Corrompu [O-S] de Kloana

Le soleil couchant perçait l’horizon, diaprant le ciel de ses vives couleurs orangées et se reflétant dans quelques nuages d’un blanc immaculé. La cloche d’une église sonnait les dix-huit heures en cette fin d’après-midi du mois d’octobre. Les habitants de la capitale se rejoignaient sur la grande place de l’hôtel de ville, abandonnant leurs occupations. Peu à peu, la foule envahissait les lieux, les regards tournés vers l’immense instrument placé sur une estrade au centre. Façonnée dans un bois de qualité et pourvue d’une lame polie avec soin, la Grande Guillotine dominait l’assemblée. Des gardes étaient postés de part et d’autre de l’outil afin d’éviter que des curieux ne s’en approchât de trop près. L’un d’eux tenait une chaîne qui maintenait le condamné.

Le bourreau, d’une taille imposante et un corps bien construit, au visage carré et des yeux ne reflétant aucune émotion, contrastait avec le prisonnier famélique, un visage aux joues creusées et au teint pâle. Ses vêtements partaient en lambeaux, laissant découvrir une peau malmenée, certainement par divers instruments de torture. Ses cheveux ébène et ébouriffés s’agitaient doucement au gré du vent. L’homme leva la tête vers le crépuscule aux couleurs chatoyantes ; ses yeux d’émeraude ne laissaient paraître aucune angoisse, bien au contraire. Il fixait l’astre couchant avec fierté, profitant des derniers instants de lumière. Il sourit à cette idée, avant que ses prunelles ne s’animent d’une haine dévastatrice en voyant cet homme arriver devant lui.

Les soldats s’étaient mis au garde-à-vous en voyant leur roi se présenter. Les habitants s’étaient tus quand le souverain avait levé la main pour demander le silence. Il balaya ses sujets d’un regard neutre, avant de prendre une grande inspiration pour débuter son discours funéraire. Evoquant les « crimes » du prisonnier, il ne le regarda pas une seule fois avant d’achever bien vite ses dires. Le condamné avait écouté son aîné avec une lueur amusée. Le Persian se tenant à côté du monarque dévisageait cependant l’homme, méfiant et prêt à sortir ses griffes si besoin. Celui-ci le remarqua, si bien qu’il porta attention au Pokémon, qui découvrit les crocs en grognant. Le roi intima le silence à son compagnon, avant de se retourner vers le condamné, un air grave au visage. Ses prunelles azurées, reflétant à la fois du mépris, de la déception, mais aussi un immense chagrin, plongèrent dans celles du prisonnier. Un long silence s’en suivit à nouveau, chacun se jaugeant du regard, avant que le roi ne soupirât et prît la parole.

« - Avez-vous une dernière chose à dire ?

- Vous regretterez un jour de ne pas m’avoir écouté. »

A ces mots, le bourreau fit avancer l’homme vers l’instrument à la lame tranchante, et le força à y mettre sa tête. Le condamné se mit à rire en voyant le roi détourner la tête, incapable de le regarder en face.

Lâche lâche lâche lâche lâche lâche lâche lââââââââche !

Le bourreau s’attarda sur la Grande Guillotine, ajustant certains détails, s’assurant que tout se déroulerait sans encombre. Le prisonnier se mit à regarder vers le ciel une seconde fois ; le soleil avait terminé son rôle et avait cédé sa place à une lune naissante dans un ciel maintenant bleuté. Il se dit que le temps défilait à une vitesse fulgurante ; on y était.
Le bourreau se tourna vers son souverain, et d’un mouvement de tête, il lui ordonna de procéder à l’exécution. Le mécanisme fut actionné, l’impressionnante lame s’abattit sur le cou de l’homme, coupant le fil de sa vie dans un bruit sourd et net. Le roi n’eut besoin de baisser son regard, il savait qu’à présent, le sang s’écoulait depuis les deux parties séparées du corps. Un fluide écarlate qui venait tacher le bois de la guillotine ainsi que le sol de l’estrade aménagée. Les piaillements d’une nuée de Poichigeon vinrent briser finalement le silence pesant qui s’était installé suite à l’exécution.

« - Emmenez l’exécuté. Nous placerons son corps sous scellé. »

Les ordres du roi, directs, furent opérés dans les prochaines minutes. Des soldats récupérèrent le tronc, un autre la tête, du guillotiné, avant de les transporter dans une charrette en direction du palais royal. Le monarque rejoignit peu de temps après le cortège et le corps fut emmené dans une salle du palais. Posé sur une immense table, un cercueil couleur or et azur attendait de recevoir le cadavre de l’homme. Deux soldats s’occupèrent donc de mettre la dépouille dans son sarcophage, sous l’œil attentif du roi. Il fut scellé solidement par ces mêmes soldats, qui le transportèrent ensuite hors de la pièce.

