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Paradis Ébène [Concours S/L 2016] de Clafoutis



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Informations

» Auteur : Clafoutis - Voir le profil
» Créé le 20/09/2016 à 10:55
» Dernière mise à jour le 30/10/2016 à 16:59

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Prologue : Une question d’adaptation.
Lieu : Kalos ; Illumis
Charles


 27 avril 1848 ; une date que je retiendrais longtemps, malheureusement. Qui aurait pu croire que cette bande de niquedouilles réussirait à réunir autant de voix ? Le peuple est définitivement niais. C’était certes un fait avéré et je devais avouer m’en servir allègrement pour mes intérêts personnels ; cependant, justement, mes intérêts personnels étaient inquiétés.

L’abolition de l’esclavage dans les colonies, quelle idiotie. J’avais beau calculer, et recalculer, le résultat était le même : des pertes, des pertes, et encore des pertes. Je faisais de mon mieux pour rester calme, mais intérieurement, je fulminai. Je risquais de tout perdre.

Alola, ce paradis dont on aurait jamais osé rêvé, même dans nos divagations oniriques les plus extravagantes. Un magnifique archipel de quatre îles, toutes plus féeriques les une que les autres, regorgeant de ressources aussi précieuses que l’or. À chacun de mes voyages, je ne cessais de m’extasier devant ses paysages venus d’un autre monde.

Et que dire de son peuple ? Ses robustes gaillards aussi solides qu’endurants ? Ils étaient sans aucun doute la ressource la plus inestimable d’Alola. On pouvait les faire travailler toute une journée, n’importe où, ils restaient toujours debout. Mes usines et mes champs leur en étaient tellement reconnaissants ! Je me demandais encore comment est-ce que nous avions pu vivre sans eux !

Enfin, j’allais sans doute le savoir maintenant, grâce à cette maudite loi du 27 avril. Je ne comprenais toujours pas pourquoi ces pseudo-humanistes nous mettaient des bâtons dans les roues ; j’avais l’intime conviction que ce n’était qu’une troupe de badauds en manque de sensations fortes et qui s’inventaient des causes à défendre comme passe-temps. Grand bien leur fasse, mais s’ils pouvaient mieux sélectionner leur occupation, ça m’arrangerait.

Ah, ils devaient être fiers d’eux maintenant qu’ils avaient plongée leur patrie dans la ruine. Depuis la découverte d’Alola, la plupart des investisseurs de Kalos – dont je faisais partie – avaient tous misé sur l’archipel. J’avais par exemple acheté deux nouveaux cargos il y avait peu, j’espérais en tirer de bons bénéfices, mais avec ce retournement législatif, je pouvais faire une croix là-dessus.

Non. Non. Non. Je ne pouvais pas l’accepter. Je ne pouvais pas laisser quelques mots écrits dans un livre détruire mon commerce, ma famille, ma fierté. Je ne le pouvais pas, et je n’y comptais pas. Il devait certainement avoir une solution, une habile manœuvre afin de garder mon niveau de vie.

J’avais fondé ma fortune en jouant sur les conjonctures, les opportunités et en anticipant. Je devais voir cette abolition comme une épreuve du Grand Arceus, il ne tenait qu’à moi de concentrer toutes mes facultés pour la surmonter.
Je trouverais une solution, c’était certain, même si j’en dusse rester cloîtrer des mois dans mon bureau !


____________________

Félix

 La demeure des Alban était toujours aussi splendide, la plus belle bâtisse de tout Kalos, sans compter les palais royaux évidemment. J’avais même honte de toquer contre la gracieuse porte, comme si toucher une telle merveille serait un pêché mortel.

Ah, comme j’aimerais que mon église soit aussi somptueuse, quel dommage que l’évêché nous impose une style d’architecture si rigide. Heureusement, on se rattrapait grâce à nos vitraux flamboyants et à nos représentations d’Arceus en or massif !

