Chapitre 01 - Débarquement à Oliville
Tamao
Après une bonne heure d'immobilité, la grande porte de la cale commençait à se baisser et l'air frais venait déjà remplacer l'immonde odeur qui régnait ici depuis quelques jours. Une lumière chaude s’engouffrait où nous étions, signe que le soleil se couchait ; nous pouvions enfin avoir une idée de l'heure qu'il était.
Les bruits de l'extérieur entraient également, et parmi celui des vagues se mêlait l'agitation humaine et des cris étranges que nous n'avions jamais entendu ; probablement des pokémon.
D'après ce que j'avais cru comprendre, la première escale de notre bateau se faisait au port d'Oliville, dans la région Johto. Un homme qui avait passé le voyage pas loin de mes sœurs et moi avait raconté aux personnes autour de lui qu'un de ses amis, parti de Naljo il y a de cela quelques années, vivait maintenant dans cette région et lui envoyait régulièrement des lettres. Il la décrivait comme une région paisible, en pleine expansion économique, et donc en recherche de main d’œuvre. C'était bon pour nous, ça ; peu de gens allaient retourner à Naljo.
Quand la grande porte fut totalement baissée, un mouvement de foule se fit vers l'avant, dans le calme.
- Où est-ce qu'on va ? me demanda Sakura, très enthousiaste à l'idée d'enfin sortir de cette pièce où l'on était depuis maintenant six jours.
Je lui répondis que nous le saurions bien assez tôt, mais que c'était probablement un endroit où on pourrait passer la nuit, vu que le soleil se couchait.
- J'espère qu'ils nous donneront un truc à manger, parce que c'est pas tout ça, mais j'ai pas mangé depuis hier et je commence sérieusement à avoir faim…, soupira Satsuki, qui était tout aussi enthousiaste de sortir que Sakura.
Enthousiastes nous l'étions tous, à l'idée de voir de nouveaux horizons, de vivre une nouvelle vie, dans de meilleures conditions qu'à Naljo. Mais personnellement, j'ai la peur au ventre ; peur d'où je vais aller, peur de découvrir la personne qui va nous acheter. Sera-t-elle gentille avec nous ? Mais une peur me taraudait plus que les autres : serions-nous prises ensemble, mes sœurs et moi ?
J'évitai de montrer mon inquiétude en affichant un sourire radieux. Crispé, certes, mais radieux. Pas besoin de mettre ces mauvaises pensées dans la tête de mes sœurs, bien que ça ait dû leur traverser l'esprit aussi…
Plus on avançait vers la sortie, plus les bruits du dehors nous parvenaient ; le bruit des vagues, une musique lointaine, la vie du port… Mais ce qui m'étonnait le plus c'était le nombre de cri de pokémon. Rien que d'ici, j'ai bien dû en entendre trois différents ! (En admettant que ce soit des cris de pokémon, bien entendu, mais je vois mal un être humain pousser un mugissement aussi puissant qu'un bateau, ou pousser des « Goéééééé » et des « Liiiiiiise » stridents). A chaque cri, je sentais Sakura serrer ma main un peu plus fort. De peur ou d'excitation, je ne saurais le dire, mais ses yeux brillaient d'un éclat de curiosité comme je n'en avais jamais vu. D'ailleurs nous étions toutes dans le cas, et particulièrement Koume, qui avait déjà sorti l'unique bien qu'elle avait emmené avec elle : un vieux carnet avec un petit bout de charbon pour dessiner ce qu'elle voyait (elle a un talent certain pour le dessin). Sumomo et Satsuki, quant à elles, s'étaient un peu avancées et essayaient de regarder au-dessus des têtes qui les surplombaient en se faisant la courte échelle. Elles faillirent tomber plusieurs fois, mais se rattrapèrent rapidement, évitant une chute qui aurait pu nous apporter des ennuis.
Quand finalement nous fûmes complètement dehors, sentant l'air marin nous fouetter le visage, le soleil était couché. J'écarquillai les yeux devant le spectacle que m'offrait le paysage : Oliville était faite presque entièrement de pierres – à l'exception d'une maisonnette sur le port qui avait tout l'air d'être un restaurant. Un immense phare surplombait le port et envoyait une forte lumière au loin. Je n'avais jamais rien vu de tel, habituée aux villages en terre et en bois. Même le port de Naljo n'avait qu'une tour de bois avec un feu au sommet en guise de phare. Rien de comparable à ce que l'on pouvait apercevoir ici.
- Tamao ! Regarde ! Ce sont des pokémon ?
