L'envol de l'oisillon
Lentement, sous l'écrasant soleil du début de l'après-midi, le moteur du pauvre hydravion se met en marche. Il est poussif, et tousse comme un vieux fumeur ; L'hélice commence, lentement, à tourner, et, à l'intérieur, tandis, qu'autour de l'appareil, les membres du Groupe de Reconnaissance observent la scène, à l'exception d'Elaïa, déjà dans le cokpit, accompagnée d'un des Braisillon.
Finalement, le grondement infernal du moteur se fait encore plus fort, et l'hélice commence à tourner assez vite pour que l'oeil non avisé ne puisse plus la remarquer. L'appareil est, soudainement, catapulté de l'arrière du Flamboyant, et au bout de quelques secondes, se retrouve stable, dans l'air. Au loin, sur l'horizon, quelques rochers surmontés de formes dont on ne peut distinguer la nature se dressent. L'hydravion, pour sa part, commence sa route, à une vitesse qui en ferait presque rire un Léopardus : Quatre-vingt kilomètres-heure à peine. Et pourtant, la toile, par endroit trouée, claque déjà dans le vent, et la machine tremble de toutes parts, comme si elle s'apprêtait à se disloquer au-dessus de la mer.
Ce ne serait pas si catastrophique que ça, se disait Elaïa. Après tout, elle saurait très bien comment s'en sortir si un tel accident venait à se produire. Le problème, ce serait revenir au Flamboyant ; elle aurait l'air douteuse au mieux, serait découverte au pire. Et ce serait bien problématique...
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Même moment, port d'Oki Rima.
Sur le pont des bâtiments de la Marine Kantoenne réunis dans le port, les équipages, au garde à vous, se tournent vers le centre du bassin. Un petit patrouilleur, modeste navire en comparaison des monstres d'acier réunis autour de lui, relaie grâce à ses hauts-parleur la parole d'un amiral, depuis la tour d'un des trois puissants croiseurs lourds réunis ici.
« Comme vous le savez, il y a quelques jours de cela, la flotte barbare d'Hoenn a mené une attaque terroriste sur un navire civil sans le moindre armement, au milieu des eaux internationales. De plus, je peux maintenant vous informer que la Flotte pirate d'Hoenn rode, de plus en plus près de nous ! Il est bien probable qu'en ce moment même, ils soient en train de couleur, au canon et à la torpille, sans le moindre préavis, un pauvre bâtiment civil innocent !
Mais ne vous inquiétez pas pour nos amis de la Marine Marchande car bientôt, nous en termineront définitivement avec cette escadre barbare qui tyrannise le commerce. J'ai, ce matin même, reçu l'autorisation d'appareiller pour le nord de l'île. De là, nous rejoindront ce magnifique navire qu'est le cuirassé Duc de Parmanie, et nous libéreront les routes commerciales de la flotte terroriste de notre ennemi.
J'attends de vous, mes marins, mes gars, de donner le meilleur de vous même face à l'ennemi. Dans une semaine, nous seront des héros au pays. Imaginez dont le jour où nous navires reviendront, triomphants, à la vieille Carmin. Tout le monde, du petit mendiant au vieux loup de mer, du pauvre paysan au grand bourgeois, sera là, sur les quais, pour nous accueillir, nous acclamer ! Nous aurons l'honneur; Nous aurons la célébrité ; Et si vous le voulez, nous aurons l'argent !
Sur ce, messieurs, mettez haut les pavillons, et tous à vos postes ! Nous partons dès maintenant ! »
Dans le doux soleil de l'après-midi, trois grands croiseurs quittèrent la rade d'Oki Rima, leurs canons pointant droit vers le Nord, droit vers Poivressel et droit vers la flotte Hoennite. Seule une pourrait survivre à la bataille.