« - Adieu, mon frère. »

*****
§§§
Les hommes sont décidément tous des imbéciles…
Pourquoi ne comprennent-ils donc pas ? La lumière, les ténèbres… Ces concepts qui leur semblent pourtant si abstraits…
Je voulais simplement les aider…
Les forts ont toujours dominé les plus faibles. Pourquoi cela devrait-il en être ainsi ? Pourquoi les faibles ne pourraient-ils pas être au pouvoir ?
Un rééquilibrage des forces…
Voilà tout ce que je désirais…
Mais ils ne m’ont jamais entendu…
Tant d’injustice en ce monde souillé…

…

Combien de jours, de semaines, d’années se sont écoulés ?
Le temps défile si vite, si lentement… Tout est relatif…
Mais ma haine ne cesse de grandir. Un jour…
Oui, un jour…
Je reviendrai.
Et je montrerai à ces humains leur plus grande erreur…

§§§
Les rayons de lune filtraient à travers le temple, décharné par le temps et les intempéries. Au centre d’une pièce où s’écoulait une eau usée de pluie, un grand tombeau reposait en ces lieux macabres. Une étrange aura flottait dans l’air ; mélange de volonté, d’espoir… et de haine. Le sarcophage abritait depuis des siècles maintenant la dépouille d’un homme qui avait voulu changer la face du monde. Et maintenant…

Une lueur rougeâtre se mit à briller autour du cercueil aux couleurs écaillées. Apparence qui changeât progressivement, au fur et à mesure que la lumière écarlate illuminait le tombeau. Les teintes or et bleuté se ravivèrent, tandis que la forme même du sarcophage fut altérée. Ce qui ne semblait être auparavant que de vulgaires décombres, prenait lentement vie.
Quatre longs bras noirs sortirent de l’ancien cercueil ; des yeux se dessinèrent sur l’avant du réceptacle. Peu à peu, les changements s’opérèrent et la lumière finit par s’affaiblir. L’un des bras se mit à mouvoir, lentement et avec difficulté. Un œil s’ouvrit, couleur sang. Puis l’autre, avant que l’entité ne se décidât à se lever.

Les premiers mouvements furent lents et maladroits. La créature se déplaçait comme elle le pouvait. Les sens toujours retournés, elle s’avança vers une flaque d’eau, légèrement éclairée par le faible rayonnement lunaire. Se découvrant avec stupeur, l’être prononça ses premiers mots depuis bien longtemps :

« - Tutankafer. »

La chose se recula, les pensées se bousculaient les unes après les autres. Il chercha d’un œil la sortie de cet endroit, et s’y engagea donc. Le temple ruiné manqua à plusieurs reprises d’assommer le Tutankafer avec de vieux débris s’écroulant du plafond. Une fois à l’extérieur, un paysage désolé s'offrit à lui, vide comme si toute forme de vie avait quitté ce lieu … Toute forme de vie ? Non, quelques arbres et Pokémon se trouvaient de ça de là. Aucune trace humaine, cependant. Qu’importait, l’être néoformé avait besoin de renseignements. Où Se trouvait-il ? Combien de temps s’était écoulé ? Ses maigres souvenirs ne risquaient pas de beaucoup l’aider…

Tutankafer s’aventura donc un peu plus à l’extérieur, quelque peu hésitant. Cependant, au fur et à mesure qu’il avançait vers un arbre où se reposaient des Poichigeon dans les branches, et quelques évolitions à son pied, le sol devenait de plus en plus noir. Cette noirceur s’étendait progressivement, jusqu’à ce qu’elle atteignît un Pyroli. Le petit Pokémon feu se réveilla, les yeux noyés dans une fatigue évidente, ne remarquant pas en premier lieu que cette noirceur progressait sur ses pattes en premier lieu. Le Pyroli se leva en s’étirant, tandis que la corruption gagnait du terrain sur le petit corps. Celle-ci finit par envahir entièrement le Pokémon qui, dans un gémissement de douleur, changea de forme. Le même sort attendait les trois autres ; ils furent transformés en des créatures noires, de longues oreilles ornées de cercles dorés. Leurs yeux devinrent aussi rouges que ceux du Tutankafer, et une étrange aura, semblable à celle du sarcophage, enveloppait désormais ces quatre créatures.