La porte s’ouvrit, de la main d’Aude Alban en personne, la situation me fit pousser un petit rire ; rire malvenu, puisqu’il m’attira les foudres de la dame de maison.

— Mon Père, siffla-t-elle sèchement, quelle bonne surprise. Je suis ravie de savoir que vous avez suffisamment de temps libre pour venir vous moquer du malheur des honnêtes gens.
— Pardonnez ma piètre entrée, c’était malvenu, m’excusai-je platement en réprimant un sourire.
— C’est cela, oui, plissa-t-elle des yeux. Entrez, je vous pris, dois-je prévenir mon mari de votre venue ?
— Inutile de vous déranger pour moi, j’ai affaire urgente à converser avec lui. Excusez mes manières peu cavalières, mais je me dois d’écourter notre conversation pour aller retrouver ce bon vieux Charles.

Je n’attendis pas une réponse de sa part ; je m’engouffrai immédiatement dans cette immense demeure que je connaissais comme ma poche. Mes pas résonnaient puissamment sur le parquet tandis que je montais l’escalier avec vigueur. Après avoir traversé les immenses couloirs, je m’arrêtais devant ma destination, essoufflée. Par Arceus, tant d’émotions, ce n’était plus de mon âge !

Mais je n’avais plus une seconde à perdre, je toquais prestement à la porte avant d’entrer sans attendre l’autorisation de mon ami.

Sans surprise, Charles ne remarqua aucunement ma présence. Le pauvre, depuis ce 27 avril, il restait calfeutré dans son office à s’en rendre malade. Heureusement, ses souffrances allaient bientôt prendre fin, grâce à Arceus.

L’air rance et saturé me fit grimacer. Comment pouvait-il rester ici sans broncher ? Je me dirigeais instinctivement vers la fenêtre, et je l’ouvris. Il était temps de laisser entrer la lumière en ce lieu.

— Qu… ?!

L’effet fut instantané, dès que les rayons effleurèrent son épaisse veste, Charles poussa un grognement sourd et confus.

— Du calme mon ami, souris-je chaleureusement, ce n’est que le soleil.
— Père Félix ? s’étonna mon interlocuteur en se retournant. Qu'est-ce que vous faites ici ?!
— Lui-même, répondis-je. Et pour répondre à votre question, je viens vous apporter les grâces d’Arceus.
— Sans vouloir heurter votre foi, grommela Charles, je doute que les « grâces d’Arceus » renfloueront mes affaires !
— C’est là que vous vous trompez, mon ami.

Charles fronça les sourcils et se leva de sa chaise ; couplé à sa forte carrure, cela le rendait très intimidant. Mais je le connaissais, la vieille canaille, je voyais bien qu’il était intéressé.

— Votre demeure est bien vide, sans serviteur, lâchais-je d’un ton légèrement moqueur.

Charles se crispa, et à raison. Je me souvins des beaux jours, où l’esclavage était encore autorisé. Son manoir fourmillait de domestiques qui s’occupaient de tous, mais malheureusement, suite aux réclamations des réformistes, il avait du tous les renvoyer à Alola.

Voilà pourquoi j’avais ri lorsque Aude Alban m’avait ouvert la porte un peu plus tôt ; penser qu’une dame de son rang s’affaire à des tâches aussi vulgaires m’amusait rien que d’y penser.

— Je vous apprécie beaucoup mon Père, grogna l’homme d’affaire. Cependant, je vous rappelle que vous êtes ici chez moi, et s’il y a une chose que je ne peux accepter, c’est bien de me faire insulter sous mon propre toit.
— Pardonnez-moi si je vous ai donné cette impression, ce n’était nullement mon intention. Je voulais juste m’assurer de votre ressentiment quant à la situation.
— Êtes-vous certain de vouloir connaître mon ressentiment ?! se rapprocha dangereusement Charles.
— Du calme mon ami, répétai-je posément. Arceus n’offre sa voix qu’aux cœurs libres.
— Passez-moi vos sermons mon Père ! s’irrita Charles. Si vous n’êtes venus que pour cela, je vous prierais de bien vouloir me laisser !

