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Castor et Tejat s'étaient amarrés sur la côte Est de l'étendue de roche noire aux geysers, derrière le plus grand des cratères. L'embarcation en question était un petit bateau ressemblant aux bateaux-maisons amarrés dans la ville portuaire de l'île, en version plus petite et doté d'une voile. Pollux se demanda où ils avaient dégoté un navire pareil et si cela n'était pas dangereux de naviguer en haute mer avec. Mais au moins, il était à leur échelle et semblait assez maniable pour eux.
Le professeur était déterminé à aller voir ces étranges personnes qui parlaient « bizarrement ». Regulus était inquiet au sujet de cette histoire de « disparus ». Castor et son second étaient moins enthousiastes à l'idée d'aller fureter du côté de ces gens inquiétants. Pollux le décida d'un :
-Tsss. T'es aussi froussard qu'un coiffarel dans un salon de sculpture sur gazon.Il n'en fallait pas plus pour vexer le démolosse qui s'enflamma.
-Un coiffarel ? Un coiffarel !? Tu trouve que je ressemble à un de ces snobinards à froufrous évadés d'un salon de toilettages en manque de fanfreluches ? Je suis un fier démolosse moi ! Un maître des ténèbres ! Tu vas voir si j'suis un « froussard » ! Attends que Ashlesha et Hydrobius soient revenus et on lève l'ancre ! Ashlesha et Hydrobius se révélèrent être des tentacruels qui avaient pour tâche de tirer l'embarcation de la fine équipe. Regulus était clairement amusé et déclara :
-C'est marrant, je m'attendais à voir des sharpedos...
Pollux reconnut que lui aussi. Ils avalèrent quelques baies puis embarquèrent et se mirent en route en direction du centre de l'archipel, le « centre de tout ». Le professeur et le dresseur profitèrent du voyager pour se reposer un peu.
*** ***La minuit était passée lorsqu'ils arrivèrent sur l'îlot artificiel qu'avaient construit les « hommes en blancs ». Une partie de l'édifice était d'ailleurs toujours en construction, mais le bâtiment principal était achevé. C'était un bâtiment immense, qui s'élevait sur une dizaine d'étages, d'un blanc éclatant qui reflétait la lumière de la lune et semblait briller comme un phare. Quelques jardinets avaient été aménagés autour. A cette heure de la nuit, il n'y avait pas âme qui vive.
Castor ordonna aux tentacruels de rester dans le coin et de les attendre. Le mangriff avait déjà une idée. Tejat reprit sa place sur le dos de son capitaine, qui demanda :
-Il n'y a pas vraiment d'endroits ou se cacher. Alors Monsieur le Scientifique, par où rentre-t-on ?
-Par la porte évidemment. C'est éclairé.
-Par la… On est des pirates ! On n'entre pas par la porte principale !
-Moi si.Et ainsi fut fait. Inconsciemment, le capitaine et le sage simiesque lui avaient rappelé la notoriété de Regulus, et dans une moindre mesure, la sienne. Pollux espérait se servir de ça pour bénéficier d'une certaine immunité voire d'un passe droit pour découvrir ce qui se cachait dans le grand bâtiment blanc.
La porte d'entrée automatique s'ouvrit à leur passage. Ils pénétrèrent dans un vaste hall d'accueil. Un guichet se trouvait non loin, et un homme en blouse blanche se trouvait derrière, paraissant jouer sur son ordinateur. Lorsqu'il vit les voyageurs, l'homme se leva d'un bond et l'espace d'un instant le professeur pokémon crut qu'ils étaient fichus. Mais le gardien contourna son comptoir, s'approcha d'eux et déclara joyeusement :
-Bonsoir, bonsoir ! Je ne m'attendais pas à recevoir des visiteurs aussi tard ! Que puis-je pour vous ?
Le mangriff déclara dans son humain maladroit :
-Bonsoir. Je suis professeur Pollux. Voici Regulus, dresseur de feu, et Castor et Tejat. Je fais des recherches en communication et j’enquête sur les espèces à Alola. On a été attaqué par des froussardines en voyageant cette nuit, et comme on a vu la lumière au loin, on est venu. On croyait c'était une île…
L'homme contempla la fine équipe, béat comme quasiment tous leurs interlocuteurs, puis il annonça :
-Ne bougez pas, je vais voir si je trouve un responsable pour vous accueillir et vous installer.
Il retourna en toute hâte vers son bureau et composa un numéro sur son téléphone. Dix minutes plus tard, une femme un peu ronde, aux yeux verts et aux cheveux sombres vêtue de blanc et de rose s'avança dans le hall.
-Bonsoir bonsoir !