Le Pokémon assistait sans comprendre à ces changements. La noirceur se répandit dans l’arbre, dont les feuilles tombèrent les unes après les autres. Comme s’il venait de prendre la vie de ce chêne. Les Poichigeon endormis subirent également une transformation radicale ; leurs ailes se teintèrent du même noir que les anciennes évolitions. Leurs becs s’allongèrent et se courbèrent, tandis que les plumes de leurs têtes formèrent une sorte de petit chapeau. A leur tour, ils gémirent de douleur avant d’ouvrir leurs yeux écarlates. Comme pour les autres, une aura sombre entourait désormais leurs corps.

La vie avait décidément quitté l’arbre, les branches et le tronc étaient devenus d’un gris livide. Les feuilles avaient dépossédé le chêne qui paraissait bien moins imposant qu’il ne l’était quelques instants auparavant. Le Tutankafer observait toujours la scène, une pointe de peur animait son regard. Il eut un mouvement de recul, et s’éloigna de cette scène, retournant sur ses pas. Il regagna le temple poussiéreux et décharné, pour s’y isoler et réfléchir…

Que s’est-il passé ? Qu’est-il arrivé à cet arbre et ces Pokémon ? Cette noirceur…. Qu’était-ce ? Est-ce… ma faute ? Suis-je à l’origine de ce qui vient d’arriver ? Mais… Comment cela peut-il être possible ? Je ne possédais pas un tel pouvoir, dans ma vie d’humain… Il me semble ? Tout est si flou… L’exécution, les paroles du roi… Que s’était-il passé avant ? Pourquoi m’a-t-on exécuté ? Avais-je réalisé un crime si violent que ça ?
…
Non. Je ne méritais pas ça.
Je voulais juste…
Je voulais un rééquilibrage des forces. Oui, ça me revient.
Aider les plus faibles, ne pas laisser les forts toujours au pouvoir. C’est ce pourquoi je me battais.
Mais, ce qu’il vient d’arriver… Qu’ai-je donc fait ? Je ne voulais pas…. Ces Pokémon, cet arbre… Que sont-ils devenus par ma faute ? Pourront-ils vivre correctement, sous ces formes si… abjectes ?

Des bruits se firent entendre, se rapprochant du Tutankafer. Les Pokémon nouvellement transformés l’avaient suivi et le regardaient avec des yeux étincelants. Ils s’inclinèrent en signe de soumission devant le sarcophage. Avaient-ils accepté leur transformation ? Cette fois, le Pokémon Momie les regarda, sans peur, ni regrets. Il trouvait ce nouveau pouvoir… fascinant.

Ils n’ont pas l’air… De m’en vouloir ? Non, ils me remercient… Alors, ce pouvoir…
J’ai pu aider ces Pokémon à devenir plus forts, peut-être. C’est ce que je souhaitais. Je n’imaginais pas que ça serait un jour possible. Alors, maintenant, je suis enfin en mesure d’agir.
La corruption…
Oui, cette noirceur…
Désormais, j’aiderai ces Pokémon corrompus. Le rééquilibrage des forces va enfin pouvoir être possible.
J’aiderai ces nouveaux Pokémon à vivre avec leur noirceur. Je créerai un monde où ils pourront s’épanouir.
Oui…

Le Tutankafer se mit à sourire, découvrant ses larges dents pointues. Ce pouvoir qu’il avait acquis à travers les siècles, reflet de ses pensées haineuses et de son mépris pour les Hommes, pour ceux qui dominaient les autres… Il savait maintenant comment s’en servir et dans quel but. Il adressa un regard fier aux Pokémon présents, puis il entreprit de sortir du temple. Les nouvelles créatures le suivirent, comme envoûtés par le Pokémon sarcophage.

De nouveau à l’extérieur, Tutankafer était plus confiant et regardait le paysage sous un œil nouveau. Plus personne ne pourrait désormais se mettre en travers de son chemin.

*****
Quelques mois s’étaient écoulés depuis le réveil du Tutankafer. Un ciel grisâtre s’étendait à l’horizon, parsemé de lourds nuages présageant un orage imminent. Un vent violent fouettait le visage du Pokémon Momie. Celui-ci contemplait son « œuvre » : à perte de vue, des arbres et une terre décimés, des Pokémon corrompus par les ténèbres, des spectres voletant non loin de lui comme des Fantominus ou Spectrum. Il regarda un instant un petit clan d’Absol, qui comptait parmi ses plus fervents fidèles. Ou encore, ces Noctali et Cornèbre qui l’avaient suivi depuis sa résurrection. Le regard fier, Tutankafer admirait son « royaume ».