J’avais peut-être poussé la plaisanterie un peu trop loin, effectivement. Je ne devrais pas jouer avec une âme en peine, c’est péché. Je me confesserais à moi-même plus tard ; c’était là tout l’avantage d’être prêtre.

— Je pourrais partir oui, mais ce serait dommage pour vous. Surtout que je vous apporte solution à tous vos tracas.
— Par le dieu que vous aimez tant, mon Père, cessez de tourner autour du pot !
— Le peuple d’Alola sera bientôt à nous. L’esclavage n’est pas fini.
— … !

Charles recula un instant, sous le choc. Je souris discrètement, fier de mon effet. Il n’y avait rien de tel de faire languir avant de lâcher son plus lourd argument ; une rhétorique simple mais efficace. L’imposant homme d’affaire me fixa, tremblotant.

— Est-ce vrai ? expira-t-il.
— Voyons mon ami, Arceus proscrit le mensonge. Allez, asseyons-nous, je vais vous expliquer.

Toujours aussi fébrile, Charles acquiesça et se posa lourdement dans un fauteuil aux allures royales ; j’installais bien confortablement mon frêle corps sur une chaise similaire, en face de lui.

— Permettez-moi de faire le point, mon ami. Jusqu’à présent, aucun de nous ne s'est véritablement installé à Alola. Certes, nous avions établi un comptoir commercial sur la côte de chaque île, mais c’est tout. Nous, Kalois – à l’exception de quelques aventuriers – ne sommes jamais allée plus loin que ces petits comptoirs. Pourquoi le ferions-nous après tout ? Nous y trouvons notre compte ; avec quelques babioles, nous achetons des sauvages aux sauvages eux-mêmes, avec parfois des sacs d’épices en complément.
— Vous pouvez parlez au passé maintenant…, grommela Charles.
— C’est vrai, acquiesçai-je. Avec l’abolition de l’esclavage, nous ne pouvons plus convenir à de tels marchés. Cependant, nous pouvons nous adapter.

Préparant une phase décisive dans mon argument, je me redressai, croisai les jambes sous ma soutane, et appuyait mon nez sous le dos de mon index.

— Dîtes moi, mon ami, vous intéressez-vous au peuple d’Alola ? Par là j’entends ses traditions, sa langue, sa culture, et cætera.
— Pourquoi m’intéresserais-je à la sous-culture de ses barbares ?
— Parce que cela profiterait fortement à vos intérêts, mon ami, répondis-je au tac au tac. Voyez-vous, j’ai reçu quelques messages d'aventuriers partis explorer l’archipel plus en profondeur. Des messages très enrichissants.

Charles était toujours pendu à mes lèvres, parfait. C’était ironique de voir qu’un frêle homme comme moi pouvait tenir en haleine un colosse comme lui ; j’aimais ce sentiment de puissance.

— Voyez-vous mon ami, poursuis-je, ces sauvages ne possèdent aucun livre, aucune école, on peut donc en déduire qu’ils n’ont aucune culture, et s’ils n’ont pas de culture, ils ne peuvent pas philosopher. Aussi, les explorateurs n’ont trouvé nulle trace du divin Arceus et pire encore, les Alolois semblent vénérer des espèces d’idoles étranges, parfaitement hérétiques.
— Et donc ? s’impatienta Charles. Ce n’est pas nouveau ! Chacun sait que ses barbares ne sont que des ignorants dénués de raison ; c’est pour cela qu’ils font d’aussi bons esclaves ! En quoi cela rétablira l’esclavage ?
— Mon ami, mon ami, laissez-moi vous demander une chose : qui sommes nous ?

