L'étincelle
Hoenn, quelle magnifique région qu'est Hoenn. Paradis insulaire, accueillant des paysages exotiques aussi variés qu'originaux, à en faire pâlir les Kantoens et leurs pauvres plaines. Nul n'eut jamais vu une telle concentration de biodiversité, que ce soit en termes de faune ou de flore, que dans les forêts vierges du Nord-Est de la Région, tandis que ses eaux foisonnantes accueillent mille et une espèces de Pokémons aquatiques.
Mais malgré cet aperçu rêveur, Hoenn est loin d'être le paradis océanique auquel on peut penser. Depuis déjà cinq décennies, famine, maladies, pauvreté et chaos avaient infesté le quotidien de l'île, après que l'Empire Kantoen, suite à la perte de sa colonie, ait décidé de lui infliger un blocus total.
C'est au large de cette région dévastée, « reposant dans son jus » jusqu'à pourrir dedans, qu'un fier navire fendait la mer d'huile, en cette nuit claire du début de l'été.
Derrière les flancs de la fine coque du vaisseau, deux immenses filets prenaient entre leurs mailles tout ce qui pouvait passer entre la surface et une cinquantaine de mètres de profondeur. De petits groupes d'hommes tentaient, tant bien que mal, de vérifier ce qu'embarquait les filets. Rien à faire : entre les cages de tissu, les pauvres lampes de poche qu'utilisaient les groupes ne permettaient de voir qu'une masse d'Ecayon, Magicarpe, et, de temps en temps, quelques Remoraid désorientés, ou Qwilfish profitant du chaos baignant dans cette soupe vivante afin d'attaquer les individus les plus faibles des autres espèces.
Rien d'intéressant ou ne valant vraiment quelque chose, en somme. Au fur et à mesure que les filets se remplissaient, ils étaient vidés à la pelle, dans un silence morbide, seulement interrompu par les bruits des poissons retombant les uns sur les autres.
Soudain, un cri perça la nuit depuis le groupe situé à bâbord : « J'ai quelque chose, quelque chose de gros ! »
Le matin du surlendemain, à Poivressel, le soleil était déjà haut dans le ciel quand la ville commença, de manière lente et pataude, à s'éveiller. Les commerçants s'extirpaient de leur masure afin de vendre quelques fruits pas assez mûrs aux quelques passants qui auraient de quoi les payer. Devant les boulangeries, de longue files d'êtres quasi-squelettiques se dressaient, afin d'obtenir un cinquième de baguette, parfois un croûton. Dans les rues, quelques enfants transportaient palettes et caisses, ou, pour les plus chanceux, jouaient à même le sol froid et humide. Leurs mains, déjà usées et couvertes de coupures, égratignures et bleus, étaient autant de témoins du travail qu'on leur demandait déjà de faire.
Qu'a-t-on fait pour en arriver là ? C'était ce que se demandait un pauvre vieux loup de mer en uniforme de la Marine, qui, traversant le centre de la ville, ne parvenait à détourner ses yeux de toute la misère des habitants, sauf pour voir celle, encore plus criante, de leurs habitations, miteuses, petites, sans volets ni fenêtres, et semblant chaque minute plus prêtes à tomber en ruine, si elle n'en étaient pas déjà... En cinquante ans, on était passé des premiers immeubles modernes à des masures qu'auraient presque reniées les sujets royaux du Moyen-Âge. En fin de compte, les habitants en avaient presque l'air, de sujets du Moyen-Âge, avec leurs habits déchirés et, bien souvent, tachés de boue ou de graisse. Ce qu'ils avaient l'air d'envier de manteau noir d'Amiral, qui, bien que sobre, était d'un tel luxe en ces temps si durs...
