The Rose Queen. Tome 1 : L'usurpatrice. de Clafoutis

Le moins que l'on pût dire, c'était que le trio ne passait pas inaperçu lorsqu'il se déambulait à travers la cour du château. Si voir la Rose Queen et son conseiller, Isaac Forneus, ensemble n'avait rien de surprenant, en revanche, la présence de la petite adolescente grand-sourire à ses côtés l'était beaucoup plus. Les aristocrates la dévisageaient d'un très mauvais œil, notamment à cause de son uniforme ténèbres et or. Il leur rappelait des souvenirs, et plus particulièrement, celui de l'ancienne servante attitrée de la Rose Queen. Celle qui avait failli prendre leur place.

Que la Rose Queen choisît une seconde domestique personnelle ne présageait rien de bon, surtout après le discours ravageur de la veille.

Une certaine tension et suspicion s'étaient installées au château de Rosae, pour l'instant, chacun vivant encore comme d'habitude, mais le vent du changement menaçait. Et les nobles détestaient le changement, c'était bien connu. Cependant les nobles étaient aussi des lâches, incapables de tenter quoi que ce soit au grand jour. C'était pourquoi Isaac choisit le jardin de la cour afin de discuter du futur, un endroit bien trop à découvert pour qu'un de ces incapables d'aristocrates ne s'en mêle. Les murs avaient des oreilles, alors quoi de mieux qu'un lieu sans mur pour divulguer des secrets ?

Le jardin en question était au demeurant fort sympathique. Une seule fleur dominait : la rose. Cependant, il y en avait tant de différentes, que ce fût en forme ou en couleur, qu'il était impossible de s'en lasser. On aurait dit un champ infini, de toutes les teintes de l'univers, sauvagement pittoresque. Au milieu de ce paysage paradisiaque, trônait une élégante table de fer forgée, blanche et raffinée, un véritable travail d'orfèvre ; le trio s'y installa. Il y avait trois sièges libres, seuls deux furent utilisés, tous étaient assis ; Isaac tiqua fortement.

– Sae, grommela t-il, est-ce vraiment nécessaire que vous vous asseyez sur votre servante ?
– Ça lui fait plaisir ! haussa Sae des épaules. Et puis, c'est plus confortable comme ça, ses fichues chaises m'arrachent le cul. En plus, ses deux coussins intégrés sont vach'ment doux !
– Ô maîtresse, je serais toujours là pour vous ! compléta Vanille d'un ton fanatique. Utilisez-moi comme siège si vous le voulez, je ne suis qu'un misérable objet destiné à votre plaisir !
– …

Isaac s'efforça d'ignorer la scène désespérante qui se déroulait, sans gêne aucune, devant lui. Après tout, ça pouvait être pire...

– Ahem, toussota le conseiller. Permettez-moi donc de faire un rapide état des lieux, voulez-vous. Tout d'abord, votre discours d'hier. Il a causé un sacré capharnaüm, comme vous vous en doutez. J'en retiendrais quatre éléments en particulier.
Premièrement, votre façon de vous exprimer . Sur le moment, peu l'ont remarqué, mais vous vous êtes exprimée d'une façon terriblement vulgaire, qui ne ressemble en rien à la véritable Rose Queen. Il vous faudra faire attention sur ce point, il est bien difficile d'être crédible devant ceux ayant l'usage du verbe, uniquement muni d'un vocabulaire de gueuse.
Deuxièmement, votre visage. Vous l'avez dévoilé au grand jour, inconsciemment certes, mais vous l'avez tout de même fait. Or, vous n'êtes pas sans savoir que le mystère de son visage était l'un des symboles de la Rose Queen. Symbole que vous avez allégrement anéanti.
Troisièmement, la promesse d'abolition des privilèges. Un point très audacieux, voire dangereux. Les aristocrates sont très attachés à ce genre de pouvoir, bien plus qu'à leur propre vie pour certains.
Et quatrièmement, la manifestation de votre don. Seul point positif et déterminant. Il a su terrifier la plupart des nobles, si vous voulez mon avis, il est urgent de parvenir à le maîtriser pleinement.

Sae pencha la tête, songeuse.