La confusion semblait avoir trouvé royaume dans l’esprit de l’homme d’affaire, pour mon plus grand bonheur.

— Je vais vous le dire, m’appuyai-je plus fortement sur mon dossier. Nous sommes les fiers représentant de Kalos, le peuple d’Illumis – la ville des lumières –, l’élite de l’élite. Cependant, être l’élite ne nous donne pas que des prérogatives, loin de là, nous sommes également assaillis de devoirs envers le monde. Et parmi ces devoirs, il y a celui de l’éducation ; nous devons éduquer et inculquer les valeurs vraies aux peuples qui n’ont pas encore été baignés dans la lumière d’Arceus.
— Un instant, sembla comprendre Charles, vous ne voulez tout de même pas éduquer les Alolois ! Je ne vous suis plus, mon Père !
— Patience mon ami, votre intelligence naturelle comprendra d’elle-même une fois que je vous aurai fournis tous les détails.

Je laissais passer un petit moment de flottement avant de reprendre.

— Voici mon projet, je compte ouvrir des écoles à Alola, sur chacune des îles. Dans ces écoles, j’apprendrais aux rejetons des sauvages la pureté de notre langue, la beauté de nos valeurs et bien sûr, l’infinie grandeur d’Arceus. Et parmi ces valeurs, il y aura évidement, celle du travail. Je vais leur faire croire que pour devenir de bons Kalois, des Hommes comme il faut, ils devront travailler d’arrache-pied.
— Mais que faites vous des réformistes ? S’ils apprennent cela…
— Ils ne feront rien. Voyez, si la populace c’est rangé du côté des réformistes, c’est parce que ces derniers ont su l’émouvoir. Voir des êtres humanoïdes se faire torturer est contre leur valeur, vous comprenez ? Cependant, avec mon système, on ne torture pas, on éduque. C’est là toute la différence, mon ami. Pensez-vous réellement que la populace sera contre mon projet, si je leur explique que tout ce que je veux, c’est uniquement d’apporter la lumière d’Arceus aux ignorants ? Je ne pense pas.
— J-Je vois ! s’exclama Charles.
— N’est-ce pas. J’ai appelé mon projet « Mission Civilisatrice ». Tout est dans l’intitulé ; c’est une entreprise visant à ce que les sauvages deviennent comme nous, individus éclairés, via l’éducation. Mais ce n’est qu’une couverture ; derrière les faux-semblants, ce sera une nouvelle manière de pouvoir exploiter les Alolois en toute légitimité, sur leur propre terre. Avant, nous avions l’esclavage, désormais, nous avons la civilisation ; je le répète, c’est de la simple adaptation. La seule différence sera qu’au lieu de faire venir les Alolois travailler chez nous, c’est nous qui irons exploiter les Alolois directement chez eux. Et qui sait, si le projet fonctionne vraiment, les sauvages s’épuiseront volontairement pour nous, hahaha !
— Père Félix ! bondit Charles. Vous êtes un génie !
— Mais non, mais non. C’est Arceus, dans sa divine providence, qui guide mes pensées, je n’y suis pour rien.

Je vis la joie animer de nouveau Charles Alban. Je ne pouvais imaginer son soulagement, lui qui était sur le point de tout perdre, allait finalement pouvoir perpétuer sa fortune et peut-être même la multiplier !

— Cependant, repris-je d’un ton plus sérieux, un projet d’une telle envergure ne se réalise sur de simples paroles. Il faudra étendre nos comptoirs, ériger des écoles, former un groupe armé afin de conquérir les villages de sauvages récalcitrants. Ne prenez pas cet air circonspect mon ami, je sais que l’énumération peut effrayer, mais elle rime avec nécessité ; et ce n’est au final que broutilles, nous sommes bien mieux armée que les Alolois, prendre possession de l’archipel en entier ne sera que point de détail. Un point de détail qui demande cependant des fonds, c’est là la raison de ma présence en votre riche demeure…