Finalement, l'officier de Marine parvint au bout de la sinistre randonnée, sur un grand complexe au bord de l'eau, une des dernières traces existantes de la Belle Epoque. Sur les portails bleus, bien que légèrement usés par le temps, se dressaient encore et toujours deux Luminéon, emblèmes des forces navales d'Hoenn, sculptés avec un rare raffinement. Dans la cour se tenait la statue d'un de ces mêmes Luminéon, entourés par une myriade d'Ecayon, ses enfants, agitant leurs nageoires pour repousser quelques Carvannah tentant d'assaillir ce petit banc. Sculpté dans un marbre d'une qualité rare, d'autant plus en temps de crise, la statue était ornée, sur son pied, de l'expression :
« Ad Victoriam, Ex Machina
Non sibi sed Patriae »
Contournant la statue à la gloire de la Marine d'Hoenn, l'homme entra dans le magnifique bâtiment colonial, dont l'architecture était inspirée des travaux du fameux architecte Haussman, à Kalos, en bien moins imposant et impressionnant toutefois, faute de moyens. En passant le seuil de la porte d'entrée, surélevée par rapport au sol, il vit devant lui l'escalier montant à l'étage, recouvert d'un vieux tapis rouge, gras et à moitié plié par endroits, mais qui accomplissait encore sa mission d'apparat. Enfin, l'officier put entrer dans une salle richement décorée, avec des commodes aux bord couvert d'un métal doré, et des fauteuils rembourrés avec du velours venant des régions les plus nordiques de Sinnoh. Les murs étaient couverts de divers tableaux, pour la plupart de « l'âge d'or » de la Marine à voile, à l'époque où Hoenn, région de l'Empire Kantoen, fournissait de talentueux équipages, fougueux commandants et robustes navires à la Flotte de sa Majesté. L'un des tableaux montrait un navire de fret rapide s'échappant à travers les vagues. Sur un autre, une magnifique frégate envoyait par le fond un galion, pourtant bien plus imposant, de la flotte des seigneurs de guerre des Îles Oranges, navire sombrant dans la mer déchaînée, dévoré par les flammes et les trous béants dans la coque. En plus de ces glorieuses images du passé, derrière une vitre protectrice, des maquettes des navires actuels de la Marine Hoennite trônaient. Ce n'étaient que des navires légers ; des contre-torpilleurs, des patrouilleurs, des escorteurs. Mais dans leur grâce, leur ligne effilée, et les lance-torpilles qui dépassaient de leurs flancs, ils étaient bien les descendants des Frégates construites ici, à Poivressel, du temps de la belle époque.
Le visiteur fut interrompu dans ses rêveries par la vision, pourtant furtive, du regard inquisiteur de son supérieur, François Esteva, chef d'état-major de la Marine. Assis derrière un magnifique bureau du 19ème, sur lequel trônait, à côté de la paperasse, un globe terrestre, il s'impatientait en regardant le chef du Corps de Bataille des forces navales admirant maquettes et tableaux comme un enfant devant le jouet qu'il désire de tout son cœur. Bien que les caresses qu'il donnait au Chacripan assis à ses genoux lui permettaient de passer un minimum le temps, l'ennui finit par envahir Esteva au point qu'il s'écria :
« - Bertram, venait vous asseoir, je vous prie ! »
Sans un bruit, le dénommé Bertram vint se poser sur le fauteuil faisant face à son supérieur, qui reprit rapidement la parole.
« Georges, j'ai quelque chose d'important à vous dire, continua l'officier.
-Quoi donc, Monsieur ? Concernant l'entraînement aux nouvelles tactiques navales, l'affaire avance bien, mais nous ne sommes pas encore prêts.
-J'espère que vous le serez très bientôt, Georges. Puisque je vous annonce que, d'ici à ce soir, l'Empire aura déclenché les opérations contre nos forces. »
Georges Bertram resta, sur le moment, hébété. Malgré son air calme et réfléchi, renforcé par la sagesse de l'âge suggérée par sa barbe blanche et ses cheveux de la même teinte pâle, il ne put, au bout d'une bonne minute de silence, que s'écrier :
« Comment ? Que dois-je comprendre ? Vous avez réussi à nous lancer dans la guerre contre Kanto ?
-Oui, amiral Bertram. Dans la nuit d'avant-hier, un navire Kantoen a, pour une raison ou pour une autre, ouvert le feu sur un bâtiment marchant Hoennite dans la baie de Nénucrique. Le patrouilleur « Corail rouge » s'est immédiatement porté au secours du marchand agressé, et à envoyé l'agresseur par le fond à coups de canon. Depuis hier, partout à Kanto, on ne cesse de parler d'une agression contre l'Empire, et la mobilisation des forces armées àaété décrétée. En prenant en compte le temps nécessaire à...
Il fut immédiatement interrompu par Bertram, qui tentait de cacher un mélange de colère et d'angoisse par un air réfléchi.
-Que voulez-vous que je fasse, Esteva. Que voulez-vous que la Marine fasse ?
-En toute honnêteté... Je ne sais pas.
-Comment ? Vous êtes chef d'état major de la Marine, et vous n'avez même pas prévu une potentielle entrée en guerre ? répliqua Bertram, serrant les poings dans ses gants.
-Mon cher... Vous savez bien que je suis arrivé ici à cause des politi...
-Taisez-vous dont, Esteva. Je sais bien que vous êtes un pistonné, et cela ne m'importe guère. Et cela n'empêche pas que ne pas préparer un plan de bataille, même s'il fut imparfait, est un acte d'incompétence.
