans pokéball, c’est comme si c’était un Pokémon sauvage maintenant. Bon allez, tout est en ordre, montez à bord, et bon courage.
Je posai le pied sur la rampe quand tout à coup des cris retentirent derrière moi.
- Non ! Vous ne pouvez pas ! Il est tout ce qu’il me reste !
Un petit homme chauve en pleurs se tenait au niveau du bureau de contrôle et suppliait les agents de le laisser passer. Derrière lui, le Steelix que j’avais aperçu en arrivant sur le port, attendait, dépité.
- Que se passe-t-il ? lança un homme à côté de moi.
- Je n’en ai aucune idée, répondis-je.
- Ils ne veulent pas laisser le Steelix embarquer, répondit une femme qui venait de passer le contrôle, il prendrait beaucoup trop de place.
Les gens autour de moi baissèrent la tête d’un air triste.
- Encore un qui n’a plus de pokéball… dit alors un jeune dresseur derrière moi, d’une voix lente et tremblante. Lui avait cinq pokéballs autour de la ceinture, et un Cornèbre sur l’épaule. Quand il s’agit de petits Pokémon comme Cornèbre, il n’y a pas de souci, en ce qui me concerne, il peut même voler au-dessus du bateau, mais un Steelix…
- Oui, ce n’est pas le premier, dit une voix qui venait du pont du bateau. Un marin regardait la foule embarquer avec un air sombre. Tout à l’heure, un autre type a dû relâcher son Kangourex…
- Relâcher ?! m’exclamai-je, comment ça relâcher ? Vous voulez dire qu’on est obligés d’abandonner tous les grands Pokémon ?
- Pas tous, répondit-il, ceux qui ont la chance d’avoir des pokémons eau peuvent les faire nager à côté du bateau.
Il désigna d’un coup de tête le côté droit du navire et je vis deux Léviator et un Aligatueur dans l’eau, répondant aux signes de leurs dresseurs sur le bateau.
- Mais… On ne peut pas les abandonner ! Vous savez bien que si on les laisse se faire avoir par l’ombre ils sont perdus ! M’écriai-je.
- On n’a pas le choix ! cria alors le dresseur, en me faisant sursauter, et puis on n’en sait rien, tout ce qu’on peut faire c’est espérer que les Pokémon arrivent à s’adapter là… là-dedans.
Il rabattit sa casquette pour masquer ses yeux, puis tourna les talons. J’aurais juré qu’il pleurait. La foule, qui s’était arrêtée en entendant les cris du petit homme chauve, reprit sa marche. Que pouvais-je faire de plus ? Comme les autres je tournai les talons, derrière moi l’homme continuait de supplier, mais sa voix paraissait plus lointaine. Qu’aurais-je fait si jamais j’avais dû me séparer de Nat’ et Cap’ ? me dis-je en regardant mes Pokémon à travers la coque de leurs pokéballs… De toute façon ils ne sont pas assez grands pour être refusés sur un bateau. C’était égoïste, mais cette pensée me rassura.
Le ferry fut vite plein. On largua les amarres. Il restait du monde sur le quai, mais d’autres rotations étaient prévues dans la journée, et les jours à venir, jusqu’au moment où ce ne serait plus possible.
Nous étions partis depuis un quart d’heure, Irisia n’était déjà plus qu’un petit point sur l’horizon, quand le bateau trembla, secoué par des vagues soudaines. L’alarme du ferry retentit, une voix automatique et métallique demandait en boucle aux passagers de regagner leurs sièges. Tout fut fini en quelque secondes. La mer retrouva subitement son calme, on entendit comme le chant puissant d’une baleine, et une ombre immense passa sous la coque, en direction d’Irisia. Les quelques personnes qui étaient restées sur le pont se regardaient. Que venait-il de se passer ? On ne tarda pas à avoir la réponse.
- Regardez là-bas !
Un pokémon blanc, gigantesque, venait de surgir hors de l’eau à quelques centaines de mètres de nous. Ce cri, cette forme, aucun doute, n’importe quel habitant de Johto l’aurait reconnu au premier coup d’œil. C’était Lugia. Sans prêter la moindre attention au bateau, le Pokémon légendaire prit son envol et disparut rapidement. C’était vers l’ombre qu’il faisait cap. Personne n’osait rien dire, tous guettaient un nouveau cri, un nouveau son.
Je savais pourquoi. Lugia se dirigeait sans nul doute vers le front pour combattre. Soit il nous sauverait tous, soit une légende qui avait bercée notre enfance allait s’éteindre. Rien ne vint. Le bateau continua à s’éloigner de Johto.