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Que ces bunkers sont vastes, mais surtout, vides. Dans un silence de mort, Elaïa avançait à l'intérieur du plus grand ; Depuis la dizaine de minute qu'elle avait quitté l'hydravion, elle n'avait rien trouvé de plus que des murs qui n'étaient même pas faits de bétons ; On le voyait de l'intérieur, ce n'était que de la pauvre brique de construction. C'en serait presque comique. Ces forts étaient invivables, simplement. Il n'y avait rien ; Rien pour préparer un repas, ni même pour réchauffer un poisson qu'on aurait pêché. Les canons étaient encore plus ridicules. Ce n'étaient que des tubes, mis en place pour faire croire qu'il y avait réellement quelque chose derrière ; En réalité, il n'y avait pas de culasse, pas d'obus, rien.
Les sous-sols étaient inondés, mais ne semblaient pas plus remplis. Il était, de toute façon, impossible de vérifier sans se mouiller, c'est à dire être découvert: Elaïa n'avait, théoriquement, pas le droit d'entrer dans les fortifications, et devait laisser le travail au Braisillon. Mais pourquoi dont ? On ne risque pas la vie d'un Pokémon de manière aussi hasardeuse. Surtout un gracieux oiseaux tel que Braisillon. Le petit rapace de feu était tranquillement posé sur l'épaule de la jeune fille, à moitié endormi, comme si elle avait toujours été son maître. De temps à autres, elle caressait, doucement et avec précaution, son dos. Finalement, devant la vide apparent des fortifications, Elaïa et « son » oiseau firent demi-tour. Il n'y avait rien à voir.
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Dans les profondeurs du Flamboyant, Jack fouillait le coffre qu'il avait rapidement examiné la veille, le regard blasé. Il y avait, là-dedans, bien une dizaine de Pokéballs, mais il n'avait aucun Pokémon pour en capturer. Dans le futur, il devrait se contenter d'un pauvre soigneur de seconde classe...
En y pensant, il jeta un regard à Louis, qui était assis sur un des lits du bas, un vieux livre, usé par le temps comme par le peu de soin qui y a été apporté, à la main. « La biologie dans les archipels du sud de Kalos ». Cela serait sûrement bien utile pour la suite des opérations...
Dans un grand soupir, Jack reprit d'examiner le contenu du coffre. Il retomba sur la radio, et y prit, cette fois, une attention toute particulière.
Elle n'avait que quelques canaux, tous prédéfinis. Le poste de commandement du Flamboyant, celui du Pierre Bart, les unique postes de radios des trois contre-torpilleurs de l'escorte, et...
« Tiens, la Section Pokémon du Pierre Bart ! »
Dès qu'il entendit ces mots, Louis ferma son livre et se jeta immédiatement sur la radio.
« La Section du Pierre Bart ? Attends, on peut contacter Grace alors ?!
- Si elle a été affectée à la Section Pokémon... il y a tout de même peu de chan...
Tu rigoles ? Grace était celle qui s'en connaissait le plus en Pokémon, de tout Poivressel ! Elle dépensait toujours tout l'argent qu'elle trouvait pour acheter des Pokéballs... Je suis sûr qu'elle en a bien une trentaine !
Peut-être, mais, pourquoi veux-tu la contacter, au-juste ?
Oh, je ne vous l'ai pas dit ? Je suis le fiancé de Grace »
La réponse du jeune matelot provoqua stupeur et tremblements chez Jack. Lui, fiancé, à cet âge ? Il ne devait avoir que seize ans !
« Son... Fiancé ?
Oui ! Demain, ça fera un an. Je veux l'appeler ce jour-là ? »
Bientôt, la stupeur laissa place aux soupirs chez Jack. Il avait toujours détesté l'amour et l'eau de rose, et voilà qu'il se retrouvait projeté dans ce qui semblait une misérable histoire à l'eau de rose comme il y en avait tant...
Il reprit donc sa fouille méthodique du coffre, laissant un Louis trop excité pour se remettre à lire. Une fois ceci terminé -En dehors de la précieuse radio et des Pokéballs, le coffre était plutôt vide-, l'examination se poursuivit avec la machine de soin. Elle était reliée à celle du Pierre Bart par une sorte de réseau archaïque, qui permettait, d'après la notice (tâchée de fioul et sentant la mer, comme toute notice de fonctionnement de matériel naval qui se respecte), d'effectuer des transferts avec les autres machines du réseau, dans ce cas-là une seule. Intéressant, étant donné que le groupe n'avait que six Pokémons pouvant partir au combat, et disposant tous des mêmes faiblesses.