-Bertram, Bertram... Ne vous énervez pas contre moi, cela se terminerait mal pour tout le monde, surtout pour vous... Si certes je n'ai pas de plan de bataille à vous proposer, je suis certain que j'ai quelque chose qui vous intéresserait tout autant.
-Je doute que votre petit joujou soit capable de compenser l'absence de plan, Bertram. N'avez-vous pas fait un minimum de stratégie ? Une flotte sans ordre est une flotte inutile, vulnérable et prompte à sombrer dans le chaos...
-N'êtes-vous pas là pour lui donner ces ordres, Amiral ? Soyez honnête. Je suis sûr qu'en réalité, vous avez préparé un plan au cas ou opérations venaient à commencer...
-... »
Le soit même, à l'Académie de Tactique Navale de Poivressel, les aspirants s'étaient réunis autour d'un petit étang en bordure du terrain de l'académie et de la ville, donnant sur la campagne. Le plan d'eau, vert, laissant parfois entrevoir quelques Barloche y vivant et cherchant leur nourriture. Mais personne n'était venu ici pour les voir eux.
Au-dessus de ce paysage champestre, une curieuse volée aérienne se déroulait. Une demi-douzaine de Braisillon tournaient au-dessus de l'étang, et d'un vieux navire de patrouille, désarmé et transporté pour service à l'entraînement tactique.
Un peu en avant de la foule des cadets, un jeune homme organisait le ballet. De temps à autre, un des Braisillon venait se poser sur son bras, recevait un petit bout de poisson, et revenait en l'air. Soudainement, ce jeune cadet passif se mit à faire de grands gestes de bras, les oiseaux de feu les suivants. Grâce à un entraînement perfectionné, il parvint à tous leur donner des ordres sans que le chaos ne se répande chez les Pokémons : et, finalement, il croisa ses deux bras en les faisant descendre. Dès qu'il aperçurent cet ordre, trois Braisillon à bâbord, et trois Braisillon à Tribord, fondèrent sur le pauvre rafiot dans une piquée mortel, et, une fois arrivés à courte portée, l'arrosèrent de flammes avant de remonter du côté opposé à celui du départ dans de furieux battements d'aile. Ils reprisent ensuite la piquée sur le navire commençant déjà à se calciner, mais un incident interrompit cette nouvelle piquée : Deux des Pokémons se heurtèrent au cours de la phase finale de la plongée, et, ne pouvant se redresser, tombèrent dans l'eau.
Sans attendre de donner un ordre supplémentaire où d'enlever son uniforme de cadet, le « Fauconnier » plongea dans l'eau, la tête la première, et fonça à la brasse vers le lieu où les deux oiseaux avaient coulés, sous les regards inquiets de la foule de ses camarades. Finalement, une fois arrivé sur les lieux, il parvint à attraper un des deux accidentés, resté à la surface, et le jeta vers le berge, atteinte non sans difficulté. Le malheureux trouva son réconfort dans les bras du premier cadet venu, ou dans ce cas de la première cadette venue : Une petite brune à lunettes opaques, qui le pris entre ses bras afin de le réchauffer, de façon à ce que l'oiseau ne subisse pas d'hypothermie.
Repêcher l'autre Braisillon était une autre paire de manches. Ayant coulé dans cet étang aux eaux troubles, il était impossible de le voir ; Mais, au grand malheur de son maître, il semblait être tombé plus près du navire enflammé. Bravant la chaleur étouffante, et évitant tant bien que mal les morceaux de bois enflammes qui dérivaient dans l'eau, le cadet plongea, cherchant à tâtons l'oiseau enflammé. Il fallait faire vite : Dans l'eau, il ne survivrait pas bien longtemps. Mais malgré tout ses efforts, le jeune homme était incapable de trouver son compagnon volant. Plus les secondes passaient, plus anxiété et crainte gagnaient son cœur, quand, soudainement, il entendit la chute d'un poids dans l'étang ; Troublé par la surprise, il remonta à la surface, pour y voir les nombreux remous causés par cette chute, puis la remontée à la surface d'un autre cadet, plus baraqué et massif que lui, avec dans ses bras le Braisillon. Après un long soupir de soulagement, le maître nagea vers celui qui venait de sauver son Pokémon, et après l'avoir chaleureusement pris dans ses bras, lui demanda comment il avait fait pour le trouver.
« Les bulles. Il ne fallait pas plonger immédiatement sans regarder, Miguel. Il fallait regarder les bulles... »
Rougissant de honte, Miguel pris le Braisillon dans ses bras avant de sortir de l'étang. Ne prêtant pas attention la masse de la foule, qui se divisait entre ceux acclamant sa tentative de sauvetage et ceux moquant l'échec de sa démonstration, ou des derniers restes du patrouilleur brûlé, il attrapa le deuxième Braisillon qui était tombé à l'eau, et fonça vers l'infirmerie, pour soigner le plus vite possible ses deux compagnons.