– J'veux bien, avoua t-elle. Mais 'sais pas comment faire ! Et c'pas faute d'avoir essayé...
– Mmh..., réfléchit Isaac. En premier lieu, il serait précieux de connaître la nature de votre don.
– … nature sucrée ? tenta audacieusement Vanille.
– … D-Dites m'en plus sur votre pouvoir, poursuivit le conseiller en ignorant difficilement la servante.
– Euh, réfléchit la Rose Queen. 'Sais pas trop, j'balance des éclairs un peu partout quand je suis sacrément en rogne, c'est tout...
– Rien d'autre ?
– J'crois pas. J'peux pas trop dire, ça m'est arrivé que deux fois !
– Je vois. Donc, c'est un pouvoir marqué par la maîtrise de la foudre, se manifestant par de grandes émotions...
– C'est peut-être une Sainte ! s'illumina Vanille.
– Pfeuh !

Isaac pouffa instinctivement.

– Elle ? Une Sainte ? s'étonna t-il en ne cachant pas son amusement. J'apprécie votre humour, étrangère !
– … euh..., plissa Sae des yeux. C'quoi une Sainte ?
– Des individus possédants des pouvoirs sacrés, expliqua le conseiller sans se départir de son sourire moqueur. Dans la région de Parádeisos, les religieux – ceux qui croient en un dieu omnipotent – le reçoivent après un sermon de fidélité à leur Saint-Roi. Ce dernier point exclu la possibilité en ce qui vous concerne. Il existe bien des Saints naturels, possédant leur pouvoir à la naissance, mais ce sont en général des individus d'une bonté et finesse inégalées, vos opposés, en soi.
– Hé ! protesta Vanille. Je ne suis pas d'accord ! Maîtresse est très raffinée, je n'ai jamais vu quelqu'un fouetter avec autant de délicatesse et de cruauté à la fois !
– Petite, soupira Isaac, je vous laisse une minute afin que vous trouviez les nombreuses contradictions de votre phrase...

Vanille se plongea dans ses réflexions, ne voyant absolument pas où le conseiller voulait en venir. Isaac profita de ce moment de répit pour reprendre le fil de la discussion, un rictus cynique sur le visage.

– Non, je vous imagine plus Corrompue si vous voulez mon avis.
– … qué ? plissa une nouvelle fois Sae des yeux.
– L'antithèse des Saints, les Corrompus tirent leur pouvoir d'un dieu maléfique, Darkrai. Votre profil colle bien plus aux personnages, ce sont bien souvent des êtres très peu recommandables, pour rester courtois.
– J'comme l'impression que tu te fiches de moi ! cracha la Rose Queen.
– Touché, admit sereinement Isaac. C'est impossible que vous soyez une Corrompue, car pour ce faire, il y a un protocole très stricte à respecter. Et de plus, il n'existe pas de Corrompus naturels, contrairement aux Saints.
– Mouais, retour à la case départ quoi. T'es vach'ment inutile comme mec en fait !
– Voulez-vous revoir vos Némelios ? tiqua Isaac.
– Euh j'voulais dire, t'es vach'ment cool comme mec, haha...ha !
– Bouuh ! fronça Vanille des sourcils. Je n'aime pas ce ton que vous prenez avec ma maîtresse !
– Moi c'est votre existence qui m'insupporte, chacun son fardeau. Enfin, il n'y a pas que les Saints et les Corrompus qui possèdent des pouvoirs fabuleux, le monde est vaste, comme vous le savez.
– Nan, j'le sais pas vraiment en fait..., réfléchit Sae.
– C'était une manière de parler ! expira fortement Isaac.
– Mais si maîtresse n'est ni une Sainte, ni une Corrompue, d'où elle tire son pouvoir ? s'avança Vanille.
– Qui sait... marmonna Isaac avec un étrange sourire sur les lèvres avant de reprendre d'un ton plus clair. Quoi qu'il en soit, il n'est pas de la même nature que celui de l'ancienne Rose Queen, il est bien trop différent. Et de mémoire, je n'ai jamais vu la précédente reine invoquer de la foudre. Non, il faut penser à d'autres choses.
– Mmmh...

Sae, Vanille et Isaac se plongèrent dans leur réflexion, se laissant bercer par les senteurs apaisantes du jardin. Au bout d'une minute de silence, le conseiller tiqua une nouvelle fois, perturbé par les petits ricanements des deux demoiselles, pourtant toujours absorbées dans leurs pensées, voire même à moitié endormies.