Le royaume de la corruption, où les faibles ont leur place parmi les plus forts. Un monde rééquilibré, où chacun a sa chance… Oui, c’est ce que j’ai attendu si longtemps…

Son voyage à travers le pays lui avait permis d’étendre la corruption partout où il se rendait. Des villages entiers d’humains et Pokémon avaient été touchés ; les hommes devenant des soldats au service du Tutankafer, et il en était de même pour les Pokémon. Le sarcophage appréciait ce gain de puissance progressif. Plus la noirceur s’étendait, plus il se sentait devenir fort, et plus il en voulait. Cette sensation si confortable d’être entendu et admiré par ses fidèles…

C’est ce que je désirais. Je voulais cette puissance. Ainsi, humains ou Pokémon, tous peuvent maintenant vivre sur un même pied d’égalité. Tant que la noirceur se répand, ils ne feront plus de différenciation entre les forts et les faibles, le bien ou le mal…
Mais ce n’est pas suffisant.
La corruption ne doit pas se limiter à quelques villes. Sinon, les injustices perdureront encore.
J’ai besoin… De plus de puissance…
Il m’en faut plus… Suffisamment pour tout ce pays…
Non… Pour le monde entier…

Plusieurs dizaines de jours passèrent. Tutankafer continuait son chemin, propageant toujours la corruption à travers la région. Certains Pokémon et humains corrompus l’avaient suivi, d’autres s’étaient dispersés en cours de route, prenant différentes directions pour étendre la noirceur de leur côté. Ils arrivèrent en tant que petit groupe dans la capitale du pays. Une immense ville où fourmillait la vie, de nombreuses maisons avaient été construites. Certaines prenaient parfois des hauteurs invraisemblables, tandis que d’autres restaient modestes. La différence de taille frappa la momie de plein fouet. A nouveau, il assistait à un déséquilibre flagrant entre les riches et les pauvres, les forts et les faibles…

La haine hanta à nouveau le Pokémon. Une colère si vive, si dévastatrice… Une aura sombre commença à l’entourer. Il sentait son pouvoir grandir au fond de lui, sentir la corruption dévorer son âme et s’étendre de plus en plus. Le sarcophage se concentra ; pour la première fois, il corromprait une ville de cette taille.

La noirceur s’empara tout d’abord de quelques habitants et maisons. Les humains devinrent des soldats noirs tandis que les habitations prirent des teintes grisâtres. Le parc alentour, balançoires vides délaissées par les enfants, se ternit également de ces couleurs si fades. Certains tentaient de s’enfuir, dans une cacophonie déconcertante, tandis que d’autres luttaient contre la corruption, vainement. Le ciel lui-même semblait se décolorer au rythme de la noirceur, un brouillard épais tombant progressivement sur la ville.

Tutankafer continuait d’emmagasiner de l’énergie en lui. Plus la corruption s’étendait, plus le pouvoir grandissait. Le Pokémon écarta ses quatre bras, laissant la noirceur l’envahir. Il se mit à léviter dans le ciel, et prépara une gigantesque boule noirâtre, ressemblant fortement à une Ball’Ombre, mais d’une taille et d’une puissance sans limites. La sphère obscure s’éleva à son tour haut dans le ciel, surplombant la ville peu à peu noircie. Elle grandit jusqu’à recouvrir entièrement le ciel au dessus de la cité.
Et elle éclata.
De nombreux projectiles s’éparpillèrent à travers le ciel. Ils vinrent atterrir dans différents endroits à travers le pays. Tutankafer ressentait l’immense pouvoir de la corruption s’étendre dans toute la région et au-delà. D’autres humains et Pokémon furent transformés en êtres corrompus, la végétation perdait de son éclat à chaque seconde. Bientôt, le continent entier ne deviendrait que noirceur et ténèbres.

Cependant, le sarcophage fut lui aussi frappé par l’un des éclats de la sphère d’énergie noire. Il sentit la profondeur de cette force démesurée, et se laissa engloutir totalement.
Le Tutankafer se transforma progressivement. Ses couleurs or et azur laissèrent place à un mauve lugubre diapré par des reflets rougeâtres. La forme même de son corps changea, il devint bien plus imposant que ce qu’il n’était auparavant. La créature semblait revêtir une armure des plus résistantes. Ses bras et mains doublèrent de volume, capables d’écraser le plus résistant des rochers en un instant.
La métamorphose de la momie s’était presque éternisée. La chose reprit conscience et laissa libre court à sa puissance. Les quelques parcelles de terres qui auraient pu être épargnées furent corrompues à leur tour, ne laissant plus une once de lumière sur le continent.

Le continent de la corruption…

Cette nouvelle force que je sens en moi… Je vais maintenant pouvoir accomplir ce pourquoi on m’a donné une seconde chance.
Je créerai un monde où la noirceur s’épanouira, où tous ces humains et Pokémon pourront vivre sans se soucier de futiles problèmes.
Ce monde dont j’ai tant rêvé…
Nous sommes à l’aube de sa création.

Tout va maintenant pouvoir commencer.