Elle contempla les visiteurs et déclara en écartant les bras d'un geste théâtral :
-Bienvenue à la fondation Aether ! Je suis Vicky, sous directrice. Victor m'a raconté que vous avez été attaqués en route ? Ne vous inquiétez pas, nous allons prendre bien soin de vous ! Suivez-moi !
Elle les guida à travers le hall jusqu'à une immense serre aménagée pour recréer l'habitat de pokémons. Pollux vit qu'un certain nombre étaient installés là. Des corayons, des kokiyas, des picassaults, et d'autres pokémons qu'il ne connaissait pas. La plupart étaient profondément endormis. Quelques humains vêtus de blouses et de combinaisons blanches circulaient ça et là en prenant des notes. Regulus lui tapota l'épaule et désigna un manglouton isolé sous un arbre. Le dresseur avait été étrangement silencieux et affichait un air anxieux depuis qu'ils s'étaient approchés de l’îlot. Mais peut-être était-ce dû aux fameuses ondes de communication chères au professeur Véga, il comprit où son ami voulait en venir.
-Excusez moi, madame.
Vicky s'arrêta et se tourna vers lui d'un air enjoué.
-Oui ?
Pollux désigna la serre.
-D'où viennent tous ces gens ?
-Ces gens ?
Voyant son air perplexe, il précisa :
-Les pokémons. Pour nous, ce sont aussi des gens.
La lumière se fit sur le visage de leur interlocutrice et elle répondit d'un ton enjoué :
-Ah ! Et bien, nous avons trouvé ces pauvres chéris un peu partout. Notre fondation commence seulement à s'implanter à Alola, mais nous avons pour but de venir en aide aux pokémons. Lorsque nous en trouvons qui sont blessés, malades ou maltraités, nous les amenons dans ce havre pour les soigner et les protéger… Cela nous permet ainsi de récolter des données précieuses pour nos recherches sur les pokémons sans les déranger dans leur habitat naturel et en aidant un maximum !
La mystérieuse disparition de pokémon commençait à s'éclaircir, mais cela n'expliquait pas pourquoi certains revenaient en racontant des histoires délirantes. En tout cas, cela expliquait les rebondissements de son voyage avec les mangloutons sur l'île de Poni. L'un des leurs avait disparu, et Pollux aurait parié qu'il s'agissait de celui endormi un peu plus loin avec un gros bandage autour des côtes. Et c'étaient des gens en blancs qui enlevaient ces pokémons. Le professeur portait toujours fièrement sa blouse blanche, symbole de son statut. L'argouste Haoa, qui ne semblait pas avoir les mangriffs en estime, avait dû le prendre pour un membre de la fondation Aether… Regulus n'avait pas non plus le look idéal pour rassurer les mangloutons et leur chef dans une telle situation. Le professeur s'inquiétait de plus en plus du mutisme de son ami.
-Si vous vous sentez mieux ici, vous pouvez passer la nuit dans la serre, sinon, nous avons aussi des chambres. Normalement, elles seront dans le bâtiment derrière, mais en attendant qu'il soit achevé, nous avons mis les chambres d'invités au premier étage. L'ascenseur de service est là-bas.
Elle les conduisit jusqu'au premier étage et leur montra un long couloir où s'alignaient d’innombrables portes numérotées.
-Voilà, elles sont toutes vides, je vous laisse vous installer. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, n'hésitez pas à demander à Victor à l'accueil !
*** ***La chambre était sobre : dans les tons blancs, elle ne comprenait qu'un lit, une table, une chaise et un petit placard. Une fois seuls, ils attendirent un moment que les pas de leur hôtesse disparaissent dans le couloir, puis Castor déclara :
-J'aime pas cet endroit. Il a une odeur bizarre. Pollux l'avait senti aussi. Il sentait l'odeur des pokémons accueillis ici, l'odeur des humains qui y travaillaient, l'odeur de propre et des produits nettoyants, l'odeur métallique de la structure du bâtiment. Mais il y avait une autre odeur derrière toutes les autres. Forte, piquante, un peu poussiéreuse et presque métallique, que le professeur ne parvenait pas à identifier, et qui ne ressemblait à rien de connu. Et tandis qu'il réfléchissait, il réalisa : il n'y avait aucun son ici. Certes il y avait le vent et la mer à l'extérieur, il y avait le son des pas des gens qui travaillaient en bas, les ronflements de certains dans la serre, mais dès l'instant où ils l'avaient quittée, tout était devenu parfaitement silencieux. C'était angoissant.
Ils attendirent une bonne demi heure, méditant à un plan d'action, puis Pollux prit sa décision.
-J'y vais.Les autres furent surpris, et Tejat s'exprima pour tous :
-Hein ? Où ça ?