Je levai la tête vers l'endroit que Sakura pointait du doigt et vit de petites créatures blanches aux longues ailes. Je pus enfin mettre une image sur les cris stridents de toute à l'heure. J’acquiesçai à la question de ma plus jeune sœur tandis que Koume griffonnait déjà dans son carnet. Au loin, derrière des barrières, j'aperçus un attroupement de personnes qui observaient curieusement notre débarquement ; ils portaient des vêtements colorés, bien différents des simples toiles que nous portions en guise de robe.
Quand nous fûmes tous descendus du bateau, un bruit sorti de nulle part nous fit sursauter ; c'étaient des paroles humaines, mais comme dites par quelque chose de pas humain.
« Voyageurs ! Bienvenue à Oliville, dans la région de Johto. Je vous parle maintenant à travers un mégaphone, pour que vous m'entendiez tous. Vous allez maintenant être dirigés vers un hangar où vous passerez la nuit. Une soupe vous y sera offerte. Veuillez vous y rendre dans le calme, pas de panique à avoir, il y aura de la place pour tout le monde. La vente aura lieu demain matin, nous viendrons vous réveiller et vous serez ensuite amenés sur la place du marché. Veuillez obéir à nos agents de sécurités sans faire d'esclandre si vous ne voulez pas être blessés, ils possèdent tous un pokémon qui peut être dangereux si vous veniez à vous rebeller. Sur ce, je vous souhaite une bonne nuit. »
Nous hochions tous la tête pour marquer notre entendement : voir des pokémon c'était chouette, mais de là à se battre contre eux, non merci. Quant à savoir maintenant ce que c'est que ce fameux « hangar » où nous allions dormir, cela m'importe peu, j'ai retenu le plus important : nous serons nourries. Mes sœurs aussi l'avaient bien compris vu l'empressement soudain qui les saisit. Je parvins à arrêter Sakura mais les jumelles s'éloignaient déjà.
- Les filles, s'il vous plaît, restez près de moi. Ce serait bête de se perdre maintenant. Puis vous avez entendu ce qu'à dit le mégaphone, il y en aura assez pour tout le monde ! Les filles !
***.***
Satsuki
Dès que j'ai entendu le mot soupe, j'ai pris Sumomo par le bras et je l'ai tirée dans la direction de ce gros truc qu'ils appelaient « hangar ». C'était une sorte de gros bâtiment en brique (comme tout ici) où les gens de la ville entreposaient des choses. Ma sœur tenta de m'arrêter après quelques instants de course.
- Attends, Tamao nous appelle. On ne devrait pas s'éloigner.
Je soupirai.
- Mais on va toutes au même endroit, pas la peine de s'inquiéter ! On se retrouvera là-bas. Moi, je meurs de faim, je veux de la soupe ! Maintenant, si toi tu veux y retourner, vas-y, mais je ne t'attends pas.
Et je m'éloignai, laissant Sumomo à l'écart. Pas que je l'aime pas, loin de là, je l'adore même… Mais c'est une vraie chochotte. Je me demande parfois comment ça se fait qu'on provient du même ovule. BREF. Me voilà repartie, me glissant entre les gens de la foule pour atteindre le hangar. J'aurais rapidement atteint mon but si un imbécile ne me fit pas un croche-pied au moment où je le dépassais. Je lui lançai un regard méprisant (ma spécialité) : c'était un gros balourd avec pleins de poils qui dépassaient de ses habits, un de ces mecs stupides qui pensent que tout leur est dû.
- Hey gros plein de soupe, tu pourrais t'excuser au moins !
Je regrettai très rapidement mes paroles quand il se retourna et me souleva du sol, l’œil mauvais. Les gens autour ne prêtaient aucune attention à ce qui se passait, ne voulant probablement pas s'attirer d'ennuis.
- Qu'est-ce qu'elle me veut la ptite midinette de mes deux ? On est pressée ? On veut sa ptite sousoupe ?
Je tentai de me débattre, mais soyons réaliste, la jeune femme fine que j'étais n'aurait rien su faire face à la poigne de ce mufle. Dans un cri de désespoir, je lui crachais de me lâcher (littéralement vu le mollard qui vint s'écraser sur sa sale face).
Étonnamment, cette tentative ne le calma absolument pas.
