Chapitre unique.
C'est parfois dur de savoir où l'on va. Où aller faire ses courses, où aller se promener le dimanche, où aller dans la vie, tout simplement. Nous aurions tous besoin d'un guide. Pour nous dire quoi faire, comment vivre. Ne clamez pas que vous aimez trop votre liberté, je sais bien que vous n'y tenez pas tant que ça. Il y a toujours une partie dominante en nous qui préfère la sécurité à la liberté. C'est mon avis. En tout cas, moi, quand je me suis réveillée ce matin-là, je ne savais pas où j'allais, je ne le savais plus depuis un moment, d'ailleurs. Si bien que j'ai juste dit « pourquoi pas ? » quand on m'a proposé de dédier ma vie à une cause dont je me foutais un peu, si ce n'est beaucoup. Bref, laissez-moi vous raconter.
C'était un jeudi, même si cela n'a pas vraiment d'importance. Ah, si je déteste les jeudis. Je déteste aussi me présenter et ça me fait penser que, ben, je n'l'ai pas fait. Je m'appelle Aphra, nom à coucher dehors, je sais. À l'époque, j'avais vingt-trois ans, même si à cause de ma taille on m'en donnait plus facilement seize ou dix-sept. Blondinette, taches de rousseurs, look emo négligé, bref, tout pour paraître enfant, mais qu'est-ce que j'y pouvais ? Je suis née à Unionpolis mais vivais, et vis toujours, à Voilaroc, allez savoir pourquoi on m'avait casée ici. Au moins, j'avais trouvé aisément du travail en arrivant, grâce au casino. Enfin, bon, pour en revenir au jeudi précédemment cité, ce n'était pas un jeudi si merdique que ça, vous excuserez mon vocabulaire. Ce jeudi-là, le professeur Sorbier, vous le connaissez bien j'imagine, était venu rendre visite à la championne. Jamais su pourquoi, jamais posé la question, si vous voulez savoir. Et, bref, il était tombé sur moi. Comme les autres, il m'avait prise pour une adolescente. Alors, il m'avait parlé de son projet, et quel projet ! V'là que le vieux me parlait de réunir tous les Pokémons existant, déjà que j'étais pressée de rentrer chez moi, il me prenait la tête avec ses rêves de je-ne-sais-quoi. Mais, vous vous en doutez, j'avais fini par m'y intéresser, à son blabla. Alors il m'avait équipée, et j'étais suis partie. Avec des Pokéballs, un Pokédex, pis un p'tit Ouisticram bien mignon.
Elle ne vous ennuie pas un peu, mon histoire ? Parce que, quand même, il n'y rien de si génial que ça, dans tout ça. Et puis, vous vous doutez de la fin, non ? Bah, je continue.
Le prof' m'avait proposé de nommer le Ouisticram, alors je lui avais filé le nom de Sand. C'était venu tout seul, il avait joué dans la poussière et 'sand' est quand même plus joli que 'dust.' Enfin, c'n'est que mon avis.Donc, Sand et moi, on était partis. Comme ça, lâchés dans Sinnoh, avec pour seul ordre de « tous les réunir. » Sincèrement, je trouvais ça con. Quelle idée de vouloir posséder un représentant de chaque espèce de Pokémon ? M'enfin, vous savez, quand on n'a pas 30 ans, qu'on est seul et qu'on n'a aucun but, on fait ce qu'on nous demande. Et puis, vous savez, être sponsorisée pour voyager, ça m'a bien plu. On était d'abord partis en direction d'Unionpolis, rencontrant et capturant les Pokémons affichés sur le Pokédex. Sand se débrouillait particulièrement bien pour affaiblir et impressionner ses adversaires, me permettant de les attraper avec facilité. Il avait été très impressionné par la grande ville, par contre. Pas possible qu'il n'me lâche une seconde tellement il était effrayé. Et puis, route après route, ville après ville, on l'avait fini, le tour de la région. Quand on était rentrés, plusieurs années étaient passées. Presque une dizaine. Sand était devenu un Simiabraz fier et puissant, sans peurs. Un Yanméga s'était joint à nous, appelé FlyLeaf. Bizarrement, le duo qu'ils formaient était redouté, et ça n'a pas changé.
Après Sinnoh, on a continué à voyager. Hoenn, Johto, Kanto, puis Alola, Kalos et Unys. Vous savez, ça ne fait que quelques années que nous sommes rentrés ici, à Voilaroc. Mais ça y est, nous nous autorisons du repos. FlyLeaf est mort la semaine dernière. Sand ne s'en remet pas, j'ai l'impression qu'il lui manque une partie de lui. Sa flamme est faible. Je n'sais pas combien de temps il restera à mes côtés mais j'ai bien peur que cela ne dure pas. Mais il a été à mes côtés pendant si longtemps. La vie que j'ai vécue, pas les vingt-trois premières années de simple survie, non, la vraie vie, je l'ai passé avec Sand. Grâce au vieux Sorbier. Ah, Sorbier, j'aurais dû penser à le remercier avant qu'il ne passe l'arme à gauche. J'aurais aimé que vous connaissiez cet homme-là. Pas juste son nom, ses exploit, mais l'homme. Il avait beau être froid, je n'avais jamais vu autant de vie et d'amour en un homme. Je m'égare, je suppose. Mais bon, vous connaissez les vieilles personnes. Aigries et diffuses. La collection de Sorbier avait été complétée grâce à de nombreux dresseurs et leurs Pokémons, dont Sand, FlyLeaf et moi. Et c'est à ça que je veux venir. On sait rarement où l'on va. Je n'ai jamais su où j'allais. À parcourir le monde avec deux bestioles, pour en capturer toujours plus au compte d'un vieillard vu trop peu de fois pour y accorder ma confiance. Et pourtant, aujourd'hui, après tout ce vécu, je sais où j'allais. Je venais ici, à ce bureau, écrire une lettre ouverte peut-être dénuée de sens. Sorbier m'a donné de l'espoir. J'étais perdue, la petite Aphra du casino. Et un vieux s'est pointé, m'a donné un but et la possibilité d'accomplir quelque chose. Je ne m'en suis jamais rendue compte. Durant toutes ces années, à me battre, voyager, vivre aux côtés de Sand et FlyLeaf, je ne réalisais pas que je vivais enfin réellement. Mais aujourd'hui, à la fin du voyage, je vois enfin que je n'avançais pas en aveugle. J'avais un but, un chemin à suivre. Et vous aussi, vous réaliserez un jour que votre chemin a toujours été tracé. Après vos victoires, vos douleurs, vos captures, vos séparations, après avoir vécu, les enfants et même les plus âgés, vous verrez. La vie a un sens.
Lettre ouverte, Aphra, 2053.