-Explorer le bâtiment.Pour la première fois de la soirée – et ce fut un léger soulagement pour le mangriff, Regulus prit la parole :
-Non. C'est trop dangereux. On vient avec toi.
Mais le professeur n'était pas de cet avis.
-Non, si on est trop, on risque de se faire découvrir. Il vaut mieux que j'y aille seul, je pourrais trouver une excuse si je me fais prendre. Du style je cherchais les toilettes, ou à aller admirer la vue sur le toit ou autre... Ses compagnons étaient sceptiques, mais le capitaine finit par déclarer :
-Dans ce cas, je retourne à la serre. J'suis plus rassuré de m'savoir entouré d'vrais pokémon. C't' endroit me file les foies. Le dresseur se contenta d'émettre un « Hmmmm... » qui pouvait tout dire, mais il ne bougea pas lorsque les trois autres sortirent de la pièce. Castor et son second prirent l'ascenseur. A l'autre bout du couloir, Pollux découvrit un escalier.
*** *** Pollux explora chacun des étages. Les étages supérieurs semblaient être destinés au dortoir des employés. Il découvrit au dessus une cantine, des bureaux, un entrepôt de matériel de bureau, de nourriture et de caisses mystérieuses qui semblaient contenir du matériel médical. Il monta jusqu'au toit, où il put constater que la vue était effectivement magnifique. Partout dans le bâtiment étaient répandus un silence inquiétant et l'étrange odeur. Il ne trouva cependant rien de particulièrement inquiétant mis à part ça. Il commença donc à redescendre, mais il se perdit dans le compte des étages et déboucha dans un sous-sol mal éclairé. C'était une vaste salle assez haute de plafond où était entreposé du matériel de construction.
Il perçut une présence un peu plus loin, entendant faiblement un son étrange venant de derrière des piles de palettes de briques blanches. Il s'approcha doucement, et plus il s'avançait, plus l'angoisse le saisissait. Le son qu'il entendait ne ressemblait à rien de connu. Une fente entre deux piles lui permit de voir de quoi il s'agissait. Cette fois, une peur panique et froide se répandit dans tout son être. Vicky était là, en compagnie d'une grande femme élancée aux longs cheveux blonds à la coiffure sophistiquée quoique improbable. Les deux semblaient en pleine discussion, mais elles émettaient des sons qui ressemblaient à des sons de chocs métalliques, de froissement d'aluminium et autres bruits impossible à produire ou imiter par une gorge humaine. Soudain, la femme blonde acquiesça et une vive lumière emplit l'espace, aveuglant le mangriff. Un instant plus tard, Pollux vit que la femme avait fait place à un être grand et élancé, comme un gros insecte très frêle aux longues antennes et aux elytres comme une chevelure transparante. Il voyait un peu de l'humaine dans la créature, mais il était clair que celle-ci était d'une tout autre nature.
Horrifié, Pollux recula et trébucha sur un gros éclat de brique qui traînait par terre. Il s'étala, et il était sûr que le bruit avait dû être entendu par les deux choses plus loin. Une demi seconde plus tard, il se retrouva suspendu au dessus du sol, la gorge enserrée par une des pattes de l'insectoïde bipède qui le contemplait. La force de la chose était impressionnante. Pollux avait l'intuition qu'il ne s'agissait pas d'un pokémon. La créature avait l'odeur bizarre qu'il n'avait pas su identifier...Vicky se tenait derrière la créature et secouait la tête d'un air désapprobateur.
-Tiens tiens tiens… Professeur Pollux, que faites-vous donc ici ?
Le mangriff n'avait aucune idée de la façon dont il allait se tirer de ce mauvais pas, mais mentir ne lui servirait pas dans une telle situation. Il répondit :
-Suis allé prendre l'air sur le toit et admirer la vue. Me suis perdu en redescendant… Voyant qu'aucun de ses interlocuteurs ne semblait le comprendre, il répéta en humain :
-Suis allé sur le toit pour l'air et la vue. Suis perdu en bas avec l'escalier...
Vicky avait l'air sincèrement peinée.
-Vous avez découvert des choses que vous n'auriez pas du voir professeur… Il va donc falloir…
Heureusement, le pokémon ne sut pas ce « qu'il allait falloir », car une sphère d'énergie frôla le professeur percuta la créature qui le lâcha et fut repoussée en émettant un froissement furieux.
Pollux se retourna et vit Regulus accourir vers lui et le relever.
-Pollux, ça va ?
-Pile à temps mon ami.Vicky avait l'air surprise. La créature l'était peut-être aussi, le professeur n'aurait su le dire.
-Comment… ?
Le dresseur s'interposa entre les membres de la fondation Aether -quoiqu'ils soient- et son ami. Il enfonça sa casquette fétiche sur la tête du mangriff et tendit sa paume devant lui. Regulus était toujours prêt à donner de sa personne pour protéger ses compagnons.