Fou de rage, il me lança un sourire mauvais et me jeta par-dessus les barrières qui dessinaient le chemin que nous devions suivre pour atteindre notre logis de cette nuit. Je m'écrasai au sol de manière pas très glorieuse et, se faisant, l'unique bien que j'avais emmené avec moi glissa de mon vêtement. C'était un dessin de notre famille, que Koume m'avait offert à mon dernier anniversaire. Je remis rapidement mes idées en place et cherchai mon bien des yeux ; je l'aperçu un peu plus loin. Heureusement qu'il n'était pas tombé dans la foule, il aurait été déchiré et je m'en serai voulue à tout jamais.
- Sécurité !, cria le débile qui m'avait fait tomber. Il y en a une qui essaye de s'échapper !
Je pestai intérieurement et me dépêchai de récupérer le dessin. C'était sans compter sur une étrange créature mauve qui apparut de nulle part et qui la fixait avec convoitise. Je n'osais plus bouger ; c'était la première fois que je voyais un pokémon d'aussi près, et qui pouvait bien savoir de quoi il était capable.
- Euh… S… Sa… Salut.
Le pokémon leva la tête et me regarda quelques instants de ses grands yeux ronds. Cela aurait pu durer encore quelques minutes si un agent de sécurité n'était pas arrivé en trombe avec un autre pokémon : une créature orange et beige, poilue, à quatre pattes qui poussait des grognements. Évidemment, l'autre pokémon se saisit de mon souvenir avec la main qu'il avait au bout de la queue et s'enfuit plus profondément dans la ville. Désespérée, je me mis à courir à sa suite, sans réfléchir aux conséquences qui en découleraient.
- Mademoiselle ! Veuillez revenir dans les rangs !, me cria l'agent tandis que je me mettais à poursuivre le voleur.
- Désolée, lui criai-je en partant, mais ce pokémon m'a pris quelque chose !
Mon excuse n'eut pas l'air de lui plaire puisqu'il se mit à me pourchasser avec son propre pokémon. Je pestai à nouveau, et promis au ciel que je prendrai ma revanche sur le gros balourd sans qui rien de tout cela ne serait arrivé.
- Caninos, Flammèche !
Le pokémon de l'agent cracha une boule de feu qui fit exploser un tonneau à ma droite. Je me jetai au sol pour éviter de recevoir des débris brûlants, me blessant le genoux au passage. C'est bien ma veine, comme si j'étais pas assez dans la mouise comme ça…
Je me relevai difficilement, cherchant le pokémon mauve du regard, sans succès. L'agent et son Caninos apparurent et m'encerclèrent.
- Mademoiselle, je vous prierai de ne plus bouger si vous ne voulez pas être blessée d'avantage.
- Mais le…, tentai-je de dire, les yeux humides.
- Vous n'êtes pas en position de discuter, m'interrompit-il. Vous allez me suivre bien gentiment au hangar, et on discutera de votre sort là-bas.
Je tombai en larmes, désespérée. Je venais de perdre le seul bien qu'il me restait de mes parents, et j'allais probablement passer un sale quart d'heure avec les types de la sécurité.
Et si je m'en sortais sans trop de problèmes, ça ne serait que pour affronter pire… Tamao.
***.***
Sumomo
- J'ai essayé de la convaincre de revenir vers toi, mais tu sais bien comment elle est, elle m'a pas écouté. Mais je te promets qu'elle n'a jamais pensé à sortir des rangs ! Elle voulait juste avoir de la soupe plus tôt…
J'avais beau essayer de convaincre Tamao, elle n'avait pas l'air de vouloir écouter ce que je lui disais. En même temps, je peux la comprendre…
Quand on est arrivées au hangar et qu'après une demi-heure de recherche, on avait toujours aucune trace de Satsuki, on s'était mises à sérieusement paniquer avec Koume et Sakura… Tamao tentait de nous rassurer, mais je voyais bien qu'elle en menait pas plus large que nous. Et alors, quand un agent de sécurité m'a appelé grâce à cet espèce d'engin qu'ils appellent « mégaphone », sa panique s'est comme transformée en colère et elle nous a toutes emmenée à l'entrée du hangar, où s'étaient installés les agents. J'essayais donc de la calmer du mieux que je pouvais, avant sa confrontation avec les agents (et surtout, je ne voulais pas que Satsuki se fasse trop crier dessus, parce que je suis persuadée qu'elle n'a rien fait de mal et que toute cette histoire n'est qu'un gros malentendu).
- Tamao, tu m'écoutes ?
Aucune réponse. Je cherchai Koume et Sakura des yeux pour qu'elles m'aident, mais elles regardaient le sol, pas très chaudes à l'idée de se mettre Tamao à dos.