– … juste comme cela, grinça t-il. Lorsque j'ai déclaré « il faut penser à d'autres choses », je parlais d'autres choses en rapport avec le sujet !
– J-J'vois pas d'quoi tu parles ! se réveilla brusquement Sae en rougissant furieusement.
– Oow ! s'exclama soudain Vanille les yeux toujours fermés. M-Maîtresse... n-non, pas là... c'est... c'est... Aaaah ! Si bon... ! N-non... arrêtez... s-si vous continuez j-je... je vais devenir folle !
– … héhéhé ! s'embarrassa Sae. J'crois qu'elle rêve de moi !

Isaac se plaqua violemment la main contre le visage.

– Je m'excuse. J'ai été naïf d'attendre un quelconque résultat de votre part... p-passons à un autre sujet si vous...
– Aaaah ! Oui ! J-Juste là ! En-encore … encore... maltraitez-moi encore !
– Et par les cieux, qu'on réveille cette gouine !

***
Quelques minutes plus tard, le trio fut enfin pleinement opérationnel, enfin, il l'était du mieux qu'il le pouvait du moins.

– Je me renseignerai personnellement sur votre don plus tard, conclut Isaac, il doit sûrement avoir des choses à ce sujet dans la bibliothèque.
– La bibliothèque ? s'étonna Sae. C'pas un endroit super dangereux ?
– … pardon ?
– Quand j'n'étais qu'une domestique, les autres disaient toujours que je devais pas y aller, parce que ça risquerait d'cramer mon cerveau !
– Étrangement, avoua Isaac, je suis certain qu'il y a une part de vérité dans cette divagation... enfin rassurez-vous, je ne vous demanderai pas d'y aller. Je doute que vous sachiez lire de toute façon.
– Héhéhé, pas faux !
– N'est-ce pas. Enfin, changeons de sujet. Hier, vous aviez proclamé que vous aboliriez les privilèges des nobles, je me dois de vous demander des précisions. Pensiez-vous sérieusement la chose, où aviez vous juste dit cela dans la chaleur du moment ?
– Qui a parlé d'être en chaleur ? bondit brusquement Vanille.

Isaac fit un effort gargantuesque afin de l'ignorer.

– Donc, Sae, répondez-moi je vous prie.
– Héhé, c'est évident ! fanfaronna t-elle.

La demoiselle ricana hautainement, avant de pointer vivement Isaac du doigt.

– Bien sûr que oui ! J'vais refourguer aux domestiques les pouvoirs des nobles ! Et vice-versa !
– Pfeuuh ! cracha violemment Isaac. P-Pardon ?!
– T'm'as pigée ! J'vais inverser la tendance !
– J-J'ai peur de comprendre...
– Et yep ! se leva Sae au grand dam de Vanille. Désormais, les domestiques s'ront les nobles et les nobles s'ront les domestiques ! Ça va leur faire le cul à ses têtes de couilles, hihi ! Ah, bien sûr toi j'te touche pas, j'ai trop peur !
– Heureux de l'entendre, se crispa néanmoins Isaac. V-Vous vous rendez compte de l'ampleur de ce que vous dîtes ?! J-Je ne suis pas certain que...
– Nan ! se borna Sae. J'suis catégor..isme ? ..iste ?
– Catégorique, lui souffla son conseiller.
– Voilà c'est ça ! Catégorismique ! Ces enfoirés de porcs nous ont bien trop fait chier ! J'veux leur rendre la monnaie d'leur pièce !
– Je comprends votre point de vue, cependant...
– Ma décision est d'jà prise ! Ça va être comme ça et pas autrement ! Z'ont bien profité ces salauds, bah maintenant ils vont tout perdre ! Ils verront c'quoi la vraie vie !
– … admettons, tenta Isaac de garder son calme. Mais comment allez-vous mettre votre décret en application ? Pensez-vous réellement qu'il suffira d'un mot de votre part pour modeler la situation comme vous le vouliez ? Ne sous-estimez pas la ténacité des nobles.

Le sourire de Sae s'accentua, prenant une teinte sinistre.

