Prologue - Cinq sœurs
Elles étaient cinq filles au milieu d'autres personnes dans la cale de ce bateau en direction du port d'Oliville, dans la région Johto.
Sept-mille-six-cent-dix-sept kilomètres. C'est la distance qui séparait Naljo, leur région natale, de Johto. C'était une région isolée du monde, où l'on trouvait très peu de pokémon, et où la pauvreté régnait. Les gens qui y habitaient s'exilaient souvent d'eux-même, quittant famille et amis, afin de se rendre dans une autre région pour y travailler dans des conditions pas très enviables, mais qui pour eux étaient bien meilleures que celles qu'offraient Naljo. Enfin… « S'exiler » était un bien grand mot ; ils passaient par une société mise en place par les Grands de la région qui consistait à vendre leur personne comme marchandise.
Elles étaient cinq jeunes filles en haillons, pas même encore adultes, serrées les unes contre les autres.
Trois-cent-cinquante. C'était le nombre de personnes qui avaient fait cette démarche cette année, et qui avaient donc embarqué dans ce bateau qui faisait le tour des régions plus développées en recherche de main d’œuvre ; ils allaient faire escale dans les différents ports commerciaux de Johto, Kanto, Unys, Almia, Kalos et Sinnoh, qui s'était ajoutée sur la liste récemment.
Une fois débarqués, ils seront exposés et vendus aux plus offrants. Quand le tour des régions se terminera, s'ils n'ont pas été achetés, les voyageurs retourneront à Naljo pour travailler pour le compte des Grands, et non plus pour eux.
Elles étaient cinq sœurs au milieu d'autres personnes dans la cale de ce bateau. Elles avaient choisi de faire ce voyage en pleine connaissance de cause ; elles s'étaient vendues aux Grands afin de gagner assez d'argent pour soigner leur père qui était tombé malade. Elles avaient tenu tête à leurs parents qui avaient tenté de les en empêcher, en vain.
L'aînée, Tamao, dix-sept ans à peine, caressait les cheveux de celle qui semblait être la plus jeune des sœurs, endormie sur ses genoux. Les gens de son village natal disaient d'elle qu'elle était posée et réfléchie, mais d'un naturel assez froid et distant envers les inconnus. Tamao avait hérité du physique de sa mère ; elle était grande et fine, avec de long cheveux noir de jais qui lui tombaient dans le milieu du dos.
La jeune femme fredonnait une berceuse.
Les trois sœurs aveugles
(Espérons encore)
Les trois sœurs aveugles
Ont leurs lampes d’or.
Sumomo et Satsuki, les cadettes, accompagnaient leur sœur en musant.
Montent à la tour,
(Elles, vous et nous)
Montent à la tour,
Attendent sept jours...
Elles étaient nées un an après Tamao et avaient surpris la petite famille qui ne s'attendait pas à s’agrandir autant d'un coup. Les jumelles, bien que semblables physiquement, étaient très différentes ; Sumomo était douce et aimante, tandis que Satsuki, grande tête brûlée, débordait d'énergie et parlait avec franchise (et très vite). Elles s'équilibraient, pour ainsi dire ; Sumomo calmait le jeu quand Satsuki s'emportait, et Satsuki venait en aide à Sumomo quand elle était dans le besoin. Outre par leur personnalité, on distinguait les deux jumelles à leur coiffure : Sumomo portait une simple coupe au carré quand Satsuki s'attachait les cheveux à la va-vite avec une grosse pince.
Ah ! dit la première,
(Espérons encore)
Ah ! dit la première,
J’entends nos lumières...
Assise à côté, silencieuse, les yeux humides, se trouvait la quatrième sœur : Koume, quinze ans. C'était la plus discrète de la famille ; elle était très timide et parlait peu, ce qui n'en faisait pas moins une fille très intelligente, elle était d'ailleurs aussi maline qu'elle était discrète. Dans son village natal, elle était très appréciée car elle n'hésitait pas à rendre service à tout le monde, se passionnant pour tout et mettant toujours son cœur à l'ouvrage. Plus jeune, Koume avait tendance à s'arracher les cheveux, par timidité, c'est pourquoi Tamao les lui avait coupés à la garçonne, coupe qui mettait en valeur la beauté et l'éclat de son visage, comparable à de la porcelaine.
Ah ! dit la seconde,
(Elles, vous et nous)
Ah ! dit la seconde,
C’est le roi qui monte...