Quand nous arrivâmes finalement au poste de police improvisé à l'entrée du hangar, je pus apercevoir ma sœur, assise sur une chaise, les yeux rougis de larmes. Devant cette vision, mon cœur se serra ; j'aurai tout donné pour la rejoindre et la consoler sur le champ, mais ç'aurait été difficile puisqu'elle était entouré de deux agents, chacun accompagnés d'un pokémon : l'un était un animal poilu à quatre pattes, orange et beige, et l'autre était étrange, on aurait dit une grosse bille volante entourée de deux aimants.
Un homme s'approcha de ma sœur.
- Vous êtes la dénommée Sumomo ?
- Je suis sa grande sœur, répondit Tamao.
Elle me désigna rapidement. L'agent hocha la tête et expliqua la situation dans laquelle s'était impliquée ma sœur. Elle s'était donc enfuie du rang pour pourchasser un pokémon ? Je savais que Satsuki avait son côté tête brûlée, mais de là à pourchasser un pokémon ? C'était louche.
Koume me sortit de mes pensées en me serrant discrètement le bras.
- Il y a un mec bizarre qui arrête pas de regarder par ici, me chuchota-t-elle en m'indiquant une direction.
Discrètement, je lançai un regard vers l'endroit qu'elle me montrait ; il y avait bien un grand homme particulièrement velu qui nous fixait, ou plutôt il fixait Satsuki, en ricanant. Un frisson me parcourut le dos ; cet homme ne m'inspirait rien de bon.
- Bon, allez… Ça va pour cette fois, dit le chef de la sécurité. Je vois bien que vous n'êtes pas des fauteuses de troubles. Mais que je nous vous y reprenne plus, et ça vaut pour vous cinq, c'est compris ?
- On ne vous posera plus aucun problème, c'est promis, répondit Tamao. Excusez encore le comportement irresponsable de ma sœur.
Les deux agents aux pokémon relâchèrent Satsuki qui couru se blottir contre moi. Je l'accueillis chaleureusement, ressentant son trouble, et me mis à pleurer avec elle. Elle tenta d'articuler une phrase à travers ses pleurs :
- Je duis vraibent désolééééée… D'est la vaute à zette zaloberie de bogémon… Il b'a bris le dessin de Koubéééé et je voulais zuste le régubérer…
Je la serrai plus fort contre moi en lui caressant les cheveux afin de la calmer. Sakura et Koume avaient chacune pris une main de ma sœur pour la consoler également. Tamao, quant à elle, était d'une froideur extrême.
Une fois que nous nous fûmes éloignées des agents, notre grande sœur fondit en larmes à son tour et serra elle aussi Satsuki dans ses bras.
- Ne me refais plus jamais ça, t'as compris ? Tu imagines quelles idées ont traversé nos esprits, à tes sœurs et moi ? Qu'est-ce qu'on aurait fait si tu avais disparu ? On est une famille ! On se doit de rester soudées ! Plus jamais Satsuki ! Plus jamais une peur pareille ! Tu m'entends ?! Plus jamais…
Tamao pleurait à chaudes larmes, probablement la descente du stress de ce soir, couplée à la fatigue du voyage. Jamais je ne l'avais vue dans un tel état. Ce n'était pas son genre en même temps ; elle prenait toujours tout sur elle, veillait sur nous et n'aurait jamais osé nous montrer un signe de faiblesse, pour ne pas nous inquiéter.
Cette scène me rassura, Tamao lâchait un peu tout ce qu'elle retenait en elle depuis un bon bout de temps maintenant. Je me joignis à l'étreinte, rapidement suivie par Koume et Sakura.
Je ne sais pas de quoi nous avions l'air, vues de l'extérieur (probablement de cinq folles hystériques à moitié schizophrènes), mais de l'intérieur, c'était une sensation merveilleuse d'amour et de bien être qui nous enveloppait.
Sensation que Sakura, avec son tact légendaire, s'empressa de réduire à néant, avec un simple :
- Bon, on va chercher notre soupe maintenant ?
De légers sourires se dessinèrent sur le visage de chacune de mes sœurs et je me surpris moi-même à sourire bêtement. C'est donc avec cette sorte de paix intérieure retrouvée que nous nous dirigeâmes toutes ensemble vers l'endroit où était servie la soupe. Après deux jours de jeûne, nous allions enfin pouvoir reprendre des forces.
Forces dont nous aurions bien besoin pour la journée de demain, qui ne s'annonçait pas de tout repos.
Loin de là.