-Qui êtes vous ?Pollux se chargea de répondre au dresseur :
-Ils ne comprennent pas le pokémon...Regulus acquiesça et déclara donc en humain :
-Voilà donc la source de l'étrange aura que je sentais en arrivant ici… J'ai senti la panique du prof, et j'ai suivi sa trace, tout simplement.
Une aurasphère apparut dans sa main, il attrapa la pokéball de son simiabraz dans l'autre et il agita nerveusement sa queue, prêt au combat.
-Peu importe ce que vous êtes, vous ne ferez pas de mal au prof.
L’insectoïde parla dans son étrange babil, et la femme en rose approuva.
-Oui, on aurait dû faire plus attention à cet espèce de pokémon parlant. Ce sont vraiment des créatures fascinantes…
Puis elle s'adressa aux deux compagnons.
-Vous vous méprenez, mes petits chéris. Il n'est aucunement question de vous faire du mal. Nous voulons simplement nous assurer que vous garderez pour vous ce que vous avez vu cette nuit…
L'insectoïde leva ce qui faisait office de patte ou main, et un immense vortex apparut au plafond.
-Où que vous alliez, nous vous retrouverons. Vous ne pourrez pas vous échapper. Je doute que quiconque vous croie, mais nous ne voulons pas de curieux dans nos plans. Alors vous allez rentrer chez vous et oublier cette histoire.
Pollux était sûr que le dresseur était impressionné par le vortex autant qu'il l'était lui-même, mais son ami déclara tout de même :
-Sinon ?
La femme désigna le vortex.
-Sinon je vous laisse imaginer ce qu'il y a à l'autre bout, car c'est là que vous irez. Vous… ou d'autres.
-Qu'est-ce que vous voulez ?
Vicky lui sourit :
-Avoir la paix. Nous n'avons pas choisi cet archipel éloigné de tout et quasiment coupé de toute communication pour qu'on vienne nous gêner dans nos recherches, bien sûr. Maintenant, je suis sûre que vous manquez beaucoup à vos deux amis dans la serre là-haut… Gardez le silence.
Le mangriff terrifié balbutia :
-Garderons le silence...
Il y avait comme une menace derrière ses paroles. Regulus résorba son aurasphère, prit Pollux par la patte et déclara :
-Entendu. Mais ne vous avisez jamais de faire du mal à qui que ce soit. Moi aussi je le saurais, et je suis doué pour
sentir les choses…
L'insectoïde s'adressa de nouveau dans sa langue et Vicky traduisit :
-Elsa-Mina voudrait savoir ce que vous êtes, dresseur.
Regulus eut un étrange sourire.
-Je suis un dresseur spécialiste du type feu. Je suis la preuve que les rêves deviennent réalité et que tout est possible.
Sur ces paroles, le lucario récupéra sa casquette et emmena son ami sous le choc jusque dans la serre. Ils retrouvèrent le capitaine et son second en pleine discussion sur la grandeur des pirates avec ce qui semblait être un feunard shiny et se révéla être un feunard de neige ou de brume -Pollux était trop sous le choc pour s'en étonner ou y faire particulièrement attention- puis ils partirent sans demander leur reste.
*** ***Le lendemain, Pollux et Regulus étaient de retour à Ula-Ula. Le démolosse et ses compagnons les déposèrent directement dans la ville où ils avaient mis les pattes pour la première fois, puis repartirent conquérir les mers. D'après le capitaine, le « glacenard » avait l'air intéressé par la carrière de pirate et Tejat était enthousiaste à l'idée d'avoir un nouveau membre de type glace dans l'équipage.
Les deux amis avaient, pour leur part, hâte de mettre de la distance entre eux et les effrayantes créatures « au centre de tout ». Il se tramait effectivement quelque chose à Alola, et aucun d'eux n'avait vraiment envie d'y mettre la truffe, quoiqu'en avait déclaré Regulus face aux créatures.
Le mangriff annonça donc à son collègue le professeur Euphorbe qu'ils avaient fini leur enquête et repartaient vers leur région d'origine car une urgence les y rappelait. Le professeur humain envoya un cadeau à Regulus sous la forme de deux pokéballs. Le soir même ils étaient dans l'avion qui les ramenait chez eux.
Regulus découvrit un flamiaou dans la première pokéball, et un étrange « ossateur d'alola » dans la seconde. Ce présent lui remonta drastiquement le moral. Pollux lui restait renfrogné.
Il était venu à Alola pour étudier la communication. Il avait aimé les bruits d'Alola, ses chants et ses sons d'éternité, mais il n'en ramènerait que le silence...