– Quoi ? Qui t'as dit qu'j'allais leur dire ?
– … expliquez-vous.
– C'est simple. Ces porcs tiennent leur pouvoir que d'deux choses : la Rose Queen, et leur Pokémon. D'jà, ils ont plus mon soutien, problème résolu. Puis, 'suffit simplement de leur chiper leurs bestioles et pouf ! Ils seront sans défense !
– … « chiper » leur Pokémon ? s'interrogea Isaac.
– Yep ! affirma la Rose Queen. Et c'l'a que ma super bonniche arrive !
– Moi ? réagit vivement Vanille des étoiles dans les yeux.
– Yep yep ! réaffirma Sae. J't'ai vu à l'œuvre hier soir, t'es sacrément fortiche pour te faufiler dans l'noir.
– Hihi, c'est trop d'honneur ! rougit la Parádeisoise. I-Il faut dire que j'ai toujours eu les meilleurs résultats en espionnage, à l'école militaire !
– J'bite rien à c'que tu débites mais ça à l'air cool ! s'enthousiasma l'usurpatrice. Donc, voilà c'qu'on va faire ! C'tte nuit, Vanille va chiper toutes les Pokéballs des nobles et on va ensuite les distribuer aux domestiques ! 'Vont avoir une sacrée surprise à leur réveil, huhuhu !
– …

Comme à son habitude lorsqu'il réfléchissait, Isaac se frotta le menton. Certes, lui aussi voulait changer les choses, mais là, n'était-ce pas trop... brutal ? Complètement renverser la balance du pouvoir, en une nuit, en catimini. L'idée était audacieuse et innovante. Il devait se l'avouer, elle lui plaisait bien. En plus, qui sait peut-être que cela pourrait être bénéfique pour ses plans...

– Entendu, soupira Isaac. De toute manière, j'imagine que vous faire changer d'avis serait peine perdue.
– Yep yep yep ! Aucune chance !
– Parfait alors, si vous avez tant confiance en votre nouvelle amie. Cependant prenez garde, le résultat de vos actes risquent de dépasser vos espérances.
– … qué ?
– Je dis simplement que de soudainement donner le pouvoir à un peuple opprimé peut mener à certains débordements.
– Pfeuh ! Ça pourra pas être pire qu'avec ses vieux chiards au pouvoir ! assura Sae.
– Si vous le dîtes, ô Rose Queen, sourit sarcastiquement Isaac. Enfin, je vous fait confiance, si cela marche, votre coup d'éclat marquera une ère nouvelle à Rosae, et pour tout vous avouer, j'ai hâte de voir cela...

***
La nuit venue, Vanille Valérian se passa l'œuvre. La liste des nobles à dérober était longue et le temps d'action limitée. Mais ce n'était pas cela qui allait la faire peur. Il ne fallait pas juger un livre à sa couverture, la masochiste extrême avait bien d'autres atouts dans sa manche.

Telle une ombre, elle se faufila furtivement, sans un bruit, à travers les coursives du château. Ni les Rattata sauvages et ni l'éclat de la lune ne la remarquait. Vanille Valérian était fière de ses capacités, surtout pour une humaine « normale ». Là d'où elle venait c'était d'avantage les Saints et leur pouvoirs divins qui dominaient les plus hautes fonctions, à l'exception de la police – le symbole de résistance contre les Saints par excellence. Il était difficile pour une « simple » humaine, sans pouvoir fabuleux, de se faire remarquer dans ce monde.

Et pourtant, Vanille Valérian était de ceux qui avait réussis cet exploit. Dotée d'une force, vitesse, et agilité largement supérieure à la normale, peu pouvait se vanter de l'avoir vaincu, que se soit en duel ou en combat Pokémon.

La première chambre fut dévalisée en moins d'une minute. La porte était bien sûre fermée à clef, mais une serrure n'était rien pour la cambrioleuse en herbe. Elle l'avait crochetée en moins de temps qu'il ne lui fallut pour presser la poignée.

Vanille sourit devant son butin. Deux Pokéballs, le compte était bon. Isaac Forneus n'avait pas chaumé aussi, ayant passé sa journée aux archives afin de faire le catalogue complet des aristocrates et de leur Pokémon. Bénie soit la précédente Rose Queen pour avoir tenu à consigner ce genre de détails. Il fallait dire que malgré ses propres pouvoirs, l'ancienne reine se méfiait énormément des Pokémon et de leur pouvoir frisant le miraculeux, elle se devait d'en contrôler la population sur son royaume et à fortiori dans son château.

En une heure à peine, toute l'aile ouest du palais fut dévalisée, sans encombre. Et encore, la Parádeisoise aurait déjà fini depuis bien longtemps, si elle ne devait pas déposer les Pokéballs légitimement obtenues au quartier des domestiques après chaque vol.

Souriante et heureuse de pouvoir être utile à sa maîtresse, Vanille se dirigea maintenant vers l'aile est.

Demain allait être une journée fort réjouissante.