Enfin, endormie paisiblement au milieu de tout ce beau monde, il y avait Sakura, la benjamine. Née deux ans après Koume, son arrivée avait été un grand bonheur pour son entourage. En effet, le jour de sa naissance, les habitants du village aperçurent dans le ciel une bête ailée qu'ils n'avaient jamais vu auparavant ; un pokémon. Savoir lequel ne leur importait pas, l’événement étant tellement extraordinaire à Naljo. Dès lors, Sakura avait été perçue comme la porteuse de chance, le rayon de soleil qui éclairait le village avec bienveillance. Sa personnalité était d'ailleurs comparable à un rayon de soleil : c'était une fille pleine d'énergie et de bonne humeur, farceuse, connaissant parfaitement ses sœurs et sachant comment les taquiner efficacement. Les deux couettes qu'elle portait de chaque côté de la tête soulignaient bien le fait qu'elle était la plus jeune des cinq sœurs.
Non, dit la plus sainte,
(Espérons encore)
Non, dit la plus sainte,
Elles se sont éteintes...
Elles étaient cinq sœurs courageuses qui voguaient vers leur destin depuis maintenant six jours. Six jours passés amassées dans cette cale, avec trois-cent-quarante-cinq inconnus, ou presque. Elles avaient reconnu quelques visages familiers de loin, mais étaient restées ensembles pour éviter de se perdre. Six jours, avec pour seul vivre, un petit pain blanc et une bouteille d'eau par personne. Bien qu'habituées à manger peu, la faim commençait tout de même à se faire sentir, excepté pour Sakura pour qui ses sœurs avaient gardé un morceau de chacun de leur pain. En plus de la faim, l'odeur devenait insupportable ; entre la sueur et les déjections de chacun, le mélange n'était pas des plus agréables.
« Plus que quelques heures à tenir »
Comme pour valider cette pensée, les remous de la haute mer se faisaient de plus en plus calmes depuis quelques minutes maintenant, signe que le bateau approchait de la côte. Un mélange de joie et de peur pouvait se lire sur le visage des sœurs ; joie de sentir l'air frais et la terre ferme, mais peur de ce qui pourrait arriver une fois débarquées. Allaient-elles être achetées au premier port ? Au second ? Devraient-elles supporter encore longtemps l'environnement nauséabond de cette cale ? Mais la question qui les inquiétait le plus était de savoir si elles allaient être séparées. Seraient-elles séparées en deux groupes ? Ou chacune de leur côté, aux quatre coins du monde ?
« Ce qui est sûr, c'est que je ne veux plus me coltiner Sumomo ! Elle traîne tellement avec moi qu'on commence à se ressembler ! », avait tenté Satsuki pour détendre l'atmosphère. Elle ne reçut qu'un maigre sourire de sa jumelle – toujours complice, même quand elle était le sujet de la blague – et un coup sur la tête de Tamao, pas d'humeur jouasse.
Le bateau mugit soudain, faisant trembler les parois de la cale et réveillant Sakura en sursaut. Tamao serra sa sœur benjamine contre elle pour la rassurer et lui expliqua la situation. L'aînée se remit à chanter de plus belle, en prenant toutes ses sœurs dans ses bras.
Les trois sœurs aveugles
(Espérons encore)
Les trois sœurs aveugles
Ont leurs lampes d’or.
Elles se joignirent rapidement au chant, comme pour se rassurer mutuellement.
Montent à la tour,
(Elles, vous et nous)
Montent à la tour,
Attendent sept jours…
Autour, quelques personnes connaissant également le chant joignirent leur voix à celles des cinq sœurs.
Ah ! dit la première,
(Espérons encore)
Ah ! dit la première,
J’entends nos lumières…
Petit à petit, la mélodie se répandait à travers la foule ; certains chantaient, d'autres musaient simplement. Quelques musiciens dispersés qui avaient réussi à emmener avec eux leur instrument vinrent agrémenter le chant à leur manière.
Ah ! dit la seconde,
(Elles, vous et nous)
Ah ! dit la seconde,
C’est le roi qui monte...
Bientôt c'est toute la cale qui vibrait à l'unisson à travers cette berceuse typiquement Naljienne...
Non, dit la plus sainte,
(Espérons encore)
Non, dit la plus sainte,
Elles se sont éteintes…
Le port d'Oliville était en vue…