Le soir même, après s'être changé et avoir veillé auprès de ses deux Braisillon, Miguel se rendit à la cantine de l'Académie, et s'assit à une table. Il fut rapidement rejoint par les deux cadets ayant secouru ses Braisillon. Encore une fois, la honte de Miguel l'empêcha d'adresser la parole à ces deux personnages dont il était pourtant si reconnaissant, mais ceux-ci ne se dérangèrent pas de le faire pour lui.
« Miguel, calme-toi... En fin de compte, tout s'est bien terminé, tes Braisillon vont bien, non ? Commença celui qui était plongé quelques dizaines de minutes plus tôt.
-De plus, le patrouilleur a été entièrement carbonisé... Si certes un accident à terni le test, Tu as réussi ! Tu l'as coulé, ce patrouilleur ! Tu as prouvé à tout ces septiques qu'un Pokémon dressé pouvait rendre de fiers service en mer !
-Merci, mais tout de même... Sans vous, mes Braisillons seraient morts. Quel honte pour un spécialiste comme moi... »
Aucun des deux camarades de table du cadet Miguel n'eurent le temps de répondre avant qu'une annonce soit passée par les hauts-parleur :
« Cadets de l'Académie, nous vous informons qu'après la fin du repas, l'amiral Jacques Juhel aura une annonce très importante à faire. Vous êtes tous priés de vous réunir dans la cour de l'Académie ce soir, à vingt heures. »
Miguel ne pris même pas le temps de regarder l'heure. Il avala les dernières bouchées de Magicarpe qu'il restait sur son plateau, et se mit immédiatement à courir vers la cour, bien qu'il ne fut que dix-neuf heures trente. Il ne prit même pas la peine, en passant à travers les couloirs gris de l'académie, de jeter un regard sur les tableaux qui ornaient les murs, et dont certain montraient de célèbres amiraux et leur compagnons Pokémons.
La cour était morne, couverte d'un sol gris, bétonné, entouré par les bâtiments de l'Académie, portant la même couleur morne. Au milieu du bâtiment faisant face à l'entrée, à plusieurs mètres au-dessus du sol, se tenait un balcon, aussi rustique que la cour, entouré d'une barrière de fer forgé. Un petit pupitre de bois, seul élément apportant de la couleur au gris ambiant, se tenait au milieu.
Miguel, profitant que la cour soit complètement vide, chercha l'endroit d'où il pourrait entendre le discours, et voir l'amiral, le mieux possible. Il avait une admiration sans bornes pour l'amiral Juhel. C'est lui qui avait décidé d'étudier l'usage de Pokémons dans la guerre navale, au lieu de se contenter des vieilles techniques de la torpille et du canon. De ce qu'on disait de lui, c'était également un homme bon et généreux, et on ne souffrait pas dans un navire sous son commandement. Il faut dire qu'avec sa barbe soyeuse, et ses rides, peu prononcés mais bel et bien existants, on aurait dit un sympathique grand-père.
Au fil des minutes, la cour commençait à se remplir de cadets, commençant à former des rangs, debout, dans la cour. Tous dans le même uniforme, blanc comme neige, seule exception étant la casquette, dont la visière et une partie du tour étaient bleu marine, les boutons dorés, et des épaulettes noires.
Finalement, au bout d'un trentaine de longues minutes, la silhouette ramassée de l'Amiral parut sur le balcon. Sa casquette, basse, masquait ses yeux dans l'ombre, mais sa mine dure laissait paraître que les nouvelles qu'il portait n'étaient pas des meilleures.
« Cadets, cadettes, futur servants de notre Marine, fierté d'Hoenn... »
Le silence, de mort, se fit dans la cour, tandis que tout les élèves furent obligé de revenir au sérieux face aux responsabilités que Juhel leur rappelait...
« J'ai la tristesse de vous annoncer que votre entraînement va devoir être écourté. Il ne m'en convient guère ; j'aurais plus qu'apprécié pouvoir mener votre entraînement à terme. J'espère toutefois de tout mon cœur et toute mon âme, que ces phases préliminaires auront été suffisantes pour vous donner un bon niveau...
Il continua, relevant la tête, et scrutant la foule muette des cadets de ses yeux perçants.
Cadets, Cadettes, je dois vous annoncer que ce soir, à dix-neuf heures sonnantes, L'Empire Kantoen a déclaré Hoenn, ses eau territoriales ainsi que ses archipels voisins...
Ils s'arrêta quelques secondes, reprenant son souffle, avant de terminer la funeste annonce.
… Zone de guerre. »
La foule resta muette de paroles et de sons.