Soudain, Jack fut surpris par un poids, léger toutefois, qui se posa sur son épaule gauche. C'était Mustang, qui piaillait timidement, loin des chants qu'un Hélédelle pouvait d'habitude pousser. Cela remis le jeune marin d'humeur ; sa maîtresse manquait déjà au pauvre oiseau. Le pauvre, le malchanceux, de s'être tellement attaché à quelqu'un qu'il ne pouvait vivre sans. Certes, cela devait procurer un bonheur intense, se disait Jack. Mais cela emprisonnait aussi le cœur et l'âme. Et ça, il ne pourrait le supporter. Oui, cet Hélédelle était bien malchanceux, pensait Jack tout en caressant son torse.
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Finalement, depuis l'hydravion qui volait au ras des flots, Elaïa pu enfin apercevoir la flotte, qui mouillait près de quelques îlots à moitié démolis par l'artillerie quelques heures plus tôt. Il était bien dommage, toutefois, qu'elle ne pensa pas à tourner le dos, où sa vision perçante lui aurait permis de voir trois colonnes de fumées, dans le lointain.
Le frêle avion, bien mal entoilé, commença à diminuer sa déjà bien faible vitesse, puis dans un petit choc, les deux flotteurs touchèrent la surface. Après une course de quelques dizaines de mètres, l'appareil s'arrêta, ballotté par les vagues et bercé par la houle. En face, le Flamboyant s'approchait, lentement, afin de ne pas heurter le fragile aéroplane et son occupante dans une fausse manœuvre. Finalement, l'avant du navire passe à côté de son hydravion, et la bâtiment s'arrêta pile afin que l'hydravion soit au même niveau que les installations destinées à la récupérer, à l'arrière. D'un long saut, Elaïa quitta l'appareil, tandis qu'une petite grue le saisie. Elle aussi, transpirait l'usure et la faiblesse, mais un appareil si archaïque, fait de bois et de toile, était un poids plume.
L'amiral Juhel, Miguel et quelques marins se hasardant dans les environs observaient la grue, qui posait, délicatement, l'hydravion sur la catapulte, prêt pour le prochain lancement. On s'attendait à recevoir un long rapport, concernant les tenants et les aboutissants de l'état des forts de l'ennemi.
« Il n'y a rien. Les forts n'ont jamais été qu'une vaste blague. Les canons sont des tubes sans culasse et édifices sont faits de briques de construction camouflées. L'intérieur est complètement vide ».
Même l'amiral Juhel, réputé pour son calme, eut du mal à garder son sang-froid face à la nouvelle. Depuis cinquante ans, on avait craint ces forts, comme une force susceptible de détruire n'importe quel navire Hoennite avant qu'il n'atteigne la haute-mer... Et tout ceci n'avait jamais été qu'une vaste blague, une menace inexistante ?
Le Braisillon revint se poser sur l'épaule de Miguel, tandis qu'il interrogea sa subordonnées :
« Mais... Il n'y a pas la moindre trace d'activité ?
Non, rien. C'est complètement vide, je le répète. »
Sur le pont, une bonne partie des marins qui se hasardaient étaient maintenant en train de discuter entre eux suite à la révélation, rejoints par ceux qui montaient sur le pont pour une raison ou pour une autre. En quelques secondes, le pont du Flamboyant était devenu un véritable Forum, et il fallu bien du sang-froid à Juhel afin de renvoyer tout le monde à son poste, avant que l'amiral aille prévenir Esteva de la nouvelle.
Le premier round était gagné, les deux navires pouvant quitter la côte... Mais ce ne n'était qu'une victoire par forfait, et il n'y en aurait sans doute pas d'autre.